14. Landmarks
Pensive, je fais machinalement tourner entre mes doigts une mèche de cheveux échappée de mon chignon. Devant mon air découragé, Dan poursuit en soupirant :
- Arrête de t'en faire, Mel. Tu n'as rien fait de mal. Et non, je ne sais pas pourquoi Ayden refuse de signer chez Live. Je ne sais même pas si Chuck lui même en a la moindre idée.
Vu la nature de leurs relations, ça ne m'étonnerait pas beaucoup. Mais je ne me risquerai pas à lui poser la question.
Et puis qu'est-ce que je m'en fiche, d'Ayden et de ses raisons ? Est-ce que lui se demande dans quel état je suis après avoir entendu les horreurs qui sont sorties de sa bouche ? Je n'en peux soudain plus de me poser mille questions. Je me redresse en prenant une grande inspiration, bien décidée à passer à autre chose. Pour changer de sujet, je demande à Dan :
- Ton service se termine à quelle heure ?
- Dans une heure environ, me répond-il. Je n'ai pas d'heure précise, je dois assurer jusqu'à la fin.
Erin interrompt brusquement notre conversation en me demandant de l'aider à remettre de l'ordre dans la maison. Ses traits sont tirés, elle aussi a l'air crevée. Je ne sais pas par quel miracle j'arrive à me lever.
Quand nous en avons terminé, elle me donne rendez-vous à onze heures le lendemain au bureau. Je suis soulagée de pouvoir dormir un peu plus que ce matin, vu l'heure a laquelle je vais me coucher. Un des avantages du métier, je suppose. Au moment où je prends mon téléphone pour appeler un taxi, je tombe sur Dan qui s'est changé et semble sur le point de rentrer.
- Je te ramène ? me demande-t-il gentiment.
- Ça va aller, je ne veux pas te déranger !
- Non, ça ira, t'en fais pas. C'est pour te remercier d'avoir éclairé ma soirée ce soir.
- Éclairé ? Tu ne veux pas dire plutôt ennuyé ?
- Oh non, crois moi ! Ça fait du bien de croiser de nouvelles têtes, et quand elles sont aussi jolies que la tienne, c'est encore mieux. En tout bien tout honneur, hein. Je ne veux pas faire de concurrence a Théo! Allez, donne moi ton adresse et on y va, tu as l'air bien trop fatiguée pour attendre un taxi.
Dan me fait un clin d'œil et son compliment me fait rougir. Je ne me considère pas comme jolie, loin de là. Je n'ai pas de complexe à proprement parler (sauf quand je fais une crise de boulimie de chocolat), je me trouve juste banale. Bon, j'aimerais bien avoir un peu moins de fesses, parfois, mais je n'en fais pas non plus une maladie, il y a des choses plus graves dans la vie.
Désarmée par la gentillesse de Dan, j'accepte finalement sa proposition. Il a raison, j'ai trop la flemme d'attendre un taxi, je risquerai de m'endormir sur place. Je prends quand même la peine de le dire à Erin quand je lui dis au-revoir, on ne sait jamais : si c'est un psychopathe et qu'il décide de me séquestrer, la police aura au moins une piste. Après tout, je ne sais rien de lui.
Le trajet se passe dans le plus grand calme. Dan est concentré sur la route, quant a moi, la tête appuyée sur la vitre de la portière passager, j'admire encore et toujours les lumières de New-York, en essayant de ne pas sombrer dans le sommeil. Je ne sais pas si je pourrais m'en passer un jour maintenant que j'y ai goûté.
Quand Dan me dépose saine et sauve en bas de l'appartement, nous décidons de nous rappeler dans la semaine pour faire une sortie. Je le crois quand il me dit ne pas vouloir faire concurrence a Théo : au cours de la soirée, il n'a eu aucun geste ni regard déplacé qui aurait pu me faire penser le contraire, et je suis contente de m'être fait un ami. Je lui souhaite une bonne nuit et me précipite a l'intérieur de l'immeuble.
J'essaie de me faire le plus discrète possible quand je rentre dans l'appartement silencieux pour ne pas réveiller Chris et Tara. Une fois dans ma chambre, je règle mon réveil, mets mon téléphone en charge et me débarrasse de mes vêtements en un temps record. Je me jette dans le lit sans prendre la peine de mettre un pyjama : mon sommeil est un cas d'extrême urgence, mes sous-vêtements suffiront.
Enveloppée dans la chaleur de ma couette, malgré mon état de fatigue, j'ai du mal à m'endormir. Chaque fois que je ferme les yeux, l'image d'Ayden en train de me toiser s'impose à moi, m'empêchant de me détendre.
Le lendemain, quand l'ascenseur s'ouvre sur le quatorzième étage de Live Nation, je suis dans un état de stress avancé. Ma nuit a été agitée, et depuis que j'ai ouvert les yeux, je ne cesse de me demander comment Chuck et Erin vont m'accueillir ce matin. Heureusement pour moi, Chris et Tara étaient déjà partis, je n'avais pas envie de leur expliquer par le menu le fiasco de la soirée d'hier. Je n'ai même pas pris de petit déjeuner tellement mon ventre était noué.
Quand je passe la porte du bureau de Chuck, à onze heures tapantes, le soleil qui tape derrière la vitre est aveuglant. Je suis obligée de plisser les yeux en le saluant. Il est occupé à signer des documents, assis devant son écran. Il pose les yeux sur moi et me dit froidement :
- Asseyez-vous, Mélanie.
Ma respiration s'accélère, je vais enfin savoir ce qui m'attend. J'ai peur de me faire virer, même si ça semble irrationnel. Vu l'importance que Chuck semble accorder à Ayden, on ne sait jamais. J'aperçois Erin dans son bureau. Très concentrée, elle ne lève pas la tête vers moi. Ça m'inquiète encore plus, parce que je suis sûre qu'elle m'a entendue entrer. SI tout allait bien, elle aurait au moins souri, non ?
Tendue, je m'assois sur la chaise désignée par Chuck. Je replace nerveusement mes cheveux derrière mes oreilles. Malgré moi, je pince les lèvres, dans l'attente de mon sort.
- Bien, Mélanie, m'entreprend Chuck de sa voix grave. Comment s'est passé votre première journée hier ?
J'ai l'impression que sa question est un piège. Je ne sais pas quoi dire. Si je minimise ce qui s'est passé avec Ayden, il va penser que je ne prends pas mes responsabilités, si j'en fait trop, il se dira que je suis trop sensible. Je choisis donc l'option courte :
- Oh, bien, merci. La soirée a été un peu... mouvementée, mais je me suis sentie plus à l'aise que ce que j'aurai pensé.
Chuck fait une tête bizarre, entre le sourire et la grimace, comme si son visage était le reflet du déroulement de la soirée. Il pose ses deux mains à plat sur le bureau et prend une grande respiration. Mon Dieu, ça y est, je suis virée. J'essaie de cacher mes mains qui tremblent sous mes cuisses.
- Mélanie, vous avez fait du très bon travail hier soir. Grâce à vous, nous avons évité une fuite dans un journal que même un rat ne serait pas digne de lire.
Hein ? Quoi ? Très bon travail ? Mon cerveau court-circuite. Chuck me sourit (je crois bien que c'est la première fois que ça m'arrive) et reprend devant ma mine effarée :
- J'imagine que ça n'a pas du être facile pour vous, en tant que nouvelle arrivante dans cette entreprise, de vous interposer de cette façon pour que cette photo ne soit pas prise. Vous savez, c'est la première fois qu'une de mes stagiaires montre autant d'aptitudes en si peu de temps. Vous vous êtes fait insulter, rire au nez, et pourtant vous n'avez pas cédé : je vous félicite.
J'ai beaucoup de mal à accepter les compliments, en général, et cette fois-ci ne déroge pas à la règle : je n'ai fait que mon travail, je ne vois pas en quoi il y a besoin de me féliciter.
Sous le coup de l'émotion, je me racle la gorge et je chuchote plus que je ne parle :
- C'est normal, je n'ai fait qu'appliquer les consignes d'Erin.
- En tout cas, je vous remercie de vous être opposée à Ayden. Vous avez pu constater qu'il n'est pas facilement gérable. Si vous êtes amenée à le recroiser dans nos locaux ou lors d'une soirée, et qu'il a un comportement déplacé envers vous, je veux le savoir immédiatement. Vous êtes une personne fiable qui ne mérite pas qu'on lui manque de respect. Ayden se comporte de cette façon... pour certaines raisons, que je ne peux pas aborder ici, avec vous. Mais si vous rencontrez le moindre problème avec lui, je vous demande de m'en informer. D'accord ?
J'acquiesce, soulagée qu'il ait compris ma conduite de la veille et qu'il me fasse confiance. Je ne me risquerai tout de même pas à lui donner mon point de vue sur sa future superstar du rock, je n'ai pas envie de redescendre aussi vite que je semble être montée dans son estime.
Le reste de la semaine passe comme dans un rêve, je n'ai pas le temps de souffler. Avec Erin, je me sens de plus en plus à l'aise : elle m'apprend à naviguer dans son monde avec diplomatie et bonne humeur. Elle m'emmène partout : en une semaine, j'ai du au moins découvrir les trois quarts des studios télé et radio de la ville. Ce boulot est incroyable, je croise chaque jour des artistes, des metteurs en scène, des machinistes, des musiciens, des animateurs, des chorégraphes, des danseurs, tous humains et agréables avec la petite nouvelle que je suis. Ils se mettent tous à ma portée, me répétant que toutes mes questions sont bienvenues.
A New-York, les gens sont très différents de là d'où je viens. Bien sûr, je rencontre souvent le cliché de l'américain toujours pressé, travaillant quinze heures par jour (mais c'est tellement vrai!), un gobelet de café à la main, le regard toujours tourné vers la minute suivante. Mais la plupart du temps, les gens prennent le temps de sourire, et d'accepter les gens comme ils sont.
Comme prévu, le jeudi soir, je me fais ma première séance de ciné new-yorkaise avec Dan, qui ne diffère pas vraiment des séances en France. Le film est prenant, et je passe une excellente soirée. Dan est drôle, prévenant et agréable, nous avons beaucoup de sujets de discussion, et il se révèle un excellent guide dans New-York, qu'il connaît comme sa poche. Après la séance, il m'emmène dans un petit bar cosy, bien loin des circuits touristiques, qu'il me dit être son bar préféré. Il ne me reparle pas de la soirée de lundi, ce dont je lui suis reconnaissante : je ne veux plus penser à Ayden et à son comportement d'enfant gâté. Je ne vais pas le laisser gâcher ma première semaine à New-York.
Je prends aussi le temps de visiter un peu les endroit touristiques qui m'ont fait rêver: l'empire state building, la statue de la Liberté, je vais même me faire une session nocturne au Moma. J'envoie à Théo, Léa, Jules et surtout ma mère le plus de nouvelles possibles malgré le décalage horaire. Bref, si l'absence de Théo ne se faisait pas parfois douloureusement sentir, je serai parfaitement heureuse.
Le vendredi matin, Erin m'annonce que nous devons être présentes à un concert le soir même, pour plus ou moins coacher le groupe de rock qui va jouer : c'est un de leur premier gros événement, et ils ont demandé à Chuck qu' Erin soit présente pour gérer les rencontres avec les fans. Je saute partout : j'adore leur musique, et jusqu'à présent, je n'ai pas eu vraiment l'occasion dans ma vie d'assister à des concerts.
Notre journée de travail terminée, nous rejoignons donc en taxi le Radio City Music Hall. Le trajet est court, à peine dix minutes. En arrivant, j'en prends plein les yeux, je n'en reviens pas de fouler un sol qui a connu les pas de tant de stars. Ce n'est pas dans mes habitudes de jouer les groupies (hormis avec Ayden, me souffle le petit diable dans ma tête), mais je suis qund même impressionnée. Chez moi, j'avais regardé une fois une rediffusion des Grammy Awards, qui se déroulent au Radio City, et là j'y suis pour de vrai.
Je n'ai pas le temps de profiter de ma joie : comme d'habitude, Erin l'ouragan m'entraîne dans un tourbillon de préparatifs et de vérifications. Tout à coup, elle s'affole. Elle court dans toutes les directions, à la recherche de je ne sais quoi. Ses cheveux volent dans tous les sens, et je retrouve le froncement de sourcils qu'elle avait en observant Chuck lors de sa soirée. Je la devance et me plante devant elle :
- Je peux t'aider ?
Elle souffle et me répond, en continuant de chercher un objet fantôme :
- Le guitariste a oublié ses mediators et il habite de l'autre côté de Brooklyn. Il ne peut pas jouer sans, il est en pleine crise de panique. Je ne sais pas quoi faire, il n'y en a nulle part, et nous n'avons pas le temps d'aller en acheter en moins de trois quart d'heures. Je demande :
- Il n'y a pas plusieurs guitaristes ?
Elle s'énerve :
-Mélanie, tu ne crois pas que j'ai déjà envisagé cette possibilité ?
Puis s'excuse :
- Désolée, je suis un peu à cran. Le guitariste est en pleine crise d'angoisse. Chuck va arriver, il attend beaucoup de ce concert, il faut que tout soit parfait.
Je me rappelle soudain le matin où j'ai entendu Ayden jouer. Dans un coin du studio, il y avait tout un tas d'accessoires de musique, rangés contre le mur et dans une malle.
Je regarde Erin qui se ronge les ongles d'impatience :
- Je peux peut-être aller en récupérer au studio ? En taxi, je peux faire l'aller-retour en moins de trente minutes.
Son visage s'éclaire, et elle me saute au cou. On dirait que j'ai eu une bonne idée...
J'effectue rapidement le trajet en sens inverse (c'est une chance qu'il y ait des taxis partout, dans cette ville). Quand je pénètre dans le bâtiment de Live Nation, je passe en trombe devant l'hôtesse d'accueil, qui porte toujours sa casquette des Chigaco Bulls. Je m'acharne sur le bouton d'appel de l'ascenseur. Je n'ai pas la soirée devant moi, il me reste exactement quarante-deux minutes avant le début du concert.
Je pousse la porte du studio et interromp immédiatement mon geste : une voix que je pourrais reconnaître entre mille pénètre par tous les pores de ma peau, laissant derrière elle une nuée de frissons qui se prolongent dans tout mon corps. Derrière la vitre sans teint de la cabine d'enregistrement, Ayden est en train de chanter.
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