VINGT-CINQ

— Bon... bah finalement, c'est peut-être mieux que tu répondes pas. Je... je voulais juste te dire que... j'ai besoin de toi. Je voulais pas me l'avouer parce que je ne voulais pas rester la fille que j'étais avant, mais je n'arrive pas à te laisser tomber parce que tu es la seule qui m'a toujours comprise. Et là, je dois bien accepter que je ne peux pas me passer de toi, même si je fais tout pour. April... je sais que tu vas venir ici, et je veux te prévenir. Tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques, et tu ne sais pas à quel point ma vie est en bordel en ce moment. C'est à un tel point que je ne sais même pas si je pourrais trouver les mots pour te l'expliquer. Mais... je ne veux pas te faire du mal, et je ne veux pas que tu viennes seulement parce que j'ai besoin de toi pour ranger mon esprit. Je ne suis plus du tout la même fille qu'avant, alors je ne veux surtout pas que tu t'attendes à retrouver ton amie d'il y a des mois, je... Je ne sais pas si tu m'accepteras comme je suis maintenant, en fait. C'est un peu ça qui me fait le plus peur, je crois. Que la personne qui compte le plus pour moi en ce moment me lâche parce que je ne vaux plus le coup... Oulà, non je m'embrouille ! Bref, je suis terrifiée, plus que je ne l'ai jamais été, vraiment. Et je crois qu'il n'y a que toi qui pourrait me faire avoir moins peur, mais en même temps te revoir pourrait être la chose qui me fera le plus mal. Tu es ma meilleure amie depuis tellement longtemps que je ne me rappelle plus comment on a fait pour le devenir, et j'ai peur que maintenant que les choses ont changé, on n'y arrive plus. Donc j'imagine que je veux rester dans les souvenirs que j'ai de toi, et ne pas confronter la réalité. J'ai toujours eu ce problème, tu ne trouves pas ? Bref. Je ne sais même plus pourquoi je t'appelais. Désolée, oublie ce que j'ai dit !

Je raccroche d'un coup sec et un long soupir s'échappe de ma gorge nouée. Je me suis complètement perdue dans mes explications. Je ferme les yeux pendant un instant, encore dérangée par les larmes qui y perlent mais ne coulent pas. La respiration lourde, je me plie en deux et pose mes mains sur mes genoux, le cœur si serré que ma poitrine entière me fait mal. C'est de pire en pire. J'ouvre peu à peu mon corps et mon esprit à la souffrance, et je sens qu'elle ne va pas tarder à percer et s'abattre sur moi plus violemment qu'elle ne l'a jamais fait.

*  *  *

Alors que la sonnerie annonce la fin du cours et la pause de midi, je baisse les yeux et range mes affaires. J'ai passé toute la matinée déjà à éviter Tyler du regard, et je l'imagine déjà m'attendre à la sortie de la salle. Alors, pour esquiver cette éventualité, je m'empresse d'enfoncer mes écouteurs dans mes oreilles et serre les poings. Je parviens à suivre la masse jusqu'au couloir, et me permets un léger soupir de soulagement quand je suis enfin séparée de mes camarades et du danger que représente le plus important d'entre eux.

Préférant rester seule aujourd'hui, je m'isole rapidement dans un coin du lycée que je sais peu fréquenté, près d'une grande fenêtre donnant sur l'herbe ensoleillée tapissant les alentours. Je m'affale donc dans un fauteuil, appréciant ce moment de relâchement solitaire, et pose les mains sur mes tempes en regardant dehors. Comme si cela allait me vider l'esprit, je me force à n'observer que le mouvement doux des feuilles des arbres et des brins d'herbes sous la brise légère, à ne m'attarder que sur la façon dont les rayons du soleil les caressent. Je ne sais pas combien de minutes passent alors que je contemple le temps en rêvassant, mais je ne m'en détache pas une seconde. Peut-être que j'espère y trouver une sorte de méditation, une manière de m'échapper de mon corps pendant quelques secondes. Je crois que ça fonctionne un peu.

— Salut, toi.

Je sursaute doucement et me retourne vers la source de cette voix au ton doux. Jason se laisse tomber dans un fauteuil face à moi, et m'adresse un sourire énigmatique. Je ne lui réponds pas, et reporte mon attention sur la fenêtre en posant mon menton sur la paume de ma main. En sentant son regard peser sur moi avec insistance, je soupire.

— April va venir ici.

Jason se raidit, et je sens sa surprise dans son reflet sur la vitre.

— Je lui ai dit que j'étais à Miami, ajouté-je.

— Donc tu vas la voir ?

— On dirait bien, oui...

— Et tu es prête ?

Pour seule réponse, je tourne la tête vers lui en accrochant fermement son regard. Il m'adresse un sourire timide, et hausse les épaules.

— Tu sais, tu ne seras pas seule après avoir avoué ton secret.

— Je n'ai pas peur de la solitude, le coupé-je.

Je secoue la tête, et pousse un énième soupir en étirant mes bras.

— Je me demande juste comment sera la vie.

Jason plisse les paupières, m'invitant à poursuivre. Je me gratte la nuque, le cœur battant.

— Je n'ai pas appris à vivre sans eux, encore.

Mon aveu fait s'animer les yeux du brun d'une lueur émue, et je passe mes mains sur mon visage étrangement brûlant.

— Laisse tomber, soufflé-je.

— Non, non, je comprends, fait-il alors.

Il cherche mon regard, et opine lentement.

— Ça m'a fait pareil avec mon frère. Quand j'ai continué ma vie, j'avais l'impression de ne la vivre qu'à moitié, que je n'étais pas dans le même monde que les autres. Que j'étais dans une bulle, et que je ne pourrais jamais en ressortir parce que ça voudrait dire commencer une vie qui ne serait pas vraiment la mienne.

Je me contente d'acquiescer. Il a en effet compris... Chacun de ses mots résonne en moi comme un écho de mes propres sentiments. Accentué par ma fausse identité, c'est bien cette bulle que je ressens depuis tous ces mois. Dès que j'ai ouvert les yeux à l'hôpital après l'accident, il me semblait que le monde tournait au ralenti autour de moi, que tous ses sons étaient lointains et que tout ce qui m'entourait était irréel. J'avais le sentiment de vivre hors de moi, que mon esprit et mon corps n'était pas lié. En réalité, j'ai toujours ce sentiment, je ne sais pas pourquoi je m'y réfère au passé. Depuis ce jour, j'ai l'impression de n'être qu'une ombre, un reflet. Que le réel ne l'est pas vraiment, que je vis dans une existence alternative qui ne devrait pas m'appartenir.

— Et ça m'arrive encore aujourd'hui, ajoute soudain Jason. Mais c'est normal et humain. C'est le deuil.

— Le deuil ? pouffé-je presque. Vraiment ?

Jason se contente de hocher la tête, un doux sourire aux lèvres. Je clos les paupières un instant. Le deuil, ce n'est pas ça. Non... ça ne devrait pas être ça. Je me rappelle encore des personnes qui me disaient que je passerais par des « phases » assez compliquées, qu'il ne faudrait pas que je m'inquiète, parce que ça allait passer. Foutaises. Ces phases, j'ai l'impression de ne jamais les vivre et à la fois de les vivre toutes en même temps. Je pensais vivre d'abord le déni, puis colère, la tristesse, et l'acceptation. Je voulais écouter ce qu'on me promettait, je voulais que tout soit aussi automatique, alors j'ai attendu. Et me voilà aujourd'hui, essayant de trouver dans quelle phase je me trouve, en vain. Ma famille est morte, je ne le nie pas, et je ne l'accepte pourtant toujours pas. Je ne leur en veux pas, je ne suis pas en colère, et j'ai à la fois plus de rage en moi que je n'en ai jamais eu. J'ai l'impression parfois de m'être bloquée à la tristesse, de ne plus pouvoir rien ressentir, et j'ai pourtant si mal que ça pourrait m'achever. On m'a menti, et j'ai voulu croire que tout se passerait comme je l'avais imaginé. Mais sept mois plus tard, je me sens toujours hors de moi-même, hors de mon corps, en plein conflit avec mon âme. C'est comme si ces événements ne m'étaient pas vraiment arrivés, à moi, comme si je voulais projeter ça sur une autre personne parce que dire que cette vie m'appartient est trop surréaliste. Je voulais me persuader d'être Malia et de l'avoir toujours été, pour pouvoir dire « C'est Angie qui a vécu tout ça. Moi, je vais bien. ». Je voulais tant oublier, et je voudrais tant en être capable. Mais peut-être qu'après tout, je dois faire face à la vérité. Je suis dans le déni depuis sept mois, en fait. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Mon deuil, pouvons-nous même dire qu'il a commencé ? Et puis, s'arrêtera-t-il vraiment un jour ? Comment est-ce que je pourrais enclencher une acceptation progressive de la destruction entière de ma famille ? Accepter, c'est accepter de ne plus souffrir ? Mais alors, si j'arrête de souffrir, j'oublierai pourquoi je souffre, j'oublierai mon amour pour eux ?

— Tu te sens obligée de tout compliquer, alors que c'est bien plus simple que ça en a l'air.

Je lève les yeux vers Jason, les mains tremblantes. Il n'attend pas que je réponde, et se penche vers moi.

— April va venir, et elle te dira la même chose. Tu vas finir par avouer ton identité. Tu verras les journalistes, et ils partiront. On apprendra tous qui tu es, et ils vont s'énerver, un peu, ou beaucoup. Et ils vont te pardonner. Tu te retrouveras seule dans ta tête, désemparée et tu ne sauras pas quoi faire, mais ça va s'arranger. Ils reviendront vers toi, ils comprendront, et tu pourras continuer ta vie en tant qu'Angie Hopkins. Tu feras ton deuil, à ton rythme, et chaque jour, ça ira un tout petit peu mieux. D'autres jours, ça ira mal, très mal. Mais au bout du compte, tu iras bien, parce que tu auras accepté que tu mérites de vivre comme chacun d'entre nous. Je te le répète, accepter leur mort ne veut pas dire leur manquer de respect. Ça veut simplement dire avancer et avoir la vie qu'ils voudraient que tu aies.

Mes lèvres tremblent, et je sens tout mon corps se crisper sous la sensation des larmes qui remontent dans ma gorge. La tension devenue trop forte, je détourne brusquement le regard de Jason, posant des doigts frémissants sur mes tempes. Ses mots m'atteignent en plein cœur et font rayonner la petite lueur qui peine à s'animer en moi. Il me dit exactement ce que je veux entendre et ce que je n'arrive pas à penser seule. Il me donne l'espoir dont j'ai besoin, et à cet instant, mon être entier le croit.

— Et Tyler ne t'en voudra pas non plus.

Je cache difficilement mon sursaut, et mes membres se contractent. Ma gorge nouée me brûle à présent. Pas Tyler.

— Quel rapport avec lui ?

Le sourire qui peint alors le visage de son ami suffit à tout dire. Je baisse les yeux, les poings serrés sur mes cuisses.

— Je sais ce qu'il se passe entre vous. Et je me doute bien qu'il est la principale raison pour laquelle tu hésites autant.

J'entrouvre les lèvres pour protester, mais n'en trouve finalement pas l'intérêt. Alors, je reste silencieuse, confirmant d'un regard hésitant ce qu'il avance. Ça ne sert à rien de mentir, il a très bien compris ce qu'il y avait dans ma tête et mon cœur en ce moment ; plus que je ne m'y attendais, d'ailleurs.

— Tu penses vraiment qu'il me pardonnera ? dis-je d'une voix presque inaudible.

— C'est Tyler. Et... à mon avis, ce qu'il aime chez toi, ce n'est pas Malia.

— Comment ça ?

Ma voix tremble, et trahit totalement ma nervosité. Mon cœur bat la chamade, ma respiration est lourde, la température de mon corps a atteint des sommets en quelques secondes.

— La connexion qu'il y a, je doute qu'elle se soit faite sur la base de ton apparence et de tes mensonges.

Je déglutis en secouant lentement la tête. Jason insiste.

— Je le connais. Les choses qu'il a vues en toi, c'est celles qui ressortent d'Angie, ça ne changera rien.

Un frisson parcourt mon échine, et je mords mes lèvres avec nervosité.

— J'ai envie d'y croire, avoué-je finalement. Mais s'il pense que je lui ai menti sur toute la ligne...

— Ce n'est pas le cas, non ? me coupe Jason.

Je fais un signe négatif de la tête en tremblotant, et il hausse les épaules avec une moue détachée.

— Alors il te pardonnera.

Son ton affirmé me déroute un peu, et je tourne les yeux vers les arbres dehors, me perdant de nouveau dans les divagations de mon esprit. Alors il est persuadé que je ne perdrai pas Tyler. Honnêtement, c'est tout ce que je veux entendre, et c'est ça qui me fait peur. L'espoir qui réside en moi dépend presque entièrement de lui, et si j'écoutais mes instincts les plus profonds, j'irais lui hurler la vérité. Mais parce que je commence à avoir de réels sentiments pour lui, je suis paralysée par la terreur. Si vraiment, Tyler a réussi à percevoir Angie à travers Malia comme je l'ai senti, sera-t-il capable de comprendre ? Est-ce qu'il est vraiment attaché à la personne qu'il est parvenu à atteindre, ou seulement au mystère ? Serait-il capable de m'aimer, moi, ou aime-t-il simplement cette enveloppe silencieuse ?

— Tu as beaucoup d'espoir, Jason soupiré-je.

— Il faut bien que quelqu'un en ait, non ?

J'accroche son regard pendant un long instant, muette. Un sourire énigmatique étire le coin de ses lèvres. Aucun de nous n'a le temps de poursuivre, la sonnerie retentit et annonce la reprise des cours. Nous nous levons tous deux immédiatement, et rejoignons le grand couloir principal. J'entends alors Jason se racler la gorge.

— Quand April viendra... tu pourras lui dire que j'aimerais la revoir ?

Je me tourne vers lui en arquant les sourcils, surprise.

— Tu penses qu'il y a quelque chose à finir avec elle ? osé-je l'interroger.

Jason hausse les épaules.

— Je ne sais pas. Peut-être...

Sans ajouter un mot, il passe une main dans ses cheveux. Je scrute son visage malgré moi, faisant attention aux lueurs étranges qui se reflètent alors dans ses yeux d'un brun chaud, et la façon dont sa mâchoire habituellement peu marquée se crispe, faisant ressortir ses pommettes saillantes et les veines de son cou. Je n'aurais pas pensé lui voir une telle expression à l'évocation d'April. Lui qui est toujours serein, l'air neutre et presque las, le voilà bien transparent. Peut-être que j'ai sous-estimé leur relation. Je sais qu'elle a été courte, mais intense, pour April et visiblement aussi pour lui. Après tout, ce qui était un amour de vacances pourrait bien se révéler bien plus. Si ce n'est pas le destin, ça...

*  *  *

Il pleut à torrents. En septembre, à Miami. La new-yorkaise en moi de ne peut s'empêcher de se moquer de la soi-disant météo incroyable qu'on nous vendait tant. Ici aussi, les averses existent, visiblement.

Immobile, je m'adosse à la façade du bâtiment pour m'abriter en contemplant les trombes d'eau s'abattre sur la belle cour du lycée, et attends que l'averse se calme. En prenant une profonde inspiration, je songe à l'interminable journée que je viens d'endurer. Je l'ai passée relativement seule, et aux moments où je me retrouvais avec les filles, c'est comme si mon cerveau s'éteignait et que je quittais mon corps. Complètement folle. On dirait que mon esprit et mon cœur ne veulent plus coopérer, et me laissent en plan jusqu'à ce que je prenne une décision. C'est assez ironique. À prendre trop de temps à choisir qui je veux être, je finis par ne plus être personne.

— Ah bah, tu es encore vivante, toi.

Je sursaute, et vois alors Connor débarquer près de moi. En effet, je ne l'ai pas croisé depuis longtemps.

— Je t'ai manqué peut-être ? raillé-je.

J'ai le droit à un bref regard dédaigneux, que je sais être plus ironique qu'autre chose. Lors de la soirée de la semaine dernière, il m'avait avoué ne pas tant me détester que ça, et j'avais fait de même. J'imagine que la hache de guerre est enterrée, mais ne sais absolument pas me comporter avec lui à présent.

— Tu sais que la pluie n'est pas près de s'arrêter ?

— Je m'en doute, soufflé-je.

— Alors pourquoi tu restes là ?

— Et toi, pourquoi tu restes là ?

Je lève les yeux vers le blond narquois, et suis étonnée de ne pas voir l'émotion habituelle dans son regard. Non, cette fois, il est bien plus sérieux que d'habitude.

— Je pense que c'est l'occasion de te parler d'un petit truc, déclare-t-il.

Je fronce les sourcils alors qu'il pousse un profond soupir, visiblement en pleine réflexion.

— Vois-tu, je crois que j'ai compris ce qui clochait avec toi, fait-il alors. Sans offense, bien sûr.

Je pouffe et penche la tête sur le côté, le cœur bondissant malgré moi.

— Je pensais qu'on avait fait la paix, osé-je dire.

Connor sourit légèrement.

— Oh, oui. Là n'est pas le problème. Ça ne me concerne pas.

— Ça concerne qui alors ?

Entendant à ma voix que je commence à m'agacer, il hausse les sourcils, et je baisse les yeux. La nervosité parle à ma place. Je colle mon dos de nouveau à la pierre froide du mur, et regarde Connor poser ses yeux sur la pluie. Pendant d'interminables secondes, seul le bruit de l'eau s'écrasant au sol brise le silence, et ma gorge se noue.

— Ça concerne une fille que tu dois très bien connaître.

— Qui ? Vas-y, crache le morceau, soupiré-je.

— Angie Hopkins.

Mon cœur rate un battement et mon sang se glace. Que vient-il juste de dire ?

Je lutte contre moi-même pour rester parfaitement immobile, masquant avec difficulté mon angoisse et les tremblements qui longent mon échine.

— Tu ne vas rien dire ? continue le blond.

Je serre les dents, sentant mes tempes battre si fort que j'ai le tournis. Ma gorge est sèche, je suis incapable d'ouvrir la bouche, incapable de bouger.

C'est Connor qui fait un pas pour se placer devant moi. Alors, je croise son regard perçant, plus intense que toutes ces fois où il m'insultait. À présent, il me regarde dans les yeux, la vraie moi, et sait parfaitement qu'il m'a percée à jour. En voyant l'expression de son visage, je me convaincs qu'il est trop tard. Plus rien ne sert de mentir.

— Tu veux savoir comment j'ai compris ?

Je ne réponds toujours pas. Mon cœur est si affolé que je jurerais qu'il résonne et fait écho au son assourdissant de la pluie. Je soutiens son regard, et n'arrive plus à le quitter. Il est le deuxième à découvrir mon secret, et le deuxième auquel je ne m'attendais pas.

— J'ai vu des amis ce week-end, qui m'ont parlé de journalistes qui cherchaient une certaine « Angie Hopkins », fait Connor. Je me suis rappelé de qui c'était, et ils m'ont montré la photo que ces journalistes avaient de cette fameuse jeune fille.

Il marque une pause pour pencher la tête, me considérant en silence, comme s'il attendait ma réaction. Je ne sourcille pas, et crispe mes doigts dans mon dos. Le dos contre le béton froid du mur, je me sens parcourue d'un millier de frissons, abandonnée à la fatalité.

— Au début, comme c'est une vieille photo où on voyait mal son visage, j'ai juste eu une impression familière. Puis, j'ai eu un déclic. Évidemment que c'était toi.

Mes lèvres tremblent malgré moi, et Connor doit voir tout mon trouble, puisqu'il inspire lentement par le nez en me toisant d'une façon différente.

— Pourquoi tu as menti ?

Au début, je ne dis rien. Puis, mes épaules s'affaissent, et je détache mes yeux de ceux des siens pour contempler la pluie. Elle s'abat sur la terre comme la vérité s'abat sur moi.

— Je ne sais même plus vraiment, finis-je par dire à mi-voix.

Ma réponse fait froncer les sourcils de Connor.

— Tu en as parlé ? osé-je demander.

— Non, pas encore. J'estime que ce n'est pas à moi de le faire.

Je ne cache pas mon étonnement, et lui lance un regard médusé. J'aurais cru qu'il était le genre à crier sur tous les toits qu'il était le premier à avoir découvert mon identité et qu'il méritait récompense des journalistes. Je l'ai mal cerné.

— J'aurais cru que tu courrais le dire, avoué-je.

Il ricane et passe un main sur son front.

— Non, clairement pas, répond-il. Si quelqu'un doit apprendre aux autres qu'elle les as trahis, c'est bien toi, Angie Hopkins.

Il insiste bien sur ces deux derniers mots, et je déglutis. Après tout, ça ne m'étonne pas tant que ça, qu'il veuille me laisser la tâche de faire face au choc de chacun.

— Par contre, ajoute-t-il. Ne tarde pas. Je ne veux pas voir mes amis s'attacher trop longtemps à un mensonge complet. Et de toute façon, tu ne pourras bientôt plus te cacher.

Je tremble de tout mon long, et remonte un peu le col de ma veste. Pendant de longues secondes, je garde mes yeux plantés dans les siens, et la tension augmente. C'est insoutenable.

— Tu m'en veux ? lâché-je soudain sans réfléchir.

Ma question semble le dérouter. Il plisse le front, et repousse même un rire.

— Non, je ne crois pas, soupire-t-il. Je m'attendais à une connerie venant de toi. Pas à ce point, mais bon, j'imagine que je me doutais que tu nous décevrais.

Je baisse les yeux. Il s'attendait à être déçu, à un tel point qu'il ne m'en veut même pas. Je ne sais même pas ce qui ferait le plus mal, entre ça, et une véritable rancœur.

— Tu me fais plus de peine qu'autre chose.

Sa phrase me glace le sang, et je me raidis. Le ton qu'il a pris n'était pas cinglant, ni plaintif. Il était d'une neutralité telle que l'effet en a été décuplé. Mon cœur se serre douloureusement, et ma poitrine me parait écrasée par un poids m'empêchant de respirer, faisant bouillir le sang dans mes veines et les larmes dans ma gorge. J'ai mal, affreusement mal.

Lorsque je relève les yeux vers Connor, je suis surprise de découvrir sur son visage une expression plus douce qu'auparavant. Peut-être qu'il est déçu de ma malhonnêteté, mais comprend une infime partie du conflit auquel je dois faire face. Je dois me battre contre moi-même, et contre ma propre trahison. Peut-être qu'il le lit dans mes yeux, et que c'est pour cela qu'il ne dit plus rien, et qu'il se contente de soutenir mon regard. Je ne sais pas s'il a envie de me pardonner, et je ne sais pas si j'en ai moi-même l'envie. C'est sûrement mieux qu'il ne s'immisce pas à son tour dans mes secrets, et si je ne le blesse pas, tant mieux. Mais il a raison. Il ne veut pas voir ses amis souffrir, et c'est pour ça qu'il faudra que je me dépêche. Je le sais déjà, mais il me le confirme. Faire ce que je fais est bien trop égoïste. Alors, même s'il faut que j'en meurs de chagrin, je dirai tout. Comme ça, j'épargnerai la vie de ses amis... de mes amis ?

J'ai presque envie de rire. Mes amis. N'importe quoi. Ils n'ont jamais été mes amis, alors pourquoi est-ce que je voudrais les garder ? Pourquoi est-ce que je voudrais qu'ils restent à mes côtés s'ils se sont uniquement attachés à l'illusoire Malia Fields ? Ils ne sont pas comme Tyler. Ils ne pourront jamais me voir, jamais me comprendre, et probablement jamais me pardonner.

Peu importe, je l'ai mérité, après tout. Je m'étais promis de ne pas m'attacher, et j'ai eu le malheur de briser cette promesse. Mais je m'étais aussi promis de ne laisser personne s'attacher à moi. Je peux peut-être encore la tenir, cette promesse. Au moins, il me restera une part d'honneur...

La sonnerie retentit et brise le silence dans lequel nous nous étions plongés. Je suis brusquement arrachée à ma torpeur et au regard de Connor. Nous voyons tous deux les lycéens sortir en foule du bâtiment principal pour s'élancer sous la pluie en braillant. Alors, en apercevant certains de ses amis, Connor m'indique un bref signe de tête, et disparaît lui aussi au milieu des trombes d'eau.

Je m'apprête à m'engouffrer à mon tour dans la foule bruyante, lorsque j'entends mon téléphone m'alerter d'un message. Les sourcils froncés, je le sors de ma poche. Alors, mon cœur rate un battement, et je plaque ma main sur ma bouche pour empêcher sanglots et larmes de sortir. Je suis prise de vertiges et ferme les yeux. C'est bon, c'est là que tout se joue, et je ne peux plus revenir en arrière. C'est le début de la fin.

« De : April
Je suis à l'aéroport. Je t'attends. »

_ _ _ _ _

J'espère que ce chapitre vous a plu !

Désolée pour le temps d'attente long en ce moment, je suis vraiment paniquée avec ma vie et mes cours j'ai plus le temps :/ J'espère que je ne vous déçois pas trop !

Angie qui empiète de plus en plus, Connor au courant, et April de retour. L'étau se resserre pour Malia !

Passons aux choses sérieuses, maintenant ;)

À bientôôôt !

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