SEIZE
Cela va faire deux jours que je rumine les idées noires que j'ai eu en me retrouvant totalement démunie au parc d'attraction. Revoir April. Rien que d'y penser fait se retourner mon ventre. Si je la revois, je ne suis pas sûre que je le supporterais. Parce que la revoir signifierait retourner à New York, et ça...
Je secoue la tête, voulant ignorer ces pensées parasites. Non, je ne peux pas. Pas encore. Je ne suis pas prête.
Depuis mardi soir, je suis tendue à l'extrême, et je pense que ça se ressent dans tout le groupe. Je n'ai pratiquement pas adressé la parole à Tyler, qui reste assez froid depuis ma confrontation avec lui. En même temps, il y a de quoi. Quant à Hailey, n'en parlons pas. Elle essaie tant bien que mal de ne pas laisser transparaître son incroyable jalousie, mais malgré ses efforts, il est flagrant qu'elle m'en veut. Et il serait peut-être temps que je la confronte. Depuis deux jours aussi, j'évite avec soin le regard de Jason, plus pesant que jamais. Il observe chacun de mes gestes, comme s'il voulait dire « Fais attention, Angie. » Il rajoute un poids sur ma poitrine, rendant la préservation de mon secret encore plus compliquée. Cela fait à peine quelques jours que je les connais, et il m'est déjà impossible d'agir naturellement en tant que Malia. Angie persiste en moi, continue de frapper mon crâne et de hurler. Angie veut s'exprimer, et Malia l'en empêche. Angie est emprisonnée en Malia. Et moi, dans tout ça, je suis qui ? Plus j'y pense, plus je me perds. Et plus je me perds, moins j'ai le contrôle. Je sens que bientôt, je n'aurais plus aucun mot à dire sur ma propre vie. Mais est-ce que j'aurai le temps de décider si je veux mettre fin à mon mensonge avant qu'il ne soit trop tard ?
J'ai passé un peu plus de temps avec Cameron, pour m'isoler de la tension palpable dans le groupe. Il est d'une présence agréable, bien plus que Tyler. Il ne me dérange pas, ne voit absolument pas que je suis totalement détraquée. Alors il me raconte sa vie et celle de ses amis, il me fait parler de ce dont je me fiche complètement, sans que j'ai besoin de mentir. Il ne m'a même pas questionnée sur ma famille. Avec lui, je peux être Malia sans trop y penser. Je pensais ne pas devoir me faire d'amis, mais c'est parce que je pensais en tant qu'Angie. En réalité, si je veux pouvoir oublier mon ancienne vie, il faut que je pense en tant que Malia. Je ne peux pas m'attacher à eux puisqu'ils ne franchiront jamais la barrière de mon identité, alors ils ne seront jamais un danger pour moi. Du moins, les gens comme Cameron. Pour cette nouvelle existence, certaines personnes pourraient ne pas être bénéfiques... et je devrais définitivement les virer de ma vie. Mais pourquoi est-ce si dur ?
Le bus s'arrête et m'arrache à ma torpeur matinale, je décolle ma tête de la vitre. Je m'empresse de descendre, me faufilant entre les lycéens jusqu'à la gigantesque entrée de l'établissement. Comme à chaque fois, je parcours l'allée, et suis happée par le même groupe, assis sous le même arbre. J'y traîne les pieds, l'esprit embrumé. Aujourd'hui, ça fait une semaine que j'ai commencé les cours, une semaine que je suis Malia Fields. Et j'ai l'impression que ça fait une éternité. Je me demande comment font ceux qui changent d'identité dans un cadre de protection des témoins ou autre. Je ne pensais pas que c'était aussi difficile, de changer de vie. Enfin, j'ai été un peu naïve, sur le coup.
Je pose mon sac dans l'herbe et salue tout le monde en m'asseyant à côté d'Ally. C'est elle qui a été le plus proche de moi durant ces deux jours. Elle a un peu apaisé la tension qui règne entre Hailey et moi, et a réussi à remplir les blancs lors de nos conversations. Cependant, il semblerait qu'aujourd'hui, l'ambiance soit différente. Hailey a décidé que ce soir, les filles se réuniront chez elle pour se préparer avant la fameuse soirée d'Avery Cartez, première soirée de l'année impatiemment attendue.
— Par contre, Malia, je peux te parler s'il te plaît ? lance-t-elle soudain.
Je la considère en silence pendant un instant, puis me lève pour la suivre un peu à l'écart. Elle passe une main dans ses cheveux châtains et plonge son regard pétillant dans le mien, le visage un peu crispé.
— Qu'est-ce qu'il y a ? m'enquiers-je en m'adossant à un arbre.
— Je pense que tu as remarqué que j'étais un peu froide depuis mardi.
Ah, on dirait bien que les choses vont être mises au clair. Mais connaissant son caractère, je m'attends au pire.
— Oui. J'ai remarqué, réponds-je.
— Bon, les filles savent pourquoi, mais je t'en ai pas parlé, j'avais besoin de réfléchir...
Je fronce les sourcils, attendant qu'elle poursuive.
— Tyler m'a foutu un râteau, pour être claire, annonce-t-elle alors.
Je ne dis rien, et reste impassible en hochant la tête. Je le sais déjà, alors c'est un peu dur de jouer la surprise.
— Et je crois qu'il t'aime bien.
J'écarquille les yeux.
— Non, non, Hailey, tenté-je d'intervenir.
— Si, me coupe-t-elle. Il me l'a vite fait comprendre, et...
— J'étais là.
— Hein ?
— J'étais là, je vous ai entendus. Je n'ai pas fait exprès, alors...
— Attends, quoi ?
Je serre les dents. Je l'ai dit pour qu'elle ne se lance pas dans de longues explications amères sans savoir.
— Tu as tout entendu et tu ne m'en as pas parlé ? s'offusque Hailey.
Je peux sentir la colère monter dans sa voix, et me sens obliger de lever les mains pour la calmer. Je m'éloigne un peu, apercevant le groupe tourner sa tête vers nous.
— Je préférais t'attendre, je ne voulais pas t'embarrasser à l'aborder d'un coup.
— Donc tu as préféré faire semblant pendant deux jours ? Tu te fous de moi Malia ?
— Arrête ! fais-je brutalement. Arrête, s'il te plaît.
— Pourquoi arrête ? s'emporte-t-elle.
— Parce que tu n'as aucune raison de t'énerver comme ça.
— Ah vraiment ?
— Laisse moi m'expliquer, Hailey !
Elle fronce le nez sous l'agacement, et je vois sa mâchoire se contracter. Je réprime un soupir d'exaspération. Comme si je n'avais que ça à faire que de me chamailler à propos d'un mec. Heureusement pour moi, Hailey se tait et croise les bras, m'écoutant avec impatience.
— Je préférais que tu m'en parles avant, parce que ça voudrait dire que tu décidais d'aborder le sujet. Je voulais attendre que tu sois remise, ça pouvait attendre.
— Tu sais ce que je ressens pour Tyler. Tu aurais dû venir me voir tout de suite.
J'affaisse les épaules. Son ton est plus calme, mais je dois quand même m'attendre à une avalanche de reproches.
— Je pensais que tu le prendrais mal que je remue le couteau dans la plaie...
Hailey ne répond pas et redresse le menton. Alors, je poursuis, voulant vite en finir.
— Je te l'ai déjà dit, je m'en fiche de Tyler, on se connaît à peine et je ne compte absolument pas te le prendre, surtout après ce qu'il t'a dit.
— Mais vous êtes proches.
— Pas plus que ça, et absolument pas comme tu le penses.
— Il a avoué que tu le perturbais.
— Et alors ? Tu lui as dit qu'on ne pouvait pas me faire confiance, non ? Alors pas d'inquiétude.
Elle hausse les sourcils, prenant la remarque avec amertume.
— Je...
— Non, la coupé-je. Je m'en fous de ça. Je peux comprendre, mais clairement, Hailey, il est « perturbé » uniquement parce qu'il ne me connaît pas.
— Et s'il tombe amoureux de toi ?
Je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire.
— Ça va pas, m'étranglé-je. Hailey, s'il te plaît ne laisse pas ça prendre des proportions aussi énormes.
— J'y peux rien Malia ! J'ai l'impression que tu me caches des choses et que si tu ne m'en as pas parlé c'est parce que tu ne voulais pas que je sache pour une bonne raison !
Je soupire en tentant de paraître naturelle. Je lui cache en effet des choses. Mais elle ne pourrait être pas plus loin du compte.
— Tu es parano, la calmé-je. Je te le répètes, je ne te cachais pas volontairement que je vous avais entendus, je voulais juste que toi, tu sois prête à en discuter. Et il ne se passe rien, rien du tout, avec Tyler. Si jamais il est quelque chose pour moi, ça ne sera jamais un potentiel petit-ami.
Elle pince les lèvres et plisse les paupières en me considérant, contrariée.
— Tu lui as parlé après que je sois partie ? finit-elle par me demander.
— Oui, et on est sur la même longueur d'ondes. Il ne se passera rien entre nous.
Hailey fronce les sourcils.
— Tu ne me trahiras pas ?
— Non, soupiré-je. Ce n'est vraiment pas dans mes plans.
Je réprime l'envie de rouler des yeux. Je trouve cela tellement futile. Elle ne sait pas à quel point je suis loin d'accorder de l'importance à de telles histoires, et à quel point je souhaite ne pas m'attirer d'ennuis. Je veux absolument passer inaperçue, alors il faut que j'évite de me prendre les foudres de Hailey, surtout pour des choses aussi stupides.
— Écoute, Hailey, ajouté-je en voyant qu'elle ne répond pas. Je ne veux pas te la mettre à l'envers, OK ? Je n'ai pas que ça à faire, et franchement, cette histoire de jalousie m'énerve. Ce n'est pas avec moi que tu auras des problèmes.
— Je n'arrive pas à te cerner, déclare-t-elle alors.
— Je sais.
Je soutiens son regard sans sourciller, gardant la tête relevée. Nous restons silencieuses pendant quelques secondes, puis Hailey lâche un long soupir.
— J'essaie de nier l'évidence. Je cherche un responsable à tout prix, alors que c'est juste qu'il s'en fout de moi.
Je reste un peu pantoise, et hésite avant de prendre la parole.
— Il tient beaucoup à toi. Tu sais, quand je t'ai envoyé bouler la semaine dernière, il est venu me voir pour que je m'excuse, parce que j'avais « fait du mal à une de ses amies, qui est une fille super, elle. »
Une étincelle d'émotion naît dans ses yeux, et elle penche la tête sur le côté.
— Je vais m'y faire, souffle-t-elle en gigotant. Ouais, je vais m'y faire.
Je me mords la lèvre inférieure, sentant mon coeur se serrer un peu. Je m'en fiche de tout ça, mais je me rends compte que Hailey n'est pas intolérante, au contraire. Elle manque simplement de confiance, aussi surprenant cela soit-il. Et malgré moi, je lui promets de ne pas la trahir tout en lui mentant sur toute la ligne. Et à cet instant, les mots de Jason me reviennent en tête avec aigreur : « Les personnes qui auront commencé à s'attacher à toi se sentiront trahies. » Je lui ai répondu que personne ne s'attacherait à moi, mais comment pourrais-je en être sûre ? Si Hailey finit par me faire confiance et me considérer comme son amie, je pourrais la faire beaucoup souffrir. Je ne veux pas m'investir dans une amitié avec qui que ce soit, mais j'ai peur de ne pas pouvoir éviter que les autres s'y investissent. Et j'ai beau me moquer de tout ce qu'il peut m'arriver à présent, je ne veux pas faire souffrir les gens, je ne veux plus que les autres subissent les déboires de mon existence. Ils ne méritent pas d'être victime d'une telle mascarade, ils ne méritent pas d'être maudits par moi. Je ne veux laisser aucun souvenir, aucune marque, aucune cicatrice, aucune douleur ni peine, je veux juste cesser d'exister. Mais malheureusement, j'ai peur qu'il soit trop tard pour ça.
— Malia, déclare alors Hailey.
Je sors de ma réflexion avec un goût amer dans la bouche, et lui lance un regard interrogateur.
— Si jamais un jour, commence-t-elle d'un air sérieux, il commence à y avoir un tout petit truc entre toi et Tyler, parle m'en. D'accord ?
D'abord immobile, je finis par hocher la tête. Elle se révèle bien plus vulnérable qu'elle ne paraît, bien moins confiante.
— Les potes avant les mecs, sourit alors Hailey.
Je réponds l'ébauche d'un sourire, sentant une boule s'installer dans ma gorge. Je ne veux pas qu'elle subisse un quelconque rapprochement entre Tyler et moi. Et ça ne devrait pas être compliqué de l'éviter, puisque je n'envisage rien de tel. Et pourtant, au fond de moi, je doute, et je n'arrive pas à véritablement dire pourquoi.
Hailey pousse un long soupir pour extérioriser, et reprend le chemin jusqu'à ses amis. Je la regarde s'en aller. Elle est gentille, et plus complexe qu'on ne croirait.
Mes mains se crispent, et je sens mon coeur s'emballer. Je viens de repenser à April. Parce qu'avant, dans une telle situation, la première chose que j'aurais fait aurait été de l'appeler. Et maintenant...
Sans que je réfléchisse, mon portable se retrouve rapidement dans ma main et je retrouve le contact de mon ancienne meilleure amie. Mes tempes battent sous la pression qui m'assaille.
Hailey se retourne vers moi et me fait signe de la suivre. Je lui indique m'isoler quelques instants. Mes mains tremblent, et les idées commencent à fuser. Je pense ne pas être prête à reparler à April, mais mon corps ne répond plus de rien, et à ce moment, la seule chose qui compte, c'est d'entendre sa voix. Entendre sa voix, et si j'en trouve le courage, lui faire entendre la mienne. Savoir qu'elle répond, qu'elle répondra, savoir que je peux au moins m'imaginer lui confier ce que je ne peux que ruminer actuellement. À cet instant, seule Angie m'habite, seuls les profonds instincts de mon ancienne vie s'expriment.
Je suis parcourue d'un ultime spasme quand je clique sur l'icône « Appel ». Je colle mon téléphone à mon oreille bourdonnante, sentant mes veines pulser sous l'adrénaline et l'angoisse. Je suis sur le point d'être transportée sur un terrain dangereux, affreusement dangereux.
— Allô ?
En entendant sa voix, les émotions qui me submergent sont bien plus violentes que prévues, et je manque de lâcher un sanglot. Mon ventre est retourné. Je m'accroupis, sentant mes jambes flageoler, et plaque ma main sur ma bouche.
— Allô ? répète April. Angie ?
Tout mon corps tremble, et je ferme les yeux, sentant ma respiration se saccader. Je n'arrive plus à bouger.
— Angie, c'est toi ?
La voix de mon amie commence à trembler, et tout de suite, son visage me revient en tête, son beau visage mate, les larmes qui doivent naître dans ses yeux bruns, la façon dont elle est sûrement en train de passer la main dans ses cheveux noirs.
— Angie...
Je l'entends hoqueter, sûrement secouée par un sanglot, et c'en est trop. Je raccroche brutalement, frissonnant de tout mon long. J'enfouis mon visage dans mes mains, les paupières closes, tentant de reprendre mon calme. Mais quelle idée idiote ai-je encore eu ? Évidemment que je n'étais pas prête.
Les sanglots bloquent ma respiration, mais je n'arrive toujours pas à pleurer. Le conflit qui se joue en moi est au delà de ce que je peux décrire. Brutalement, je me suis retrouvée bouleversée, arrachée à mon mensonge et j'ai pris tous mes souvenirs en pleine face, en pleines tripes.
La sonnerie retentit, et je dois me faire violence pour me relever, les jambes tremblantes, le ventre tiraillé et le souffle court. Je tousse, et dois me donner quelques claques pour reprendre mes esprits.
— Malia ?
Je rouvre les yeux brusquement, et me retourne vers le groupe qui vient d'arriver.
— Tu vas bien ? continue Joy.
— Ah, oui, oui.
Je m'efforce de ne pas avoir une voix trop étranglée, et fais quelques pas hésitants vers eux. Tous hochent la tête et nous partons vers le bâtiment pour aller en cours.
Sur le chemin, je sens mon bras être agrippé et tiré. Je sursaute et fais face à Tyler, qui me fixe d'un air alarmé, le regard pénétrant. Je réagis immédiatement, et me défais de son emprise avant d'accélérer le pas pour l'ignorer. Je déglutis. Il observe trop, c'est mauvais.
Lorsque nous entrons dans le large couloir, je me retrouve à côté de Jason. Il me regarde alors brièvement avant de se pencher vers moi et de me murmurer des mots qui me glacent le sang :
— Ça devient compliqué, pas vrai ?
_ _ _ _
Vous y croyez ? Vous venez de lire un nouveau chapitre, oui, oui ! (Le dernier à été posté le 31 Octobre 2015, bordel..........)
J'espère qu'il vous a plu ! Ca m'a fait teeellement plaisir de l'écrire, je pensais que je ne retrouverais jamais l'inspiration pour cette histoire mais j'avais tort et ça fait trop du bien !
Maintenant, j'espère rattraper le retard, parce que Différente a pris une sacré longueur d'avance ahah ;)
Je voulais votre avis, parce que j'aimerais bien changer la couverture que je trouve trop simpliste, est-ce que celle ci vous plaît ? (la qualité est pourrie merci Wattpad)
En tout cas, merci de continuer de la lire après tout ce temps, je ne pensais pas qu'elle était encore suivie et ça fait très plaisir, vraiment <3
À bientôôôt !
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