DIX-HUIT
Je suis en train de fumer pour me détendre quand je vois Ally longer la piscine pour venir me rejoindre. En l'apercevant m'approcher, je réprime un soupir, et écrase ma cigarette.
— Bah qu'est-ce que tu fais là toute seule ? s'étonne la jolie brune.
Je hausse les épaules.
— J'avais envie de m'isoler un peu.
— Tu t'es engueulée avec Tyler ?
Je lui lance un regard médusé, surprise qu'elle soit au courant de ça.
— Comment tu sais ça ?
Elle pince les lèvres et prend place au bout du transat, perdant un instant son regard sur les groupes de jeunes qui se jettent dans la piscine.
— Il nous a dit que tu ne méritais pas d'être accueillie aussi gentiment, souffle-t-elle.
Je pouffe d'un air sarcastique.
— Il est sympa quand il est vexé, dis donc.
— Vous vous êtes dit quoi ?
Je soupire, et me laisse à mon tour à l'observation des jeux d'alcool près de nous.
— Je l'évite depuis le truc avec Hailey, et il n'aime pas ça, me contenté-je d'expliquer.
— Il te kiffe, non ?
— Non, m'empressé-je de dire en la regardant. Non, mais il aime bien me parler, alors ça le fait chier que je n'en aie pas envie.
Ally plisse les paupières et reste silencieuse quelques secondes.
— Pourquoi tu viens me voir ? lancé-je alors.
— Tyler avait l'air vraiment énervé, alors j'ai voulu savoir comment tu allais.
— Oh, ça va. Tyler est où, lui ?
— Hailey l'a éloigné pour le calmer.
— Ils discutent ? m'étonné-je.
Ally hoche la tête.
— Ils restent proches, malgré tout. Et elle arrive toujours à le détendre après une engueulade.
Je suis tout de même surprise. Alors que je pensais que Hailey voulait ignorer Tyler pendant cette soirée, la voilà en train de le réconforter à mon sujet.
— Elle a vraiment laissé tomber ? ne puis-je m'empêcher de demande à Ally.
— Elle dit que oui, mais bon... On sait que ce n'est pas aussi facilement qu'on se remet d'un mec qu'on aime depuis des années.
Je soupire, massant mes tempes. Toutes ces histoires m'épuisent. Tyler prend tout ça trop à cœur, et je suis trop chamboulée pour m'en foutre. Et Hailey, au milieu de ça, m'emprisonne dans des tensions impossibles à défaire.
— Écoute, Malia, fait Ally. Ne te prends pas la tête avec tout ça. Je sais que tu veux t'isoler pour ne pas gêner Hailey, mais...
— Non, c'est pas ça, la coupé-je. Je veux juste éviter de trop m'immiscer dans votre groupe.
— Pourquoi ?
L'air sur son visage à cet instant m'attendrit, car elle semble véritablement surprise et inquiète.
— Je ne veux pas trop avoir d'attaches, je ne sais pas si je resterai longtemps ici, prétexté-je.
— C'est pour ça que tu ne parles pas trop ?
J'acquiesce.
— C'est dommage ! s'exclame Ally. Tu ne profites pas de l'instant présent.
— Comment ça ?
— Juste parce que tu penses au futur et à ce qui pourrait arriver, tu bloques complètement ta vie. Tu devrais te laisser aller, faire entrer des gens dans ta vie peut être très bénéfique.
— J'ai déjà perdu des gens en partant de N... de San Francisco, je ne veux pas en perdre d'autres en partant de Miami.
Elle hausse les sourcils.
— Tu ne leur parles plus ?
Je réprime un rire nerveux et secoue la tête. Non, je ne leur parle plus.
J'avais de bons amis à New York, outre April, des gens que j'adorais, qui me rendaient heureuse. Mais en une nuit, j'ai coupé les ponts. Et depuis, c'est comme si aucun d'eux n'avait jamais existé. Comme dans un cercle vicieux, chaque personne que je rencontre est une personne en plus que je risque de perdre. Et eux, ici, je le sais, je ne les reverrai plus jamais.
— Eh bien, si tu ne leur parles plus, enchaîne Ally, c'est que ce n'étaient pas de vrais amis. Nous, si tu nous laisses te connaître, on le sera.
J'esquisse un sourire cordial. Je ne sais pas comment réagir face à elle. C'est une fille adorable, très différente de Hailey sous beaucoup d'aspects. Elle est plus honnête, moins superficielle, peut-être moins opportuniste et un peu plus discrète, bien loin de ce qu'on pourrait penser au vu de ses allures de bimbo.
— C'est gentil, Ally. Mais ce soir, je crois que je ne suis pas d'humeur.
— Oh la la, tu rumines trop !
Elle agite les mains et se lève pour aller fouiller du côté des tables de jardin près de nous, où trônent nombre de bouteilles et de verres. Lorsqu'elle se retourne vers moi, elle tient deux verres bien remplis, dont l'odeur n'annonce rien de bon.
— Allez, bois, et ne pense plus à toutes ces conneries ! sourit la brune.
— Non, non, je...
— Si ! Tu as besoin de te détendre, et si tu n'arrives pas à arrêter de te prendre la tête sobre, tu le feras soûle.
— Boire pour oublier, c'est ridicule...
— Oui, mais ça marche. Allez, Malia, ça ne te fera pas de mal...
Oh, si. Ça peut me faire beaucoup de mal, si jamais je me mets à agir trop comme Angie. Mais visiblement, Ally n'est pas prête à changer d'avis, et son air encourageant et malicieux m'empêche de lui refuser. Étrangement, je ne voudrais pas me mettre à dos une fille comme Ally, qui semble être celle qui me veut le plus de bien. Juste un verre, après tout...
Sans plus débattre, j'agrippe le gobelet qu'elle me tend et nous en avalons le contenu en même temps. Poussée par elle, je finis mon verre en quelques secondes. Alors, Ally pousse un long soupir satisfait et secoue la tête en se levant.
— Allez, maintenant, en piste !
Un peu sonnée, je prends la main qu'elle me tend et la suis au centre du salon, où le monde s'est dispersé. Nous rejoignons Joy et Scott, qui dansent avec joie, accompagnés d'un Jason qui semble bien trop hilare pour être dans son état normal. Je ne peux m'empêcher d'en être amusée, et apprécie le fait que la musique assourdissante éloigne la plupart de mes pensées. Finalement, j'arrive à bien mieux me fondre dans la masse que tout à l'heure, et danser un peu ne me dérange plus autant. Rassurée, j'accepte donc les verres qu'Ally continue de me donner, malgré moi détendue par l'impression que je réfléchis moins. Je me soucie bien moins des gens autour de moi et ai cessé de m'attarder sur le sentiment que je ne suis pas à ma place. J'essaie donc de me convaincre du contraire, feignant un air enjoué.
Soudain, alors que le volume de la musique augmente, Connor débarque près de nous avec trois autres garçons en braillant. Ally s'esclaffe devant leurs airs visiblement éméchés, et je suis moi même un peu stupéfaite. Il n'est même pas encore minuit qu'il sont déjà en plein dans la soirée. Cependant, je dois moi-même ne pas être dans mon état normal, puisque quand le blond prétentieux s'exclame « Maliaaa ! Tu daaanses !», je ne rejette pas ses mains qui prennent les miennes. Connor danse avec moi et Ally, me faisant tourner en éclatant de rire.
— Pour une fois que t'es pas coincée !
Je lui adresse un doigt d'honneur, mais me surprends à lui sourire quand il me décoche un clin d'œil étincelant.
Nous continuons de danser sans réfléchir, rejoints par d'autres personnes principalement inconnues. Pendant un long moment, j'oublie presque où je suis, j'oublie tous les événements de la soirée et j'oublie même qui je suis. Pendant cette soirée, je deviens Malia sans même m'en rendre compte, et accueille cet imprévu avec plaisir. Ally avait raison, peut-être qu'il fallait juste que je boive pour me détendre. Et, alors que je pensais que l'alcool réveillerait mes sombres idées et me ferait encore plus plonger dans mon désespoir, il m'emplit d'une hystérie factice me donnant l'illusion d'être une adolescente parfaitement normale, et je ne pourrais pas être plus soulagée. Mon esprit s'embrume mais de pensées légères, me persuadant de n'avoir rien dont me soucier.
Connor se fait bien remarquer en gigotant comme un forcené à nos côtés, et je ne peux m'empêcher de le trouver étrangement amusant.
— Tu sais, Malia, fait-il alors que la musique se calme, je ne te déteste pas tant que ça, finalement.
— Oh, tu dis ça parce que tu n'es pas très lucide ! répliqué-je.
— Non, non, je te jure, insiste-t-il en posant une main sur mon épaule.
J'hésite à me défaire de sa prise, mais me contente de soutenir son regard pétillant - et un peu vide - alors qu'il répète « Je ne te déteste pas ».
— Moi non plus, Connor, moi non plus, réponds-je pour mettre fin à la conversation.
Il affiche un large sourire enfantin, et il ne lui faut pas plus que quelques secondes pour repartir dans ses délires de soirée. Je l'observe d'abord, partagée entre la consternation et le trouble, puis me laisse de nouveau emporter dans l'ambiance avec mes « camarades ».
Les minutes défilent, et je parcours la grande pièce en rencontrant nombre de personnes que j'ai déjà croisées au lycée. Je décide au bout d'un moment d'aller prendre un verre d'eau et de sortir prendre l'air. Alors, après avoir bataillé pour me frayer un chemin jusqu'à la cuisine, je parviens à trouver la porte d'entrée et atterris dans l'allée de la maison. Je pousse un long soupir de soulagement, appréciant grandement la fraîcheur que je retrouve. Je vais m'asseoir sur un des rebords de la longue barrière au bout de l'allée, allumant une cigarette au passage. Je ferme un peu les yeux pour mieux profiter du moment et me détendre, sentant que l'air frais dissipe enfin les effets de l'alcool.
Presque machinalement, je lève les yeux vers le ciel pour observer les étoiles de cette nuit d'été. Je me perds rapidement dans la contemplation des constellations, repartant comme à mon habitude dans mes pensées vagabondes. L'alcool redescendant, la dure réalité s'impose à mes yeux de nouveau, m'abattant de sa cruauté. En regardant le ciel, j'ai pris la naïve habitude de m'imaginer les visages de mes parents et de ma soeur parmi les étoiles, m'éclairant de leur lumière céleste avec douceur. Un ami m'avait un jour dit que si l'on regardait au dessus de nous et qu'il y avait une étoile exactement dans la ligne droite de notre tête, cela voulait dire que quelqu'un veillait sur nous d'en haut. Et à présent, je ne sais pas si c'est le hasard ou mon imagination, mais je vois toujours trois étoiles au dessus de ma tête. Et penser que c'est ma famille me réconforte d'une manière puérile mais difficilement répressible. Je n'ai jamais pu m'empêcher de me demander où passaient les consciences des gens une fois qu'ils disparaissaient de ce monde. J'aime à croire que chacun d'entre nous a une âme qui lui est propre et qui ne peut pas simplement « s'évaporer », mais je ne peux échapper à la question qui se pose : où va-t-elle ? Où va cette âme, cette marque de notre existence une fois que cette dernière a été effacée ? Alors parfois, je me dis que nos âmes vont simplement peupler le ciel et éclairent la nuit. Et je prie pour qu'elles ne s'éteignent jamais.
— Est-ce que la douleur disparaît, vous pensez ? articulé-je.
Je me surprends moi-même de parler à des étoiles, mais suis profondément soulagée, sans savoir trop comment l'expliquer. Je pousse un soupir, et la fumée de ma cigarette va rejoindre le ciel. Je sens mes yeux piquer, animés par ce que je sais être des larmes. Si je parle encore, je risque de pleurer.
— La douleur ne disparaît pas, on s'habitue juste à vivre avec.
Je sursaute en me retournant vers la voix qui vient de prononcer ces mots, et découvre Jason qui s'avance vers moi. Je reste pantoise, malgré tout soulagée que ce soit lui et pas quelqu'un d'autre.
— Enfin, c'est ce qu'on dit, ajoute le brun en s'asseyant à côté de moi sans me regarder.
Il lève lui même les yeux vers le ciel, et je le considère d'un air interdit.
— Tu as déjà perdu quelqu'un ? ne puis-je m'empêcher de demander.
— Oui, comme tout le monde, je pense, sourit-il. Bon, pas comme toi, évidemment...
— Qui ?
Il pose ses yeux d'un brun chaud sur moi, et l'expression qui peint alors son visage me surprend tant elle est délicate.
— Mon frère, répond-il alors.
Je hausse les sourcils, voulant quand même éviter de trop montrer ma surprise.
— Il est mort dans un accident de moto il y a deux ans, continue Jason en remarquant mon air intrigué.
— Oh...
Le fait que je ne puisse dire que ça me surprend moi-même. Je me retrouve dans la position que je déteste infliger aux gens, et je suis sans mots à mon tour. Je ne sais pas quoi dire, parce que rien ne pourrait exprimer correctement ce que je ressens. Et quand bien même je le saurais, je ne pourrais pas parler, parce que je sais que ça ne sert à rien. Dans cette situation, le silence est la meilleure des réponses.
Il soutient mon regard avec fermeté, avant détourner de nouveau son attention. Je ne le quitte pas des yeux, intriguée par cette soudaine révélation, et poussée par un instinct primaire que ma volonté ne saurait repousser.
— Et ça va, aujourd'hui ? demandé-je donc brusquement.
Un léger sourire dévoilant une pointe de mélancolie étire le coin des lèvres de Jason, et il hoche doucement la tête.
— Oui, fait-il. Avec le temps, ça devient normal. Évidemment, quand j'y pense, ça fait mal. Mais... pas au point de me détruire.
Je comprends parfaitement ce qu'il entend par là. Ça fait mal au point de me détruire. Est-ce que ça veut dire qu'un jour, ça s'arrêtera pour moi aussi ?
— Tu sais, il m'arrive parfois d'oublier.
— D'oublier ? répété-je, un peu abasourdie.
— Oui. Quand je n'y pense pas, et ça dure quelques secondes, juste le temps de revenir à la réalité. Je n'oublie pas mon frère mais j'oublie ce qu'il s'est passé, et pendant un instant, tout devient plus léger. Tu verras, ça t'arriveras à toi aussi.
— Oublier que toute ma famille est morte ?
Ces mots sortant aussi brutalement de ma bouche ont un violent effet en moi, et mon ventre se retourne tandis que je sens tout mon corps se crisper. Comment j'ai pu dire une chose pareille avec tant de facilité ?
Jason plisse les paupières et me regarde en silence pendant quelques instants.
— Je ne pourrais pas t'expliquer ça, il faut vraiment que tu le vives, déclare-t-il finalement. Mais disons que quand le deuil rentre dans ton quotidien, tu oublies un peu ce qui l'a causé. Et quand tu t'en souviens, ça fait bizarre, mais plaisir.
— Plaisir ? m'étranglé-je presque.
— Au début, quand tu oublies, tu te sens coupable, tu as l'impression de manquer de respect à la personne et à sa mémoire. Mais en fait, ça veut dire que tu t'en sors, que tu arrives à passer à autre chose. Et c'est en te rappelant que tu t'en rends compte. Alors ça fait plaisir, oui, parce que tu peux enfin continuer à vivre. Parce que si tu peux oublier et te rappeler, ça veut dire que ça restera toujours en toi.
Je déglutis. J'ai perdu mes yeux sur un point invisible en face de moi, dans la rue plongée dans la pénombre et le silence. Il parle avec une aisance assez déconcertante de ses émotions, et s'exprime d'une façon si honnête que je suis frappée en plein cœur. Il dit ce que seules des personnes avec nos expériences peuvent dire, peuvent ressentir. Je peux voir dans ses yeux, sentir dans sa voix, qu'il comprend ce qui est indicible.
J'enfonce ma tête dans mes épaules en écrasant ma cigarette contre le rebord en pierre.
— J'ai l'impression que je ne m'en remettrai jamais, avoué-je en un soupir.
Je n'aurais jamais pensé le dire à voix haute, ni même l'admettre intérieurement, mais c'est bien ce que je ressens. J'ai l'impression que le deuil, alors qu'il a l'air si accessible et surmontable en théorie, s'impose à moi comme une fatalité à laquelle je ne pourrai jamais échapper.
— Ça fait six mois, répond Jason. À ce moment là, moi, j'étais perdu au milieu de la drogue et de l'alcool. Tu t'en sors plutôt bien, j'ai l'impression.
Je lui lance un regard déconcerté, l'air médusé. Il a répondu avec simplicité, avec évidence. Alors que j'avouais quelque chose d'une gravité qui me semblait immense, il a résolu ça en quelques mots.
— Laisse le temps faire les choses, Angie.
L'entendre prononcer mon prénom a l'effet d'un électrochoc en moi, et je frissonne de tout mon long. Je ne réponds pas, restant immobile, concentrée sur les ombres des lampadaires.
— Je suis désolé d'y être allé un peu fort après avoir compris ton secret, dit soudain Jason.
Je ne tourne pas tout de suite la tête vers lui, mais finis par lui couler un bref regard.
— Je n'aurais pas dû essayer de te forcer la main comme ça, poursuit-il. Après tout, tu fais ce que tu veux. Et si tu ne te sens pas encore prête à y faire face maintenant, alors ne m'écoute pas. Mais... Je sais qu'il y aura un moment où tu en ressentiras le besoin, et ça risque de te faire plus mal que si tu le fais aujourd'hui.
— Je sais, soufflé-je.
— Alors tu comptes faire quoi ?
Je soupire en haussant les épaules, ne trouvant pas la force de lui répondre. C'est bien la question qui me pose le plus de problème. Que faire ?
— Dans tous les cas, je veux que tu saches qu'étant donné que je sais qui tu es et ce que tu ressens, tu peux me parler.
Jason lève les mains en signe de paix et m'adresse une moue innocente. J'ose l'ébauche un sourire et acquiesce doucement, alors qu'il inspire profondément.
— Bah alors, t'es là ! Tu fous quoi ? Résonne soudainement derrière nous.
La porte d'entrée s'ouvre à la volée sur trois garçons surexcités braillant à l'intention de Jason. Ce dernier soupire et leur indique les rejoindre, avant de se retourner vers moi pour s'excuser et de s'éclipser. Je le regarde s'éloigner et fermer la porte derrière lui, me laissant dans un silence de plomb qui me replonge dans ma mélancolie nocturne. Je baille, et ressasse la conversation que je viens d'avoir pendant de longs instants. Parler de ça m'a étrangement débarrassée d'un poids invisible, m'a fait plus de bien que je ne voudrais l'avouer. Et être Angie durant quelques minutes, a été beaucoup plus agréable que je ne l'aurais pensé. J'ai été soulagée de retrouver ma première identité, d'apaiser mon conflit intérieur le temps d'un instant, et je me dois de me l'avouer.
Je me sens peu à peu libérée de l'alcool qui avait fait son effet tout à l'heure, et soupire en ressentant enfin le froid nocturne autour de moi. Je ne sais pas pourquoi ce soir, être un peu ivre m'a fait du bien. Peut-être parce que j'étais entourée d'autres gens, que je pouvais mieux prétendre ne pas boire pour oublier mes problèmes. Je me demande si c'est comme ça qu'on devient alcoolique. Oublier... Jason est lui même tombé dans ce piège au stade où j'en suis. Est-ce que c'est mon genre, à moi aussi, de me droguer ou boire pour éviter mes tourments ?
Des éclats de voix m'arrachent brutalement à ma torpeur. Je me retourne en plissant les yeux, étonnée et intriguée. Deux silhouettes viennent d'apparaître sous le perron, ombres me paraissant familières.
Je descends de mon muret et penche un peu plus la tête pour éviter d'être éblouie par la lumière des lampadaires. Alors, je reconnais enfin les deux personnes collés à l'entrée de la maison. Hailey et Tyler. Je lâche un « Merde. » silencieux et m'accroupis pour ne pas être repérée. Si je passe devant eux pour rentrer, ça va être gênant. À l'inverse, si je reste cachée là pendant toute leur conversation, ça le sera aussi.
Je me recroqueville sur moi-même en cogitant alors que je les entends vaguement argumenter. Je ne parviens pas à entendre ce qu'ils disent, mais la voix d'Hailey semble être étrangement douce, et celle de Tyler un peu étouffée. Avec hésitation, je me redresse un peu et passe la tête par dessus le muret pour les observer. Et ce dont je suis alors témoin me paralyse. Je vois Hailey faire un pas vers Tyler et poser ses mains sur son torse avant de se mettre sur la pointe des pieds pour poser ses lèvres sur les siennes. Au début, Tyler la repousse avec trouble, puis il secoue la tête et se penche à son tour vers elle. Ils s'embrassent, sous mes yeux. Je sens mon cœur bondir dans ma poitrine et un frisson remonter mon échine. Je n'arrive pas à détourner le regard. Je suis pétrifiée, emplie d'un étrange choc qui me rend perplexe. Je devrais être plutôt heureuse pour Hailey qui a finalement eu ce qu'elle voulait, mais je ne peux m'empêcher d'être... confuse. Tyler disait lui même que rien ne se passerait entre eux, et il décide de l'embrasser quand même. Soit il vient de se rendre compte de ses sentiments pour elle, soit il agit seulement sur la pulsion, et dans ce cas, fait croire à Hailey des choses qui pourraient la détruire. Et pour être honnête, je ne sais même plus quoi y penser. Je ne devrais même pas y penser, ça ne me regarde en rien. Alors pourquoi je reste immobile, à les fixer avec une boule dans la gorge ?
Je secoue la tête et détourne enfin mon attention de la scène, avant de faire quelques pas sur le côté en rampant presque. Une fois que je suis hors de vue, je me lève et décide d'aller faire un tour dans la rue pour éviter de les interrompre. Je ne peux pas rester les regarder, et je ne peux clairement pas passer à côté d'eux après ce qu'il vient de se passer.
Peu à peu, j'accélère le pas, voulant à tout prix m'éloigner de la maison et des deux tourtereaux qui me contrarient plus qu'ils ne le devraient.
Je ne me rends pas compte que je me mets à courir idiotement, ni quand je m'arrête brutalement et me laisse tomber sur un trottoir. Je suis essoufflée, épuisée, ébranlée.
Je ne me rends pas non plus compte quand une personne court à son tour dans la rue à toute allure et ralentit en m'apercevant. Je ne me rends pas compte quand je croise son regard et que je reconnais le visage de Tyler, éclairé par la faible lumière de la nuit. Je ne prends conscience de sa présence que lorsqu'il pose ses yeux sur moi et que le temps s'arrête. Et je ne sais pas combien de minutes défilent pendant que nous sommes tous deux immobiles, plongés dans les yeux de l'autre, mais elles ont le goût de l'éternité, le goût de ce qui ne s'efface jamais.
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J'espère que ce chapitre vous a plu !
Qu'avez vous pensé d'Ally, Connor ou encore de la conversation avec Jason ? Et puis, le baiser entre Tyler et Hailey... ah la la, que de problèmes, hein !
En tout cas, j'aime beaucoup écrire ce qu'il y a dans la tête de Malia, et j'espère que c'est bien retranscrit !
À bientôôôt !
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