Epilogue
Présent – 2014
Dans le train qui les ramène à Édimbourg, Alister pose sa tête contre la vitre froide et regarde le paysage défiler. Il se sent fatigué. Il a mal dormi et a refusé de retourner à l'hôpital ce matin avant de partir. Molly n'a pas insisté et l'a laissé se murer dans le silence jusqu'à qu'ils s'assoient dans le wagon du train. Elle a sorti son ordinateur et pianote dessus depuis vingt minutes pendant qu'il divague dans ses pensées. Il aimerait être loin d'ici, mais ne voit pas où il pourrait aller. Molly a raison, ce n'est peut-être pas le moment de partir. Parce que si c'est pour retourner vivre dans la rue, cela ne vaut pas le coup. Il est parti sur un coup de tête mais la prochaine fois, il sera mieux préparé. Dans son esprit, il se voit un jour vivre au soleil, dans un endroit où il pourra tous les jours faire la fête et vivre sans penser au lendemain. Quand il sera majeur, il partira découvrir le monde et il rencontrera de nouvelles gens, venus de tous les horizons. Il quittera l'Ecosse, ses températures glaciales et repartira de zéro.
Molly arrête ce qu'elle est en train de faire et se tourne vers lui.
– J'ai reçu les résultats de ta prise de sang.
Du doigt, elle pointe l'écran de son ordinateur. Il regarde à peine, car il se doute de ce qu'elle veut lui montrer. Quand les policiers l'ont conduit à l'hôpital avec Lola, ils les ont forcés à voir un médecin qui leur a fait passer des analyses sanguines.
– Ils sont positifs.
– Oui, et ?
– Je ne vais pas te mentir en feignant d'être surprise mais j'aurais préféré que tu me le dises de toi-même.
– J'ai fumé de l'herbe, c'est mal, je sais, voilà. Fin de l'histoire. T'es contente ?
– Et toi, t'es content ?
Il passe sa main sur la vitre et tourne la tête. Il n'a aucune envie de se lancer dans une longue conversation sur la drogue. Il la connait et la côtoie depuis qu'il est né. Ce n'est pas à lui que l'assistante sociale va expliquer ses effets négatifs sur la santé.
Avec ses doigts, il essuie la buée, parce qu'il ne voit plus le paysage recouvert de givre. Pourtant, ce n'est pas comme si c'était très joli toutes ces rails. Il dessine des papillons pour ne plus penser.
– Tu vas me faire la morale ? murmure-t-il au bout d'un moment.
– Je crois que tu es suffisamment grand pour te rendre compte de ce qui est bien pour toi, et de ce qui est mal.
– J'avais envie d'oublier.
– Ça a marché ?
– Quand je fume je suis ailleurs et je ne pense plus pendant quelques instants.
Il a l'impression d'entendre son père. Il est son père en cet instant.
– Je ne recommencerai plus, promet-t-il.
Aucun des deux n'y croit, mais ils n'ont pas envie de se disputer. Molly est trop bien pour ça et il a appris à nier. Elle sait pertinemment que lui faire la leçon ne servirait à rien. Il n'écoutera pas, s'amusera à dessiner ou se braquera et ils n'auront pas avancer. A la place, elle choisit une autre stratégie. Celle qui consiste à le laisser expérimenter et chuter à plusieurs reprises. Et elle sera là pour le rattraper quand il aura besoin d'elle. Parce que c'est sa vie et qu'elle ne peut pas la vivre à sa place. Elle en a vu passer plusieurs, des enfants comme lui. Certains s'en sortent et d'autres pas. Mais elle a de l'affection pour Alister et elle espère qu'il fera partie de ceux qui survivront.
Lorsque le train entre dans la gare d'Édimbourg, Alister aperçoit Pascal, debout sur le quai. Son ami a dû passer la matinée à guetter les trains, ou Molly l'a prévenu de l'heure de leur arrivée, car lui n'avait plus son portable. A peine sorti, Pascal se précipite vers eux. Ils s'arrêtent l'un en face de l'autre et Alister hésite sur le comportement à adopter. Son ami devrait être en colère et il avait sans doute prévu de l'être, vu la tête qu'il fait. Pourtant, quelques secondes après, il se jette dans ses bras et le sert contre lui.
– T'es qu'un con de meilleur ami, mais qu'est-ce que je suis heureux de te revoir.
– Tu m'as manqué aussi.
Les deux garçons s'étreignent sous le regard attendri de Molly qui appelle Alister pour qu'il vienne chercher son sac. C'est vrai que ça ne se fait pas de laisser l'assistante sociale le porter. Elle a déjà fait beaucoup pour lui, et elle a encore beaucoup à faire, pas besoin d'en faire en plus son assistante personnelle. Il récupère son sac à dos et passe la sangle autour de ses épaules pendant que Pascal se met à déblatérer. Il l'écoute en souriant.
– Où est Lola ? finit-il par demander en la cherchant du regard.
– Elle est restée à Glasgow, avec ses parents, répond-t-il.
– Oh ! Ils sont venus alors ?
– Oui.
Y-a-t-il vraiment autre chose à dire ? Les parents de Lola sont venus la chercher, pas les siens. Pourtant, pour la première fois depuis des années, il ne se sent pas seul. Il a Pascal. Il a Molly aussi. Son meilleur ami glisse sa main dans la sienne tandis que l'assistante sociale désigne un arrêt de bus.
– On rentre au foyer ? demande-t-il.
– Oui, Lindsay et Harry t'y attendent. Si tu es toujours d'accord pour retourner chez eux quelque temps. Au moins jusqu'à ta majorité.
– On est vraiment obligé d'y aller maintenant ?
– Fais un petit effort s'il te plait.
– C'est juste que j'aimerais prendre un goûter avant.
Il lui fait son plus beau sourire. Celui contre lequel Molly ne peut pas résister. Elle lève les yeux au ciel et entraine les deux garçons vers un café de la gare pour qu'ils puissent choisir quelque chose à manger. Alister opte pour un cheesecake, un cookie et un chocolat viennois avec une tonne de chantilly tandis que Pascal se décide pour un donut's et un café. Molly s'assoit face à eux, avec un thé, et regarde son petit protégé manger avec appétit.
– Fais attention à ton estomac, il n'est pas habitué à recevoir autant de sucre, le sermonne-t-elle.
– J'ai un bon transit.
Pascal éclate de rire et plante les dents dans son donut's.
– Et une bonne répartie aussi. Tu te sens mieux ?
– Bas braimen, répond-t-il la bouche pleine. Mais ché comme ça.
Molly pose sa main sur la sienne pour le forcer à ralentir. Il lui répond par un sourire et serre ses doigts entre les siens. A côté, Pascal se rapproche et passe un bras autour de ses épaules avant de se coller plus près.
En les regardant tous les deux, il se dit que c'est peut-être ça le sens du mot « famille ». Un regroupement d'individus, unis par des liens de solidarité. Ce n'est pas toujours une famille biologique. C'est surtout des personnes qu'on aime et qui nous aime. C'est celle qu'on se construit, qu'on choisit et avec laquelle on se sent bien.
– Je t'aime Alister.
Il resserre ses doigts autour des siens, un sourire sur les lèvres. Une bouffée d'amour l'envahit tandis que Pascal s'approche un peu plus près et pose sa tête contre son épaule.
– Moi aussi je t'aime, ajoute son meilleur ami.
– Vous êtes fous tous les deux.
– Ouais, c'est vrai. Mais bon, tu as beau être un vrai casse-pieds, tu es unique.
– Dès l'instant où ta frimousse est apparue sur la pile de mes dossiers, j'ai su que tu serais particulier pour moi, continue Molly. J'ai compris que quoi que tu fasses et ou que tu sois, je serai toujours là pour toi. Je ne devrais pas avoir de préférence, mais l'amour que l'on ressent ne se contrôle pas.
Alister est ému. Il triture son cookie, un sourire aux lèvres, et fait des petites miettes sur la table. Pascal l'embrasse sur la joue pendant que la main de Molly caresse la sienne.
– Je vous aime aussi, murmure-t-il.
– Alors tant mieux. Car nous sommes ta famille et on sera toujours là pour toi.
Parce qu'il vaut mieux une famille composée avec les moyens du bord, que pas de famille du tout.
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