Chapitre 9




Passé – 2008

            Amanda part signer des papiers avec l'infirmière pendant que le médecin s'occupe de son plâtre. Il est blanc, mais le docteur le rassure vite en lui promettant qu'il pourra faire des dessins dessus pour le colorier. Alister a toujours l'esprit embrumé et rigole. Il aimerait bien faire des dessins, mais pour cela, il faudrait qu'il ait des feutres à lui. Une fois que le plâtre est posé, le docteur l'aide à se relever. Il lui donne une blouse bleue qu'il doit enfiler. Le petit garçon n'est pas très à l'aise, surtout devant le médecin qui ne le lâche pas des yeux. Il finit par se déshabiller et se retrouve en sous-vêtement. Il a la chair de poule et s'habille vite. Son petit corps tremble et il agrippe son plâtre. Son ours lui manque et il se demande comment il va pouvoir passer la nuit sans lui. Philibert doit avoir peur, tout seul au manoir. Surtout qu'Alister n'a pas eu le temps de le cacher et qu'il est sûr que Jack et Luc vont l'embêter.

            La perspective de savoir Philibert seul lui donne envie de pleurer et il sent ses yeux s'embuer.

–  Qu'est-ce qui t'arrive mon garçon ? demande le médecin en s'agenouillant.

–  Philibert est tout seul, il va avoir peur.

–  Qui est Philibert ?

–  Mon ourson.

–  Il est resté chez toi, c'est ça ? Je suis sûr que ça va bien se passer.

–  Il a peur du noir. Et il y a Jack qui va l'embêter et ... et ... Je veux aller le chercher.

–  Je suis sûr que tout ira bien pour lui, mais je vais demander à Mrs. Gontran de voir si elle peut te le rapporter, d'accord ?

            Alister est sceptique. Amanda ne fera pas un aller-retour entre le manoir et l'hôpital pour lui et Philibert va devoir rester seul. Et il est presque sûr que quand il rentrera, il ne sera plus là.

–  Tu aimerais voir la chambre où tu vas dormir ?

–  Est-ce que je serai tout seul ?

–  Malheureusement, je vais devoir te mettre avec un autre enfant, nous n'avons pas assez de place. Mais il est très gentil, tu verras. Il s'appelle Pascal et il est venu se faire opérer.

–  C'est quoi feropérer ?

–  Ça veut dire qu'il est venu pour qu'on le soigne, comme toi. Tu m'accompagnes ?

            Il lui tend la main et Alister se saisit de ses doigts. Le médecin promet qu'il lui donnera une couverture pour qu'il puisse se réchauffer une fois qu'ils seront dans la chambre car il n'arrête pas de trembler. Ils traversent un long couloir avec d'autres personnes vêtues de blouses blanches ou roses. Certains ont des stéthoscopes, d'autres poussent des chariots. La plupart lui sourit quand il passe et lui font un signe de la main. Il n'a pas l'habitude et il est un peu gêné. Il ne sait pas comment réagir et se contente de sourire. Il est très fatigué et il a encore mal au bras, malgré les médicaments que le médecin lui a donnés.

            Le docteur pousse la porte d'une chambre. A l'intérieur, un petit garçon d'à peu près son âge est assis. Il a la peau foncée et de grands yeux sombres. Ses jambes sont croisées et il joue avec des lego sur le lit. Alister s'arrête au milieu de la pièce, l'air intrigué.

–  Salut, s'écrie l'enfant en lui faisant un signe de la main.

–  Alister, voici Pascal, les présente le médecin. Il est très gentil tu verras, mais un peu blagueur.

–  C'est pas vrai !

– Approche.

            Alister marche à pas feutrés. Il a peur que le petit garçon le repousse s'il vient trop prêt. A l'école, ils font toujours ça. Ils le regardent d'un air intrigué, puis viennent lui parler pour lui dire qu'il est étrange et qu'il a des vêtements sales et usés. Ensuite, ils le poussent puis vont chercher la maitresse pour dire que c'est lui qui a commencé. Le docteur le prend par la taille pour le déposer sur le lit de Pascal. Pendant ce temps, une infirmière est entrée dans la pièce pour préparer le sien. Le petit garçon se penche vers les lego. L'autre en a une panoplie et ils sont tous éparpillés. Il lui en tend un. C'est un bonhomme avec une baguette magique, habillé d'une écharpe rouge et or et d'un uniforme. Il porte des lunettes rondes et a une cicatrice en forme d'éclair.

–  C'est Harry Potter, explique Pascal d'un air d'expert. Et lui, le roux, c'est Ron, son meilleur ami. Tu as un meilleur ami toi ?

            Alister secoue la tête. Il a déjà entendu les autres enfants parler de ça à l'école, mais personne ne veut être son copain. Depuis le CP, il occupe le fond de la cour et il passe son temps à regarder les petits de maternelle jouer. Il y a longtemps que Miss Torres est partie. Elle était remplaçante et elle n'est pas revenue l'année d'après. Elle lui manque parfois. La plupart du temps, il fixe le ciel ou il joue avec des bâtons. Il s'amuse à leur inventer des vies.

            Quand il vivait avec papa et maman, il avait des jouets dans sa chambre. Sa mère lui avait acheté un château qui était magnifique. Il s'amusait à déposer des personnages, surtout des fées, des princesses et des princes. Il y avait un dragon aussi.

–  Ils font quoi ? demande-t-il finalement.

–  Ils combattent avec de la magie ou alors ils discutent. C'est comme on préfère.

–  Ils parlent de quoi là ?

–  De l'attaque du troll dans les toilettes. Dis, tu veux être mon meilleur ami ?

            Alister cligne des yeux. A côté, le docteur s'est assis sur le lit et observe les enfants. Il ne s'en est pas aperçu, mais le médecin lui a pris le bras et retourne son poignet, comme s'il voulait l'examiner. Alister lui jette un regard en biais mais le docteur lui désigne Pascal pour qu'ils continuent de discuter. Comme l'autre petit garçon n'arrête pas de parler – et qu'il n'a pas trop l'habitude – il peine à le suivre.

–  Dis-moi Alister, tu t'es fait ça comment ? demande le docteur en montrant son poignet droit.

            Il doit parler de celui qui a la tâche marron. C'est vrai qu'elle est moche cette marque, mais c'est à cause du caramel. Jack et Ashley voulaient faire un gâteau il y a quelques temps. Amanda les avait autorisés à utiliser la cuisine et il était en charge du caramel, sauf qu'il n'en avait jamais fait. Du coup, il a brûlé dans la poêle et ça n'a pas plus à Mike parce que ça sentait fort dans toute la maison. Quand il est entré, il était très en colère et il a demandé à Alister s'il voudrait manger un gâteau recouvert de caramel brûlé ? L'enfant avait répondu à la négative puis s'était défendu. Pour le punir, Mike avait plaqué sa main dans la casserole. Il avait eu presque aussi mal que lorsque son bras s'était cassé tout à l'heure. Les semaines suivantes, la peau était toute brûlée et suintante et Ashley s'était occupée de le soigner.

            Il retire sa main et continue sa conversation avec Pascal.

–  Est-ce que je peux regarder sous ton t-shirt ? interroge le médecin.

–  Non, répond-t-il immédiatement.

            Il n'a pas envie. La dernière fois qu'un médecin lui a demandé ça, c'était pour l'histoire avec Arthur et il se rappelle encore de ses yeux qui le scrutent. Il avait eu envie de disparaitre dans un trou de souris.

–  Est-ce que la dame chez qui tu vis est gentille avec toi ?

            Il hausse les épaules. Il n'a pas envie de parler de ça non plus. Il préfère discuter avec Pascal qui s'est mis à lui raconter l'histoire de Harry Potter en détail. Le récit a l'air passionnant et il a envie de rester à l'écouter toute la soirée.

–  Tu sais qu'Harry Potter est un orphelin ? explique Pascal. Ses parents ont été tué par Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcé le nom et il a été confié à son oncle et sa tante, Vernon et Pétunia, qui sont vraiment méchants et qui l'enferment dans un placard sous l'escalier. Des fois, ils le privent de nourriture et Harry doit porter des vêtements tout déchirés. Mais ensuite, il va au zoo et un serpent lui parle et il le libère, puis il reçoit une lettre de l'école de sorcellerie Poudlard mais les Dursley ne veulent pas qu'il y aille et ils s'en vont et puis Hagrid...

–  C'est qui Hagrid ? le coupe Alister qui peine à le suivre parce qu'il parle trop vite.

–  C'est le garde-chasse de l'école. Et c'est aussi un géant trop gentil qui va aider Harry.

–  Comme moi, sourit le médecin. C'est pour ça que je veux savoir comment ça se passe avec Mr. et Mrs. Gontran.

–  Ils sont pas toujours gentils mais ça va.

            Pascal lui dit qu'il a le DVD du film, et aussi les livres qu'il pourra lui prêter. Il demande au médecin s'ils peuvent le regarder avant le dîner et le docteur accepte, si Alister veut bien soulever sa blouse quelques secondes pour qu'il s'assure qu'il va bien. Le petit garçon finit par se laisser faire, en claquant à moitié des dents. Pascal attrape sa main.

–  T'inquiètes pas, moi aussi j'aime pas quand les médecins me touchent avec leurs doigts froids.

            C'est vrai qu'elles sont froides les mains du médecin et il frisonne. Le docteur passe sur ses côtes. Alister sait ce qu'il veut voir. Il a un bleu sur la hanche, un peu violet, parce que Mike l'a jeté contre le buffet la semaine dernière et que ça n'a pas eu le temps de s'effacer. Mais ce n'est rien comparé aux coups de ceinture que Luc a reçu dans le dos ou à Jack qui a été privé de repas durant deux jours.

–  Est-ce que ce sont les Gontran qui t'ont tapé ?

–  Si je vous le dis, on pourra regarder le film ? demande-t-il plein d'espoir.

–  Promis.

            Le docteur lève la main pour jurer et Pascal lui fait un clin d'œil, sans lâcher ses doigts.

–  Oui, murmure Alister en se mordant les lèvres. Mais il ne faut pas le dire.

            Comme avec Arthur. Il ne fallait rien dire, mais il a encore parlé et on lui reprochera de ne pas savoir tenir sa langue. Mike va être furieux quand il va rentrer et Philibert aura disparu à jamais. Il aurait mieux fait de protéger son ours. Le docteur passe sa main derrière sa nuque et lui sourit.

–  Tu as été doublement courageux ce soir. Vous méritez bien votre film. Et je vais voir si je peux vous trouver quelques pop-corn.  

            Il ajoute un clin d'œil et Pascal agrandit son sourire. Il attrape les lego et commence à les ranger dans sa table de chevet roulante en plastique, puis il s'écarte un peu pour faire une place à Alister à côté de lui. L'enfant hésite. L'infirmière a terminé son lit, mais il resterait bien à côté de Pascal qui est si gentil.

            Finalement, il s'assoit à côté pendant que le docteur s'occupe de mettre le DVD dans le lecteur. Alister n'a jamais regardé de film en entier. Au manoir, il n'y a que Mike et Amanda qui peuvent regarder la télé le soir et chez ses parents, ils n'avaient pas assez d'argent pour s'en payer une. Du coup, il se contentait de regarder les voitures rouler dans les rues d'Édimbourg et de s'imaginer des histoires avec ses jouets et ses livres d'images. 

–  Est-ce que je peux le garder ? demande-t-il en montrant Harry Potter qu'il tient toujours dans ses mains blanches et fines.

–  Bien sûr, c'est à toi, répond Pascal en lui tendant une couverture pour qu'ils s'enroulent dedans. Même si j'aurais dû te donner Drago Malefoy parce qu'il est blond et a presque les mêmes yeux que toi. Mais comme c'est le pire ennemi de Harry et de Ron, on aurait pas pu être copain.

            Alister hoche la tête. Ce que dit Pascal semble très logique, même si le petit garçon n'est pas plus roux que lui n'est brun. Ils ne pourraient pas être plus différents tous les deux. La peau d'Alister est très blanche et ses yeux clairs rappellent ses origines nordiques. A l'inverse, l'autre garçon est métissé.

            Le film démarre. Au bout de quelques minutes, Alister sent ses yeux papillonner et sa tête retombe mollement contre l'épaule de Pascal.

–  Tu t'es fait mal comment ? demande le petit garçon en montrant son plâtre.

–  Je suis tombé d'une échelle.

–  C'est pas très malin.

–  C'est pas de ma faute.

–  Je te crois.

–  Et toi ? Le docteur a dit que t'allais te faire opérer.

–  Ouais, on va me retirer unenernie.

–  C'est quoi unenernie ?

–  Une boule que j'ai là.

            Il montre le bas de son ventre et il éclate de rire.

–  Dommage, je l'aimais bien, elle va me manquer.

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