Chapitre 4

Quelques heures plus tôt


Numéro inconnu, 18h22

Agent Morgan,

Mission d'exfiltration, ce soir.

Veuillez confirmer votre identité pour plus d'informations.


Mon regard ne voulait plus quitter mon téléphone. La notification qui s'affichait était le dernier des problèmes que j'aurais pu imaginer. On était là, tranquilles sur le lit à nous rappeler de bons souvenirs avec Kyon, et il fallait que quelque chose advienne pour nous barrer la route sur la voie des sourires. Des vrais sourires.

Je me demandais encore pourquoi j'avais accepté de travailler pour eux. Je ne savais jamais quand je recevrais une nouvelle requête, et je n'avais pas non plus connaissance des conséquences si j'osais refuser. On m'avait dit que mon aide permettrait de faire évoluer le monde face à leur cause, mais rien n'avait bougé en un an. Aucune amélioration, pas le moindre changement. Aux yeux de tous, les élémentaires restaient une menace, et rien d'autre. L'ODE.. l'Ordre des Eléments... Quelle blague ! Je l'aurais plutôt nommé le Désordre des Opposants, à ce niveau-là.

— Tu te sens bien, Mei ? s'inquiéta Kyon.

— C'est ma mère, pas d'inquiétude. J'ai une urgence, faut qu'je file...

— Tu m'envoies un message, si y'a un souci. OK ? lança-t-il en posant sa main sur la mienne.

Je lui adressai un sourire, pour pas qu'il ne se tourmente davantage. Puis je quittai son lit, et abandonnai le doux plaid qu'il m'avait prêté, dans lequel je m'étais emmitouflée dès que nous fûmes rentrés de la cérémonie. Je m'apprêtais à sortir de sa chambre, mais il me demanda de patienter un instant. Il fouillait dans son armoire à la recherche de ce qu'il voulait probablement me passer, et il la referma d'un coup si sec que le courant d'air créé le décoiffa.

Il tenait le sweat que je lui avais offert pour son dernier anniversaire. Couleur turquoise, car c'était, sans que je ne puisse l'expliquer, la couleur qu'il dégageait depuis toujours. Il me le tendait, et je ne me voyais pas lui dire non avec le sourire qu'il m'adressait. J'essayais de ne pas entendre ses pensées, mais mon pouvoir prenait le dessus : Kyon avait peur que je prenne froid, et ça me faisait sourire. Je passais mes bras dedans en une fraction de seconde, et l'odeur de mon meilleur ami planait encore plus autour de moi. La douce fragrance qu'il émanait me rassurait. Il pouvait rester auprès de moi, même si je devais le laisser. Et savoir que sa présence ne me lâcherait pas, même lorsqu'il faudrait que j'affronte l'atmosphère toxique de chez-moi, ça m'octroyait un regain de courage.

— Fais attention à toi sur le chemin, souffla-t-il alors que nous étions dans les bras de l'autre, devant le pas de la porte d'entrée.

Je me séparais de lui, faisant glisser ma main tout le long de son bras qui frémissait de la fraîcheur de mes bagues. La porte claqua, et la distance entre nous semblait s'être démultipliée en un instant. De l'autre côté de la porte, je sentais la tristesse le gagner. Mais je devais faire quoi ? Revenir et lui dire : « Kyon, je sais que t'es triste, alors arrête ! » ou alors « Hé, j'ai entendu tes pensées et je sais que ça va pas, mais t'inquiète, tout va s'arranger ! ». Non, c'était stupide, inutile, et ça lui révélerait que je lui avais caché mes pouvoirs depuis que je les avais reçus. Elian était parti, et il n'y avait aucun retour en arrière possible : ça ne pouvait pas « s'arranger ». Et puis, j'avais lu que les plus cruelles émotions étaient parfois le meilleur moyen de vaincre ses démons. Peut-être que c'était vrai, pour une fois ?

En commençant mon chemin vers chez-moi, je ressortis mon téléphone de ma poche, fixant ce message qui m'avait forcé de m'en aller. Mes pieds s'enfonçaient sur les traces de chaussure de tous les autres passants, qui s'étaient imprimés dans la fine couche de neige au sol. Je grelottais face au froid de l'extérieur, remerciant dans ma tête Kyon de m'avoir prêtée de quoi me couvrir. Je pris sur moi, encore une fois, et tapotai le clavier avec mes doigts à découvert, mes mitaines ne les protégeant pas, pour leur fournir ce qu'ils attendaient.


Moi, 18h31

Code d'identification : 4953

J'accepte la mission.


Numéro inconnu, 18h32

Identité validée, détails de l'opération :

– 2 fugitifs élémentaires à extraire d'Ouravis.

– Position des cibles donnée dès qu'elle nous aura été transmise.

– Aide en cas d'urgence : 067 306 5943


Et voilà. Je m'étais engagée, et je ne pouvais plus me retirer. J'avais passé l'une des matinées les plus éprouvantes de ma vie, et le reste de la journée ne s'annonçait pas plus facile. À quoi je devais m'attendre ? Est-ce que mes batteries élémentaires étaient remplies à bloc ? Je ne pouvais même pas le savoir. Mon énergie se vidait tout le temps, dès que mon pouvoir décidait d'échapper à mon contrôle et d'écouter les moindres bribes dans la tête des autres, ou de ressentir leurs émotions débordantes s'emparer de moi. Bref, il était instable. Autant que moi.

J'étais arrivée devant l'immeuble de mon appart. J'avais beau le regarder de haut en bas à répétition, je ne voulais pas entrer. Avec ma mère, tout était imprévisible. Elle pouvait très bien être de bonne humeur, sans aucune goutte d'alcool dans le sang, à rigoler devant ses émissions télé en cuisinant des plats en tous genres, ou au contraire, elle avait mis le nez dans les quelques bouteilles que je n'avais pas cachées, et elle était saoule, avachie sur le canapé, au milieu des vêtements traînant sur le sol et des éclats de verre des récipients éclatés qu'elle aurait lâchés sous l'emprise de son addiction maladive. Mais je ne pouvais pas savoir. Et il fallait que je m'y confronte, seule.

Je franchis la porte délabrée du bâtiment, et gravis les escaliers dans une nonchalance qui témoignait clairement de mon état d'esprit. Quatre étages à monter, avec au bout, une fin que je redoutais. Ce n'était pas normal d'avoir cette appréhension, chaque fois que je rentrais à la maison, mais c'était comme ça. Ma vie était ainsi. Une belle vie, après tout, animée par une crainte constante et un amour parental quasi invisible, teintée de la disparition d'un ami très proche et d'une relation amoureuse opprimée. C'est ce que je dis : « une belle vie ».

Les clés étaient restées dans la serrure, et la porte était entrouverte. Mais ça n'avait rien de surprenant, ce n'était pas la première fois, et certainement pas la dernière. Les enceintes faisaient trembler les murs fragiles de la structure, tant le volume sonore était élevé. Je poussais la porte et fut confrontée à la seconde option : ma mère était endormie sur le sofa, la bouche à moitié ouverte, une bouteille vidée d'alcool à la main qui manquait de rejoindre brutalement le parquet. Tout ce qu'elle avait picolé au bar sans se gêner ne lui avait pas suffi ?!

Le courrier traînait par terre, et je n'en tenais pas compte, habituellement. Mais les trois mots marqués me pilonnaient la poitrine. « Avis d'expulsion ». On n'avait presque plus de rentrées d'argent, comme ma mère avait été virée pour son comportement impulsif et ses multiples absences, mais je pensais que les économies qu'on avait nous feraient tenir plus longtemps. Visiblement, je me trompais. Et ça n'avait pas l'air de la préoccuper. Je ramassai la lettre et la posai sur la table-basse à côté d'elle, espérant qu'elle réagisse en la voyant à son réveil. J'osais croire qu'elle ne l'avait simplement pas vue. Je déposai une couette sur elle, et profitai qu'elle soit endormie pour activer mes capacités élémentaires : en un rien de temps, l'appart était nettoyé de fond en comble.

Et en rejoignant mon lit, je me rendais compte que j'avais quitté Kyon trop tôt. J'avais largement le temps de rester plus longtemps avec lui, mais troublée par cette nouvelle mission, je n'avais plus eu que ça en tête. Et je me retrouvais seule. Toute seule, avec comme unique compagnie ma peluche que j'avais depuis toute petite, Doudou. Un nom qui crève l'originalité, n'est-ce pas ? C'était tiré de l'imagination du jeune fille qui était pleine de créativité. Débordante et illimitée. La voilà, la raison d'un prénom si recherché. Avec Doudou plaqué contre moi, je me redirigeais vers celle qui m'avait dit de lui parler si je le voulais.


Moi, 19h15

Tu veux venir chez moi ?


Eileen, 19h17

Tout va bien ?


Moi, 19h17

Je veux juste te voir :))


Eileen, 19h19

Mes parents ne veulent pas...

Il est trop tard, pour eux :(


Moi, 19h20

Appel vidéo ? <3


Elle m'avait répondu sans même un message : la sonnerie résonnait de mon téléphone, qui vibrait en même temps. Et son beau visage s'affichait sur mon écran, avec un sourire, certes moins marqué que d'habitude, mais un sourire quand même. Les leds jaune-orangé dans sa chambre se reflétaient dans ses yeux. On n'en voyait plus leur vraie couleur.

— Ça va mieux depuis ce matin ? me demanda-t-elle.

J'acquiesçai d'un hochement de tête, et je ne mentais pas. La voir me faisait du bien.

— Et toi ?

— Elian me manque. Je n'arrive pas à me dire qu'on ne le reverra plus...

Ses lèvres tremblaient. Je venais de raviver la douleur de sa perte, et de notre deuil.

— Et comment tu te sens, vraiment ? reprit Eileen, se reprenant en main.

— J'ai.. des choses à affronter chez moi. Ma mère, tu sais.. et notre appartement.. on risque de se faire expulser.

Elle plissa des yeux, comme pour m'indiquer qu'elle comprenait ce que je traversais. Au-delà de nos sourires à toutes les deux, on partageait des fardeaux et des peines. Et la relation avec nos parents était particulière, comme quoi le dicton « Qui se ressemblent, s'assemblent » dévoilait tout son sens. Pendant que ma mère était alcoolique, ses parents voyageaient encore et encore, sans cesse, si bien qu'ils voyaient peu leur fille. Ceux qui connaissaient le mieux Eileen n'étaient pas sa famille, mais ses amis. Et moi, sa petite-amie. Je n'allais tout de même pas m'oublier.

Mes yeux se fermaient de plus en plus. La fatigue, de la tempête émotionnelle de la matinée mêlée à l'air glacial qui me rongeait les os, autant dans la rue que dans ma chambre, m'accablait. Je clignais des yeux pour lutter, mais rien n'y faisait : j'étais épuisée.

— T'as l'air crevée, Mei, s'alarma Eileen.

— Je me repose deux secondes, et je suis tout à toi ! déclarai-je en laissant mes paupières se refermer.

— Tu veux que j'te laisse ?

— Non, reste avec moi, s'il te plaît, répondis-je, sentant la paix m'être accordée.

Tous les bruits autour de moi se brouillaient jusqu'à un calme sans pareil. Pour une fois, j'étais apaisée, chez moi. Les douces mélodies de piano qui venaient tout droit des enceintes de ma copine m'apaisaient, jusqu'à ce que je n'entende plus que le son de ma respiration. Que.. ce.. son...

Je repris conscience, mais je n'étais plus dans ma chambre, et il n'y avait pas la moindre trace d'Eileen. Au milieu de nulle part, le vent venait s'abattre sur les feuilles des chênes autour de moi, et les vagues, sur la plage, s'écrasaient sur des digues, qui empêchaient la mer d'envahir l'endroit. Mes mèches s'invitaient devant mon regard, comme si elles voulaient m'interdire de comprendre pourquoi j'étais atterrie ici. Le ciel nuageux semblait prêt à déverser une averse sur moi.

Et un peu plus loin, ma mère était là. Elle était parfaitement droite, fixant une maison délabrée qui paraissait abandonnée depuis des décennies. Elle ne bougeait pas, elle ne bronchait pas, les courants d'air qui pénétraient sa robe ne la faisaient pas trembler. Un mélange de regrets et de haine se bousculait dans son esprit. Et sans même la voir face à face, je savais qu'elle se retenait de pleurer. Quelque chose, ici, avait forgé ma mère telle que je la connaissais.

— Tout est de ma faute... surgit une voix rauque derrière moi.

J'eus à peine le temps de me retourner que je me sentis violemment aspirée par le sol, et il n'y avait aucun moyen pour moi de m'accrocher : la force qui m'attirait était plus forte que tout ce que j'avais pu combattre. Dans ma chute, son visage se révélait. Celui d'un vieil homme, aux traits marqués et aux cheveux blancs, dans une longue toge usée, qui s'appuyait sur un bâton de bois fragile. Mais il ne me regardait pas tomber dans mon interminable dégringolade. Il tournait le regard vers ma mère, sans la quitter un instant. Au vu de la description que j'en donnais, on aurait cru à un psychopathe, mais il n'en était rien. Je me souvenais maintenant : je l'avais déjà vu dans les pensées désordonnées de ma mère. Quelques fragments mémoriels de lui, dispersés un peu partout. Mais qui c'était ? Et qu'est-ce qui les unissait ?!

Brusquement, je me tirai de mon sommeil à l'entente d'une notification de mon portable. J'avais rêvé. Mais est-ce que tout était le fruit de mon imagination, ou mon pouvoir avait emprunté des souvenirs de ma mère ? Eileen était toujours là, en appel, sur mon téléphone.

— T'es mimi quand tu dors, sourit-elle.

— J'le suis pas le reste du temps ? la taquinai-je.

— Tais-toi !

En riant avec elle, l'heure de mon téléphone croisa ma vue. 23h33. J'avais dormi aussi longtemps ? Et ma mission ?! Sentant mon pouls s'accélérer, je vérifiais toutes mes notifs et je perdis mon sourire en voyant l'une d'elles.


Numéro inconnu, 23h32

Position communiquée.

Rendez-vous immédiatement :

Quartier résidentiel d'Hodens, Ouravis.

Cliquez pour ouvrir le programme de localisation


Je n'avais pas besoin de leur fichu logiciel : je connaissais trop bien cet endroit. Et c'était pour ça que j'avais encore plus peur d'y aller. Le danger pouvait survenir de n'importe où, mais le principal problème, ce n'était pas ça : là-bas, mon meilleur ami pourrait découvrir mes mensonges. Parce que c'était là où il habitait. La maison de Kyon s'y trouvait.

— Je dois te laisser, murmurai-je au téléphone.

— Ça va ?

— Je vais juste me coucher, t'inquiète !

— Oh, bonne nuit à toi et à Doudou alors ! s'exclama-t-elle en bisoutant dans le vent.

— À toi aussi, je t'aime !

Mon sourire s'effaça en même temps que mes responsabilités refirent surface : je devais cruellement me dépêcher. Si j'échouais, des vies seraient perdues par ma faute. Des innocents, qui voulaient seulement vivre en paix dans un monde qui les entravait. J'enfilai la tenue qu'on m'avait confiée, une sorte de robe noire avec une capuche de la même couleur, et rajoutai par-dessus mes mitaines. Ça allait me protéger ? Pas du tout. Mais ça rendait leur tenue vieillotte plus jolie.

J'ouvris ma fenêtre, et devant moi : le vide. Et d'un coup, je m'élevai dans les airs, portée par mes pouvoirs. S'il existait une seule raison pour laquelle je voudrais avouer à Kyon, Elian et Eileen que j'étais une élémentaire, ce serait celle-là. J'en avais fait, des rêves avec eux, flottant au-dessus de la ville en contemplant les étoiles du haut des gratte-ciel. Mais je ne pouvais pas arriver comme ça, après tant d'années ensemble, et balancer : « Ouais, j'ai des pouvoirs. Venez, on va s'balader à côté des nuages ».

Plus je gagnais en altitude et plus respirer devenait compliqué, mais pour survoler la capitale sans être repérée, ni par les caméras, ni par les radars, on m'avait dit de frôler les bâtiments les plus hauts. Pourquoi ? Je n'en savais rien. Ce n'était pas mon travail de m'occuper de ça avec leurs infinissables calculs qui donnaient mal à la tête. Les rues de la ville se réduisaient à des fils de lumière, et les plus petits immeubles, ceux que je n'effleurais pas, n'avaient plus l'air que de jouets miniatures, dispersés sur un tapis urbain pour enfants. Les sons autour de moi s'estompaient au profit du sifflement du vent dans mes oreilles. Et à mesure que je m'approchais de ma destination, je serrais les poings pour compenser le stress que la mission m'apportait.

Le Quartier d'Hodens se dessinait en contrebas, avec ses pavillons qui s'étendaient sur quelques kilomètres carrés, peut-être, que je connaissais si bien. On se baladait souvent dans ces rues, avec Kyon, et Elian quelquefois. Mais ces réminiscences joyeuses furent repoussées, comme toujours : le lieu de la mission s'était précisé davantage. Juste devant chez lui. À quelques pas de la maison de mon meilleur ami. Et lui, il se tenait là, au milieu des soldats aux armures blanches, inconscients, à terre. Kyon visait deux personnes avec l'un de leur fusil.

Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre ce qu'il se tramait, et je voulais le nier. Est-ce que mon plus proche ami était prêt à exécuter deux élémentaires ?! Ces deux mêmes qu'on m'avait ordonné d'aider. Je n'avais plus le choix. Si je n'agissais pas, tout allait foirer, et Kyon ferait quelque chose qu'il regretterait. Les sacrifices les plus durs étaient souvent ceux dictés par le cœur.

Kyon... Ne fais pas ça ! le conseillai-je calmement, directement dans sa tête.

Il fléchit, alors que j'agissais sur les réverbères, en les comprimant pour qu'ils perdent de leur éclat. Il ne fallait pas qu'on nous voie. Il ne comprenait sûrement pas ce qu'il se passait. Ce n'était pas tous les jours qu'on découvrait que sa super meilleure amie avait des pouvoirs. C'est ce que traduisait son regard en me voyant, devant lui, atterrir doucement sur la terre ferme. Et son esprit était si confus par la situation que je n'étais pas capable de lire ses pensées, pour savoir comment il réagissait à l'intérieur. Pour la première fois, une barrière s'était dressée entre lui et moi. Je m'approchais de lui, sans être sûre de ce qu'il pourrait faire. Et lorsque son arme entra en contact avec mon corps, le peu d'assurance que j'avais disparut. Ma vie dépendait de Kyon, littéralement.

— Excuse-moi, Ky... soufflai-je en appuyant sur le haut du fusil pour qu'il pointe vers le bas.

J'eus à peine le temps de reprendre mon souffle face à tout ça, que les lumières d'une voiture vinrent éclairer la scène. Derrière les lueurs aveuglantes des phares, deux silhouettes émergèrent. Le moteur cessa de rugir, et l'obscurité reprit son droit dans la nuit.

C'étaient les parents de Kyon. Ils regardaient autour d'eux, mais entre les gardes au sol, les deux fugitifs derrière nous, Kyon et son arme dans les mains, et moi, avec cette tenue inhabituelle, ils étaient déconcertés.

— Dépêchons-nous... Il faut nettoyer tout ça, déclara Vince.

— Quoi ?!.. Mais ? balbutiai-je.

Ça n'avait aucun sens. Pourquoi le général lui-même ne soutenait pas ses hommes ?!

— On est dans la même équipe, Mei.

Qu'est-ce qu'il voulait dire ? Comment le père de Kyon était-il au courant de mon implication dans l'ODE ?! Est-ce qu'il me faisait juste marcher ? Les questions se propageaient dans mon crâne, mais si peu de réponses avec. Jusqu'à ce qu'il me montre son téléphone, allumé. Les mêmes cadres d'informations qu'on m'envoyait pour mes missions. Lui aussi les recevait. Mais alors, il trahissait ses fonctions délibérément. Et il continuait pourtant à se montrer comme leur général. Pourquoi ne se confrontait-il pas directement à la présidente pour mettre fin à toute cette tuerie ?!

— Nous ne savions pas qu'ils t'avaient recrutée, toi aussi... souligna Naia.

— De quoi.. de quoi vous p-parlez, papa maman ?! bégaya Kyon.

Cette organisation pour laquelle je travaillais, elle m'entourait depuis tout ce temps.

— Qu'allez-vous faire de nous ? s'interrogea l'un des deux fugitifs.

— On n'a pas beaucoup de temps. Naia, les seringues d'amnésie, demanda Vince en portant son regard sur les membres de la Garde.

— Laissez-moi faire, intervins-je, sous les yeux de Kyon, qui était dépassé par les circonstances.

Mon énergie avait atrocement diminué, je le sentais : les séances de vol étaient bien sympas, mais elles consommaient ma puissance élémentaire mille fois plus rapidement. L'un après l'autre, je me liais aux esprits des gardes via mes doigts sur leurs tempes, et je supprimais cette intervention de leur mémoire : si un seul se souvenait, c'était notre sécurité à tous qui en était affectée.

— Très bien, reprit Vince d'une voix forte.

Il tentait d'avaler sa salive, comme si ça allait l'aider à digérer le fait de me voir utiliser des pouvoirs. Après tout, j'étais toujours la petite fille qui s'était liée d'amitié avec son fils, et pas une manipulatrice de dons magiques qui se rebellait contre le régime anti-élémentaire.

— Vous deux, vous pouvez nous aider à les mettre dans leur camionnette ? demanda la mère de Kyon aux deux élémentaires.

* * *

Vince, au volant, partait vers le centre-ville, amener l'escouade à l'hôpital. Par la même occasion, il allait déposer les sujets de mon opération dans, avait-il indiqué, une « base secrète de l'ODE », où ils seraient en sécurité. À leur place, aurais-je pu lui faire confiance ? Même s'il prétendait faire partie de l'organisation, il n'en était pas moins le Général de la Garde.

En pleine nuit, au beau milieu du Quartier d'Hodens, on se tenait là, Kyon, sa mère et moi. Le visage attendrissant de Naia était aux antipodes de celui de son fils : mon meilleur ami ne m'avait jamais porté un tel regard. Ce même regard que je fuyais lorsque j'étais avec Eileen, ou quand, justement, l'identité d'un élémentaire était dévoilée au grand jour.

— Alors comme ça.. t'es une élémentaire ?.. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top