Chapitre 2
Bip bip bip
Mon réveil sonna.
Et j'espérais que tout ce qui s'était passé n'était qu'un cauchemar pourri, une mauvaise blague que les dieux m'avaient faite. Je voulais que ce soit une distorsion de la réalité, qui m'en montrait une où la chance ne m'avait pas souri, en me privant de mon plus proche ami. Mais non. Tout était réel. Bien réel. Et Elian était parti pour un voyage dont il n'y aurait aucun retour.
Non. Tout ça n'était qu'un mauvais rêve. Juste un mauvais rêve.
Réveille-toi, bon sang. Ouvre les yeux, Kyon, et tout ira mieux !
Selon d'anciennes croyances, le monde d'Alirya était né, il y a de ça une infinité de siècles, de la bonté d'une énergie bienveillante et, comme toute entité cosmique, inconnue. Elle avait érigé la civilisation telle qu'on la connaissait, avec son lot de ci, de ça, et surtout de lois. Des lois impénétrables. Et l'une d'entre elles, c'était la mort. Tout le monde devait y passer, et quiconque en ce monde allait avoir à subir la souffrance que c'était de perdre quelqu'un. Et moi, on m'avait enlevé Elian. Un créateur bienveillant ? J'appelais plutôt ça un être cruel prêt à dégainer toutes les lames de l'univers pour me taillader le dos à coups de je fais ça pour vous.
J'étais trempé jusqu'à l'os, et mes draps aussi. Mon corps était moite. Et l'odeur, je n'osais pas en parler. Je n'avais pas bougé de mon lit depuis deux jours, en même temps, fallait pas s'étonner. Mon front dégoulinait de sueur, mais je n'avais même pas chaud. Juste la nausée, provoquée par le vide qu'il avait laissé. Comment j'aurais pu penser que ce serait mon meilleur ami qui m'infligerait la plus grosse douleur que je n'avais jamais ressentie ?
Mon téléphone vibrait, mais je n'avais même pas envie de le prendre. La lumière qu'il envoyait me défonçait les yeux, de toute façon. Et je voulais être seul. Juste tout seul. Au moins, là, j'avais l'opportunité de me rendormir, et d'être libre des pensées dévastatrices que mon esprit m'obligeait à entendre, quoique ce que je voyais dans mes rêves n'était pas beau à voir non plus. Dans ma tête était ressassé son dernier souvenir. Celui d'un Elian faible, qui ne supportait plus sa maladie. Pourquoi est-ce qu'on me torturait avec cette image..? Pourquoi je m'infligeais ça..?!
Avant, on me répétait qu'à ne pas savoir exprimer mes sentiments, je ne ressentais rien. Mais la vérité, c'est que je souffrais trois fois plus, et ça en devenait presque insurmontable. Cette réalité m'écrasait, me torturait sur chaque parcelle de mon corps, comme si, cruellement, elle se présentait sous forme d'innombrables lames qui me tailladaient le dos, et que les cicatrices qui en ressortaient me brûlaient chaque instant, sans rien avoir pour les panser. Foutu créateur bienveillant avec ses belles promesses, je souffrais de sa fausse générosité.
Ma porte se fit entrouvrir tout doucement, laissant entrer une petite part de lumière, qui redonnait vie à ma chambre. Mais moi, ça me tuait, à l'instar des créatures de l'Ombre qui avaient jadis ravagé notre monde. Je protégeais mes yeux avec mon bras, tout en observant mon père s'inviter dans la pièce. Il s'assit sur mon lit, à côté de moi, une assiette entre les mains. Avant de me regarder, son regard se bloqua aux deux autres plats sur ma table de chevet. Je n'y avais pas touché.
— Comment tu te sens ? me demanda-t-il.
— Super, mon meilleur ami est mort, mais je suis heureux comme jamais..!
Est-ce qu'il croyait vraiment que j'avais envie de répondre, alors qu'on n'avait cessé de me poser cette question, en boucle, comme si ça allait arranger les choses..?!
Tout ça n'est qu'un mauvais rêve, après tout.
Inutile de se prendre la tête avec des créations de mon esprit.
Je n'avais envie de rien. Et lui adresser une réponse encore moins. C'était à se demander si je savais encore parler. Pas un mot n'était sorti de ma bouche depuis ce soir-là. Pour une fois, je m'en fichais d'être cruel, et de ne penser qu'à moi. Être isolé de tout, c'était la seule chose que je quémandais. Alors oui, je voulais qu'il parte, et il pouvait prendre ses patates douces avec lui : si je mangeais, j'allais lui régurgiter dessus le repas qu'il m'avait apporté. À lui de voir. En me tournant, j'évitais son air désolé qui me serrait la gorge plus qu'elle ne l'était déjà : c'était plus simple que de le voir s'apitoyer sur mon sort.
— Je vois. Je te laisse ça sur le meuble. Essaie de manger, mon grand.
Le bruit creux des assiettes qui entrèrent en collision me fit frissonner. Il avait récupéré celles que je n'avais même pas pris la peine de goûter.
— Au fait, Winston et Anya nous ont conviés à venir pour.. l'enterrement de leur fils... Ça se tiendra dans quelques jours, une semaine pile après sa disparition, dans la tradition gaïrianne. Si tu n'es pas prêt, tu n'auras qu'à me le faire savoir, OK..?
Quelques secondes s'écoulèrent, avant qu'il ne se décide à s'en aller.
La porte se referma derrière lui, et j'étais à nouveau seul. Dans l'obscurité de ma chambre, où aucun fil de lumière ne venait me crever les yeux, et où aucune voix ne me martelait le crâne. Un semblant de paix, aux antipodes du chaos dans ma tête.
Et mon téléphone continuait de vibrer, comme si ne pas répondre depuis trois jours n'était pas suffisant pour faire passer mon message : laissez-moi tranquille. Sans même être à l'Institut, j'avais l'impression que mon anxiété sociale était beaucoup plus forte, plus libre, parce que chaque notification déclenchait des tremblements, chaque petit bruit que mon portable pouvait émettre devenait un motif pour trop penser. Est-ce que j'étais en train d'ignorer mes dernières amies..? Pourquoi ça ne s'arrêtait pas ? N'était-ce que des hypocrites venus m'annoncer leurs jolies condoléances, alors qu'ils crachaient sur mon meilleur ami devant lui..?
Maureen, 7h39
Toutes mes con–léances.
Re-y, 7h-2
Con–léa-ces
A–on, -h53
-ond-lé-nc-s
Condoléances.
Condoléances.
Condoléances.
En franchissant finalement le pas pour allumer mon téléphone, mes yeux s'étaient directement mis à pleurer face à la lueur écrasante de l'écran. Et comme je l'avais prédit, une belle bande d'hypocrites qui se voilaient la face me répétaient le même mot.
Condoléances.
C'était trop simple. Une seule petite expression, douze lettres assemblées les unes avec les autres, et ils croyaient effacer leurs péchés vis-à-vis de mon meilleur ami..?! Est-ce qu'ils pensaient partager ma douleur, avec leurs messages trop faciles ? Celui qu'ils harcelaient sans vergogne était parti, et présenter leurs précieuses condoléances à ses proches allait tout pardonner, c'est ça..?
De toute façon, ce n'était qu'un mauvais rêve.
Il fallait juste que j'en sorte.
Et peut-être qu'en me libérant de mon lit, qui criait de se défaire de moi et de ma nausée, je pourrais plus rapidement me réveiller. Parce qu'il fallait que ce ne soit qu'un horrible cauchemar. Il le fallait. Elian ne pouvait pas me quitter, il m'en avait fait la promesse. Celle avec sa bague. Et jamais il n'en avait trahie une, surtout celles-ci.
Mais si tout ça était vrai..?
Peut-être que mon père avait raison.
Les parents de mon meilleur ami se préparaient à enterrer leur fils à l'Arbre des Racines. Lui qui croyait en la Nature, et en la Déesse Gaïri'han... Non, non, non, non..! Jamais il ne partirait comme ça. Il n'avait pas le droit. Elian ne ferait jamais ça... Si..?
Je me souvenais.
Jour un.
Papa et Maman étaient assis sur le canapé, mais la télé n'était pas allumée. Seul le silence leur tenait compagnie, avec leurs larmes et la lumière ambiante que propageait la faible flamme de la bougie sur la table-basse. Puis le calme fut brisé par notre arrivée, et Maman ne trouvait pas ses mots, en nous prenant dans ses bras.
« C'est Elian. Il nous a quittés... »
Comment le dire autrement..? On pouvait chercher la plus belle manière d'annoncer un décès, la douleur restait la même. Un gigantesque coup de massue sur le cœur, se répandant par la suite sur le reste du corps. La force dans mes genoux s'était dissipée aussitôt, et à tour de rôle, c'était à moi d'être à court de mots, avec ce vide foisonnant sous ma peau frissonnante. Je n'ai pas réussi à pleurer, comme si je ne voulais pas l'accepter, et que verser des larmes revenait à rendre plus réel ce qu'il s'était passé. Elian ne pouvait pas s'en aller. Son âme était prisonnière de mon esprit, et de toute ma volonté, je l'empêchais de rejoindre les racines, et me quitter à jamais. Mon meilleur ami n'était tout simplement pas capable de disparaître, parce qu'il était bloqué pour l'éternité dans mon cœur, verrouillé à triple-tour.
Si je ne larmoyais pas, peut-être qu'on cherchait à me dire..
Que tout ça n'était qu'une mauvaise blague..?
Mais je me trompais.
Jour deux.
Cauchemar. On m'avait confronté à une réalité où Elian avait succombé à sa maladie. Sauf que.. c'était.. la mienne... Ma réalité... Et mon ami avait fini de souffrir.
Sur mes joues, les premières gouttes salées s'étaient évadées. Ça devenait vrai. La souffrance, les milliers de regrets, et la mort d'Elian. Tout se dessinait devant moi. Un champ de peine que je ne réussirais jamais à traverser, parce que la douleur y était semée à chaque mètre. Les après-midi au bord du lac d'Onahos, celles passées au Parc d'Œselys, ou à l'Elemental Coffee, tout ça, c'était fini. Terminé. Des souvenirs enfermés dans une malle, elle-même noyée au fond des plus profondes eaux. On n'aurait plus le droit de profiter ensemble. Tous les quatre, ou juste tous les deux.
Sa maladie l'avait emporté.
Il fallait l'accepter...
Et plus jamais mon cœur ne cesserait de saigner.
Parce qu'il n'y avait rien de pire que de perdre quelqu'un qu'on aime, le choc m'avait violemment frappé quand les mots de ma mère firent vibrer mes tympans. Aussi douloureux que la piqûre d'une abeille, dans un ultime espoir de défendre sa ruche, aussi féroce qu'une hyène prête à déchiqueter sa proie, pour se sauver de la faim. Il n'y aurait plus son odeur sur mon épaule, ni les peluches de ses pulls en laine, accrochées sur mes sweets, ni tous ces sourires qu'il m'offrait chaque jour, le plus beau cadeau qu'il pouvait me faire. Mon ami.. mon meilleur ami, il avait disparu, et le seul souvenir qui voulait rester, c'était celui de son unique moment de faiblesse. Tout au long de sa vie, il n'aura fait que lutter, encore, encore, encore et encore, mais son combat.. Son combat était terminé. Et la force, la joie, et la passion qu'il incarnait dans mon cœur, cette armée de positivité s'était éteinte avec lui. Pour toujours et à jamais.
Tout ça n'était qu'un cauchemar.
Mais un cauchemar on ne peut plus réel.
Et Elian...
Jour trois.
On y était. Le voile sous mes paupières s'était envolé, et j'avais pu apercevoir la vérité. Poignante, déchirante, destructrice, aucun mot n'était assez puissant pour la qualifier. Il n'y en aurait jamais un. Parce que personne n'avait ressenti ce que j'éprouvais pour mon meilleur ami. Une alchimie trop parfaite, comme il aimait l'appeler. Mais ça aussi, il ne le ferait plus, de trouver les mots justes, et de les manier à la perfection.
Parce qu'il avait disparu...
Elian était mort.
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