Lundi 21 mai - partie 1


7h00

Encore un lundi. Encore une journée de classe. Au cœur de la foule du collège, je suis seule. Je t'en veux de me laisser affronter tout ça sans toi. En même temps, je n'ai pas envie que tu saches. J'aimerais que personne ne sache, et surtout pas Marianne. Elle n'est pas dans notre classe. Elle me manque. Elle n'a aucune idée de ce qui se passe. Depuis février, je l'évite. Je me cache au CDI ou dans les toilettes pendant la récréation. Je mange quand même de temps en temps avec elle, pour donner le change. Parfois, j'ai envie de tout lui dire, mais j'ai tellement honte. Je ne veux pas la décevoir, elle qui est si forte. Si je me mets à lui parler, je ne pourrai pas m'empêcher de pleurer. Elle risquerait de se mettre en colère et d'essayer de se battre avec Guillaume. J'ai trop peur. Et s'ils s'en prenaient à elle ? Personne ne peut m'aider.

Je ne veux pas y aller... Si seulement je pouvais me cacher sous ma couette et ne plus jamais sortir de ma chambre.


— File tes devoirs.

La voix de Guillaume me fit sursauter. Je me retournai, mon cœur manquant un battement. L'estomac soulevé, je contemplai mon bourreau. Son visage se penchait sur moi. Il me dominait de toute sa hauteur, un rictus presque joyeux au coin des lèvres. De loin, on aurait pu croire qu'il était de très bonne humeur. De près, par contre...

Sa carrure large de rugbyman me faisait de l'ombre, je me recroquevillai, submergé. Il posa une main sur mon épaule et je me tassai encore un peu. Ses paumes ressemblaient à la pelle à neige de mon père. J'exagérais peut-être... un peu.

Il se baissa vers moi. Sylas et Gabin, ses deux complices, se tenaient derrière lui. Comme s'il avait besoin de deux crétins supplémentaires pour m'intimider. Lui seul suffisait à me faire trembler.

— Bah alors, schtroumpf à lunettes, t'as perdu ta langue ?

Qu'est-ce que je pouvais détester ce surnom ! La boule dans ma gorge grossit, je ne pouvais pas articuler un son. Je reculai malgré moi sous la pression de leurs regards vicieux. Enfin, ceux des deux acolytes. Guillaume, lui, souriait toujours. Ça me fichait les jetons lorsqu'il faisait cette tête, ses yeux brillaient et ses joues rougissaient légèrement, on aurait dit que me traumatiser l'excitait.

Ils m'acculèrent dans le renfoncement du restaurant scolaire, l'angle mort de la cour où les surveillants ne pouvaient pas les repérer.

— Alors ? Il va falloir que je te bouscule, ou tu me donnes ce que je veux ?

Un froncement de sourcil vint perturber son expression ravie. Le cœur au bord des lèvres, je me défis de mon sac à dos. Après avoir bataillé avec la fermeture Éclair, je le fouillai et en tirai un paquet de feuilles.

— Bien, c'est bien.

Guillaume les attrapa et les parcourut rapidement avant de s'appuyer contre le mur de la cantine. Je refermai mon sac et m'apprêtai à me relever, quand un coup de pied me cueillit aux côtes. Le souffle coupé, je roulai au sol sous les rires moqueurs. Sylas se tenait près de moi, tandis que Gabin me fixait d'un air menaçant.

— C'était trop lent, boulet. Tu me les donneras dès ton arrivée, la semaine prochaine. Si jamais je dois encore venir te chercher comme ça... menaça Guillaume. Tu sais ce qui t'arrivera, n'est-ce pas ?

Je hochai la tête, les larmes aux yeux. Ils me crachèrent encore quelques insultes avant de s'éloigner en s'esclaffant.

***

Les feuilles à la main, Guillaume carra les épaules. Il inspira l'air frais et jeta son dévolu sur un banc. Il s'y laissa tomber, tandis que Sylas se posait à côté de lui. Gabin resta debout, il surveillait. Un vrai chien de garde, celui-là. En même temps, c'était le minimum que Guillaume attendait de lui. Guillaume tendit les devoirs à Sylas.

— Tiens, recopie vite fait.

— T'en veux pas ? s'étonna son pote.

Il haussa les sourcils, et Sylas baissa la tête.

— Pardon.

Guillaume ricana. Il n'avait jamais eu besoin des devoirs d'Adrien. Il était assez intelligent pour les faire lui-même. Mais ça, le schtroumpf à lunettes ne s'en rendait pas compte. Ah... qu'est-ce qu'il pouvait aimer ça !

En balayant la cour du regard, Guillaume posa ses coudes sur ses genoux et cala son menton dans ses mains. Ainsi, il dissimulait son sourire.

Le schtroumpf à lunettes ne s'était pas encore relevé. Guillaume retint un rire. La terreur éclatait sur son visage lorsque Guillaume se penchait sur lui. Délectable.

Chaque minute de ce moment entre eux, le lundi matin, donnait des frissons à Guillaume. Une délicieuse décharge d'adrénaline le parcourait, quand il voyait Adrien frémir.

Et puis, pendant la semaine, le schtroumpf à lunettes se décomposait, chaque jour un peu plus. Guillaume assistait à la montée de son angoisse avec l'impatience d'un enfant qui attendait Noël.

Oh oui ! Tous les lundis matin, c'était Noël pour lui.

***

Mes côtes me faisaient mal, mon jean était taché et mon sac renversé. Je soufflai fort pour me reprendre. Le contrôle de maths de ce matin me revint en mémoire. Je ne pouvais pas rester comme ça. Tant bien que mal, je me relevai et croisai mon regard dans la vitre de la cantine.

Mes lunettes étaient de travers, je les redressai et contemplai mes yeux verts écarquillés. Leurs pupilles dilatées reflétaient la panique qui me faisait tressaillir. Je rajustai mon t-shirt noir, il pendouillait sur mes épaules maigrelettes. Je distinguai un trou dans la manche. C'était mon haut préféré, avec la DeLorean qui volait vers le futur.

Je me courbai sans pouvoir m'en empêcher. J'étais petit, mais si j'avais pu disparaître, ça aurait été encore mieux. Un dernier coup d'œil m'apprit qu'un nouveau bouton était apparu sur mon nez.

Une journée magnifique, en somme !

Je soupirai et enfilai les bretelles de mon sac quand la sonnerie retentit. Enfin !

Je me traînai jusqu'au rang de la 3e B. Ludovic me fit un signe discret, les autres m'ignorèrent. C'était bien le seul de la classe qui me parlait encore. On mangeait de temps en temps ensemble. Je ne savais pas pourquoi Guillaume ne lui avait pas mis le grappin dessus. Chanceux. Il prenait plaisir à m'isoler des élèves, comme si je lui avais fait quelque chose en particulier.

Guillaume me jeta un regard ironique avant de se tourner vers ses potes. Tu parles. Comme j'aimerais être fort pour pouvoir l'envoyer bouler ! À chaque confrontation, la peur m'écrasait la gorge. J'étouffais et n'arrivais ni à parler ni à me rebeller. Je voyais bien que ma terreur lui plaisait. Il souriait tellement dans ces moments-là que je ne m'y trompais pas. Comment pouvait-il prendre du plaisir à torturer quelqu'un ?

Mon quotidien se dégradait un peu plus à chaque semaine qui s'écoulait. Je voulais tant résister, mais j'avais l'impression que ma langue se figeait dès que je tentais d'en parler à mes parents. Au fond de moi, je pensais qu'ils ne pouvaient rien faire. Ça se passait au collège, pas à la maison.

Les profs ? Ils ne voyaient rien. Guillaume jouait si bien le petit élève modèle qu'ils ne remarquaient pas ce qui se déroulait sous leur nez. Et puis, il était largement assez malin pour agir en toute discrétion.

Depuis son arrivée au collège en janvier, ma vie avait basculé. Il avait commencé par installer sa clique, et l'ambiance dans notre groupe s'était dégradée. Peu de temps après, il s'était mis à me harceler et à me réclamer mes devoirs.

Tous les lundis, c'était la même chose : je devais lui apporter les travaux de la semaine. Refuser ? J'avais bien essayé, au début. J'avais eu le droit aux menaces, aux coups, aux petites ruses dans le dos de tous. Alors, désormais, je m'y pliais et y gâchais tous mes week-ends. Le positif dans tout ça ? Mes notes atteignaient des sommets, et j'obtenais même les félicitations des professeurs.

Les autres de la classe, quant à eux, étaient divisés : les groupies – après tout, il était beau gosse et dominant – et les lâches, comme moi.

Certes, j'avais toujours été le petit à lunettes bon à l'école, jamais un gars populaire. Là, j'étais le petit à lunettes, premier de la classe ET souffre-douleur du mec le plus cool de la bande. Et encore, à moi, il ne demandait que les devoirs, me bousculant un peu au passage. Certains n'avaient pas ma chance.

Le prof arriva, nous nous mîmes en marche et quelqu'un me frôla. Un parfum de lilas chatouilla mes narines. Elle passa à côté de moi et je m'imprégnai de son odeur.

Oui, tous n'avaient pas ma chance.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top