6. Le plus beau spectacle d'Arabie
Une petite réunion se tenait dans la salle du trône du palais royal ce matin-là. Le sultan avait convoqué son vizir afin d'obtenir des explications sur sa conduite envers la criminelle qu'il avait faite condamner la veille. Jazmin était également présent, le visage fermé, les bras croisés. Il était entièrement vêtu de noir, comme en deuil, en hommage à la disparue. Rafar prit ceci comme une provocation. Il se prosternait, écoutant à moitié ce que disait le sultan. Il était toujours aussi élégant que d'habitude, personne ne pouvait discerner les vilaines cernes sous ses yeux qu'il avait camouflées. Souvenez-vous, il avait eu une nuit abominable.
- Rafar, votre conduite a été intolérable ! S'il n'y avait pas toutes ces années de bons et loyaux services derrière vous, je... Diantre, que le châtiment aurait été terrible ! Vous vous devez de m'avertir des arrestations par ma garde et de discuter des sentences des prisonniers avec moi... Avant de les faire décapiter !
Il sanctionnait si rarement ses sujets qu'il ne savait choisir ses mots. Rafar n'était point d'humeur du tout à se coltiner un sermon de la part de son souverain. Alors il joua avec sa seule corde sensible :
- Pardonnez-moi, Votre Grandeur. Je ne sais ce qu'il s'est passé... J'avais entendu que le prince avait été enlevé et j'ai agi sensiblement ! Je suis sincèrement confus.
Voilà une excuse que le sultan voulait bien entendre, mais qui ne plut guère au prince. Il se sentait suffisamment mal de ce qui était arrivé à la jeune femme qui l'avait aidé au marché et le vizir sous-entendait qu'il était aussi responsable que lui. Il serra les poings.
- Je vous assure, Majesté ; cela ne reproduira plus !
- Bon...
Cela suffit au sultan pour qu'il adresse un sourire à son fils, lui indiquant que tout était réglé !
- Jazmin. Rafar. Maintenant laissons ce regrettable incident derrière nous !
Jazmin ne bougeait pas. Un "regrettable incident" ? Était-ce ainsi que son père décrivait un meurtre !? Une erreur irréversible, un acte barbare, voilà ce que c'était à ses yeux ! Et son père allait laisser cet homme s'en tirer ainsi ?? Il ne décolérait pas. Rafar s'en aperçut et vint humblement lui baiser la main :
- Je réitère mes plus plates excuses auprès de vous, Prince.
Il se retint de lui présenter ses vicieuses condoléances.
- Combien d'honnêtes gens avez-vous fait exécuter sans leur donner la possibilité de se défendre ?
Silence. Un point pour lui. Rafar se redressa et ils se fusillèrent du regard. Le sultan ne savait plus où se mettre.
- Prince, je comprends que vous ayez été chamboulé et j'en suis navré. Avec ce mariage arrangé, il est naturel que vous ayez eu l'envie d'aller vous promener en ville pendant que vous le pouviez encore...
Comme prévu, l'évocation du mariage fit oublier au sultan la question qu'avait posé Jazmin ! Ce dernier se raidit.
- Je ne suis pas encore marié ! articula-t-il.
- Certes, excusez-moi, il est vrai que ce n'est plus qu'une question de jours... Votre Altesse, si vous avez le moindre doute ou la moindre peur, venez vous conseiller auprès de moi plutôt que de fuir le palais. Imaginez l'inquiétude de votre illustre père, il aurait pu vous arriver malheur... Je pourrais renforcer les gardes, mais sachant qu'il y en a déjà à chaque porte... Comment installer plus de mesures à votre sécurité ?
Il fit mine de réfléchir. Il avait brillamment tourné la situation à son avantage ! Un point partout : Rafar, devant le sultan, faisait mine de ne se soucier que du bien-être du prince et le rappelait à l'ordre ! Il jouait le faux prévoyant pour s'attirer toujours plus de reconnaissance, quel être ! Le sultan méditait sur les propos de son fidèle serviteur.
- Jazmin, tu n'avais pas l'autorisation de sortir hors du palais... Tu en as désormais la stricte interdiction !
Le prince ne réagit pas. Il avait imaginé recevoir ce genre de sanction pour s'être enfui, mais pas maintenant ! Pas quand ils étaient censés faire comprendre au vizir qu'il n'était point le chef ici ! C'était trop injuste. Il tenta de se convaincre que la ville ne l'intéressait plus maintenant que l'inconnue n'y était plus... Et n'y reviendrait jamais ! Il bouillonnait entièrement. N'aurait-il pas le dernier mot cette fois encore ? Depuis combien de temps son père se faisait-il manipuler si aisément ? Et cet infâme vizir n'en avait pas fini :
- Bientôt, vous monterez sur le trône (il se garda bien de lui dire lequel !), vous devez montrer du respect pour la couronne, faire régner la paix, gouverner les manants, sinon comment le peuple vous respectera-t-il ?
Jazmin vira au rouge : sa sauveuse, traitée de manante ? Il tourna la tête vers son père, qui buvait les sages paroles de son vizir.
- Votre Altesse, est-ce que vous m'écoutez ? minauda-t-il.
- Je suis fatigué de vous écouter, Rafar !! lâcha-t-il.
Même les gardes à l'entrée se retournèrent pour s'assurer que c'était bien leur prince qui avait prononcé ces mots avec tant d'assurance ! La voix de Jazmin résonnait comme jamais auparavant !
- Si je dois devenir sultan, je suis libre de faire ce que je veux ! Et croyez bien que les traditions royales se plieront à mes commandements, tout comme vous !
- Les traditions, comme vous l'avez dit, ont toujours été ainsi dans notre...
- Les temps changent ! coupa-t-il, en plantant son regard dans celui du vizir. Par ailleurs, en tant que futur roi, je vous prierais de vous adresser également à moi avant d'arrêter les gens de mon peuple et de prononcer vos odieuses sentences ! Et c'est à vous de respecter la couronne !
Sur ce, il partit. Surpris, mais guère convaincu, par l'aigreur du prince, Rafar haussa un sourcil. Le sultan était dans tous ses états : son cher fils et son fidèle conseiller disaient tous deux des choses justes, mais il ne pouvait choisir de camp.
- Je... Ce... Excusez-le, Rafar, cette... Mésaventure l'a beaucoup tourmenté, il...
- Je vous en prie, Majesté, le prince a simplement besoin de calme.
- Comme vous êtes bon !
Rafar s'inclina et disposa.
Dans les couloirs, Rafar fulminait ! Si seulement il avait gardé la lampe ! Il aurait été sultan à l'heure qu'il était et ce prince rebelle lui servirait du vin dans une coupe en cristal qu'il aurait lui-même astiquée ! Mais elle lui avait échappé ! Encore ! Et tout était de la faute de cette mendiante au cœur pur ! Il avait tenté de recreuser dans le désert, interrogé sa boule de cristal, en vain ! Rien ! Il n'avait plus rien ! Son plan avait échoué ! Si près du but !
- Le fond de teint ne trompe personne...
Rafar se retourna : Oriam, suivie d'une servante à la tête baissée, apparut de derrière une colonne de marbre. Il vérifia rapidement si personne n'était dans les parages.
- On a passé une mauvaise nuit ? On s'est fait passer un savon ? Ou on a enfin découvert que les sortilèges ne fonctionnent pas ?
Les talents de maquilleur du vizir pouvaient donc duper tout le palais sauf cette reine. Ils se firent face.
- Qu'est-ce que cette histoire ? Le prince se serait enfui pour fuir le mariage ?
- Je sentais bien qu'il fallait le marier jeune...
- Je n'ai même pas encore renouvelé ma demande !
- Elle est aisée à deviner.
- Et ce n'est pas en vous brouillant avec lui que vous m'aiderez à l'approcher !
Rafar jeta un coup d'œil à la servante immobile et jugea qu'elle était une espionne fort efficace.
- Il s'avère que...
- Nous avions un marché !
- Et je le tiens ! Je me suis débarrassé de vos rivales. La dernière ne date pas plus tard qu'hier, justement !
- Pardon ?
- Il se trouve que le prince s'est entiché d'une femme rencontrée en ville.
- Une femme en ville ? Vous voulez dire... Une gueuse ?? s'étonna la reine, les yeux ronds.
- Exact. Mais elle ne vous causera plus aucun problème.
- ... Bien... Et maintenant ?
- Le dîner de ce soir est toujours d'actualité.
- Formidable...
- Je vais pousser le sultan à vous donner son fils.
Valait mieux elle qu'une autre, car Oriam emporterait le prince dans son pays et le cloîtrerait. S'il restait pour devenir seigneur d'Arabie, pour sûr il se débarrasserait de lui ! Oriam se rapprocha de lui et le prévint :
- J'espère bien... Sinon, je ferai enlever le prince et brûler ce palais !
Il hocha la tête. Brûler sa future demeure, quelle folle ! Après un dernier échange de regards, ces deux vipères se séparèrent.
. . . . .
Plus loin, au fin fond du désert, le tapis que je guidais se posa au centre d'une luxuriante oasis. Si tôt qu'il le put, Nobu partit grimper à un dattier, tandis qu'Ali' et Tapis se dépoussiéraient du reste de sable qu'ils avaient sur eux. J'étais content de lui avoir prouvé mes incroyables pouvoirs en dehors de la caverne aux merveilles !
- Ha ha, alors, que dis-tu de ça, hein ? Ça t'en bouche un coin !
- Moui, c'était plutôt impressionnant... Et si on reparlait de mes trois souhaits ?
Elle rigolait ??
- Aurais-je mal entendu ? Trois souhaits ? Mais tu viens d'utiliser le premier, ma chère !
- Non, non, non, je n'ai pas dit que je voulais que tu me sortes de la caverne. Tu as fait ça toi-même.
Le pire, c'est qu'elle avait raison ! Oh, quelle bourde ! J'étais rouillé ! La fourbe ! Elle allait me faire devenir chèvre !
- Bien joué... Mais tu ne m'y reprendras pas !
Elle rit et se mit à réfléchir :
- Trois souhaits... Ils doivent être bons... Nobu, tu as une idée ?
Ce dernier jeta une branche de dattes à nos pieds et cracha ses noyaux aux alentours. Des claques se perdaient !
- Qu'est-ce que tu souhaiterais, toi ? demanda-t-elle au tapis.
Il haussa ses pompons. Puis elle se tourna vers moi :
- Et toi ?
- Moi ? Personne ne m'avait jamais demandé avant... Eh bien, dans mon cas, mon rêve... Non... Rien, oublie...
Je préférais me taire avant de m'emballer (encore !).
- Quoi ?
- Non, je ne peux...
- Aller, dis-moi !
J'inspirai un grand coup et avouai :
- La liberté.
Ali' prit la lampe dans sa poche et l'inspecta.
- Tu es prisonnier ?
Je lui montrai mes deux grands bracelets dorés.
- C'est la croix qu'il faut porter quand on est génie : on a tous les pouvoirs de l'univers en étant enfermé dans une toute toute petite lampe.
- Pauvre génie, c'est affreux...
Elle était sincère et j'en fus touché.
- Être libre... Et ne plus devoir servir quiconque ! Devenir mon propre maître ! Ce serait plus merveilleux que toute la magie et tous les trésors du monde ! Mais qu'est-ce que je raconte, 'faut que je redescende ! Ça n'arrivera jamais.
- Pourquoi pas ?
- Le seul moyen pour me libérer serait que mon maître souhaite ma liberté. Tu devines si ça m'est arrivé souvent...
- Je le ferai ! Je te libérerai ! fit-elle en haussant ses frêles épaules.
- C'est cela, oui...
- Non, vraiment, je t'en fais la promesse ! Après avoir fait mes deux premiers vœux, j'utiliserai le troisième pour te libérer !
Cela dit, elle me tendit la main pour conclure cet inhabituel marché ! Je l'observais, méfiant. Elle, utiliser un vœu pour moi !? Je n'en revenais pas ! L'occasion était trop belle et, bien que je n'en croyais pas un mot à l'époque, nous nous serrâmes la main ! Enfin, je fus prêt à exaucer ses premiers souhaits !
- Maintenant, faisons un peu de magie ! À toi de jouer : qu'est-ce que ton cœur veut plus que tout au monde ?
Elle ne mit pas longtemps à répondre :
- Eh bien, il y a... Ce garçon...
- Stop ! Je ne fais pas tomber les gens amoureux, souviens-toi !
- Mais Génie, il est si intelligent, si plaisant, si...
- Joli garçon ?
- Beau comme un dieu ! Il a de ces yeux... Des cheveux si... Et son sourire !
Elle le visualisait et rougissait. J'étais vraiment tombé sur la plus innocente des maîtresses et ça me faisait sourire. Elle se ressaisit.
- Mais c'est aussi le prince d'Abraca...
Évidemment.
- ... Et je n'ai pas la moindre chance, à moins d'être...
Je vis son regard s'illuminer. J'aimais ça !
- Je dois être une princesse ! Ha ha, c'est ça ! Génie, je sais ce que je veux faire avec mon premier souhait ! Je veux devenir...
- Hep hep hep, une petite leçon avant ça ! Apprends à bien formuler tes vœux !
- Que veux-tu dire ?
- Je vais faire absolument tout ce que tu me demandes, alors pense aux détails. Un jour, un de mes maîtres voulait transformer tout ce qu'il touchait en or ! Je l'ai fait. Il a essayé son pouvoir sur quelques objets, ça a marché, et ce petit malin, fier de lui, a mis ses mains sur ses hanches. Je te laisse imaginer ce qu'il lui est arrivé.
- Aïe...
- Ou, il y a très très longtemps, un homme a souhaité que je le rende irrésistible aux yeux de toutes les femmes ! Souhait exaucé. Il était donc poursuivi matin et soir par une foule d'admiratrices. Dont sa mère et ses sœurs !
- Attends une minute, je croyais que tu ne faisais pas tomber les gens amoureux !
- C'est le cas. Il n'y a hélas pas toujours de sentiments dans l'attirance. Ne confonds pas désir et affinité.
Elle cogita un instant sur ces leçons.
- Pour être bref : sois claire ! Je t'écoute !
- Génie, je souhaite que tu fasses de moi une princesse !
Souhait numéro un : fait !
- Adjugé ! C'est parti ! On va commencer par un sérieux relookage !
Je me vêtis illico comme un styliste et fis apparaître un atelier et un dressing dignes de reines ! Puis je fis le tour d'Alijah. Elle avait un certain charme, mais pour conquérir un prince, cela n'allait pas suffire. Je soupesai sa natte. Lui fis dresser le menton. Constatai ses petits seins, son derrière cambré, ses pieds sales. Pris son tour de taille et remarquai combien elle était mince.
- Tu es au courant que les hommes, et les femmes, préfèrent les formes ? Les femmes qui ont l'air en bonne santé, d'aimer les bonnes choses, le réconfort, pleines de joie, de rondeurs, d'arrondis ! Comme les danseuses de ventre ! Avec des formes qui débordent comme un adorable muffin ! Tu sais à quoi ressemble un muffin quand même, c'est un -ah, non, pardon, c'est vrai...
J'oubliai qu'elle ne mangeait que très très rarement des gâteaux. Je me repris. Puis je claquai des doigts et ma magie opéra ! Alijah n'était plus Alijah la voleuse des rues mais Alijah la sublime princesse ! Transformée, elle était divine ! Elle avait une coupe de cheveux rouge comme une grenade, un long carré ondulé impeccablement taillé. Ses haillons n'étaient plus : elle portait un élégant costume bleu, finement brodé d'or, avec un corsage aux armatures métalliques qui mettait sa petite poitrine en valeur et un pantalon bouffant. Elle avait également plein de riches bijoux partout sur elle ; maintes boucles d'oreilles en rubis, des colliers garnis de pierres précieuses, de lourds bracelets d'or et des perles multicolores aux chevilles. Son maquillage frais lui faisait une peau de pêche, des yeux de biche et des lèvres écarlates et cachait toute trace de sa vie d'avant. Pour la touche finale, je plaçai un long et délicat voile de la meilleure qualité sur sa tête. Satisfait, je lui présentai un miroir et elle resta de marbre tant elle ne se reconnut pas. Mais elle se plut. Elle s'admira un moment et s'entraîna à se présenter naturellement :
- Prince... Princesse... Jazmin... Je suis princesse... Enchantée... Je suis...
- Parfaite ! Au tour du macaque !
- Hein ?
- Une princesse ne peut décemment pas pénétrer dans un palace accompagnée d'une si petite et si sale boule de poils ! Laisse-moi faire !
Je fis craquer mes doigts et menaçai Nobu du regard. Celui-ci était encore dans l'arbre et nous regardait avec effroi. Je suis sûre qu'il lâcha un petit «Oh-oh» en préparant mon sort. Il hurla et bondit de sa branche mais Tapis -gloire à lui- le chopa par la queue et me le présenta ! Le singe le griffa en poussant de grands cris, je l'ignorai.
- Une princesse digne de ce nom doit arriver en ville avec un super cortège ! Et pour ça, elle doit en mettre plein les mirettes, elle a besoin d'exotisme, d'animaux sublimes et donc...
Un éclair magique frappa l'animal et le changea en grand éléphant gris ! Le tapis et Alijah l'admirèrent.
- Wouah, Nobu, tu es superbe !!
Ce dernier regarda ses pattes de pachyderme et loucha pour voir sa trompe... Puis il grogna dans ma direction. Je l'ignorai : j'avais encore du travail !
- Tu veux devenir une princesse, tu vas voir !
La terre se mit à trembler et tous se raidirent.
- On va faire une entrée en grande pompe inoubliable à Abraca !!
. . . . .
Pendant ce temps-là, au palais, le sultan cogitait sur la discussion du matin-même. Il s'en voulait de la tournure qu'elle avait pris : il avait puni Jazmin. En y réfléchissant, il n'y avait aucune différence entre sa vie avant sa fugue et maintenant ; il était toujours enfermé, il ne voyait jamais personne... Mais c'était pour sa sécurité ! Jusqu'ici, il l'avait toujours accepté et ne l'avait jamais déçu. Mais était-il vraiment déçu ? Son fils s'était emporté contre son vizir, avait-il eu tort ? Il n'avait jamais soupçonné ce caractère. Après tout, en tant que futur sultan, il devait savoir s'imposer. Et lui, s'imposait-il assez ? Rafar pénétra dans la pièce, le coupant dans ses pensées.
- Votre Majesté, pourrais-je m'entretenir un moment avec vous ? C'est au sujet du prince.
Le brave homme accepta immédiatement et Rafar s'approcha, bien droit, les doigts joints.
- J'ai peut-être une solution à vos tourments.
- Vous m'avez toujours été de précieux conseils, je vous écoute ! fit le sultan, tout ouïe (quand j'y repense, il me fait de la peine).
- Le prince a déjà réussi à s'enfuir une première fois, malgré les forces déployées à sa constante surveillance...
- En effet, c'est pour cela que dorénavant il y aura un tour de garde sous ses fenêtres et une ronde autour des murs du palais à chaque heure de la nuit !
- C'est une bonne nouvelle, Majesté... Néanmoins, je pensais également au besoin du prince et à son désir de voir de nouveaux horizons...
- Impossible ! Vous savez très bien que la dernière fois que la famille royale est sortie en ville, mon...
Sa voix se brisa et il implora du regard son vizir de ne pas lui demander de finir sa phrase. La perte de ses enfants et son incapacité à en protéger plus d'un le rongeait toujours.
- Hélas, oui, je me souviens. C'est pour cela que je pensais à des horizons plus... Lointains.
- Comment ça ?
- Votre fils et la reine Oriam sont destinés. Elle pourrait l'emmener voir son pays, elle qui possède la plus grande armée de tout l'Orient. Cela lui ferait prendre l'air, il le désire tant !
Le sultan écarquilla les yeux et bafouilla :
- Enfin... Rafar... Jazmin n'est pas encore marié et... Je... Oriam ne... Je veux dire... Non, je veux pas éloigner mon fils de moi...
- C'est un homme. En âge de se marier.
- Oui, mais... Il n'est pas... La reine est une grande dame, je l'estime beaucoup, elle a de grandes qualités, mais... Voyez-vous... Je ne veux, je ne peux forcer Jazmin à épouser une femme qu'il n'aurait pas choisi lui-même...
- Si je puis me permettre, à ce rythme-là, dans dix ans nous y serons encore !
- C'est que... Il n'apprécie guère la reine... J'espérais qu'il change d'avis, mais...
- Raison de plus : ils pourraient apprendre à mieux se connaître là-bas.
- Je ne suis pas sûr... Vous savez, je ne crois pas aux absurdes rumeurs sur la reine Oriam mais, hé hé, je vous avoue ne pas avoir non plus une confiance absolue en elle... Je préfère la savoir ici, pour devenir la reine de notre pays, que chez elle avec mon fils qui ignore tout de ses terres...
- Si votre Majesté souhaite les accompagner afin de garder un œil sur ses attentions, qu'elle sache que je serai pleinement dévoué à...
- Non, non, je ne veux pas quitter l'Arabie. Mon fils sera sultan après moi et...
- Ça suffit ! pesta Rafar.
Il haïssait entendre ce genre de phrase ! Perdant toute patience, il ôta un sautoir dissimulé sous ses vêtements de son cou et le plaça sous les yeux de son dirigeant. Une pierre rougeâtre pendait au bout de cet étrange collier, que Rafar faisait vivement balancer de gauche à droite.
- Mariez le prince à la reine !
Le sultan suivait des yeux le bercement du joyau et se fit hypnotisé. Pour la énième fois. Rafar avait toujours un as dans sa manche !
- Votre fils doit épouser Oriam et déguerpir de mon royaume !
- Mon fils... Doit...
Un bruit de trompette retentit à ce moment-là, rompant le charme ! Surpris, Rafar rangea son médaillon dans son poing et attendit les gardes qui se ruèrent dans la salle des trônes. Le sultan reprit ses esprits.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Nous l'ignorons, votre Majesté.
Tous tendirent l'oreille. Des bruits sourds de tambours fendirent le silence.
- Une attaque ?
- De la musique ! D'où cela provient-il ?
Il se dirigea vers sa fenêtre, suivi par ses serviteurs, et alla sur son balcon. La musique semblait venir de partout. Il réclama son monocle et observa la cité : tous ses sujets entendaient également les sons d'instruments et les cherchaient du regard. Puis il distingua une foule se séparer pour dégager le passage. Il reconnut Hakim courir vers le palais, essoufflé.
- Majesté ?! Majesté ?! Majesté, au rapport : la princesse Alla Dounia arrive à Abraca !
Tout le monde se consulta du regard : qui ?
Les citoyens d'Abraca avaient aperçu notre cortège à des kilomètres de là. Le bouche-à-oreille que j'avais crée portait ses fruits et toute la ville se préparait à notre arrivée ! Enfin, une "arrivée"... Notre spectacle triomphal !!
Toute la population se rassembla en troupeaux dehors. Tout le monde s'écarta, se plaça le long des bâtisses ou en hauteur et la plus grande rue nous fut réservée. Et pour cause ! Ceux qui nous aperçurent en premier crièrent de surprise !
Jamais ils n'avaient vu ça ! Une troupe de soldats ouvrait notre marche. Ils portaient tous une armure orientale rouge et dorée. La première rangée présentait, au bout de leurs lances, un drapeau blanc sur lequel était brodé un soleil dans lequel il y avait un croissant de lune et un œil. Notre emblème (inventé pour l'occasion). Les soldats de la seconde, troisième, quatrième, cinquième et sixième rangées avaient des bracelets de grelots aux poignets qu'ils faisaient gracieusement tinter en rythme. Derrière eux, des tambours étaient accrochés aux tailles des hommes de la septième, huitième et neuvième rangées. Leurs baguettes étaient levées, prêtes à refrapper. Et les deux dernières rangées contenaient les trompettistes. Ils jouèrent tous ensemble le même refrain que toute la cité avait entendu depuis notre annoncée.
- Faites place... clamèrent-ils.
Puis ils se rangèrent pour laisser les plus séduisants danseurs et danseuses du monde exécuter leur chorégraphie endiablée, en valsant avec de longs rubans. Pour les accompagner, des jets de confettis, de paillettes jaillissaient de partout. Tous les habitants d'Abraca applaudissaient, charmés ! Les soldats encore méfiants de cette arrivée imprévue lâchèrent les pommeaux de leurs sabres. Le sultan lui-même se régalait du spectacle et dandinait sa tête au rythme de notre musique. Rafar jaugeait tout ceci avec un regard mauvais. Alertée, la reine Oriam, qui n'aimait pas être importunée pendant son déjeuner, vint se mettre devant sa fenêtre et observer la fanfare. Elle fronça les sourcils.
Les danseurs se retournèrent tous et ployèrent le genou.
- ... À notre Grâce...
Clochettes, tambours, trompettes rejouèrent leur couplet. Dérangé pendant sa répétition de rebec, le prince Jazmin, avec sa garde rapprochée, avait rejoint son père pour comprendre ce vacarme. Content de sa présence, le sultan se jura de remercier la responsable de ce spectacle pour les avoir diverti !
Plusieurs cracheurs de feu vinrent se placer devant pour accomplir leur tour sous les yeux ébahis de tous. Des cris d'émerveillement fusèrent dans tous les sens quand les flammes s'évanouirent et laissèrent voir ce qu'il y avait derrière.
- ... Alla Dounia !
Arriva enfin celle que tout le monde attendait : sur un gros coussin de plumes coloré, posé sur le plus grand éléphant que personne n'avait jamais vu, se tenait Alijah, alias Alla Dounia, princesse de Bah ! Elle souriait à la foule, dissimulant le malaise d'être le centre de l'attention. Tous nos "intervenants magiques" firent une révérence en sa direction et reprirent leur spectacle ! Des jongleurs encadraient l'éléphant. Quand à moi, je me glissais parmi les citoyens pour les faire répéter toutes les rumeurs concernant Alla Dounia, qui ne tardèrent pas à être entendues par tous :
- Elle a repoussé toute une armée de pirates !
- C'est une superstar !
- Elle est très instruite !
- Son pays est reconnu pour son incroyable architecture !
- Et ses réserves d'animaux sauvages !
- Tout le monde donnerait sa vie pour elle !
- Elle est jeune, belle et célibataire ! Elle vient tenter sa chance auprès du prince !
Oriam brisa sa coupe de vin dans sa main.
Une dizaine de gorilles, de chevaux, de chameaux et de lions dressés se frayèrent un chemin devant Nobu l'éléphant et firent retentir leurs cris. Ils avaient tous un collier rouge et se postèrent tous en même temps sur leurs deux pattes arrières pour se faire admirer et reprirent leur virée. Ils étaient magnifiques.
- Alla Dounia !!!
Tout le monde l'acclamait. Ceux qui avaient méprisée, maltraitée, oubliée Alijah, glorifiaient Alla Dounia, ses danseurs et sa ménagerie ! Sur les toits, des garçons de tout âges l'appelaient et lui envoyaient des baisers. Elle leur faisait coucou timidement de la main. Ce fut au tour des volatiles, paons et autruches, de se montrer et d'exhiber leurs remarquables plumes. Le sultan, comme un enfant, tapait des mains pour encourager les musiciens. Déjà las, Jazmin leva les yeux au ciel et repartit. Sa garde aurait bien voulu rester, mais elle dut le suivre.
Perchée, Alijah vit de jeunes enfants maigres en haillons dévorer du regard ses somptueux habits. Sans hésiter, elle plongea les mains dans les sacs de pièces d'or à ses pieds (initialement prévus en offrande à la famille royale, mais bon, tant pis, j'allais en refaire) et jeta aux bambins, et à tous, assez d'argent pour se nourrir pendant une semaine.
Des lamas et d'autres serviteurs fermaient le cortège, chargés de cadeaux ; des sacs pleins de trésors, des plateaux d'épices, des bouquets de fleurs, de fruits, d'étoffes, de plats cuisinés... Nous approchions du final !
Les portes d'entrée du palais s'ouvrirent toutes seules (enfin, grâce un de mes claquements de doigts !) et la première rangée de soldats s'engouffrèrent dans les gigantesques jardins royaux pour préparer notre venue ! Tout excité, le sultan quitta son balcon et se précipita à notre rencontre, Rafar et sa garde à sa suite. La musique battait toujours son plein. Les danseurs et les acrobates pénétrèrent dans les jardins et continuèrent à danser, enchantant les jardiniers. Je me transformai en l'un d'eux et les rejoignit. Tous les animaux gagnèrent les écuries. Nobu s'arrêta au seuil et se baissa. Alijah monta sur sa trompe, il la déposa sur les épaules de deux grands beaux gaillards qui la portèrent jusqu'aux marches du palais, où l'attendait le sultan, tandis que tous ses serviteurs se placèrent correctement derrière elle.
- Son altesse, la princesse Alla Dounia !
Un coup de cymbale et un envol de perroquets multicolores clôtura notre entrée !
- C'était merveilleux !
Les yeux du sultan pétillaient.
. . . . .
Dans la salle du trône, Alijah faisait face au sultan. Il souriait jusqu'aux oreilles, la tête encore pleine de notre mélodie jouée plus tôt. Rafar était deux pas derrière lui, les mains derrière le dos, et nous fusillait du regard. J'étais à côté de ma maîtresse, changée en élégante dame de compagnie. Le gouverneur d'Abraca renouvelait ses compliments sur notre spectacle d'arrivée.
- Votre Majesté, fit solennellement Alijah avec une révérence. J'ai voyagé de loin pour vous demander la main de votre fils !
Comme elle allait vite en besogne ! Une seconde ! Je l'avais prévenue qu'il fallait vouvoyer chaque personne qu'elle rencontrerait et bien s'exprimer... Pas annoncer son objectif de but en blanc ! C'était trop rapide ! Je soupirai.
- Princesse Alla Dounia, je suis ravi de vous rencontrer ! Voici mon fidèle vizir Rafar, également enchanté de vous connaître !
- Extatique. appuya ce dernier, la mine sévère. Je regrette, princesse Ama Babouin...
- Alla Dounia. corrigea la concernée, fière de l'avoir bien prononcé.
- Qu'importe. Vous ne pouvez débarquer en parade dans notre cité sans y être invitée et espérer être accueillie en...
- Quel rabat-joie... intervint le sultan. Ses artistes ont du tant travailler pour nous offrir pareil spectacle qu'ils ont omis de nous prévenir, voilà tout, ça arrive, n'est-ce pas ?
Il souriait de toutes ses dents. Pour sûr, lui, on l'avait dans la poche ! Ou alors, il voulait à tout prix faire un tour d'éléphant. Dommage ; j'avais promis à Nobu que personne ne lui monterait dessus sauf son amie.
- Et d'où venez-vous ? De Bah, c'est cela ? Où est-ce ? reprit le vizir.
- Euh, fort loin, c'est, euh, plus loin que vous n'ayez jamais voyagé...
- Cela m'étonnerait... maugréa-t-il.
- Il est vrai que vous n'avez jamais beaucoup voyagé, Rafar ! Il est trop dévoué à son travail, n'est-ce pas ? Vous, princesse Alla....
- Appelez-moi simplement Ali', euh, Alla !
- Hi hi, fort bien, Alla. Vous m'avez l'air jeune, vive et pleine d'esprit... Et en âge de vous marier ! Quel parti intéressant vous faites !!
Alijah approuva par un hochement de tête. Rafar vira au rouge.
- Votre Majesté, hé hé, vous...
Il se baissa vers son oreille et lui murmura :
- ... Vous n'allez tout de même pas lui présenter le prince ?! Je n'ai pas confiance en elle, Majesté...
- Absurde ! J'ai toujours eu bon instinct pour décerner les bonnes et mauvaises intentions des gens.
Il ne fit pas le moindre commentaire. Le sultan reporta son attention vers la nouvelle venue.
- Jazmin aimera celle-ci ! assura-t-il, comme s'il parlait de l'accouplement de deux oies !
- Et je suis sûre que je l'aimerai aussi !
- Majesté, non ! Je me dois d'interférer au nom du prince ! Cette femme n'a rien de différent des autres ! Qu'est-ce qu'il lui fait penser qu'elle est digne du prince ?!
- Hum, Majesté, je suis la princesse Alla Dounia.
Wouah, quel argument.
- Laissez-le me rencontrer. Je gagnerai le cœur de votre fils !
- Ce n'est pas un prix à gagner ! fit une voix.
Nous nous retournâmes tous en même temps vers Jazmin, qui venait d'arriver de derrière un rideau, accompagné de Naya et de sa garde. Il avait bien appris à se faire discret. Il croisa les bras et nous détailla. J'entendis tout de suite les battements du cœur d'Ali' passer la vitesse supérieure ! Elle tripotait le bas de son voile sans s'en rendre compte.
- Jazmin ! Approche, mon garçon ! Je te présente la princesse Alla Dounia. Elle a fait tout ce chemin pour te rencontrer !
Il ne bougea pas.
- Sympathique, votre petit numéro en ville.
- Merci !!
- La princesse a très envie de faire ta connaissance, Jazmin ! Peux-tu...
- Absolument !! coupa-t-elle, surexcitée. Je veux vraiment... Oui ! Je... Tout ce que vous voulez !
- Voulez-vous m'accompagner faire un tour ?
- Bien sûr que ou-
- Oh, non, il est vrai, j'ai la stricte interdiction de sortir de l'enceinte du palais. Quel dommage. Pourquoi ? Parce que je me suis enfui la nuit dernière. Pourquoi ? Pour échapper à ça, justement ; un mariage forcé !
- Jazmin...
- "Arrangé". rectifia Rafar, mine de rien.
- Et Abraca est dangereuse ! Nos soldats, qui n'ont toujours pas été rappelé à l'ordre, frappent et arrêtent n'importe qui ! Et si quelqu'un vous vient en aide, cette personne est décapitée avant que vous ne leviez le petit doigt !
- Hein ?!
- Jazmin, s'il te plaît...
- Qu'y a-t-il ? Vous levez cette interdiction ? Parce qu'elle est là ? Pour vous débarrasser de moi, vous accepteriez que je sorte avec elle, alors que mon seul bon plaisir, il n'en est pas question ?
Le sultan baissa les yeux. Il ne méritait pas cet acharnement. Mais Jazmin était épuisé de se taire, de ne devoir rien dire à propos de son avenir, de son mariage, de la sécurité de son peuple... Il n'en pouvait plus de n'être qu'une marionnette, un pion. Tant pis s'il avait l'air malpoli, il ne se laisserait plus faire ! Que cette énième promise comprenne ce qu'il vivait !
Un léger malaise s'installa. Je vis Alijah ne pas lâcher son prince du regard, la bouche entrouverte, abasourdie. Il était donc si malheureux et c'est pour cela qu'elle l'avait rencontré déguisé au marché... Elle eut énormément de peine pour lui.
- Je... Je ne vous veux aucun mal... Tu... Je viens de très loin pour vous voir, j'ai... Je voulais m'assurer que vous alliez bien... Je...
Tout le monde la détailla, curieux. Je ressentais toute sa sincérité et pensais que toute cette histoire finirait prochainement bien. Plus rien n'existait autour d'elle sauf le prince.
- J'ignorais que vous... En fait... Je... Je suis... Ha ha, nous ne nous étions même présentés, je... C'est moi, Al-
- Bonjour à tous !
La reine Oriam débarqua à cet instant, derrière nous, et me bouscula en passant. Elle alla se placer près du sultan et du vizir puis fit mine de s'apercevoir de notre présence.
- Oh, bonjour à vous aussi. Vous êtes ?
- Euh, je, hum, prin... Alla Dou-
- Peu importe. Je suis Oriam, reine d'Afghanistan !
Elle s'approcha de ma maîtresse et lui tendit dédaigneusement la main pour qu'elle la lui baise. Heureusement, Ali' ne comprit pas et la lui serra amicalement ! Insatisfaite, la reine reprit sa place aux côtés du sultan.
- Cela faisait longtemps que personne ne vous avez vue. Qu'est-ce qui vous amène dans notre merveilleuse cité ?
- Je, euh... Apporter mes sympathies à... bafouilla Ali', sans relever le "notre", décontenancée par cette nouvelle invitée.
- Comme vous êtes aimable ! N'est-elle pas aimable ?
Elle parlait très fort avec une mine enjouée et se déplaçait dans tout l'espace comme si elle était chez elle, parfait pour attirer toute l'attention. Un peu plus et elle prenait le bras du sultan !
- Comme vous êtes jolie ! Vous devez être fort courtisée !
- Pardon ?
- Je dis que vous devez avoir mille et un princes à vos pieds ! Si vous n'êtes pas encore prise, je me permets de vous apprendre que mes cousins sont fous de vous ! Je leur écrirai que je vous ai rencontrée et nous organiserons un dîner avec eux ! Oh oui, il vous faut passer chez moi avec tout votre cirque, ça va en amuser beaucoup ! Toutes ces merveilleuses bêtes entassées dans votre zoo, au lieu de vagabonder où bon leur semble... Qui sont donc vos dompteurs ? Ou est-ce vous qui vous vous en chargez ? J'ai entendu dire que vous aviez la main lourde sur les coups de fouet. Mais on raconte que vous êtes une femme forte, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, ça me plaît ! Ce doit être les guerres qui vous entourent depuis tant d'années qui vous aient forgée ainsi, non ?
Je n'aimais pas du tout ses insinuations et je n'aimais pas du tout cette femme. Alijah, qui ne comprenait rien, avait la bouche et les yeux béants comme une carpe morte ! Tous attendait une réaction. Oriam avait réussi son coup : lui faire sentir qu'elle n'était pas à sa place. Comme si Ali' avait besoin d'elle pour s'en rendre compte ! Comment rivaliser ? Je lui mis un petit coup de coude.
- Les cadeaux. marmonnai-je.
- Quoi ?
- T'as des cadeaux !
- Ouais ! Hum, votre... Vos Majestés ? J'ai quelques petites attentions pour vous et...
Je tapai dans mes mains et nos servants se déployèrent et présentèrent des plateaux aux nobles présents. Le sultan saliva devant celui de friandises et Oriam détourna le regard, contrariée. Je me sentais mieux. Je désignai discrètement un coffret noir laqué et invitai Ali' à l'offrir au prince.
- Altesse ? J'ai pensé que ceci vous plairait.
Le serviteur s'inclina en présentant l'objet. Jazmin s'approcha nonchalamment sous les yeux de son père qui avait hâte de savoir de quoi il s'agissait. Ali' aussi. Le prince ouvrit la boîte : des centaines de petits diamants purs la remplissait. Des regards fusèrent de partout vers partout : Oriam et Rafar qui pensaient que la princesse voulait juste frimer avec sa richesse, le sultan qui attendait une réaction de son fils, ce dernier qui regardait Ali' et elle qui m'interrogeait du regard. Moi, j'étais fier de mon coup et je lui fis un petit clin d'œil pour la rassurer ! Ça ne marcha pas, elle ne comprenait pas pourquoi il y avait ces gemmes dans ce coffret. L'héritier plongea ses doigts parmi les diamants et les fit rouler dans sa main. Je pensais avoir eu l'idée du siècle. Jusqu'à ce que cette saleté de vizir ne voit là une occasion d'aisément nous humilier :
- Splendide, princesse ! Est-ce ainsi que vous souhaitez acheter notre cher prince ?
- Oh oui !
Je ne sais si elle n'avait pas compris la question ou pas réfléchis, mais je sais que jamais, de ma longue existence, je ne fus aussi gêné qu'à ce moment précis ! Le temps sembla s'arrêter, plus personne ne bougea. Jazmin, qui était malheureusement trop habitué à ce genre de commentaire pour en être outré, se contenta d'un regard las. Le sultan resta bouche bée. Ali' réfléchit quelques secondes, qui nous parurent à tous interminables, avant de réaliser l'énormité qu'elle venait de dire devant l'élite arabe ! Forcément, elle avait entendu un compliment en début de phrase qui l'avait flatté, puis le mot "prince" et elle avait dit n'importe quoi ! Rafar était fort, très fort... Détestablement fort ! Elle secoua la tête, comme si cela pouvait remonter le temps, et tenta de se rattraper :
- Vous, votre cœur ! Non, votre... Un tour ! Tout à l'heure, je... Vous... On... Pas comme si je voulais payer, je... Pas vous...
Dans leur coin, Rafar ne retint pas un haussement de sourcils et Oriam un petit sourire. On tombait vraiment bas, là !
- Je dois y aller.
- Jazmin, attends, la princesse ne...
- Oui, je n'ai pas réfléchis ! Revenez !
Elle s'enfonçait et j'en avais marre. Jazmin disparut par où il était venu. Je fixai le sol. Nous nous étions assez bien ratés pour une présentation ! Nous avions deux ennemis et un allié indécis. Ça s'annonçait difficile !! Dans quoi m'étais-je embarqué ?? Le bon sultan nous pria d'excuser son fils, je n'entendis pas l'explication qu'il nous donna et ma maîtresse non plus. Il nous remercia de notre visite, nous invita à son dîner et à rester pour au moins la nuit. Alijah accepta modestement puis on nous guida vers nos appartements. La salle du trône se vida lentement.
Restés seuls, les deux comploteurs nous regardèrent nous éloigner et se mirent d'accord sans se regarder.
- Je crois qu'il déjà temps de dire au-revoir à la princesse Alla...
- Ne vous en faites pas : elle aura disparu avant le lever du soleil.
«... Vous allez voir c'que vous allez voir ! Venez applaudir, acclamer...»
Alla Dounia vue par Miss Em' :
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