2. Bordeaux-Lilas


« Votre correspondant n'est pas disponible pour le moment, veuillez raccrocher, ou laissez un message après le bip sonore. »

Le bip strident se fit entendre une énième fois à travers le smartphone de Vincent.

« Rémi, c'est encore moi... Rappelle-moi, faudrait parler de ce qu'il s'est passé. »

Il raccrocha son téléphone, envoyant encore un nouveau message.

En deux jours, le petit brun n'avait pas réussi à joindre une seule fois Rémi.

– Cette fois je m'en fous, je vais chez lui.
décida t-il.

L'Alien... Les décisions sur un coup de tête, il devrait en tirer des leçons.
Parce qu'à chaque fois que son petit diable sur l'épaule prenait le contrôle et sortait ce fameux début de phrase :
"Cette fois je m'en fous.. "

À chaque fois, ça se finissait mal...

Revenons quelques années en arrière.
Un temps où encore personne ne connaissait le nom de VSO. Nom partagé par un groupe de jeune, et moins jeune, partageant une même passion, une même flamme, pour la culture hip-hop. Une belle bande de bras cassés en somme...

Parmi eux, nos trois loubards de rappeurs, Sylvain, Rémi, et Vincent.
Ils commençaient à rassembler leurs idées, leurs différents mots et sentiments pour en faire quelques phrases, puis un texte, un rap.

Mais une même phrase, toujours chantante de Vincent, étonnait toujours ses deux amis.

« ...j'repense au lit là... »

– T'a quoi avec ce truc, mec ?
riait Rémi.

– Quel truc ?

– Je sais pas, tu fais un blocage sur cette phrase, je comprends rien !

– T'as pas besoin de comprendre.
souffla Vincent contrarié.

– Bah pourquoi ? Vas-y, explique moi ! Je peux t'écouter.

– Non.

Rémi soupira, c'était la première fois que son ami ne voulait pas s'ouvrir à lui.

– Syl' ? Tu sais toi ?

– De quoi ?
demanda Sylvain, occupé à ranger ses bombes de peinture.

– Son histoire là, de Bordeaux Lilas ? Tu sais ce que ça veut dire ?

Le lion haussa les épaules, en secouant la tête.

– Niet.

Rémi, beaucoup trop curieux pour son propre bien, décida, après maintes interrogations de manipuler un peu son ami, et justement, l'opportunité parfaite se présentait à lui.

– Soirée ce soir ?
proposa Sylvain.

– Ok !

Ils se préparèrent tout les trois, mais un peu avant de partir, Alien reçu un appel.

– Allô ?

– Allô mec, vous faites un truc ce soir ?

– C'est qui ?
demanda Rémi.

– Anli. Ouais Anli, ouais on fait un truc... Ouais en boite... Ok... Ok, mais dépêches-toi frère ! Ouais salut !
finit-il en raccrochant.

– Alors ?
demanda Rémi qui finissait de se brosser les dents dans une autre pièce.

– Anli nous retrouve là-bas.

– Pourquoi c'est toujours nous que les gens appellent quand ça parle de soirée ?
continua Rémi en se rinçant la bouche.

Vincent arriva par derrière et lui mit une petite tape sur les fesses. Une parmi tant d'autres à laquelle Rémi ne réagissait même plus.

– On est des aliens fêtards.

– Hé, c'est toi l'alien ici !
fit le plus grand en se redressant.

Vincent qui s'était assis sur le rebord de la baignoire, regarda son ami, de haut en bas, s'avancer vers lui.

– Alors, toi t'es un Pex fêtard. Et le gars aux toilettes c'est un Vinsi fêtard.

– Waouh... Tu t'es pas foulé sur les noms.

— Mmh... non ça va ! J'ai jamais été doué pour trouver des surnoms de toute façon !
répondit Vincent avec un grand sourire qui fit rire Rémi.

Une seconde stoppé dans le temps, alors qu'ils se lançaient un regard complice, avant que le plus grand ne demande.

– Bon, on y va à cette boite ?

– Si le S veut bien sortir des chiottes...
fit remarquer Vincent en se levant du rebord de la baignoire.

– S comme la filière ou S comme le sang ?

– S comme Sylvain.

– Ah ouais merde...

Vincent pouffa.

– Mec je t'aime, mais qu'est-ce que t'es con parfois !

Ils rigolèrent tous les deux, quand la voix de Vinsi provenant des toilettes les arrêta.

– Je peux chiez tranquille oui ?!

– Quel râleur celui là je te jure...
fit Rémi en passant une main dans le dos de Vincent, le rapprochant de lui.
Le petit brun riait aux éclats.

– Ah oui et, faudra racheter du papier les gars !
leur parvint une nouvelle fois la voix de leur ami.

– Qui dit fêtard, dit cul sale...

Enfin arrivés la boite, ils retrouvèrent Anli. Au vu de l'attitude physique de leur DJ slash danseur, préféré, cela devait faire un bon moment qu'il les attendait.

– Enfin !

– Tu connais la princesse Pex ! Et Sylvain n'avait plus de PQ...

– Hein ?

– Ne l'écoute pas Anli...
intervint Sylvain, pour couper court à cette conversation.

– Bon, on y va ?

Doubler des gens dans la file ? check.
Rentrer en boite ? check.
Facile, le videur les connaissait bien.

Boire ? Maxi check !

– Venez on va danser !
proposa Rémi.

Mais la bande était plutôt en mauvais état...
Anli s'endormait sur une banquette, et assis à côté de lui, Sylvain regardais le plafond avec un trop grand intérêt pour un plafond, alors qu'une jolie demoiselle tentait, tant bien que mal, de lui faire la conversation.
Seul Vincent se précipita dans les bras de Rémi pour danser.

– C'est parti ! Allez, Uh ! Le cheval du dance... dancefloor !

Ok, il était complètement déchiré.
Et même sans le flot incohérent de ses paroles, ces mouvements désynchronisés ressemblaient plus à un mauvais acteur jouant une crise d'épilepsie, qu'à une danse...

– Vinc', c'est mieux qu'on sorte d'ici. Pour ton bien mec. Là ça va pas.
dit Rémi en tirant son collègue vers la sortie.

« J'te suice. Non attends, pas Suisse ! »
Il rigola un peu.
« Non je veux dire, suce ! Ah mais non pas suce ?
J'te suis Pexou ! Voilà c'est ça ! Suis ! »

Ils sortirent, l'air frais leur fit du bien, surtout à l'Alien, qui prit une énorme inspiration, à peine exagérée.

– Et les autres ?

– J'ai réveillé Anli avant de partir. Il est en bon état.

– Tu l'as réveillé ? M'en souviens même pas...

– Alien ?

– Mmh ?

– J'vais te raccompagner chez toi, ta meuf dois t'attendre mec.

– Ma meu...? AH OUI !

– Crie pas comme ça ! Tu vas réveiller tout le quartier, abruti !

– Rooh ça va, tout le monde dort !

– Ouais ! C'est justement pour ça que si tu cries tu vas les réveiller !

– J'comprend pas.

– N'essaye pas.

Vincent eut un petit rire débile.

– T'as vraiment l'alcool idiot...
fit remarquer Rémi

– Je crois qu'c'est juste moi.

– Non. T'es pas idiot Vincent...

Ils se regardèrent dans les yeux. Un courant intense passant entre eux.

...

...

Avant que ce courant magique ne soit coupé par Vincent vomissant ses tripes sur une poubelle. Non pas dans une poubelle, mais bien, sur le couvercle de cette dernière.

Rémi eut un gémissement de dégoût.

– Je ne serais plus jamais le Sam.

– QUOI ?

– Rien.

– OK !

– Allez on bouge, je vais te ramener chez toi.

– Bonne idée ça Rém' !

– Je sais.
sourit le plus grand devant l'adorable et enthousiaste bouille de Vincent.

Il allait recommencer à marcher, serein qu'Alien ne vomirait plus pour ce soir, lorsque...

– Porte moi !

– Quoi ?!

– Mal aux jambes.

Rémi laissa échapper un long soupir.

– Avoue plutôt que t'es trop défoncé pour aligner deux pas.

Vincent secoua énergiquement la tête de gauche à droite.

– Bon, monte.
ordonna Pex en se baissant, pendant que l'Alien montait à califourchon sur son dos, un sourire triomphant.

Rémi était musclé, et Vincent pas si lourd.

– Dis Al', tu m'as pas dit ce que c'était cette histoire avec les mots Bordeaux et Lilas.

Oui, c'était mal. Il profitait de l'état de son ami pour lui poser cette question qui lui tenait tant à cœur. Du viol d'information on pouvait dire.

– Bordeaux Lilas ? C'compliqué...

– J'ai toute la nuit.

– Moi aussi.

– Non, toi je te ramène à ta copine je te rappelle.

– Ah ouais c'est vrai...

Il y eut un petit silence, entrecoupé des bruits de pas de Rémi, et de la respiration embrumée d'odeur d'alcool et de vomi de Vincent à son oreille.

– Vincent.

– Mmh ?

– Tu sais que je t'aime ?

– Mmh ?

– J'veut dire, ouais. Toi et Sylvain vous êtes mes meilleurs amis. Et je vous aimes.

– On t'aime aussi Pexouné.

– Non, interdiction de m'appeler comme ça, par contre...

Vincent riait dans le creux de son oreille.

– Pexouné, Pexouné, Pexouné, Pexouné...

– Stop !

Un nouveau petit silence, vite coupé par une phrase.

– Le béton défile, pas les étoiles.

Rémi s'arrêta de marcher.

– C'est beau ce que tu dis.

– C'était juste une con... constat... constanta... constata...

– Constatation ?

– Ouais voilà ça ! T'es fort en français Jaquíto !

– Et toi tu dis vraiment que de la merde depuis tout à l'heure !
rit Rémi.

Arrivés devant l'immeuble, Vincent descendit du dos de Rémi.
Les deux pieds à terre, il manqua plusieurs fois de tomber. Pex le retenant avec difficulté à chaque fois.

– Fais moi un câlin !
exigea le petit bourré en écartant les bras.

– Quoi ?!

– Pour me donner du courage.

– Du courage pour quoi ?!

– J'sais pas ! On sait jamais ça peut servir ! Et puis quand t'es courageux tu peux faire plein de trucs comme un album par exemple... Ou alors même tuer des drago...

Il fut coupé par les bras de Rémi autour de sa taille, leurs corps collés, et le visage du plus grand enfoui dans ses cheveux.

– Ah mais j'ai perdu ma casquette !

– Chut Alien.

Vincent, avec toute la sobriété dont il était encore capable, arrêta enfin de parler, et étreint Rémi en retour, passant ses bras autour du cou de son Sam.

La bouche de Rémi vint trouver son oreille.

– Pour Bordeaux et Lilas, si tu ne veux pas en parler, il n'y a aucun problème. Fais comme tu le sens.
dit-il avant d'enfouir son visage dans le cou de Vincent qui avait levé les yeux vers les étoiles.

– Merci.

Leurs corps se décollèrent l'un de l'autre. Pas leurs mains.
Ils avaient tous les deux des sourires jusqu'aux oreilles.

– Tu vas réussir à prendre l'ascenseur tout seul ?

– P't'être bien qu'oui, p't'être bien qu'non !

Rémi rigola.

– Non t'inquiètes pas Pexouné, je vais gérer le décollage de la fusée ascenseur !
fit Vincent avec un grand sourire.

– Allez vas-y !

Ils se firent un signe d'au revoir de la main, et l'ombre de Vincent disparu dans le hall sombre de l'immeuble.

Quand il entendit l'ascenseur arrivé à l'étage de son ami, Rémi pût partir l'esprit tranquille chez lui.

De son côté, Vincent maudissait sa porte d'entrée.
C'est vachement compliqué d'ouvrir une porte avec une clé quand t'es bourré, qu'il n'y a pas de lumière, et que tu viens de vivre un moment d'amitié aussi intense !

Les bruits de la clé buttant contre la serrure avaient dû réveiller sa copine, puisque la porte s'ouvrit sur Laura, en chemise de nuit, un air furieux scotché au visage.

Lui assis sur le canapé, elle debout bras croisés derrière la table basse, seule défense qui les séparaient, il avait dû s'expliquer.

– Merde Vincent !

– Excuse-moi.

– On devait passer la soirée ensemble et toi tu trouves rien de mieux à faire que d'aller te bourrer la gueule avec tes potes en boite !

– Excuse-moi.

– Mais t'es complètement con ou quoi ? Tu vois pas que ça fait des jours que notre couple est à la dérive total ! Je croyais qu'avec cette soirée en tête à tête on pourrait faire le point sur nous et continuer sur de bonnes bases !

– Excuse-moi Laura...

– MAIS FERME LÀ ! ARRÊTE DE T'EXCUSER ! T'ES QU'UN ABRUTI ! T'AS RIEN ! TU CROIS VRAIMENT QUE TU VAS DEVENIR UN PUTAIN DE RAPPEUR ? MAIS RÉFLÉCHIS DEUX SECONDES ! T'ES MÊME PAS CAPABLE DE TENIR UNE RELATION ! COMMENT TU VEUX AVANCER DANS LA VIE ! T'ES QU'UNE MERDE !

Pleurer ? Jamais.
C'est comme ça. Ça doit être une sorte de code qu'on lui a dicté à l'adolescence. Pleurer en présence de quelqu'un ? Jamais !

Le petit diable sur son épaule lui chuchota une petite phrase.

" Cette fois je m'en fous je l'a largue. "

– Laura. Je te quitte. Tu prends tes affaires et tu te casses de chez moi.
lui dit-il d'un ton trop calme.

Elle était stupéfaite, et tenta de se redonner un peu de contenance en lâchant un « Enfin ! » tremblotant.

Ils ne se dirent plus un mot. Elle prit son sac et quelques affaires.

– Je t'enverrais un message quand je pourrais passer pour récupérer le reste.

– Fais ça ouais.

Et elle partit.

Alors seulement maintenant, Vincent baissa la tête, et se recroquevillant sur le canapé, laissa éclater ses sanglots.

Bordeaux et Lilas
Bordeaux Lilas
C'était une longue histoire...

Il alluma son téléphone.

« Allô, Rémi ? »

– Vincent ? Ça va ? Tu pleures ?

– Non...

– Hé... Ça s'entend dans ta voix... Je dois venir ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

– Je vais te parler de Bordeaux et de Lilas.

– T'en es sûr ? Tu ne veux pas plutôt m'expliquer pourquoi tu pleures ?

– Enfin, pas tout à fait... Je vais plutôt te la chanter avant de t'expliquer...

...

Le jour est tombé
J'suis dans ma voiture
J'repense aux Lilas
Au vins renversé sur ta couverture
Bordeaux Lilas

...

Nemmo

Pas sûr que ce chapitre plaira mais je tente ! 😅
♥️

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