17. Fils

chapitre plus long que d'habitude

La petite maison de son père se situait dans le quartier Mas de Mingue du côté Est de Nîmes.
Vincent n'avait jamais aimé sa maison, ni son quartier.
Cela faisait un peu cliché, mais ce n'était pas une cité très bien fréquentée.

Vincent traversait les rues, se remémorant les soirs d'écoles quand il rentrait à la maison avec son petit sac à dos d'écolier bien vissé sur ses deux frêles épaules, marchant vite sous les regards des gars traînant en bas des bâtiments.

Sa toute petite maison au toit rouge était un peu plus reculée des grands HLM, et son père rentrait tard le soir.

À peine arrivé au collège, un pied dans la cour des grands, sa mère les avaient quittés. Emportée, les poumons noirs, loin de son fils et de sa ville.
Vincent en gardait évidemment des séquelles. Il avait passé ses deux premières années en tant que collégien à pleurer.

Lui et son père ça n'avait jamais été l'amour fusionnel, et cet événement ne les avait pas plus rapprochés.
Vincent connaissait son père comme un travailleur acharné, déterminé, et plutôt fermé d'esprit. Ramener de l'argent à la maison était une de ses plus grande priorité.
Malgré tout cela, c'était un homme juste, et passionné de musique.
Une guitare l'avait accompagné dans chaque déménagement de sa vie.
Et quelques fois, surtout pendant les vacances d'été, ou même le soir de Noël, quand il desserrait sa cravate, on savait que c'était pour attraper sa guitare.

C'est en prenant une grande inspiration que Vincent toqua à la porte de sa maison d'enfance.
Il attendit un peu, mais aucun son ne lui répondit.

Mince, son père devait encore travailler à cette heure là.

Vincent traina un peu dans le quartier, s'achetant au passage de quoi manger dans une petite supérette.
La fatigue et la chaleur eurent raison de lui, et il finit assis, attendant le retour de son père, sous le perron de son enfance.

Vers 18 heures, l'homme, d'un âge déjà avancé, arriva enfin.

« Vincent ? »

Le petit brun ne s'attendait évidemment pas à une explosion de joie, mais le regard froid et distant que lui jeta son paternel lui fit presque regretter d'être venu.

– Salut.

Il vit son père soupirer, visiblement exaspéré.

– Bon, entre.
fit-il après avoir déverrouillé la porte.

Vincent entra.
Cela faisait déjà plusieurs années qu'il n'était pas revenu ici.
Qu'il n'avait pas revu son père, sa maison, et bien sûr, son chien qui lui sauta dessus.

– Hey ! Tequila !

Tequila était un grand berger blanc. Le poil doux couleur neige, et les yeux en amandes, vifs.
Son père l'avait adopté quand Vincent avait commencé à partir de la maison, pour se sentir moins seul.
Et même si le rappeur ne voyait ce chien que très peu, il était très attaché à lui.
Et c'était réciproque.

– Allez mon chien, laisse moi me relever. C'est bien.
disait Vincent d'une voix enfantine à l'égard de la boule de poils qui lui léchait le visage.

Quand il put enfin se remettre debout, son père l'invita à s'asseoir sur le canapé à côté de lui.

« Pourquoi tu ne reviens que maintenant ? »
lui demanda t-il d'un ton sec.

– Je...

– Vincent ça fait deux ans. Deux que je n'ai plus de nouvelles de toi. Deux ans qu'on ne s'est pas parlé. Deux ans !
T'as fais quoi pendant ces deux putains d'années ?

Vincent prit une petite inspiration. Tequila s'était allongé au sol, contre ses pieds.

– Tu sais, avec mon groupe...

– Capture ?

– Non,
rigola légèrement le rappeur.
Ça c'était le nom de l'ep. Le groupe s'appelle VSO.

– Mhm...

– On a fait deux nouveaux ep, et des tournées dans toute la France. On prépare bientôt un album d'ailleurs !

Son père baissa la tête en soupirant.

– C'est pour ça que tu n'es pas venu me voir ?

Ce fut au tour de Vincent de baisser la tête, pris de culpabilité.

– À cause de tes conneries de rap ?
continua son père.

Le brun ne savait plus où se mettre, il frotta doucement ses pieds nus contre le pelage de Tequila.

– T'as faim ?
demanda soudainement son père après un petit silence.

– Euh... ouais.

– Bon.

Il se leva et partit à la cuisine.

Tequila prit sa place sur le canapé, se frottant contre Vincent en quémandant de l'attention.
Le rappeur le caressa tranquillement, fermant les yeux pour relâcher toute la pression que son père lui avait mis en quelques minutes.

Ce dernier revint finalement avec deux assiettes dans lesquels gisaient deux pauvres œufs au plat, accompagnés de quelques pattes, ni beurrées, ni salées.

Ils mangèrent dans un silence religieux, faisant le moins de bruit possible avec leurs couverts raclants l'assiette.

« Ça marche bien le travail sinon ? »

– Ouais... Faut bien que je ramène à manger au chien, c'est le seul qu'il me reste.

Même quand Vincent voulait se montrer aimable, son père lui renvoyait une remarque d'un ton haineux, pour le faire culpabiliser.

« Ils vont bien Sylvain et Anli ? »

Vincent écarquilla les yeux à cette question.

– Euh... oui ils vont très bien.

– Tant mieux. Ce sont des bons gars.

Cela semblait suspect. Le brun crût bon de préciser.

– Tu sais, on est quatre. Sylvain, Anli, moi, et Rémi.

Son père lui jeta un mauvais regard.

– Je l'aime pas trop ce Rémi.

– Comment tu peux dire ça ? T'as dû le voir qu'une ou deux fois...

– Ça me suffit amplement pour juger que je ne l'aime pas !
s'exclama soudainement son père.

Vincent préféra se taire pour ne pas continuer à envenimer la situation.

« Tu dors ici ? »
demanda son père à la fin du mince repas.

– Ouais. Je vais aller me coucher tout de suite d'ailleurs. Je suis crevé.
À demain.

– À demain. Bonne nuit chéri.

Vincent retrouvait sa chambre d'ado.
"Chéri". Depuis combien de temps son père l'avait-il appelé comme ça ?
Depuis combien de temps quelqu'un l'avait-il appelé comme ça ?

Il fit vite fait ses draps, et se coucha dans son petit lit de lycéen, vite rejoint par Tequila qui s'endormit à ses pieds.

Pendant ce temps là, dans le salon, son père s'était ouvert une bière.
Il s'enfonça dans le canapé, reposant ses pieds sur une petite table basse.

Ce Rémi. Il savait pourquoi il ne le portait pas dans son cœur.
Cet espèce d'enflure de gay.

Il se remémorait un souvenir lointain, très lointain, quand Vincent commençait à peine à apprendre à lire, et que sa femme était toujours avec eux.

———

« Vincent, mon chéri ! Mets une veste ! »

– Pas la peine maman ! J'ai pas froid !

Sa mère avait soupiré, un sourire bienveillant ornant les coins de sa bouche.
Elle était belle. Intelligente, drôle, et un peu folle.
Ses longs cheveux bruns ondulés flottaient des deux côtés de son visage rond et mince à la fois.
Elles avaient deux yeux verts pommes que les billes brunes de ses yeux à lui, enviait pour cette belle couleur.

C'était une bonne vivante, elle aimait s'amuser, rire aux éclats, danser quand il jouait de la guitare les soirs d'été.
Elle avait ce petit côté fou, une sorte de petit animal qui ne tient pas en place.

Et surtout elle aimait son fils. Elle l'aimait plus que tout. Elle l'appelait mon chéri, le serrait dans ses bras.
Et Vincent était sûrement l'enfant le plus heureux du monde.

Mais derrière toute cette joie, derrière ce sourire, se cachait, et ça, seul lui le savait, un cœur fissuré.
Derrière ce corps fin et plein de vie, se cachait celui abimé.
Trop touché comme les ailes d'un papillon.
Et même en reconstruisant sa vie avec un mariage et un petit garçon, il ne peut plus s'envoler.

Elle buvait, quand même pas mal.
Et elle fumait, ça un peu trop.

Lui ne pouvait pas l'empêcher, il préférait qu'elle se soigne comme ça. Ce n'était que de petits exutoires qui ne la tuait pas directement.

« Soit je fume, soit je me suicide ! »

Elle avait sortit ça lors d'une de leurs rares disputes. En entendant ça, il l'avait immédiatement prise dans ses bras.
Depuis, cette phrase lui tournait en boucle dans le crâne.
Cette menace avait pesé sur sa tête jusqu'à la mort de cette femme.
Elle était vraiment morte en fin de compte. Les poumons noirs.

Peut-être que toute sa vie elle n'avait aspiré qu'à ça ? Peut-être qu'il n'y avait pas d'autres options, pas d'autres choix ?
s'était-il demandé des nuits entières, quand il débouchait une bouteille d'un alcool fort pour se soulager la conscience.

« En fait j'ai froid maman ! Je veux ma veste. »

Elle lui avait passé la veste autour de ses deux petites épaules de jeune enfant, en lui donnant un petit coup affectueux sur la tête.

« Écoute ta mère la prochaine fois ! »
l'avait-elle réprimandé.

Le petit Vincent était reparti courir dans les jeux pour enfants, pendant que ses deux parents restaient assis sur un banc.
Le petit brun se faisait très facilement des amis, et là, il était en plein abordage, à bord de son bateau pirate.

Alors que les deux adultes parlaient tranquillement, surveillant de loin leur petit garçon, un nouveau couple arriva dans l'air de jeu.
Un couple, de deux hommes, accompagnés d'une petite fille.

La petite blonde courut jouer, alors que les deux hommes s'assirent, main dans la main, sur un banc en face de celui des Dardalhon.

La mère de Vincent n'y avait même pas porté attention, alors que son père les fixait, comme s'ils étaient deux aliens, venant de débarquer sur la Terre.

– Chérie, regarde.
chuchota t-il discrètement à l'oreille de sa femme.

– Quoi ?

– Les hommes là-bas.

– Hé bien ? Quoi ?

– C'est des pédales je crois...

Sa femme se retourna brusquement vers lui.

– Dis pas ça !

– Quoi ?

– Ils font ce qu'ils veulent !

Son mari la regarda d'un air dubitatif.

– On ne contrôle pas de qui on tombe amoureux.
finit-elle en lui déposant un bisou sur la joue.

Elle se détourna du couple homosexuel, et continua à surveiller son fils, d'un regard amusé par ses jeux.
Mais lui, il ne pouvait pas s'empêcher de regarder les deux hommes.
Il les détaillait, de leurs mains entrelacées, à leurs yeux se regardant amoureusement.

Ces regards qu'ils s'échangeaient...
Le jeune père ne les avaient jamais vu d'aussi près chez deux hommes.
C'était intriguant, inconnu, un peu effrayant.

Il aimait sa femme, il l'aimait plus que tout au monde, il aurait monté au sommet de la plus haute montagne, décroché le soleil le plus brûlant, juste pour elle.
Alors pourquoi ces deux paires d'yeux masculins accrochés l'un à l'autre, ces deux grandes épaules serrés, et leurs chaussures, se faisant du pied, le captivaient-ils autant ?

Pendant ce temps-là, Vincent se faisait copain avec la petite blonde, qu'il ramena auprès de sa mère.

« Maman ! Je me suis fait une amie ! »

– C'est génial mon chéri ! Comment tu t'appelles ma belle ?

– Annie.
répondit la petite avec un grand sourire.

– C'est très beau ça comme prénom ! Ils sont où tes parents Annie ?

– Ils sont à la maison. Je suis venue avec mes deux tontons !
fit-elle en désignant le couple d'homme.

– C'est cool ça deux tontons ! Vous retournez jouer les enfants ?
répondit la mère en faisant un bisou sur la joue de Vincent.

Les deux petits coururent dans les jeux.

– Hors de question qu'on revienne dans ce parc.
fit le père.

La brune se retourna vers son mari.

– Tu te rends compte de ce que tu dis ?

– Et toi tu te rends compte des enfants que Vincent fréquente !

– Elle est très mignonne cette petite !

– Je ne te parle pas de la petite mais des deux... personnes qui l'accompagnent.

– Ce ne sont que ses oncles ! T'es vraiment fermé d'esprit c'est fou !
fit-elle.

– Tu verras le jour où ils pourront adopter des enfants ! Tout le monde va devenir comme eux ! Ça sera n'importe quoi !

– Tant que tout le monde est heureux... Et puis avec la fermeture d'esprit dans ce pays je ne crois pas que ça arrivera de si tôt !

Ils avaient arrêté leur discussion là, sentant le ton monter entre eux.
Même si, sur bien des opinions, leurs avis divergeaient, ils préféraient rester soudés, et éviter un maximum les disputes inutiles de ce genre.

Et puis, les années étaient passées, sa femme les avaient laissés.
Il devenait de plus en plus normal de voir des homosexuels à la télé.

Vincent venait de passer le cap de la vingtaine, des rêves de rappeur pleins la tête, il enchaînait des petits boulots, celui du moment était dans un restaurant.

Il lui avait annoncé qu'il avait rencontré des gars comme lui, qui rappaient aussi.
Bien évidemment, son père n'en croyait pas un mot, son fils s'était sûrement fait manipuler par une bande de charlatans !

Alors, Vincent avait insisté pour lui présenter sa "bande", qu'il surnommait d'un air mystérieux et fier, le vaisseau.
Il avait donné rendez-vous à son père devant une sorte de grand garage qui avait fortement l'air désaffecté.

L'homme était entré, tombant face à une bande de jeunes garçons de l'âge de son fils, et son fils, venant le saluer comme si de rien n'était.

« Je vous présente mon père ! Il ne me croyait pas quand je lui disais que vous étiez rappeur ! »

– 'Jour m'sieur !
le saluèrent les garçons.

Le père resta estomaqué. Dans quel merdier son fils s'était-il encore fourré ?

– Viens, viens, que je te présente tout le monde.

Il commença à lui balancer les noms des différents garçons.

– Les gars il est où Rém' ?

– Là ! Désolé j'étais aux toilet...

Le bouclé ne finit pas sa phrase en apercevant le père de Vincent.

– Voilà, et là c'est Rémi.

– Bonjour. Heureux de vous rencontrer !
fit le bouclé avec un sourire.

– Bon, les gars je vous laisse présenter ce qu'on fait à mon padre ! Rém' faut que je te demande un truc, viens.

Les deux garçons s'éloignèrent un peu plus loin dans le garage, pour ne pas que les autres les entendent.

Pendant ce temps, le vaisseau racontait au père Dardalhon leurs activités.
Ce dernier les écoutait d'un oreille distraite, concentré sur ce... Rémi qui parlait à son fils.
Il était surtout focalisé sur le regard que le jeune bouclé portait à Vincent.
Ce regard, c'était le même regard qui le hantait depuis des années, c'était le même regard que s'étaient lancés ces deux hommes dans le parc.

C'était aujourd'hui, avec ce regard, que ce Rémi regardait son fils.

Les deux rappeurs revinrent quelques instants après, des sourires aux lèvres.

Vincent avait demandé à Rémi où est-ce qu'ils avaient caché les beaucoup trop nombreuses bouteilles d'alcool, que les yeux de son père ne tombent pas dessus.
Pex lui avait assuré qu'il les avait personnellement planqué, et qu'ils en dégusteraient quelques bouteilles ce soir avec tous les autres. Ce qui avait fait rire le plus petit.

Mais ça, le père de Vincent n'en savait rien, tous ce qu'il avait vu étaient des sourires aux lèvres, et le regard de ce Rémi.

D'un ton se voulant jeune et détaché, il demanda au vaisseau :

– Et sinon, vous avez des petites copines les jeunes ?

Les garçons ricanèrent, gênés de cette question sortit de nulle part, mais répondirent quand même à tour de rôle.

– Et toi ? Euh... Rémi ?

Le bouclé rigola un peu.

– Non, pas pour l'instant.

– Mhm... intéressant. Et toi fiston ?

– Papa !
siffla Vincent entre ses dents.

– Bah alors ?

Le jeune brun souffla, et répondit finalement en riant un peu :

– Oui. Elle s'appelle Sophie.

– Mmh...

Le père ne supportait pas Rémi.
Il ne supportait pas ses regards envers son fils.

Mais il n'avait jamais rencontré une des petites-amies de Vincent.

La seule personne qu'il avait rencontré et qui avait regardé son enfant avec des yeux amoureux était Rémi.


Nemmo

Wow, c'était un long chapitre ça !
J'espère qu'il vous a plût !
On en a fini avec le père d'Alien.

Je remercie amaplace et LilSpicyAlien pour Tequila ! 😂

disclaimer : Je préfère le préciser, mais je ne connais pas du tout la vie privée de Vincent, son enfance, ses parents.
Je me suis basée sur des petites phrases trouvées dans les sons de VSO, et je rappelle que cette histoire n'est qu'une fiction. Merci ! :)

♥️

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