-Je peux entrer ?

Je me tourne vers la porte de la chambre où se trouve Natasha qui patiente.
Depuis l'altercation entre le frère de Tobia et Drickes, je me réfugie dans cette chambre, les affaires de cette meute ne me concernant définitivement pas. Le loup noir est évidement resté à me côtés et nous observe d'ailleurs d'un oeil endormie dans le coin de la pièce, vautré sur le sol, le museau sur ses pattes.

-Bien-sûr. j'invite la louve.

Celle-ci entre, deux sacs à la main qu'elle me tend. Je l'interroge du regard par rapport à leur contenu.

-Ce sont quelques affaires dont tu devrais avoir besoin puisque tu dois passer la semaine ici. Il y a de tout : des vêtements, une brosse, ainsi qu'une brosse à dents, et j'ai rajouté un petit quelque chose de special.

Elle sort un petit flacon du sac et me le tend. Je l'attrape. On dirait un échantillon de parfum. Je retire le bouchon afin d'en connaitre l'odeur, mais rien ne me parvient aux narines.

-Comme tu n'as pas d'odorat surdéveloppé, tu ne devrais pas réussir à sentir quoique ce soit. ajoute Natasha.

Je plisse le front.

-À quoi est-ce que ça sert alors ? je la questionne, peu sûre de comprendre.

Elle rit.

-C'est une sorte de parfum très subtile, quasiment imperceptible pour vous, les non-métamorphes. Tu ne le sens pas, mais il a une agréable odeur boisée. Je me suis dit que ça ferait plaisir à Tobia, enfin à son loup, s'il le sent sur toi. On préfère de loin ces choses-ci qu'aux parfums humains qui nous brûlent la truffe. elle m'explique en grimaçant.

-Donc c'est une sorte de parfum pour loup-garou ? je résume.

Elle frappe dans ses mains.

-Exactement ! Si tu souhaites flirter avec l'un de nos loups, je te conseille vivement de t'en verser quelques gouttes pour augmenter tes chances.

Elle jette un coup d'oeil au loup derrière-moi et semble se figer. Je me tourne afin de le voir aussi. Le loup, précédement endormi, a désormais relevé la tête et ses yeux, grands ouverts, dévisagent la louve méchament.

-En fait, oublie ce que je viens de dire.

Je secoue la tête et remet le bouchon sur le flacon.

De toute façon, je n'ai pas l'intention de flirter avec quique ce soit, ici ou même ailleurs.

Après avoir mis les sacs de côté, je m'asseois sur le bord de lit et invite Natasha à en faire de même. La louve s'avance après une petite hésitation. La scène de tout à l'heure me revient alors à l'esprit. La venue du frère de Tobia a semblé affoler tout le monde.

-Est-ce que tu pourrais me parler de l'homme de tout à l'heure ? Si ce n'est pas trop indiscret, je n'aime pas jouer les curieuses et je suis bien consciente que je ne fais pas partie de la meute. je lui demande doucement.

Natasha jette un coup d'oeil au loup noir dans le coin de la pièce. Celui-ci a de nouveau les yeux clos et ne semble pas nous écouter. Alors la louve se retourne vers moi.

-Jalen est le petit frère de Tobia. Étant le second, il n'était pas destiné à devenir l'Alpha de la meute Sombre. C'est Tobia qui a dû endosser ce rôle lors de la mort de son père. De ce que j'ai entendu dire, Jalen est parti le soir des funérails de la mort de son père. Il a quitté la meute et je crois qu'il n'en a pas intégré d'autre. C'est un loup solitaire qui parcourt les départements français pour se mesurer à tout pleins de puissants métamorphes, cherchant à décupler sa propre force. Je ne suis pas née ici, je n'ai intégré cette meute que depuis deux ans, mais je crois que Jalen convoite la meute Sombre et que s'il cherchait à gagner en puissance, c'était pour pouvoir affronter Tobia en duel et prendre sa place en tant qu'Alpha.

Elle secoue la tête, faisant grise mine.

-A présent, Tobia n'est plus en état de diriger la meute et Drickes a beau être le bêta, il n'est pas assez puissant pour prendre les rênes. Jalen est notre seul option si nous ne voulons pas nous faire exterminer par d'autres meutes avides de pouvoir, mais je ne suis pas sûre qu'il fasse un bon Alpha.

Elle soupire.

-J'espère de tout mon coeur que tu réussiras à nous le remettre sur pied.

Elle se relève, passe sa main dans sa longue chevelure noire avant de se tourner vers moi, un léger sourire aux lèvres.

-Une fois fait, je suis sûre que toute la meute sera d'accord pour que tu t'unisses à notre Alpha. elle s'exclame, de nouveau d'humeur joyeuse.

Je reste un instant béate. Finalement, je n'ai pas le temps de démentir ses propos que Natasha sort de la chambre aussi rapide qu'une tornade. Je secoue la tête. Natasha aimerait que je m'unisse à Tobia, autrement dit que je sois sa compagne, son amante, l'Alpha femelle de cette meute.

Quelle folle, jamais je ne m'unirais à un métamorphe !

J'apperçois du mouvement dans le coin de la pièce. Le loup s'est relevé et s'avance à présent vers moi. Il grimpe sur le lit et vient tapoter ma main de sa truffe humide, avide de caresses. Je passe mes doigts sur les poils doux au sommet de son crâne.

En fait, ça me plairait peut-être de devenir la compagne de Tobia - ou d'un métamorphe en général. Ceux-là sont pour la plupart séduisants, forts comme des boeufs, très protecteurs et soucieux du bien-être de leur femme. Je pense que ça me plairait énormément de me lier à l'un d'eux. Mais, hélas, c'est impossible. Mes parents ne me le permettront pas.

Quelle vie de chien.

À mes côtés, le loup gigotte. Un instant plus tard, c'est une autre fourrure épaisse qui passe entre mes doigts, tout aussi soyeuse. Tobia a repris forme humaine et ma main est restée sur son crâne. Je n'ose pas la retirer de sa chevelure si douce. Il semble si apaisé.

Loin de ce loup féroce qui m'a bavé dessus lors de notre première rencontre.

-C'est pour le protéger. sort alors le loup de but en blanc.

Je fronce les sourcils.

Protéger qui de quoi pour quoi ?

Appercevant sans doute mon trouble, l'homme-loup aux yeux rouges se redresse et précise sa pensée.

-Tobia, mon humain. J'ai pris le contrôle afin de le protéger.

Je penche la tête sur le côté, curieuse.

-Le protéger... de quoi ?

Son visage se ferme. Ma main retombe sur ma cuisse lorsqu'il se relève pour s'asseoir à côté de moi.

-Nous cotoyions secrètement une humaine, qui s'appelait Jasmine. C'était la meilleure amie de Tobia, et aussi sa fiancé - bien qu'il ait demandé à s'unir à elle sans m'en demander l'autorisation. ( Il grogne à cette précision ). Ce jour-là, nous sommes partis nous amuser dans la forêt. Mais des chasseurs rôdaient dans le coin. Ils m'ont vu me transformer, compris que j'étais un métamorphe. Ils ont dû penser que Jasmine en était une aussi car c'est sur elle qu'ils ont tiré en premier. Elle est morte dans nos bras. Tobia en a énormément souffert. Déjà que notre père est mort moins d'un an avant cela, il était abattu par leur perte. Ce soir-là, j'ai décidé que le monde est trop cruel pour y laisser mon humain y vivre. Alors j'ai pris le contrôle à sa place et je ne l'ai presque pas laissé le reprendre depuis.

Il fait une pause, ce qui me permet d'assimiler ces révélations. Maintenant je connais les raisons qui ont poussé le loup à prendre le pas sur l'homme.

Et qu'est-ce que cela change à la situation à présent ?
Pas grand-chose, malheureusement.

J'ai beau réfléchir, je ne trouve toujours pas de solution.

-Je ne veux plus qu'il souffre. Ainsi enfoui au fond de nous, personne ne pourra lui faire de mal.

Je grimace. J'ai beau être une guérisseuse, les belles paroles ne sont pas mon fort. Mais j'essaie malgré tout.

-Je comprends ce qui t'a poussé à prendre le contrôle. Mais Tobia, il faut aussi que Tobia...

Je m'arrête, comprenant que ce que je dis n'a aucun sens.

-Je veux dire, ton toi humain, je réctifie, a besoin de vivre aussi. Je sais que la vie est faite de pas mal de déception, elle a son lot d'horreur, mais il y aussi beaucoup de bon côté, comme, euh...

Je refléchis à un bon exemple à lui donner, mais il me devance.

-Comme toi.

Je reste un instant interdite.

-Tu ne nous fais pas souffrir, au contraire, ta présence est très appréciée.

Je cligne des yeux, grimace et m'avoue vaincue.

-Eh bien oui, comme, euh, moi. je réponds avec moins d'assurance que je ne l'aurais voulu.

Je secoue la tête afin de me reprendre.

-Dis, en terrant l'homme au fond de toi-même, en ne le laissant pas prendre le contrôle, c'est un peu comme si tu mettais fin à sa vie, non ?

Il penche la tête sur le côté, pensif.

-Peut-être que tu as raison.

Une lueur d'espoir.

Alors que j'ai d'abord pensé que ce loup était condamné, voilà que j'apperçois enfin une porte de sortie. Drickes a raison. Pour une raison que l'on ignore, ma présence semble beaucoup aider le loup encore complètement fou il y a deux jours.

-Je ne veux plus qu'il souffre. Comment puis-je m'assurer que tout se passera bien s'il revient aux commandes ? Peux-tu me promettre qu'il ne lui arrivera rien ?

J'hésite un court instant. Je pose ma main contre sa chaud chaude contre ma peau. Le triste regard rouge du loup est fixé sur le mien. Des yeux écarlates que j'ai trouvé vraiment très flippants il y a encore deux jours de cela.

Il faut dire qu'on en a fait de la route en si peu de temps.

-Je te le promets. Vous ne souffrirez plus, j'y veillerais.

Il sourit. Un large sourire qui dévoile ses dents parfaitement blanches et ses canines un peu trop aiguisées à mon goût. Il écarte les bras en s'approchant et me serre contre lui. Bien que je ne suis pas habituée à ce genre de geste affectif, je le laisse faire. Il me prend dans ses bras, je me repose tout contre lui. Ce silence est des plus agréables. Et le moment dur. Encore. Jusqu'à ce que je sois trop fatiguée pour rester éveillée.