Chapitre 15

Je me sens toute engourdie, le cerveau ramolli, l'impression d'être réveillée alors que j'ai encore une profonde envie de dormir. Mes paupières sont un peu lourdes, j'ai du mal à les ouvrir, je n'en ai même pas la motivation. Ma bouche est pateuse, une sensation peu agréable. Mes poignets me font mal, tout comme mes épaules ainsi que mes chevilles. J'ai l'impression que mes bras sont comme bloqués vers l'arrière, que si je tente de les bouger - ce dont je n'ai pas l'énergie de faire - ils resteront dans la même position. Je crois ne plus sentir le bout de mes doigts aussi.

Est-ce cela mourir ? Dormir d'un profond sommeil dont il est impossible de se tirer, en ressentant des sensations peu agréables ?

Non, je ne pense pas que je suis morte.

Encore trop faible pour bouger quoique ce soit de mon corps, je tente de me remémorer ce qu'il m'est arrivé. J'étais dans la forêt. Des lynx sont arrivés. Les lynx d'un type peu commode qui ne me souhaite pas du bien. Et ils m'ont attaquée... Non. Je les ai empêché de m'approcher. Ils ne pouvaient pas me faire du mal.

Alors comment ais-je fini dans cet état ?

Je force ma mémoire, déterminée à comprendre. Mais j'ai le cerveau tout embrouillé, je ne suis même pas sûre de me souvenir de mon nom. Il y en a qui me revienne en tête : Jalen, Natasha, Drickes. J'ai cependant la certitude qu'aucun n'est le mien. Je crois que ces noms appartiennent à des personnes que je connais. Je crois me rappeler de ce Drickes. Je l'ai vu rejoindre une grande bâtisse alors que je m'en allais seule dans la forêt. Là où je me suis faite prise au piège. J'étais paniquée. Et j'ai crié... j'ai crié...

Tobia.

Ce seul nom a l'effet d'une décharge d'adrénaline que je ressens dans tout mon corps désormais tendu. J'ouvre les yeux au prix de quelques efforts et tombe nez-à-nez avec un coussin pelucheux. J'essaie de me redresser, mais je n'y arrive pas. En baissant la tête, j'apperçois que mes chevilles sont liées entre elles par une corde très serrée, tout comme mes poignets si j'en crois la douleur. Impossible de ramener mes bras et la corde est si serrée que le sang a du mal à circuler jusque mes mains. Incapable de me relever, je me tortille pour me retourner et avoir un apperçu de l'endroit où je me trouve : une pièce sombre, éclairée par le feu qui brûle dans l'âtre d'une cheminée. Je suis allongée sur ce que je pense être un canapé assez confortable. L'endroit est assez joli, mais il y a cette odeur de fauve qui sature l'air.

Kreagar.

Kreagar a envoyé ses lynx me capturer pour le ramener à lui. Mais pourquoi donc suis-je encore en vie ? J'étais vulnérable, à sa merci, il pouvait faire ce qu'il voulait de moi. Mais il ne l'a pas fait. Souhaite-t-il que ma souffrance soit longue et éprouvante ? Veut-il me torturer durant des jours avant de pouvoir mettre fin à ma vie ?

Je ne comprendrais jamais ce genre de sadique.

J'essaie de lancer de petits éclairs sur la corde qui maintient mes poignets pour m'en libérer, mais mes doigts sont si engourdies que je n'arrive pas à diriger ma magie vers ceux-ci. Alors je tente en vain de me dégager de mes liens en me tortillant. Du bruit se met à résonner pas très loin. Des bruits de pas, et de voix graves qui communiquent. Peu de temps après, Kreagar apparait devant moi accompagné de deux de ses acolytes. Il me sourie froidement.

-Enfin réveillée à ce que je vois. Bien dormi ?

-Aussi bien qu'une pauvre innocente qui aurait été sédatée, enlevée, attachée et séquestrée.

Je garde une expression neutre devant l'Alpha, mais au fond, je panique. Je ne comprends pas ce que je fais ici. Pourquoi Kreagar m'en veut ? Qu'ais-je bien pu lui faire ? Je n'arrive pas à m'ôter de l'esprit l'hypothèse qu'il veuille m'infliger des souffrances éternelles dans une vieilles caves pourrites. Il va me tuer, j'en suis presque sûre. Et je ne reverrai plus Tobia.

Tobia... Est-il à ma recherche ? Est-il seulement au courant de ma disparition ? Je me mets à espérer que oui. Je ne connais pas le métamorphe depuis très longtemps, mais je le crois sincère quand il me disait que j'étais devenue tout pour lui. Il fera tout pour me retrouver.

Mais arrivera-t-il à temps ?

-Toi, innocente ? crache le félin. Tu es une meurtrière, une égoïste que je me ferais un plaisir d'effacer de la surface de la Terre.

Je reste interdite.

-Moi, une meurtrière ? Il doit y avoir erreur, je n'ai jamais tué personne.

-Pas directement, non. Mais tu l'as laissé mourir. Tu l'as laissé me quitter. Par ta faute, elle est... partie.

Je suis surprise de voir les yeux de Kreagar s'embuer un instant avant qu'il ne refoule ses larmes.

-Qu'entends-tu par " laisser mourir " ? Qui est mort ? Explique-moi. je lui quémande, soudain intriguée.

S'il m'arrivait de trouver le bavardage ennuyant, même agaçant, tout se bruit qui parfois ne signifie pas grand-chose, aujourd'hui, je comprends que parler peut aussi sauver la vie. Engager la conversation avec Kreagar va retarder ses projets, et avec un peu de chance, cela laissera le temps nécéssaire à Tobia pour venir me chercher.

Mais combien de temps ais-je dormi ?

-Tu ne te rappelles donc rien, n'est-ce pas ? constate t-il amèrement.

Je hausse les épaules du mieux que je peux le faire les mains attachées dans le dos.

-J'ai rencontrer beaucoup de gens de ma vie, et j'ai tendance à vite les oublier. Alors il va falloir me rafraichir la mémoire.

Une lueur de rage brille dans ses yeux.

-C'était il y a quelques mois, en pleine nuit. Je me promenais avec ma femme dehors. On était si heureux. Puis ce loup, cet... Alpha s'est pointé sous sa forme animale, et s'est mis à massacré tout ce qu'il y avait sur son chemin. gronde Kreagar, hargneux. Ma femme a été l'une de ses victimes.

C'est étrange comme cette histoire me semble familière. En y réfléchissant un peu plus, ce récit coincide parfaitement avec le soir où le loup de Tobia a pété un câble après avoir perdue sa " fiancé ".

-Elle se vidait de son sang et s'éteignait peu à peu dans mes bras. C'était mon âme-soeur. Elle n'était pas censé mourir, pas si jeune.

Une larme perle sur la joue du lynx qu'il ne peut retenir.

-Je pensais que tout espoir était perdu. Puis je l'ai vu arriver, cette silhouette féminine qui courait dans tous les sens et qui se mettait à soigner tous les blessés qu'elle trouvait. J'ai alors soulevé ma précieuse âme dans mes bras et j'ai couru vers elle. Vers toi.

Kreagar fait une pause qui me permet de digérer ce qu'il est en train de me dire. Quelques brides de souvenirs me reviennent de ce soir-là. Je ne me souviens effectivement pas de leur visage, mais je me rapelle tout à fait l'homme qui est venu vers moi en pleurant, et la femme mourante dans ses bras.

-Je t'ai supplié de la sauver. Je t'ai dit que si elle ne survivait pas, sa mort allait me condamner. Mais tu as refusé ! s'écrie t-il, furax.

-J'étais épuisée, je venais de sauver des dizaines de gens. Si je l'avais soignée, j'aurais péri à sa place ! je me défends.

-Tu ne l'as pas sauvée et par ta faute elle est morte !

Kreagar tente de reprendre son calme. Il reprend un visage neutre et me fixe d'un air froid.

-Alors c'est pour ça que je suis là, n'est-ce pas ? Tu veux me tuer tout comme ta femme a été tuée ? je hasarde.

Il secoue la tête.

-J'ai un bien plus beau projet pour toi.

Il se fend d'un sourire glacial qui me fait redouter le pire. Je devrais être soulagée, il ne va pas me tuer. Mais ce projet m'inquiète d'autant plus. Il avance lentement de la démarche gracieuse d'un prédateur. Les battements de mon coeur s'accélère.

J'ai peur.

Je suis toujours à jouer les fortes têtes, à ne pas montrer mes faiblesses, mais au fond je suis une gamine terrorisée. Petite, j'avais peur de décevoir mes parents, ado, c'est de moi-même que j'ai eu peur, de moi et de ce pouvoirs surpuissant de manipuler la foudre. En devenant adulte, mon pire cauchemar a été de finir ma vie seule, peu aimée. Tobia est ensuite arrivé dans ma vie et maintenant je sais que mon avenir est avec lui. Sauf qu'à l'heure actuel, je suis aux griffes de ce lynx qui crie vengeance, et je suis terrorisée à l'idée de ne pas pouvoir profiter de cette avenir avec lui. J'allais laisser Tobia seul dans ce monde, tout comme la femme de Kreagar l'a laissé seul en mourrant. Je ne voulais pas ça.

-Me tuer ne ramènera pas ton âme-soeur, Kreagar. je tente de le raisonner.

Ses lèvres s'étirent en un large sourire cruel.

-C'est marrant que tu dises ça, Alethea. Il est prévu que tu fasses un petit truc pour moi.

-Quoi donc ?

Kreagar se penche au-dessus de moi, me scrute de ses yeux froids, ternis par la haine et la rage. Et dans un souffle satisfait, il me répond.

-Tu vas la ramener à la vie.

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