Chapitre 1
Je n'aime pas cette journée.
Ce matin, je me suis réveillée avec la désagréable sensation qu'il allait se passer quelque chose de très désagréable. Une impression qui s'est alors confirmée lorsque mon téléphone s'est mis à sonner et que le nom de "mère" s'est affiché sur l'écran.
Mes parents ne sont pas des gens que j'apprécie, même si je les remercie de m'avoir mise au monde et élevée à leur manière. Je pense que j'arriverai à les supporter beaucoup mieux si mes frères, mes soeurs et moi n'étions pas à leurs yeux considérés comme un moyen de récolter de l'or. Mes parents veillent sur leur butin comme le font les dragons, et nous, enfants de ces deux guérisseurs réputés, sommes pour eux un moyen de les enrichir encore plus.
Lorsque Nolan et Eneko Lalwen ont mis au monde leur premier enfant, Jasha Lalwen, mon grand frère, une idée des plus odieuses leur est venue : faire beaucoup d'enfants qui hériteront de leur don de guérisseur afin qu'une fois plus grand, leurs héritiers s'éparpillent aux quatre coins de l'Europe en proposant à ceux qui en ont besoin leurs services en échange d'une somme d'argent le plus souvent exorbitante. Somme d'argent dont une grande partie revient dans les poches des profiteurs qui me servent de parents. Pour eux, plus on agrandit la famille, plus on pourra soigner de gens et surtout remplir le coffre familiale. Depuis, ce qui devait être une famille s'est transformé en entreprise.
Famille de dingues.
Le téléphone sonne toujours, alors je décroche avec réticence. Peu de temps après, la voix de ma mère résonne à travers le combiné. Une voix douce, chaude et rassurante, comme toutes celles des guérisseurs.
Ironique pour une femme aussi froide qu'elle.
-Enfin tu daignes me répondre !
Je grince des dents dès les premières secondes. J'aimerai un jour recevoir un appel de courtoisie de la part d'un de mes deux parents, malheureusement, c'est impossible.
Le temps, c'est de l'argent.
-Bonjour à vous aussi, mère. je lui réponds d'un ton neutre. Que puis-je faire pour vous ?
Bien que je m'en doute un peu, cette question n'est là que par pur politesse. Même si ce qu'ont créé mes parents me débectent, c'est tout de même ainsi que je gagne ma vie.
-Un membre de la meute Sombre s'est pris la patte dans un piège à ours. Ces métamorphes ont peut-être une cicatrisation exceptionnelle, mais sa jambe est complètement déchiquetée. Si un guérisseur n'intervient pas, elle va la perdre.
-Et vous voulez que je la soigne. j'en conclus donc, lassée de ces mêmes appels répétitifs.
Elle acquiesce.
-J'ai entendu dire que l'Alpha de cette meute est très puissant, dans le genre à faire un massacre lors d'une nuit de pleine lune. Tu sais ce qu'on dit, plus une meute est puissante...
-... plus elle est aisée. je récite, comme une leçon.
En plus de soigner contre une somme d'argent assez élevée, nous choississons aussi nos victimes avec soin afin d'en retirer des prix encore plus grands.
-Je veux que tu y ailles et que tu en tires un max d'argent. Séduis-le s'il le faut, après tout, tu es une femme, il faut bien que ça serve à quelque chose.
Je soupire et l'informe que je prends la route dans l'instant. J'attends qu'elle raccroche avec impatience et, quand elle le fait, je me dépêche de me préparer.
À l'extérieur, j'appelle Hasna, un ocelot que m'a offert mon père. C'est une tradition familiale. Chaque guérisseur de la famille Lalwen possède un animal de compagnie, un être magiquement dévouée à son possesseur. Certains de mes frères et soeurs possèdent des animaux un peu plus communs comme un chat, un hibou, ou bien un gros lapin. Certains autres, des animaux plus sauvages. Par exemple, l'une de mes soeurs possède, elle, un magnifique renard blanc.
M'enfin, je pense surtout que cette histoire d'offrir des animaux à ses enfants, c'est surtout une tactique de manipulation, un moyen d'acheter ses propres descendants.
Accompagnée de ma charmante Hasna, je monte dans ma voiture et prends la route.
*****
L'air est froid et humide au nord de la Normandie. Mes cheveux sont balayés avec force par le vent dès l'instant où je sors de mon véhicule. Sur le siège arrière, Hasna s'étire et observe tout autour d'elle, sans pour autant avoir envie de sortir de son cocon.
Tu as raison, il fait bien meilleur à l'intérieur.
Trois silhouettes s'approchent de moi, des membres de la meute Sombre qui demandent mes services. L'un d'eux, plus avancé, semble guider les deux autres. Ils s'avancent vers moi et me saluent.
-Je vous souhaite la bienvenue sur le territoire de la meute Sombre, Mlle Lalwen.
-Alethea, s'il vous plait. Je ne suis pas vraiment fière des personnes dont j'ai hérité ce nom. je le coupe.
Il hôche la tête.
-Si vous voulez bien me suivre, Alethea.
Nous marchons jusqu'à un grand bâtiment aux murs blancs, le bâtiment principal de cette meute. C'est là-bas que vont se réunir tous les loups de ce territoire lorsqu'ils n'ont rien à faire.
-Vous êtes l'Alpha, je présume ? je lui demande, l'Alpha d'une meute étant le chef de cet attroupement de métamorphe.
Il secoue la tête.
-Je suis Drickes, son bêta. Étant son second, je remplace l'Alpha durant son absence. m'informe t-il.
-Oh, il n'est pas là ? je fais la moue, préférant faire affaire avec le chef en personne. Quand compte t-il rentrer ?
Le bêta se tourne vers moi et me jette un regard désapprobateur.
-Ce ne sont pas vos oignons. Contentez-vous de soigner notre louve.
Ah, je reconnais bien là les loups, toujours désagréables et méfiants avec les inconnus qui arrivent sur leur terre.
Je hausse les épaules et n'y fais pas plus attention. Un peu plus tard, nous entrons dans une grande pièce - à savoir que la plupart des métamorphes, tels que les loups, vivent toujours dans de grands espaces afin de ne pas se sentir emprisonnés - où est allongée au centre de la pièce une femme à la peau mate, d'environ vingt-cinq ans, ou peut-être plus. Sa longue chevelure brune est étalée sur le matelas sur lequelle elle est posée. Le bas de son pantalon est déchiré et tâché de sang. Je m'approche d'elle et de sa jambe blessée. Le piège à ours lui a tellement déchiquetée la chair que l'on voit l'os un peu esquinté dans le membre ensanglantée.
-Natasha n'a pas fait attention et a dépassé les limites du territoires. Elle n'a pas eu le temps de s'en rendre compte, et elle a marché dans un piège à ours. m'explique Drickes de l'autre côté du lit, les bras croisés sur son torse.
-Oui, je sais. Ma mère m'a déjà expliqué tout ça.
Je me tourne vers la louve.
-Ça va piquer un peu. je la préviens.
-Comme si ça pouvait faire plus mal que lorsque je me suis pris... ah!
-Désolée, mais c'est ainsi que je procède. je m'excuse sans être réellement sincère, les mains qui tiennent fermement le membre déchiqueté.
Dès lors, je ferme les yeux et me concentre. Et la magie se libère. Comme un cours d'eau, une rivière, elle déferle dans tout mon corps avant de se diriger vers un point précis. Dans ma tête, je m'imagine la chair qui se referme, reconstruisant ce qui a été perdu. Lorsque je rouvre les yeux, la lueur bleutée qui illumine mes paumes disparait. J'écarte mes mains et observe la jambe à nouveau intacte.
-Je crois bien que ça y est.
Alors que Natasha - si je me souviens bien - s'extasie sur son membre entièrement guéri, je me tourne vers le bêta et le fixe d'un air sérieux.
-On peut parler argent maintenant. je déclare enfin.
*****
L'après-midi se termine bientôt lorsque je sors, non-escortée, du bâtiment. Comme nous sommes bientôt en hiver, la nuit est presque déjà tombée et je me demande si je ne vais pas bientôt sortir mon téléphone de ma poche afin d'illuminer mon chemin. Je marche en direction de ma voiture quand j'entends un feulement au-dessus de ma tête.
-Hasna ? j'appelle l'ocelot en l'observant perchée sur une branche d'un arbre en hauteur.
Mais celle-ci ne m'écoute pas. Elle fixe quelque chose du regard, quelque chose qui semble l'effrayer. Je tourne la tête afin d'appercevoir ce qui la pousse à réagir ainsi. Pas très loin, à quelques mètres de nous, se tient un homme à la crinière noire ébouriffée, aux vêtements froissés et aux pieds nus. Le type m'observe avec intérêt, le souffle haletant. Je ne me rappelle pas avoir vu cet homme tout à l'heure.
Est-ce bien un membre de la meute Sombre ?
Je me dis que c'est peut-être le cas lorsqu'il se met à grogner.
-Vas t-en tout de suite ! m'hurle t-il, l'air affolé.
Je cligne des yeux, interdite. Il est vrai que les loups ne sont pas réputés pour leurs bonnes manières auprès des inconnus, mais tout de même.
-Dégage avant qu'il n'arrive !
C'est une blague de mauvais goût, n'est-ce pas ?
Je fais la moue, pas le moins amusée par ce type qui cherche à m'effrayer.
-Je dois récupérer mon ocelot avant. Elle est grimpée dans un arbre et elle ne veut pas descendre. je lui explique d'un ton neutre, restant malgré tout sur mes gardes.
-Tu ne comprends pas. Il faut à tout prix partir ou sinon...
Je plisse le front, penche la tête sur le côté, pas le moins du monde inquiète.
-Ou sinon quoi ?
-C'est déjà trop tard. souffle t-il tellement bas que j'aurai pu ne pas l'entendre.
L'inconnu baisse la tête et grogne sourdement. Lorsqu'il relève son regard vers moi, il est rouge sang. Ses iris brillent dans la quasi-obscurité et - je l'avoue - me font frissoner d'effroi.
Ce loup ne sait clairement pas se contrôler.
Il fait un pas lent vers moi. Voyant que je ne recule pas, il sourie. Un sourire en coin carnassier et qui fait froid dans le dos. Je déglutis. Un instant, le métamorphe est debout à quatre bons mètres de moi. L'instant d'après, il s'élance dans les airs en prenant la forme d'un gigantesque loup noir. La grosse bête me percute de plein fouet et mes fesses rencontrent avec force le sol terreux avant que ma tête fasse de même. Sonnée, je n'arrive pas à crier à l'instant où les griffes du métamorphes pénètrent ma chair délicate. Le loup grogne au-dessus de ma tête. Ses yeux rouges me terrorisent, un exploit que très peu de choses ont réussi jusqu'ici. Deux iris écarlates pénétrants qui semblent sonder mon âme.
Est-ce que je respire encore ?
Consciente que mon souffle s'est coupé à l'instant même où mon corps a attéri brusquement sur le sol, j'avale une goulée d'air au moment même où la bave gluante qui coulent sur les babines sombres du loup ne vienne s'écraser contre mon visage.
Répugnant.
Je tourne la tête et crache le liquide visqueux qui est entré dans ma bouche. Et j'attends. J'attends de longues secondes, une bonne grosse minute interminable.
Va-t-il mettre fin à mes jours ?
Je ne sais pas si ce serait une bonne ou une mauvaise chose. Je ne suis pas d'une très grande utilité dans ce monde. Je sauve des vies, c'est vrai, mais je vole ensuite le butin des gens que j'ai aidé. Je pense que mon don devrait faire profiter tous ceux qui en ont besoin, et les faire profiter gratuitement. Mais, quelle importance, je vais peut-être périr ce soir. Ce sont mes parents qui ne seront pas contents. Ils vont à coup-sûr demander une somme exorbitante aux loups de la meute Sombre pour leur avoir fait perdre leur si précieuse banque ambûlante.
Mais finalement, le loup s'écarte. Il recule, me laissant enfin respirer convenablement sans avoir la cage thoracique comprimée par son poid. Rassurée malgré mon sang qui s'écoule des blessures que m'ont procuré ses griffes, je tente de m'asseoir maladroitement. Face à moi, debout sur ses quatre pattes, le loup m'observe toujours de ses deux billes rouges. Il inspire. Puis s'élance. Sa tête rencontre avec fracas la mienne dans un coup de boule magistral qui finit par m'assommer.
Bah, au moins ma mort sera indolore.
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