V. White Rabbit
Alors que j'enterre le semblant de vie sociale que je commençais juste à envisager ici, je suis sauvée de ma honte et de ma gêne grandissantes par un bruit de porte.
- Excusez-moi du retard, lâche poliment un nouvel arrivant qui se précipite immédiatement sur une table devant le tableau.
Du coin de l'œil, je détaille l'élève alors qu'il s'asseoit à côté du certain "Heathcliff". Je reste figée un instant, tant ce que je vois me surprend.
Au premier abord, il semble moins extraverti que le reste de la classe. Chacun de ses mouvements est doux, plein d'une délicatesse profonde. Ses grands yeux bleus clair ont un air timide, presque apeuré, même si son sourire en coin se veut confiant. Il porte des lunettes modernes qui lui donnent un petit côté nerd. Une masse désorganisée de cheveux blond platine, presque blancs, vient parfaire son visage pâle qui porte encore quelques rondeurs de l'enfance. Pour parfaire son allure de geek maladroit, il porte un sweat à capuche gris sur un vieux jean troué aux genoux. A voir le peu d'estime qu'il semble prêter à son accoutrement, je doute que les déchirures aient été là quand il l'a acheté.
Son teint, son visage et ses manières sont celles des anges. La tranquilité qu'il dégage est comme une aura céleste, la fenêtre sous laquelle il s'est assis le baigne doucement de sa clarté chaleureuse comme si le grand barbu le rappelait à ses côtés. Oui, c'est un ange tombé sur Terre.
Un ange en baskets et jean délavé.
Je suis soudainement tirée de ma contemplation par les réprimandes de Mme Carter, sur qui le charme aérien du garçon ne semble avoir aucun effet.
- Antonov, encore en retard ?! le gronde-t-elle, sourcils froncés. Mais à quoi vous sert donc votre réveil ?
- À trouver une bonne excuse pour arriver en retard en cours, m'dame, plaisante-t-il sous les yeux réprobateur de notre professeur.
Un éclat de rire collectif se propage dans la salle. Moi-même, j'esquisse un sourire devant l'impertinence de l'adolescent. Un instant, il a réussi à me tirer de ma morosité.
Un ange en baskets et jean délavé et qui n'a pas sa langue dans sa poche.
- C'est Randy, me glisse Joy alors que Carter soupire de dépit. Il a notre âge et est arrivé ici en même temps que moi. Heath et lui se connaissent depuis l'enfance.
Je coule un regard en direction des deux amis. En effet, il semble régner entre eux la même complicité que celle qui unit les jumeaux. Le jeune homme vairon taquine son ami, ils semblent se chamailler tout en riant discrètement.
Quel duo singulier, je pense en voyant Heathcliff frotter la tête de l'angelot. Ils offrent un tableau surprenant, à la limite de l'oxymore, entre la plus pure des simplicités et l'extravagance à outrance.
- Son nom, c'est du russe ? Je questionne ma seule source d'information.
- "Antonov" ? Ouais, il a de la famille là-bas. Mais il est né en Angleterre, du coup il ne parle pas la langue.
Ce qui explique son teint de porcelaine. Il a le profil typique des nordiques, pâle et élancé, même si son sweat-shirt épaissit sa silhouette que je devine svelte.
- Bien, fait Carter quand tout le monde s'est calmé. Si tout le monde est là, à présent, je vais peut-être pouvoir commencer !
Durant l'heure qui suis, la professeure nous donne la liste de nos enseignants pour l'année ainsi que notre emploi du temps. Elle nous fait quelques rappels des consignes de sécurité, distribue le règlement intérieur et la liste de matériel pour sa matière.
Personne ne fait de remarque sur ma présentation foireuse. Je dois vraiment une fière chandelle à Antonov, il m'a sauvé la mise pour aujourd'hui. La question reste cependant, combien de temps encore pourrais-je me faire discrète ?
* ℑ *
La cloche sonne bientôt, et nous sortons de la salle dans un joyeux brouhaha. Les retrouvailles se poursuivent, à présent que la troupe est au complet ; j'ai un pincement au cœur en constatant que tout le monde se connaît. Je ne sais pas où me mettre, personne ne m'adresse la parole et c'est pour le mieux, mais quelque chose me dit que cela ne durera pas et je ne préfère pas être là lorsque le petit groupe se rappellera ma présence.
Je m'éclipse donc discrètement, direction les toilettes dans lesquelles je compte bien m'enfermer pour le reste de la journée, les cours ne commençant que demain. Pas très glorieux, je sais, mais je commence à avoir l'habitude.
- Tu vas où comme ça ?
Merde. Grillée ! Je me retourne à contrecœur vers la voix qui vient de m'interpeller. L'angelot en sweat arrive droit sur moi, tout sourire, les yeux pétillants.
- Alice, c'est ça ? Je suis Randall Antonov, désolé de ne pas avoir pu me présenter avec les autres, j'arrive toujours à la bourre...
Tout en serrant la main qu'il me tend, je me questionne sur l'utilité de la montre qu'il porte au poignet. Il n'arrête pas d'y jeter des coups d'œil à l'attention quasi religieuse, pourtant tout le monde, lui compris, blâme ses retards à répétition.
- En... enchantée, je tente de mon accent le plus pourri.
- Il paraît que tu viens de France ? poursuit-il comme si je ne venais pas de massacrer la langue de Shakespear. J'y suis allé, une fois, j'aime bien ce pays. Tu habitais dans quelle partie ?
- Heu... le... sud. Je me sens pitoyable.
- Le sud ? Plutôt Toulouse, Bordeaux, Nice ...?
Mais c'est qu'il est tenace le blondinet ! Je ne sais pas où me mettre, entre cet interlocuteur déjà encombrant et les autres que je voient arriver derrière lui. Le revers de la médaille ; il me sauve puis m'enfonce plus profond encore.
- Toulouse, je réussis finalement à articuler. Je viens de Toulouse.
- Oh, mais c'est super ! Toulouse est une ville magnifique, s'exclame-t-il joyeusement.
Mais il peut pas la fermer ? Maintenant tout le monde autour nous regarde ! A l'entendre, on pourrait croire que notre conversation est la plus intéressante qu'il ait jamais eu.
- Randy, laisse-là un peu tranquille, tu l'ettouffe là ! Le calme à mon plus grand soulagement la "princesse italienne".
- Désolé, je me suis un peu emporté, s'excuse à mon intention l'intéressé. C'est juste que c'est tellement rare qu'on ait des nouveaux...
Ça, je peux m'en douter. J'ai eu beau réfléchir et me creuser la tête, je ne comprends toujours pas comment il se fait qu'aussi peu d'élèves soient inscrits ici. Est-ce que le Lycée est si récent ? Pourtant, la petite plaque à l'entrée datait sa fondation à 1998 ! Dix-huit ans, ça laisse le temps de s'introduire dans le milieu scolaire. Alors qu'est-ce qui cloche ici ...?
- Ça fait longtemps que tu as emménagé à Londres ? Me questionne plus doucement la brune, une fois Randall complètement calmé.
- Heu... une semaine.
- Quoi ? Seulement ? font les autres, abasourdis.
Aussi étonnant que cela puisse paraître dans ces circonstances - une fille normale au milieu d'un groupe de tarés potentiels -, on dirait bien que j'ai réussi à les surprendre. Merci papa et tes idées à la...
- Mais alors, tu n'a pas dû avoir le temps de visiter ! La voix stupéfaite de Joy coupe mes pensées assassines.
- Non, pas vraiment...
J'avais trop à faire avec mon paternel dérangé et ma petite sœur terrifiée pour faire du tourisme, je songe amèrement.
- Oh, j'ai une idée ! Lance Josh. Que dirais-tu de nous retrouver demain pour notre Starbucks Party hebdomadaire ? On te ferais faire le tour de la ville !
Oh non ! Demain, j'ai promis à Christian de faire un direct Skype pour qu'on s'échange de nos nouvelles. Nous connaissant, on en a pour toute l'après-midi. Hors de question que je sorte de chez moi !
- Mais quelle bonne idée ! Crie Gillian avec entrain. Tu as de la chance, normalement on fait ça le mercredi, mais vu que la rentrée était un jeudi, on a exceptionnellement décalé au vendredi.
Je n'ai pas l'impression d'avoir de la chance, et je me fiche éperdumment de leur rendez-vous Starbucks. Ils tirent déjà des plans sur la comète, à s'extasier sur une sortie à laquelle je ne compte de toute façon pas prendre part.
- Merci, mais j'ai déjà quelque chose de prévu pour demain, je tente de décliner aussi poliment que possible.
- Oh, il faudra qu'on t'emmène à Hamley's aussi ! s'emballe Joy, m'ignorant complètement.
- Attendez, c'est inutile... je tente encore.
- Mais oui ! Montrons-lui les endroits qu'il faut connaître, approuve Chelsea qui m'abandonne à son tour.
- C'est une méprise, je ne suis pas disponible pour...
- Tu en as de la chance, Alice, m'interrompt Randall en hochant la tête. Les filles ont déjà adopté leur nouvelle amie.
J'en perd mes arguments. Je suis... leur amie ? Suivant le regard en coin du garçon, le mien tombe sur les trois adolescentes qui se sont éloignées pour planifier notre sortie. Elles rient aux éclats, leurs yeux brillent et leurs sourires sont éclatants. La perspective de cette sortie les réjoui profondément.
Je me sens soudain coupable d'avoir voulu l'esquiver à tout prix. Je ne veux pas les priver de ce plaisir. Oh, et puis après tout, mon chat avec Christian pourra attendre samedi ! S'il tiens vraiment à moi, il sera heureux d'apprendre que je passe du bon temps avec mes nouveaux camarades, non ...?
- Heu... oui. Je suis contente aussi. Je ne pensais pas être acceptée si facilement.
Finalement, j'irais avec eux. Une sortie et une visite de la ville ne me feront pas de mal - le fait que ce "Hamley's" et tous les lieux qu'on entend les filles ajouter à leur liste m'évoquent à peu près autant de choses que le contenu d'un dictionnaire chinois en est la preuve.
Il faut que je me sorte de ce mal du pays qui me ronge depuis huit jours. Que j'arrête de vivre "en France" par procuration, à travers les réseaux sociaux et la seule chaîne de télé qu'on arrive à capter (l'éternel TF1). Je peux me faire à cette nouvelle existence sans pour autant perdre mes attaches et mon petit ami ; tous ceux qui veulent mon bonheur m'encourageraient à me lancer dans l'aventure.
- J'ai hâte d'être à demain.
Pour la première fois depuis l'annonce du départ, mes mots et mon sourire son sincères.
* ℑ *
Hey hey hey !
Et voici Randall, le lapin blanc ! Bon, je sais que pour l'instant sa répartie n'est pas vraiment piquante, mais je vous rassure, à l'avenir il devrait vous faire rire. J'ai choisi son nom pour sa légère ressemblance avec "Rabbit".
Ne vous étonnez pas si chaque personnage a un caractère très poussé, au point de paraître cliché (même si ce n'est pas le but) : puisque de toute façon la fiction est en mode "brouillon", j'y détermine principalement les traits de chacun et l'étrangeté du groupe final. Le tout sera poli et lissé à la réécriture.
J'espère malgré tout que chaque personnage vous plaira, j'ai passé un bon moment à déterminer leurs différences, leurs goûts, leurs qualités et leurs défauts, le tout pour créer cette classe contrastée, ode à l'égalité (oui c'est le but premier).
Alors alors... qui va-t-on découvrir demain ? L'indice du jour : il semble fou mais est plus lucide qu'il n'y paraît...
MàJ : Okay je poste aussi tôt parce que je suis actuellement en route pour la rentrée ! Je vous donne des nouvelles demain (faites comme si ça vous intéressait svp T-T), bonne journée à vous et bonne rentrée à ceux pour qui c'est aussi aujourd'hui !
Chapitre dédié à une lectrice aux chevilles enflées !
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