Chapitre 6

Alice

        Je fis irruption dans la cour vide, avec un soulagement évident. Je n'avais aucune envie de me confronter aux autres. Je me dirigeai sans hésiter vers le fond de la cour, là où de grands peupliers abritaient quelques bancs. Si Lou était encore au lycée, elle serait là-bas à coup sûr. Louvoyant d'un pas vif entre les bâtiments, je fouillai du regard les environs avant de l'apercevoir. Elle était assise contre un grand peuplier, les genoux ramenés sur la poitrine, le visage fermé, presque dur. Elle semblait perdue dans ses pensées, coupée du monde, ses écouteurs enfoncés dans les oreilles. Je la hélai d'une voix forte. Elle se retourna, et s'avança vers moi, m'offrant tout juste un timide sourire.

        Je la pris dans mes bras, l'envellopant autant que je pouvais pour lui témoigner mon soutien. Je lui retirai délicatement ses écouteurs, entendant à peine la chanson qui tournait, et lui murmurai quelques mots d'encouragement sincères. Je desserai mon étreinte seulement lorsque je sentis son corps se détendre, son esprit s'apaiser. Je m'éloignai d'elle sans la quitter du regard.

        Elle me fit un sourire rassurant et me dit d'une voix posée et confiante :

"Ca aurait pu être pire, ma belle. Je n'ai que quelques centièmes de points à rattraper..."

Je soufflai de soulagement à cette annonce, et souris de la voir relativiser aussi rapidement. Elle enchaina avec excitation :

"Mais toi, tu dois bondir de joie! En même temps, il y a de quoi être fière! J'aurai aimé être la première à te féliciter, mais tu ne ...."

Elle laissa sa phrase en suspens, me voyant froncer les sourcils sans comprendre. Elle grogna :

"Alice..."

La conversation s'engageait mal... Louise ne m'appellait presque jamais par mon prénom, mis à part quand le sujet était d'une importance capitale ou qu'elle était furieuse. Aucune de ces options n'était de bonne augure. Je grimaçai, attendant la suite à laquelle je ne pourrais échapper.

".... Ne me dis surtout pas, que tu n'as même pas été voir les résultats!" Elle était exaspérée par mon comportement, cela s'entendait sans peine dans sa voix.

"Tu ne peux pas le laisser gagner comme ça!" Je lui lançai un regard sombre, la sommant de ne pas continuer plus loin dans cette voie là. J'étais largement de taille à lui tenir tête, malgré son caractère bien trempé.Je sifflai :

"Louise..."

Elle se reprit interdite, avant d' ajouter :

"Reprends toi, bon sang! Tu n'es plus que l'ombre de toi même aujourd'hui."

Je ne dis mot, elle avait raison même si je ne voulais pas l'entendre. Je ne la contredis pas, cherchant à éviter ses foudres autant que faire se peut. J'esquissai difficilement un sourire, qui fit retomber sa colère. Elle me prit par le bras avec un enthousiasme débordant et m'entraîna vers le panneau d'affichage. Me forçant à montrer un peu d'intéret, je laissai mes yeux dériver sur les listes. Lou, piaffant d'impatience à mes côtés, m'indiqua une ligne. Je la lus à plusieurs reprises sans comprendre cet succession de mots :

        MARECHAL         Alice                         TS                               Admise                         mention TB

Cette bonne nouvelle ne provoqua en moi, aucune joie, aucune excitation, au grand dam de Lou. Celle-ci soupira bruyamment, je me tournai vers elle en guise d'avertissement. Je ne supporterais pas plus de remarques aujourd'hui.

        Elle baissa la tête, vaincue. Nous descendîmes lentement les escaliers, jusqu'en ville. Les souvenirs de notre amitié refaisaient surface au gré de notre ballade et nourissaient notre conversation. Ce temps là avec Lou me manquerait, songeai-je. Je le lui dis, sans même y penser, puis m'arrêtai interdite. Je ne lui avais pas annoncé mon départ, j'avais retardé autant que possible et là, je venais de lâcher la bombe sans plus de précaution. J'espérai quelques secondes qu'elle ne relèverait pas. c'était mal connaître Lou.

        Elle soupira et murmura :

"Je savais bien que tu n'allais pas rester ici indéfiniment, et encore moins à présent. Tu me manqueras aussi mais on a encore du temps."

Le sujet était pénible mais elle ne le prenait pas aussi mal que je l'avais craint finalement. Mais il fallait que je sois franche, je lui devais au moins ça.

"On a pas vraiment de temps..." bredouillai-je.

Ses grands yeux bleus s'assombrirent, en se posant sur moi. Je continuai vaillamment :

"Je pars demain, Lou."

Elle ne dit mot, laissant peser sur mes épaules une chape de plomb, poids de la culpabilité. J'avais peur de la perdre, peur qu'elle se fache, qu'elle me raye de sa vie purement et simplement, et elle en était capable. Je pouvais sentir la tempête qui faisait rage dans son esprit. J'attendais, anxieuse, sa réaction.

Elle lacha, finalement :

" Je savais que tu allais partir, que quelque chose de plus grand t'attendait ailleurs. Et quand il est parti, j'ai su, que ce jour où tu partirais loin d'ici, loin de tout ce qui te le rappelle mais aussi loin de  moi, s'était encore plus dangereusement rapproché. Et pourtant, tu es restée plus longtemps que ce dont je t'aurai crue capable, tu as essayé de te battre, de rester forte ici. Mais je le sais que c'est presque impossible."

J'étais mal à l'aise. Elle ne m'avait parler ainsi, à coeur ouvert qu'une seule fois auparavant, lors de notre rencontre. Elle continua :

"Je sais que tu dois partir, que c'est ta chance de t'en sortir, de te libérer de tout ça. Mais égoistement, je ne veux pas. Tu vas me manquer. Tu es le pilier qui m'a tenu debout pendant 3 ans, même si je sais que je peux y arriver seule. J'aurai aimer pouvoir  te garder auprès de moi. C'est chimérique, ça l'a toujours été. Mais bordel! Pourquoi tu ne m'as rien dit plus tôt?!"

Elle se reprit, m'envellopa d'un geste brusque dans ses bras et me dit très vite, gênée :

"Enfin, tu vas où? Que je sache où je vais devoir débarquer quand je voudrais m'assurer que tu vas bien?"

Elle n'avait pas marqué de pause dans son monologue desordonné, m'empêchant par la même occasion d'intervenir. Je répondis, enfin :

"Ca n'aurait pas changer grand chose, que tu le saches avant. Notre séparation aurait toujours été aussi douloureuse."

Elle acquiesça à contre coeur, approuvant mon raisonnement. J'enchainai alors d'une voix que j'espérais plus joyeuse :

- Je vais à Fontainebleau. J'ai été, finalement, acceptée pour le projet d'élite de la faculté de psychologie. Tu te souviens nous avions été poster le dossier ensemble, il y a quelques mois.

Face à son absence de réaction, j'enchaînai :

Demain, je vais visiter  quelques appartements avec mes parents. Je resterai là bas pour me familiariser avec la ville et régler les détails. Je t'enverrai l'adresse ensuite, bien sûr et de toute façon, on pourra toujours s'appeller toutes les semaines, tous les  jours même si tu veux.

        Elle hocha la tête et nous reprîmes notre marche en silence. Je me tus, la laissant digérer toutes ces informations et n'ayant rien à dire de plus. Arrivées à la porte de chez Lou, elle me prit dans ses bras, me murmura rapidement  "Vis ta vie et sois heureuse" , je n'eus que le temps de lui répondre qu'elle aussi avant qu'elle ne disparaisse, me laissant seule à sa porte sur le trottoir.

        C'était du Lou tout craché, me dis-je en souriant. J'espérai qu'elle allait rapidement reprendre le dessus. Mon coeur se serra quand je m'éloignai, songeant que c'était la dernière fois avant longtemps que je dévalai la pente douce de sa rue.

        Je regardai, horrifiée, l'heure à ma montre qui indiquait déjà 22 heures. Amanda devait m'attendre depuis un moment déjà. Je me résolu à aller la rejoindre au Jokapi.

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