Chapitre 5 : Lou
Alice
J'avançai d'un pas rapide, à travers la ville, un seul but en tête rejoindre Lou le plus vite possible. Les rues désemplissaient peu à peu. Chacun retournait à son foyer, pressé et heureux, en cette fin de semaine, de retrouver son confort. Malgré la fatigue qui se lisait sur les visages des passants, une certaine allégresse semblait flotter dans les airs, n'épargnant personne. Le soleil finissait sa course folle, donnant au ciel une teinte mauve-orangée. Le fond de l'air se rafraichissait. Je pris ma veste et la drapai d'un simple geste sur mes épaules, sans même prendre le temps de ralentir. J'enroulai prestement mon écharpe autour de mon cou, appréciant le doux contact de l'étoffe sur ma peau nue. J'humais l'air, sentant cette odeur familière et rassurante s'échappant de l'étole mélée à celle, plus ténue, de la ville environnante. Je gravis, quatre à quatre, les escaliers interminables menant au lycée, ne pouvant m'empêcher de penser à ma première rencontre avec Louise.
J'étais en retard comme toujours, je soupirai en apercevant les volées interminables de marches qu'il me restait à gravir. L'escalier bordé de verdure et d'arbustes, s'étendait devant moi. J'avais entamé mon ascension avant de marquer, essoufflée, une pause au second palier. Le bruit discret de pleurs parvenait jusqu'à mes oreilles. Il était tout proche. Je ne vis tout d'abord personne puis à mieux y regarder une paire de ballerines dépassait de la palissade toute proche.
Je m'assis sur une marche, touchée par sa détresse, tout en priant pour que mon absence en cours passe inaperçue. Sans vraiment savoir pourquoi, je me mis à lui parler, avec douceur, de tout de n'importe quoi. Je lui fis remarquer la douceur de ce jour, l'écureuil courant d'abre en arbre, le gazouilli des oiseaux, la forme particulière des fissures sur le mur en face de nous, l'odeur du bon pain qui se répandait depuis la boulangerie en contre-bas. Autant de sensations simples et agréables qui nous entouraient. Elle se calma lentement et murmura :
"Merci"
Je souris, me sentant malgré tout ridicule dans cette situation. Je me tus, attendant qu'elle poursuive. Après quelques instants de silence, elle commença d'une petite voix :
- J'ai raté mes examens...
Je fronçai les sourcils, toujours sans la voir. Je m'interrogeai : pourquoi pleurer ainsi seulement pour des cours. Cela me paraissait démesuré.
Comme répondant, à mes interrogations muettes, elle enchaîna :
-Oh, bien sûr, ce n'est pas seulement ça! C'est simplement la goutte de trop...
Elle reprit, la voix tremblante :
-"Mon père est mort, il y a quelques mois à peine. C'était un homme incroyable, ouvert, rieur, attentionné. Il m'emmenait toujours avec lui, où qu'il aille. Il était passionné par son métier, carressant le rêve que je prenne sa suite, un jour. Il était brillant dans son domaine, chercheur renommé en aéronautique. Il travaillait à la fin de sa vie sur un grand projet, qui aurait permis de concevoir un nouveau type de moteur révolutionnaire pour les avions. Quand il en parlait, il était exhalté." dit elle d'une traite, emportée par la passion et l'amour qu'elle lui portait.
"Avant de mourir, il m'a fait promettre de finaliser ses recherches, d'améliorer le monde grâce à ça,de mener le projet de toute sa vie à son terme. J'ai fait le serment de ne rien lâcher, de rester forte quoi qu'il arrive. Il a tant insisté que j'ai fini par lui en faire la promesse, mais je suis incapable de la tenir. Je n'ai pas son intelligence, Je ne peux faire de grandes études aussi prestigieuses, les capacités me manquent pour cela.Je ne veux pas le décevoir, à aucun prix. Ca me dévore de ne pas parvenir à réaliser ses souhaits. C'est pour cela que mes échecs me pésent tant..."
Elle ajouta, après un temps :
- Nous avons toujours été très fusionnels. L'annonce de sa maladie m'a poignardée en plein coeur : un cancer l'a emporté en seulement un mois, me laissant seule. Pendant ce mois, je suis allé chaque jour, à l'hôpital, ne rentrant que pour prendre un peu de repos la nuit.C'était sans aucun doute, les jours les plus éprouvants, que j'ai vécus. J'ai vu cet homme fort,que j'aurai voulu garder pour toujours à mes cotés, décliner chaque jour davantage.
Après , un court silence chargé d'émotion, elle reprit, rageusement :
- Ma mère n'a pas supporté sa disparition, deux jours plus tard, elle avait foutu le camp. Ses placards étaient vides, son sac à main introuvable. J'ai attendu longtemps, espérant qu'elle allait revenir malgré tout, malgré notre relation tendue, malgré son chagrin... Elle ne l'a pas fait! Elle est partie sans même un regard en arrière.
Je ne dis mot, abasourdie. Je ne trouvai rien à dire face à tant de peine et de colère mélées, étonnée qu'elle se soit ainsi confiée.
Elle rompit le silence inconfortable, s'emportant :
"Mais pourquoi je te raconte tout ça? Je ne te connais même pas, je ne connais ni ton nom, ni ton visage..."
Je soufflai, en souriant, amusée de sa réaction vive :
"C'est parfois plus facile de se confier à un inconnu, il ne peut vous juger. Tout ce qu'on peut dire, n'aura pas d'impact sur le lien qui nous lie puisqu'il n'existait même pas avant. Nous n'avons rien à perdre, tout à gagner"
Je cru entendre un sourire et elle poursuivit :
-Je suis arrivée ici il y a un an à peine, je ne connais quasiment personne. Rien d'étonnant à cela, je passais, depuis le déménagement tout mon temps, à la maison avec mon père, sa santé se dégradant lentement. La formule "un être vous manque et tout est dépeuplé" n'a jamais eu autant de sens pour moi." ricana-t-elle.
Les mots sortirent tous seuls de ma bouche, sans que je n'ai pu les soupeser avant, ces mots qui contenaient tout ce dont elle avait besoin.
"Ton père t'aime quoi que tu fasses et je suis là maintenant, je vais t'aider!"
J'étais encore frappée par la sincérité de mes propos si spontanés, quand une tête blonde émergea de derrière la palissade. Ses yeux humides mais rieurs me scrutèrent sans retenue, un moment, me jaugeant. Elle me lanca alors, comme après une mûre réflexion :
"Lou!"
Je haussai les sourcils, sans comprendre. Elle ajouta en réponse à mon incompréhension :
"Si on doit devenir amies, ce ne serait pas mal que je connaisse ton nom aussi!"
Je ris, surprise par ce revirement de situation et hochai la tête. Elle était vraiment imprévisible, songeai-je.
"C'est juste "entamai-je "Tu peux m'appeller Alice!"
Elle s'assit à côté de moi, et commença à discourir sans pouvoir s'arrêter sur le cinéma, les romans, la musique,le théâtre... parlant ce langage universel de l'art et reprenant sans plus de cérémonie notre première conversation là, où je l'avais laissée.
Je la détaillai pendant son monologue. Ses fins cheveux blonds encadraient un pale visage, percé de deux yeux d'un bleu profond révélant de nombreuses nuances. Ses gestes trahissaient tout son enthousiasme, toute sa combativité. Je restai admirative devant tant de force de caractère, devant sa capacité à rebondir si vite, à aller de l'avant quoi qu'il lui en coûte. Cette fille était comme un torrent, capable de surmonter tous les obstacles qui se dressaient devant elle, impétueuse, brusque,vive.
Son caractère contrastait nettement avec le mien mais malgré tout, nous nous entendions à la perfection. Plus jamais, nous n'avons reparler de son père ou de sa mère. Je ne la forçai pas même si j'étais chatouillée par la curiosité, je respectai ses choix. Cela faisait déjà trois ans. Nous avions construit une amitié solide, faites de fou-rires, de partage et d'une compréhension tacite.
Lou venait de rater son bac. L'angoisse me rongeait le ventre, depuis que j'avais lu son court message. Les rattrapages étaient à sa portée, j'en étais certaine. Je l'avais assez fait travailler pour avoir cette conviction. Cela restait quand même un coup dur pour elle, elle allait avoir besoin de moi.
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