chapitre 3
Thibault
Cela faisait des mois, que je n'étais pas revenu là, dans ce parc. Pendant une semaine, j'y étais allé tous les jours, espérant la revoir, percer le mystère qui l'entoure et qui m'obséde. Mais sans succès, elle n'etait pas revenue. J'ai peur qu'elle soit partie, qu'elle ai sauté parce que c'est bien ce qu'elle a du faire ce jour là. Le souvenir de son apparition s'était estompé dans ma mémoire, et je l'avais presque complétement oublié jusqu'à ce que je revienne ici.
Toujours assis au sommet de la colline, je contemplais l'horizon, quand je la vis, les rayons du soleil faiblissaient déjà. Il était tard, j'étais prêt à partir et pourtant je restai planté là à l'observer. Ses cheveux lachés se balancaient doucement au gré de ses mouvements, sa silhouette élancée avancait d'un pas ferme et décidé vers la falaise, son bras retenait fermement sa sacoche en cuir brun, elle était gracieuse.
Je la vis, sans comprendre, s'asseoir à même le sol pour retirer ses talons, les enfouir avec sa veste dans son sac, qu'elle balanca dans le vide. Je clignai des yeux, et la vis descendre, calmement, puis disparaitre, happée par le vide. J'avais envie de me précipiter pour la secourir, mais je sentais qu'elle n'était pas de celles-là,de ces demoiselles en détresse qui n'attendent que d'être secourues. Ce calme qui transparaissait d'elle avant qu'elle ne disparaisse, démontrait clairement, comme ses mouvements mesurés, qu'elle était sure d'elle, pas suicidaire. J'en ai assez vu pour en être certain. Alors pourquoi cette angoisse ne me quittait elle pas?
Je m' approchai timidement de la falaise et l'entendis. Sa voix chantante et féminine entrecoupée de sanglots parvenait difficilement jusqu'à moi. J'entendis parler de ce Paul et me surpris à le haïr, sans même l'avoir rencontrer, mais aussi d'une certaine Amanda et aussi d'une Lou, sa voix se réchauffait quand elle en parlait. J'éprouvai un sentiment étrange à l'écouter ainsi, si proche et si lointaine, separé d'elle par seulement quelques mètres.
Le vent tourna, je ne l'entendais plus même en tendant l'oreille. Je me résignai à partir mais pas tout à fait, je me posai à nouveau sur la colline, pour m'assurer qu'elle allait sortir indemne. C' était tout bonnement ridicule! Cette fille, je ne la connaissais même pas, ni même son nom, je ne lui avais jamais parlé alors qu'est ce que je foutais là, bon sang! m'énervais-je. En plus, elle avait l'air drolement jeune, probablement une lycéenne, me fis-je remarquai. Des filles, j'en avais à la pelle si je le voulais. Il faut dire que mon look d'artiste torturé un peu bad boy, les attirait comme des mouches. Mes réflexions me firent ricaner. Il y en avait peut être des dizaines qui me couraient après, mais à vrai dire à quoi bon puisqu'aucune ne pénétrera jamais dans mon sanctuaire, puisqu'aucune ne me connait, moi et non le personnage que j'incarne chaque jour.
Je soupirai, miné par mes sombres pensées, par cette vie que je rêvais différente mais que je n'ai pas eu la force de me créer. Je fis alors la seule chose qui, je le savais, me calmerai. Je sorti mon cahier à dessin et laissai le fusain glisser sans réflechir dessus. J'esquissais deux puis trois dessins, sans même prêter attention à ce qui apparaissait sous mes doigts. La sonnerie de mon téléphone m'interrompit alors,rompant le silence confortable qui régnait ici. Je décroche :
-Allo?
-Allo Tibault? C'est Tim.
Je souris, en entendant la voix de mon cousin.
-Euh, reprit-il, Ca va?
Je connaissais Tim, il ne m'appellait pas pour rien, lui qui était si timide, détestait ça, parler pour ne rien dire. Malgré mon impatience, je décidai de ne pas le presser et répondit simplement :
- Bien sûr. Et toi?
- Très bien. Je suis revenu à Lomson.
Cette simple phrase me surprit, l'enfant prodige était revenu au pays. Je lui annoncai chaleureusement :
-Moi aussi! Enfin seulement pour quelques jours... Comme d'habitude tu sais...
Je l'entendis soupirer, à l'autre bout du fil puis m'avouer :
-Je sais que tu es ici. Les nouvelles vont vite dans la famille...
Il me lacha cette petite bombe avant d' enchainer, hésitant :
- mes parents voulaient organiser une sorte de diner de famille, pour les résultats du bac ce soir, mais je voulais plutot sortir entre potes... et euh j'aurai bien aimé que tu viennes et aussi que tu m'aides à négocier l'annulation pur et simple de ce foutu dîner!
Je ris, voilà pourquoi il m'appellait. Il savait très bien que jamais je n'irai à ce dîner en "famille", et il se sentait gêné de refuser, et de ne pas le passer comme il l'entendait. Je le rassurai
- Pour le dîner, je vais gérer ça! Ne t'en fais pas.
La vague de soulagement qui s'empara de Timothée était perceptible même à distance.
"Par contre", repris-je "tu sais, moi, une soirée avec des gamins qui viennent tout juste d'obtenir leur bac ca me tente moyennement.... "
En disant cela, je me fis une réflexion. Si elle était là, alors que tout les lycéens étaient en train de fêter leurs résultats, c'est qu'elle n'était pas si jeune, souris-je. Il faut vraiment que j'arrete de dérailler maintenant!
- Allez thibault! Viens avec moi, s'il te plait! insiste t il
- Bon ok , je passerai! Répondis-je vivement désireux de me changer les idées.
Mais, dis moi, elle s'appelle comment pour que tu sois aussi insistant? Ajoutai-je malicieusement.
Un léger silence s'installe, je sais qu'il rougit et que j'ai visé juste.
- Alice, mais ce n'est pas ce que tu crois. De toute façon, elle a un copain et on a toujours été qu'ami et ca me va très bien comme ca.
- Mmmh
- A tout à l'heure alors!
Et il raccrocha.
Timothée avait toujours été cité en éloge dans toute sa famille, d'excellents résultats scolaires, des amis bien sous tout rapport, une politesse à toute épreuve, serieux, attentionné, génereux,... Des qualités à la pelle, que les femmes de la famille n'avaient de cesse d'énumérer. Tandis que moi j'étais, le mouton noir, celui qui ne faisait rien comme tout le monde, celui qui decevait toujours... Je sentis la rage monter en moi et m'efforçai de me calmer. Ne songeant qu'à la chance qu'ils avaient eu d'avoir réussi à s'entendre plutôt que de s'être détesté et entredéchiré.
Je jetai alors un coup d'oeil à mes esquisses. Sur la première, le parc était sombre, les arbres et les herbes folles tourmentés par les vents violents annoncant l'orage imminent. Cette scène s'accordait parfaitement avec la silhouette féminine qui semblait se trainer difficilement vers la vieille batisse. Force et tristesse s'échappaient,avec violence, sans qu'on puisse les contenir de cette image. Sur la seconde, c'était la représention exacte de son arrivée, aujourd'hui. Le champs s'étendait florissant, les rayons du soleil s'accrochaient aux brins d'herbe et aux arbres, innondant la jeune femme mélancolique face à la falaise. Ses cheveux volaient au vent, son visage tourné vers le ciel. Dans l'une comme dans l'autre, elle remplissait l'espace, s'imprégnait dans chaque fibre du croquis, prête à sortir du papier et à prendre vie. La dernière était encore plus saisissante un appel à la liberté : D'une cage ouverte, s'échappait à tir d'aile des oiseaux, confiants en l'avenir, s'échappant même de cette page pour s'envoler. Je soupirai, elle s'infiltrait même dans mes croquis, puis m'estima heureux, mes esquisses n'avaient jamais été aussi belles et réussies alors peu importe le modèle . Il était seulement le fil, qui lui avait permis d'approcher la beauté et la vérité de toute chose. Et c'était cela l'art : une tentative de saisir ces deux aspects de la vie. Je soupirai.
Ce soir je m'amuserai avec Tim, rencontrerai peut être cette Alice à qui il semblait tant tenir puis rentrerai chez moi, dans quelques jours. Il n'y aurait plus de mystérieuse inconnue, qui disparait sans complexe . Je retournerais à ma vie tranquille.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top