Chapitre 2
Alice
Je me laissai glisser le long de la paroi rocheuse. Pour moi qui ai le vertige, cette sensation était grisante, ressentir autre chose que cette douleur lancinante. Je n'avais pas peur de la chute, de l'après. Les saillies rocheuses m'abîmaient les mains et déchiraient mes vêtements par endroits. Sans comprendre comment, ma chute s'arreta brutalement. Je ressenti une vive douleur à la cheville. Je compris en un quart de seconde, que je n'étais pas arrivé au terme du voyage bien évidemment. Et une sensation de soulagement innatendu, m'envahit. Elle emplit brièvement chaque fibre de mon être, me faisant renoncer à mon acte impulsif.
Je m'assis sur cette corniche et analysai la situation. J'étais à peine 4 mètres plus bas qu'auparavant, plus de 15 mètres me séparaient encore du sol, me faisant frissonner. Je me rencognais alors contre la paroi et remarquai que j'étais dans une sorte de niche rocheuse, invisible d'en haut, baignée de soleil, au calme, isolée du reste du monde. Cette niche était relativement spatieuse , j'aurai pu aisément m'y tenir debout et même avec plusieurs autres personnes. Je m'allongeai à demi, confortablement adossée contre la paroi, protégée du vent par le renfoncement. Je pouvais rester là encore un moment, je ne craignais rien. C'était comme mon havre de paix, je me sentais en paix même si je savais d'ors et déjà, que ce sentiment ne durerait pas. Je scannai rapidement la roche à la recherche d'un accès pour remonter, j'aperçu quelques aspérités suffisamment profondes et stables dans la pierre, et des racines qui m'offriraient une bonne prise en main. Je me détendis rassurée, je pourrais remonter assez facilement.
Je décidai de rester là encore un moment. Plongée dans mes pensées, ressassant toute cette histoire, je ne vis pas les heures passées, ni mes larmes coulées. Je frisonnai, des nuages sombres masquaient le soleil. Il était temps de partir. L'ascension serait déjà difficile, mieux valait ne pas la rendre plus périeuse en attendant la pluie. Je me relevai trop rapidement, grimacant légérement lorsque je mobilisai ma cheville. Après une brève inspection, j'en avais conclu qu'elle n'était heureusement pour moi, pas cassée, mais quand même douloureuse. Je rassemblai mon courage et entrepris l'escalade, qui se révela plus aisée, que ce que j'avais pu imaginer.
Je me hissai péniblement sur l'herbe, où je repris mon souffle, laissant le temps à mes muscles tendus de se reposer. Etendue dans l'herbe, je notai une silhouette assise sur la colline. L'homme paraissait absorbé par ses pensées, contemplant le paysage qui s'étendait sous nos yeux. Il était autant à sa place ici, que la vieille masure, ou la fontaine. Il semblait appartenir à cet endroit, porter en lui l'essence de ce lieu. Il était à sa place. Cette simple réflexion me fit sourire.
Ce matin, j'étais anéantie, indifférente à tout ce qui m'entourait et cet après midi, j'ai ressenti le souffle de l'interdit, du danger quand j'ai sauté. Je m' étais sentie si vivante. Et pour tout avouer, j'avais aimer ça, frôler la mort, jouer avec le feu... me fis-je remarquer, en souriant. Je posai à présent sur le monde environnant, un autre regard.
L'horreur de la situation me frappa brusquement. Mes parents, Louise, Amanda, Charlie,... Je n'avais pas le droit de retenter ca , de choisir cet échappatoire là. Je me redressai difficilement sur mes jambes flageollantes, repris mon sac et marchai d'une démarche peu assurée vers la sortie, le poids de la culpabilité et de la honte pesant à présent sur mes épaules.
Thibault
Assis en haut de la colline, je savourai cet instant d'exquise liberté. Le souffle du vent ébourrifant mes cheveux, l'odeur de l'humus, de l'herbe et des fleurs, le toucher délicat des brins d'herbe sous mes paumes, l'agitation des fourmis, la valse lente des oiseaux dans les cieux, je me délectai de chacune de ces sensations, qui me semblait nouvelles après temps de temps.
Un mouvement capta alors mon attention. Une jeune femme sortant de nul part, était allongée, exténuée, sur le sol en contre bas, là où quelques secondes auparavant, personne ne se tenait. Mais d'où sortait elle, me demandais-je, intrigué à l'extrême. J'hésitai à descendre à sa rencontre, mais quelque chose dans son attitude, me retint. Ses yeux glissèrent sur moi, je vis son visage ravagé par les larmes, qui n'ont du cesser de couler, ses longs cheveux bruns en désordre, ses vêtements abîmés. En un instant, je la vis se redresser et partir de sa démarche mal assurée, sans pouvoir esquisser un geste vers elle, ni me résigner à la laisser partir. En un battement de cil, elle disparu si fragile et si forte à la fois...
Je restai assis là me laissant à rêver qu'elle allait revenir. Les premières gouttes tombèrent du ciel orageux, le grondement du tonnerre résonnait au loin, je me levai résolu et parti vers le chemin de terre. Quand tout à coup, mû d'une inspiration subite, je fis demi tour et m'approchai du vide, juste à l'endroit où elle se tenait quelques instants avant. Stupéfait, je ne découvris aucun escalier dérobé, et encore moins de chemin masqué par la végétation. Elle venait bel et bien de nul part ; aucune personne saine d'esprit n'aurait escalader cette falaise à mains nues. Le mystère restait entier. Ma fascination ne faisait que grandir, l'orage déchaina alors toute sa fureur et il plut à verse Je soupirai en courant vers la sortie, ma veste en cuir noire ne me protégerai pas bien longtemps d'un tel déluge...
Alice
Je montai dans le bus, ignorant les regards qui convergeaient vers moi. Il est vrai que je devais faire peine à voir mais je n'en pouvais plus de toute cette pitié. Je sorti mon portable de ma besace et consultai mes messages : 5 de Louise, 6 d'Amanda, 1 appel manqué de Papa. Je ne lu pas les messages, je savais très bien ce qu'ils contenaient. Je me contentai de leur répondre que ca allait beaucoup mieux, qu' elles ne devaient s'inquiéter en aucun cas. C'est mon combat pas le leur, mes problèmes. Je ne les entrainerai pas dans ma chute, me répétais-je, résolue.
Je soupirai de soulagement en arrivant, la maison était vide. Certes, c'était quasiment toujours le cas mais j'aurai été bien en peine de fournir des explications sur mon état. Je me débarrassai prestement de mes vêtements, pris une douche rapide puis desinfectai mes plaies. Après un bref regard dans le miroir, j'admis que j'étais présentable, les événements de cette journée passeraient inaperçus. J'enfilai rapidement un pyjama confortable, laissant ainsi le temps à mon thé d'infuser, pris mon carnet dans mon sac, et gravis ainsi chargée, les escaliers en bois clair menant à ma chambre.
J'ouvris doucement ma porte, laissant apercevoir une grande pièce au style épuré. Une bibliothéque recouvrant une grande partie du mur, une cage pour acceuillir charlie posée sur une commode, un large bureau en bois donnait du caractère à la pièce, un lit et un fauteuil invitaient simplement à cocooner. C'était mon cocon. Charlie, mon cochon d'Inde, se mit à couiner pour me saluer, m'arrachant ainsi un sourire sincère.
Je sorti de ma torpeur et pris résolu tout les souvenirs et photos d'eux qui encombraient ma chambre. Je déposai le tout dans un petit carton et le glissai sous mon lit jusqu'à ce que je sois prête à m'en débarasser, à clore ce chapitre de ma vie définitivement.
Je venai de m'installer dans mon fauteuil, charlie sur les genoux, noircissant les pages de ce carnet, buvant de temps à autre une gorgée de thé, quand une tête franchit la porte. Ma mère se tenait, hésitante, dans l'embrasure de la porte, je lui fis un sourire engageant bien que forcé. Elle m'annonça qu'on passait à table, je lui dis ne pas avoir faim, en expliquant avoir pris un gouter il y a peu. C'etait un menonge éhonté mais il vaut mieux que la vérité, me consolai-je. Je ne mange presque plus rien, je ne dors plus de peur des cauchemards, je m'autodétruis à petit feu sans réussir à combattre.
Ma mère acquiesça, vaincue. La porte de ma chambre se referma doucement sur elle. Ses pas résonnèrent encore quelques secondes dans les escaliers. Après quelques minutes, une conversation étouffée parvint jusqu'à moi. J'entendais mes parents en bas, s'inquiéter, et se disputer. Je ne pouvais pas laisser tout cela imploser. Ils m'aiment, je le sais, je le sens dans chacun de leurs mots et de leurs gestes. Même si ils ne sont que rarement présents, physiquement en tout cas, ils se sont toujours arranger pour que je me sente bien, que je ne manque de rien, que je sois heureuse. Leur impuissance aujourd'hui les blessent, tout comme mon mutisme. Il faut que je fasse des efforts et j'en ferai, mais là, tout de suite, c'est au dessus de mes forces.
Ma poitrine se gonfla et mon coeur se serra à ses pensées. Je ne pouvais leur en parler mais je pouvais prendre sur moi, descendre pour prendre le dessert avec eux. Se retenir de pleurer une demie heure ne devait pas être si difficile que ça, m'encourageais-je mentalement. Je pris quelques minutes pour affermir ma résolution, avant de descendre prudemment les escaliers pour me diriger vers la cuisine. Un sourire éclaira leurs visages, j'évitai leurs yeux emplis d'inquiétude et de pitié et lancai avec toute l'emphase que je pu rassembler, ébauchant un sourire : "Il y a quoi comme dessert, ce soir?"
Ma mère se précipita, tourbillonnant de joie, et posa face à mon père et à moi sa tarte aux pommes, encore fumante, dont l'odeur embauma rapidement toute la pièce. Pendant ce temps, mon père se leva sans un mot, mis en route la bouilloire avant de poser face à moi mes boîtes à thé. Je soulevai un sourcil interrogateur, le fixant sans comprendre. Il me lança alors un peu embarrassé :
"Je ne sais pas, lequel tu prends d'habitude. Je te laisse choisir." Ajouta-t-il me tendant la cuilllère à thé.
Je lui souris chaleureusement , en la prenant. Je n'étais pas habituée à autant de solicitude de sa part. J'ouvris délicatement mon sachet de Douchka, et versai le thé dans la cuillère, afin qu'il puisse verser l'eau chaude. Ils reprirent place à table, et parlèrent sans me forcer à participer, sans pression. Je les remerciai interieurèment. La voix de ma mère me tira encore une fois de mes pensées, s'inquiétant que je n'avais pas encore touché à ma part. Je souris et me forcai à plaisanter :
"Laisse moi le temps de savourer ce thé préparé par papa, c'est si rare!" dis-je malicieusement
Elle rit de bon coeur, tandis que mon père faisait semblant d'être vexé. Je pris une bouchée, et face à son regard inquisiteur, je lachai :
"C'est délicieux!"
A peine, ai-je prononcé ces quelques mots, qu' un sourire s'épanouissait sur leur visage.Ma mère dit alors avec fierté :
"J'ai ajouté de la cannelle, comme tu aimes."
Je lui souri et l'en félicitai, tandis que mon père chargeait sournoisement mon assiette d'une seconde part. Je ne relevai pas, cette fois ci. Ca leur faisait tant plaisir. Avec un sourire, je m'éclipsais, quand la voix de mon père me retint :
"Tu ne restes pas avec nous? Je te laisse choisir le film..." plaida-t-il.
Je secouai la tête. "Non, merci. Pas ce soir." ajoutai-je,
Voyant ses yeux gris s'assombrir à cette nouvelle, je glissai:
"Je veux terminer un bouquin... Tu sais celui qu'on a tant cherché, sans parvenir à trouver la bonne édition."
"Oh, oui! Celui de Romain Gary! "J'acquiesçai, pendant qu'il poursuivait enthousiaste "Sacré galère à trouver celui là! Le jour où tu te décideras à accepter d'avoir une bibliothèque remplie de livres dépareillés, ce sera bien plus simple que d'écumer toutes les librairies du globe."
J'hochai la tête en lui faisant, tout de même remarquer, que jamais, cela n'arrivera. Il sourit, rassuré. Il comprenait. L'angoisse avait disparu de ses yeux clairs. L'évocation des livres et cette brève conversation suffirent à l'apaiser.
Il m'avait transmis cet amour de la littérature. Au fil des années, l'élève avait dépassée rapidement le maître, mes goûts s'étaient affirmés, s'éloignant des siens. Mais ca restait quand même notre "truc" à nous. Nous aimions, lui comme moi, le bruissement des pages qui se tournent. L'odeur si particulière se dégageant des pages d'un vieux roman, le sentiment de liberté qui s'empare de moi, me font toujours un bien fou et me transporte ailleurs, hors du temps. Pour mon père, sa soif de connaissance et sa curiosité naturelle le poussaient à lire, avec presque autant d'avidité que moi.
Je gravis quatre à quatre les marches menant à ma chambre. Je refermai la porte, soulagée d'être enfin seule. Epuisée d'avoir dû muselé mon chagrin si longtemps, je m'effondrai sur mon lit, laissant enfin quelques larmes couler.
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