Chapitre 18 : le vide et l'obscurité
Chapitre 18 :
J'ai apprivoisé le vide à l'inverse de l'obscurité.
Thibault
J'étais diablement conscient de ce silence qui nous entourait, nous drapait, jusqu'à m'oppresser, m'étouffer. Il était à peine troublé par le battement de son sac sur sa hanche, le bruissement de la brise dans ses cheveux, le murmure de la rivière. Elle remontait le fil de l'eau d'un pas décidé, louvoyant à présent dans les ruelles pavées de la vieille ville. Je la suivais, sans un mot, me maudissant de ne pas être capable d'abolir cette distance entre nous. Cet écart qui se creusait, au sens propre comme au figuré.
L'église sonna une heure du matin. Les rues s'animant au fur et à mesure que l'on se rapprochait du centre-ville. Les bars se vidaient peu à peu, délivrant un flot d'individus en état d'ébriété plus ou moins avancé. Je les observai à la dérobée, du couple qui ferait mieux d'atteindre leur chambre au plus vite, aux gars s'inventant des défis de plus en plus stupides, en passant par le groupe de filles qui gloussaient en se remémorant les moments forts de leur soirée, une bouteille à la main. J'avais toujours la fâcheuse sensation d'être épié, depuis que l'on avait quitté la roseraie. Je tournai pour la énième fois la tête en tout sens, sans déceler quoi que ce soit d'étrange dans la foule. Je mis ce trouble sur le compte de la fatigue et hâtai le pas, apercevant la jolie tête brune à plusieurs dizaines de mètres devant moi. Je la vis bifurquer dans une petite rue transversale avant de s'y arrêter alors que j'étais encore pris dans le flux citadin. Je ne pu retenir un sourire de satisfaction. Elle avait beau être fâchée, elle m'attendait.
Je pris alors un malin plaisir, à la faire languir, ralentissant exagérément mon allure. Je m'approchais comme un félin vers sa proie. J'arrivai à sa hauteur, un sourire vainqueur scotché aux lèvres, que je ne parvenais pas à réprimer. Elle me toisa, absolument pas dupe de mon manège, avant de me balancer, espiègle :
« Ton égo de mâle n'en a pas encore assez pris pour aujourd'hui ? »
Ses yeux pétillaient de malice. Elle enchaina vivement.
« Je veux dire. Tu as été incapable d'avoir le dessus au corps à corps. A présent, tu ne parviens même pas à me suivre. Deux échecs cuisants en à peine une heure... Ajoute à cela que tu avais à première vue, des avantages physiques indéniables. Il n'y a vraiment pas de quoi être fier. Autant de raisons de remballer votre sourire victorieux, Mr Gartner. » Acheva-t-elle en haussant les épaules, d'un air qu'elle voulait fataliste.
En temps normal, j'aurais pris la mouche. Mais j'étais bien trop heureux qu'elle m'adresse à nouveau la parole. Je ne comprenais pas les raisons de ce revirement de situation tout à mon avantage d'ailleurs. Mais son côté lunatique m'arrangeait bien. Fini la prise de tête! J'avais maintenant bien envie de lui démontrer, preuve à l'appui, que ma virilité se portait comme un charme. Son expression mutine et rieuse m'attirait, toujours plus près. Son souffle sur ma joue m'échauffait les sangs. Ses lèvres roses me tentaient dangereusement. Une mèche folle de sa chevelure dansait sous nos yeux, effleurant de temps à autre ma peau. Je plongeai mon regard dans le sien. Le noir intense de ses pupilles, reflet de la profondeur de la faille qu'elle cache en elle, me captivait. Sa voix fluette et hésitante brisa l'instant, me contraignant à réfréner mes ardeurs tant bien que mal.
« Ma réaction était peut être légèrement disproportionnée... On devrait oublier et simplement profiter de cette parenthèse. »
Ces joues avaient pris une teinte rosée, qui ne faisait que s'accentuer au fur et à mesure qu'elle parlait. Cette gêne l'embellissait d'une manière enfantine. Sa façon de présenter des excuses, sans daigner le faire véritablement, contrastaient délicieusement avec son ton incertain.
Une irrésistible envie de rire me prit. Je la refoulai tant bien que mal ne laissant qu'un sourire éclore sur mes lèvres. Décidemment, elle n'était pas comme toutes les autres. Elle ne s'accrochait pas à moi, ne me donnant que l'envie de fuir aussi vite que mes jambes me le permettraient. C'était même l'inverse qui semblait se produire. Ce concept était déstabilisant, presqu'étranger. Je repoussai cette idée dérangeante et me concentrai sur ses autres facettes. Sa façon de me taquiner m'amusait. Elle n'instaura aucun jeu de séduction, aucun calcul. C'était nouveau pour moi, mais à ma grande surprise, ce n'était pas pour me déplaire. Si le côté sensible et brisé de ma Colline me touchait, faisant naitre en moi aussi bien l'envie que le besoin de la protéger et de la préserver, la combativité, la joie de vivre et la simplicité d'Alice me faisait me sentir léger.
Oublier et Profiter avait-elle proposé. Pendant toutes ses années, j'étais passé maitre dans le « profiter pour oublier ». Allier ces deux actions ne devrait pas être sorcier pour moi. Je relançai, avec entrain, le jeu qui s'était tout naturellement installé entre nous. Affichant une mine contrite, sans pour autant m'éloigner d'elle, je repris d'un ton badin :
"Tu me laisses une dernière chance de réparer mon ego brisé?"
Elle resta songeuse, quelques secondes, me jaugeant du regard. Soudain, un sourire éclatant creva son visage. Un rire cristallin monta dans les airs. Sa main fraiche glissa dans la mienne et me tira fermement. Je savourai cette sensation. Je ne me souviens pas que quelqu'un ait fait ce simple geste pour moi depuis au moins quinze ans. Je la suivais à sa demande, remarquant à peine qu'elle rebroussait chemin. Elle bifurqua de ruelles étroites en larges rues, jusqu'à déboucher sur un pont. Elle ralentit le pas, se retourna et me souffla brièvement :
« Fais-moi confiance ! »
Sans attendre une quelconque réponse de ma part, elle s'élança, prit agilement appui sur le parapet avant de disparaitre. Mes yeux écarquillés, fouillèrent désespérément l'endroit où elle se tenait il y a encore quelques secondes. Sa voix moqueuse résonna dans l'air :
« Alors, tu viens ? »
Je ne pipai pas un mot, interdit. Elle reprit, d'un ton plus résigné :
« Bon, trêve de plaisanterie! Remonte la rive gauche sur environ 500 mètres. Tu trouveras un escalier puis un tunnel un peu étroit sur ta droite. Dépêche-toi, je t'attends ici. »
Je n'aimais pas l'idée de devoir sauter, certes mais j'appréciais encore moins de devoir rendre les armes en passant par un autre chemin qu'elle. Sur une impulsion, je l'imitai, entamant ma chute dans le vide. Un sentiment de plénitude mêlé à un soupçon de peur m'étreignit.
« Plie les genoux ! » m'intima-t-elle, pressante.
J'obéis à l'instant même et me réceptionnai lourdement sur l'herbe. L'adrénaline coulait encore dans mes veines. La chute avait à peine duré quelques secondes, pourtant la sensation, que j'en tirai, était grisante.
« Vache, tu as du cran ! Je n'aurais jamais cru que tu le ferais ! » Jura-t-elle, admirative avant de se reprendre en me demandant inquiète : « Tu peux te relever ? »
Je relevai la tête pour la voir dressée face à moi alors que j'étais encore à terre. Je ne pus me retenir d'éclater de rire, un de ses rires capables de lézarder les murs. Elle me tendit la main pour m'aider à me relever. Je l'acceptai de bon cœur, et en profitai pour l'attirer plus près de moi. Elle ne protesta pas, laissant ses mains glisser sur moi comme pour s'assurer que je n'avais rien de casser. Les secondes puis les minutes passèrent alors que j'inspirais son odeur, appréciais la délicatesse de son cou, me plongeant dans un état second. Finalement, ne tenant plus, mes lèvres se murent d'elles même, formant ce simple mot : « Pourquoi ? ».
Ses yeux, devenus brillants, s'arrimèrent aux miens. Pendant de longues minutes, aucun de nous ne cilla, par peur de rompre cette connexion. Une voix enjouée fendit l'air, appelant Alice. Elle se raidit en un instant, comme prise en faute. Jamais tranquille, songeai-je amèrement.
Je grommelais encore, alors qu'elle s'écartait de moi. L'instant était passé, regrettais-je fatalement. Elle me fit un demi-sourire, empreint de tristesse, avant de me chuchoter de sorte que je sois le seul à l'entendre :
« J'ai simplement apprivoisé le vide à défaut de l'obscurité. »
Sa main quitta la mienne, me lançant une désagréable sensation de vide. Son expression torturée me frappa, m'imposant la certitude qu'aucun de ses mots n'avait été laissé au hasard. Chacun d'entre eux avait sa place, autant qu'ils pesaient de leur propre poids sur ses épaules. J'avais saisi leur importance sans en saisir le sens. Comme une énigme. Tout aussi insoluble.
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