Chapitre 15 : Une rencontre qui fait des étincelles

Chapitre 15 : Une rencontre qui fait des étincelles


Alice

J'étais, tout d'abord, restée là, assise par terre, médusée, incapable de réagir face à la fuite de Tim. Quelques secondes me furent nécessaires pour remettre un semblant d'ordre dans mes idées. Dès que ce fut fait, je me redressai sur mon séant et m'élançai à sa suite, aiguillonnée par le sentiment de culpabilité qui me collait à la peau comme de la boue. Je foulai l'herbe rêche de mes pieds nus et encore humides, délaissant sans plus de considération nos affaires éparpillées sur la berge. N'ayant plus en tête que d'essayer d'amoindrir le choc que je venais d'infliger à Tim.

Bordel, cette journée n'en finirait donc jamais avec tous ses rebondissements, toutes ses épreuves. La déception de Lou, sa tristesse concernant notre séparation, la muette désapprobation d'Amanda, la confrontation avec Paul, le retour de Tim, et maintenant ses aveux, tout ça s'ajoutait encore, lestant de plus en plus franchement mes épaules, déjà bien assez chargées à mon goût. Pourquoi tout s'enchainait-il aussi vite, sans que je puisse le prévoir, ni même envisager un plan de repli ou une façon de gérer ce raz-de-marée d'émotions? La vie est injuste, peuplée d'imprévus, songeai-je amèrement. Une colère sourde commença à courir dans mes veines, je m'y accrochai avec force. Cela valait mieux que l'abattement.

Une forte pression sur mon bras me stoppa net, me tirant de mes pensées. Je n'étais absolument pas d'humeur à me laisser importuner et cette personne importune allait en faire les frais, très rapidement... Je pivotai, sans même m'en rendre compte, et toisai d'un regard peu amène l'homme qui se tenait face à moi. Malgré sa prestance et sa haute stature, il semblait relativement jeune, il devait avoir vingt ou vingt-cinq ans tout au plus. Mais ce qui me frappa comme un coup de poing dans le ventre, c'était l'aura de danger et de mystère qui flottait autour de lui. Sa veste en cuir négligemment posé sur ses épaules, ses poings déchiquetés et tâchés de sang, preuve d'une récente rixe témoignaient pour lui de son caractère menaçant, qui était encore accentué par le calme nocturne. Quelques mèches de ses cheveux de Jai tombaient sur son front pâle. Une barbe sombre de quelques jours lui mangeait les joues. Ses yeux verts perçants, qui semblaient trahir une vie mouvementée, ne me quittaient plus, me capturaient sans autre avertissement, sans espoir de retour en arrière. Est-ce donc ce que ressentent les insectes pris dans la toile d'une araignée? Cette sensation d'être pris au piège sans espoir de s'en défaire, cette certitude que lutter ne fait que vous rapprocher plus surement de votre perte. Dans un effort de volonté, je tentai tout de même de me dégager vivement de son emprise manuelle.

Peine perdue, il resserra sa poigne autour de mon poignet, m'arrachant une grimace de douleur et du même coup, diminua considérablement la distance qui nous séparait encore. Son geste brutal autant que sa proximité me firent redescendre sur terre. Une lueur de panique s'alluma dans mon regard. J'inspirai un bon coup pour me calmer comme Roe me l'avait enseigné. Je savais quoi faire, m'encourageai-je. Il fallait simplement que j'invoque l'état d'esprit adéquat. Simplement me répétais-je, comme si c'était simple face à lui qui semblait avoir la faculté d'amollir ma raison par sa simple présence. Ali, me morigénai-je encore, concentre toi un peu. Je replongeai mon regard dans le sien.. Et une fois ma main judicieusement placé sur son avant-bras, près de l'angle formé par son coude, mes doigts agrippant fermement sa peau à travers l'épaisseur de sa veste, j'exerçai une torsion franche mais contrôlée. Un rictus apparu lentement sur mon visage, s'y épanouissant au fur et à mesure que je reprenais les rênes de la situation. Il étouffa un juron mais se retient de lâcher prise. Il siffla entre ses dents :

« Laisse-le. Tu en as assez fait comme ça, il me semble. Tim a besoin de temps et d'espace! ».

Touchée, coulée. Je me raidis d'un seul coup. Cela me faisait l'effet d'un électrochoc douloureux. Ce salaud visait juste. Je devais laisser Tim digérer tout cela tranquillement, mon affection ne lui était d'aucun secours, seulement un poids. J'avais peut être neutralisé les attaques physiques de cet inconnu mais il semblait plus qu'apte à me torpiller verbalement. En une seule tirade ma fascination pour lui, c'était envolée. J'étais un peu sonnée, même perdue. J'essayai de ne pas succomber à ce sentiment d'insécurité et de tristesse qui me rongeait et focalisai mon attention sur ma colère que je gavais à outrance, sur lui. En à peine un quart de seconde, je repris contenance et eu la satisfaction de constater que malgré sa pique, je ne l'avais toujours pas lâché - et malheureusement, lui non plus, notai-je avec dépit.

Allez, Ali, m'exhortais-je à nouveau. Réfléchis vite et bien. Mes connexions neuronales travaillèrent activement. Cet homme connaissait Timothée et assez intimement pour l'appeler par son surnom. Donc, l'inverse était vraisemblablement vrai, Tim devait lui aussi l'apprécier. Et de toute façon Tim ne m'aurait jamais laissée seule avec un type vraiment dangereux dans les parages, et ce quelques soient les circonstances. Ces réflexions me rassurèrent instantanément. Même si ça ne signifiait pas qu'il serait tendre avec moi, il ne me ferait aucun mal. Et c'était là un sacré avantage que j'allais pouvoir exploiter. A mon tour de jouer!


Thibault

Sans cesser de me fixer de ses grands yeux chocolat qui me pétrifiaient, elle accentua la torsion qu'elle exerçait sur mon bras. Je retiens de justesse un énième juron, mais une grimace m'échappa, déformant mes traits. D'un air empli de défi et de défiance, elle me jaugeait. Je ne pouvais pas la maîtriser sans la blesser, remarquai-je, sans pour autant céder à sa pression malgré la douleur lancinante. Loin d'être inconsciente, elle avait bien préparé son coup, elle avait senti que c'était une limite que je ne franchirais pas, tout du moins avec elle. Elle était diablement rusée.

Et la façon dont elle agissait faisait de cette fille un vrai chat sauvage , songeai-je. Elle semblait si frêle et douce devant le Jokapi et encore à peine quelques minutes auparavant , que n'importe qui, d'un temps soit peu humain, aurait eu envie de la prendre dans ses bras, de la consoler, de la câliner. L'entendre ronronner ne m'aurait même pas surpris. Et là, elle n'a plus grand-chose d'inoffensif, elle avait sorti ses griffes et ses crocs et j'avais la désagréable impression d'être la proie. On dit souvent qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Cette sentence s'applique parfaitement à celle qui me fait face. Ses réactions me surprenaient, ses prunelles qui me scrutaient me troublaient profondément sans que je parvienne à en déterminer la cause. Elle me déstabilisait, sans cesse, sous n'importe qu'elle forme. Comme un défi lancé entre nous.

Me sortant de mon état second, elle me lâcha d'un ton qu'elle aurait voulu négligeant mais où pointait tout de même de l'impatience :

« Tu ferais bien de me lâcher, tu risquerais de te faire mal. »


Je ricanai et répondis du tac au tac en exagérant bien le « Je » :

« Je pourrais me faire mal. Quelle ironie, venant de celle qui est prête à me casser le bras sans le moindre remord ! »


Sa réponse fusa dans les airs avant même que je puisse enchaîner.

« Si je voulais vraiment le faire, je l'aurais fait ! Je ne t'aurais pas laissé le choix ! Tu n'aurais même pas eu le temps de réagir ! »


La variation brève de la torsion qui s'exerçait sur mon membre malmené me confirma qu'elle maîtrisait à la perfection ce qu'elle m'infligeait. Son ton semblait vexé, comme si elle me reprochait de croire qu'elle pourrait me faire du mal. Désireux de la calmer sans perdre la face, je desserrai légèrement mon emprise en guise d'excuses. Cela sembla l'apaiser quelque peu. Elle m'offrit même un timide sourire. Une lueur de gaieté dansa dans ses prunelles alors qu'elle reprenait la parole, instaurant une certaine familiarité entre nous.

« D'où connais-tu Tim ? »


Je me détendis, sans même y songer, l'ébauche d'un sourire retroussant mes lèvres. Elle avait ce pouvoir aussi fou qu'incroyable de calmer mes nerfs, par son attitude et ses paroles sans même me connaitre. Alors que j'aurais déjà sauté à la gorge de tout autre pour moins que ça. Elle avait su étouffer d'une simple question, le feu qui naissait en moi. Je passais d'un extrême à l'autre à une vitesse fulgurante. Ce petit bout de femme avec son regard mutin, me déstabilisait comme personne. C'est donc d'une voix étonnamment douce et gaie pour qui me connait, que je répondis :

« Tim est mon cousin. »


Je n'eu pas le temps de continuer qu'un sourire éblouissant s'épanouit sur son visage, si saisissant que j'en lâchai son bras, faisant ainsi céder sa poigne. Je fus tout aussi étonné de la voir se hisser sur la pointe de ses pieds, ses deux mains en appui sur mon bras, au toucher aussi léger qu'une plume. Elle me chuchota à l'oreille joyeusement :

« Merci, Thibault »


Je savourai encore, sans comprendre, la façon dont elle avait prononcé mon nom, le roulant sous sa langue avant de franchir ses lèvres. A peine surpris qu'elle le connaisse, sa sagacité était déjà chose acquise pour moi. Sa bouche fraîche effleura ma joue, déposant un bisou léger, tendre et trop bref, à la manière d'une petite fille. Je regrettai instantanément, de ne pas m'être rasé de près, seulement pour pouvoir mieux sentir cette caresse. Face à mon regard éberlué, elle partit d'un petit rire qui s'éleva dans les airs comme une envolée de moineaux guillerets, et me lança :

« Pour les photographies de Tim. »


Je fis heureusement rapidement le rapprochement, non sans fierté. Elle me fixait étrangement d'un air indéchiffrable. Je me risquai à lui glisser :

« Tu as le même regard qu'Amanda. J'ai toutes les craintes du monde à présent. »


Ses yeux rieurs s'illuminèrent pendant qu'elle m'entrainait sur la rive. Elle s'étonna d'abord que je connaisse Amanda, un brin taquine. Je sentais déjà dans quel bourbier je venais de m'enfoncer, mais je ne pouvais me résoudre à mentir, à lui mentir, à bafouer sa sincérité et sa spontanéité. Je choisis de biaiser :

« Oui, on a fait connaissance au Jokapi, enfin quand je dis faire connaissance, j'ai plutôt subi sans m'en rendre compte un véritable interrogatoire ! »


A la fois compatissante et espiègle, elle me lança :

« Ne t'en fais pas ! Je suis un peu moins douée qu'Amanda dans ce domaine ! Et à vrai dire pour le moment, je me demande encore à quelle sauce, tu vas être mangé », me glissa-t-elle avec un clin d'œil.

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