Chapitre 14 : Une arrivée impromptue

Chapitre 14 : Une arrivée impromptue



 Thibault

 

               

                Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas revenu à Lomson, songeai-je en longeant les ruelles faiblement éclairées. Les boutiques avaient changés de propriétaires, voir même d'enseignes pour quelques-unes. Quelques aménagements urbains avaient été créés. De nouveaux arrêts de bus et panneaux semblaient avoir fleuri un peu partout. Le square à l'angle de la rue avait été remplacé par une banque. L'ancienne usine textile dont on apercevait autrefois les toits pointus caractéristiques, avait été rasée. Le temps n'avait à l'évidence pas épargné Lomson. La devanture de la vieille boulangerie, tout comme celle de la librairie avaient perdu de leur éclat, patinées par leur temps, elles y gagnaient toutefois un certain charme, remarquai-je. Malgré tous ces changements, je me faisais l'effet d'un ancien bagnard en villégiature dans ce qui lui a tenu lieu de prison.


                J'y avais passé toute mon enfance, mais cela ne suffisait à m'inspirer une once de nostalgie et encore moins de bonheur. De ce lieu, je ne retenais que les bagarres dans la cour d'école, la déception qui se lisait dans les yeux de tous ceux qui se posaient sur moi, un profond mal être qui ne m'avait pas quitté tant que je vivais ici. La fuite avait été un soulagement pour moi. C'est probablement en cela que je comprenais, mieux que quiconque, ces deux mots que Colline avait laissé derrière elle, empreint d'un besoin viscéral presque vital.



                Tentant à la fois de chasser les souvenirs qui me revenaient à l'esprit et de détourner mon attention de cette mystérieuse Colline, j'allongeai le pas. Bien que la ville fût relativement  petite, une bonne vingtaine de minutes me furent nécessaires pour atteindre l'arche en fer forgé marquant l'entrée de la roseraie. Ce laps de temps ne fut pas suffisant,  pour organiser mes pensées et tarir le flot d'émotions diverses qui me submergeaient. Je pris une grande inspiration, m'astreignant par la même occasion à vider mon esprit. Bien que la tâche fût ardue, je parviens péniblement à trouver une sorte d'équilibre, un peu précaire. Sachant pertinemment qu'il était inutile d'espérer obtenir un meilleur résultat, je m'en contentai et franchi l'entrée.


                Le décor avait sensiblement changé. Des haies de rosiers s'étendaient sous mes yeux, à peine perturbées par la présence de quelques buissons. Des sentiers de terre battue mêlée à ce qui semblait être du sable, se déroulaient sous mes yeux pour serpenter entre les arbustes au loin. Une odeur exquise exhalait des fleurs, comme pour envouter le promeneur. Le cadre avait un certain charme, un petit quelque chose qui aurait encouragé Monet ou tout autre de ses condisciples à s'y attarder, notai-je de l'œil avisé de l'amateur d'Art.


                Cette réflexion ne m'empêcha pas de lever les yeux au ciel, en songeant que ce n'était certainement pas pour cette raison que Tim avait choisi cet endroit mais plutôt pour son caractère indubitablement romantique.  Je n'espérai qu'une chose qu'il ne devienne pas l'un de ses gars mous et sentimentaux, sans amour propre, noyés dans la vénération de l'objet de leur cœur. De ceux, qui ne savent plus que chanter les louanges de leur dulcinée, complétement aveugle face à leurs innombrables défauts, oubliant dans le même temps leur propre personnalité et leurs désirs, rabâchant à qui voudra bien les écouter leurs —parait-il- indénombrables qualités. Imaginer Tim devenir ainsi, m'arracha  une grimace de dégout. Lorsque j'imaginai un bref instant les logorrhées que je serais obligé de me farcir stoïquement et même avec un minimum d'enthousiasme  - car après tout Tim était ce qui ressemblait le plus à mon meilleur ami, en plus d'être mon cousin- , celle-ci s'accentua encore. Comment pouvait-on croire à ce mensonge? Se laisser emporter puis couler ainsi, encore et encore, au nom de l'Amour? L'Amour comme tant de personnes le nommait, était sans doute la plus grande tromperie de tous les temps. Pourquoi si peu de gens voulaient bien voir la vérité en face? Cela me dépassait, pensai-je en secouant la tête, comme pour me débarrasser de ces questions.


                J'arpentais les larges sentiers déserts à la recherche de Tim et d'Alice me laissant guider par l'instinct. Mes recherches restant infructueuses, je m'éloignai du chemin pour m'enfoncer dans l'herbe, vers ce que je supposais être le bruit de la rivière qui scindait Lomson en deux parts inégales. Un peu plus loin, deux silhouettes, faiblement éclairées par le clair de lune, se distinguaient dans la pénombre. Assises sur la berge sablonneuse, elles semblaient incroyablement proches tant que ça en devenait ambigu, dans une position trop intime pour n'être qu'amis mais pas assez pour être amants songeai-je, habitué à manipuler avec aisance le langage des corps. Je doutais que ce  soit Tim, il était bien trop timoré pour mener si bien sa barque et trop respectueux pour profiter de la détresse d'Alice.


                Au fur et à mesure que je m'approchais aussi silencieusement que possible, je distinguais avec plus de netteté le dos de l'homme : c'était bien Tim, remarquai-je, pour le moins surpris.  J'entendais vaguement des murmures ininterprétables qui me firent hésiter encore davantage sur la marche à suivre, redoutant de troubler ce moment mais ne pouvant attendre indéfiniment. Leur conversation continuait, la douce brise m'en portant quelques bribes. Je notai mentalement qu'il faudrait absolument que je glisse quelques conseils judicieux à Tim. Il parlait bien trop et n'agissait pas assez pour ne serait-ce qu'espérer pouvoir l'emballer. Il lui manquait ce côté, un peu mystérieux, qui ferait qu'elle lui courrait après et non l'inverse. Tandis que je me faisais ces réflexions, Tim l'embrassa. Je ne pus retenir un léger sifflement admiratif. Tim démentait tous mes à priori sur lui ce soir. Je n'entendis pas vraiment ce qu'Alice lui dit avant de le voir bondir sur ses pieds.


                Il passa à tout allure prêt de moi, tellement rapidement que je ne pus esquisser un geste pour l'arrêter. Son visage déformé par la colère et la tristesse, ses poings serrés, ses muscles tendus. Jamais je ne l'avais vu ainsi. Le choc avait du être rude. Je l'appelai cherchant  encore à le retenir. Mais à sa démarche, mon instinct me souffla de lui laisser du mou, de le laisser seul pour calmer les émotions qui l'animaient, alors je renonçai non sans une pointe d'amertume et d'incompréhension.


                Du coin de l'œil, je vis  celle que je supposai être Alice se lever. Après un court instant de stupeur, elle semblait prête à le suivre. Je la retiens par le bras, réduisant considérablement la distance entre nous, quand elle voulut passer près de moi.  Immédiatement, elle tourna son visage vers moi. Son chignon et sa mine défaite ne parvenaient pas à l'enlaidir. Elle inspirait un mélange de force et de fragilité aussi complémentaire que peuvent l'être le yin et le yang.  L'espace d'un bref instant, je ne pus m'empêcher de songer que si j'avais pu mettre un visage sur Colline, il aurait été ainsi. Je ne pus la détailler davantage, le regard sauvage qu'elle me jeta  me transperça aussi surement que l'aurait fait une flèche lancée par Robin des bois, en personne.








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