chapitre 12 : Tim (3)

Tim

J'étais soulagé, de lui avoir enfin dit ce que j'avais sur le cœur. J'étais revenu, ventre à terre à Lomson, dans le seul but de la revoir. Mais je doutais à présent d'avoir fait le bon choix, elle semblait plutôt retournée et n'avait pas prononcé le moindre mot. Je n'avais à coup sûr, pas choisi le meilleur moment, de peur qu'il ne vienne jamais sans doute. Mais je l'avais toujours imaginée assez forte pour rebondir, pour surmonter tous les obstacles. Mais là, rien ne me semblait moins certain. En réalité, j'avais été égoïste, me déchargeant sur elle de mon fardeau, ne lui laissant aucun espoir de repli, lui imposant mes aveux. Je captai son regard torturé, l'espace d'un quart de seconde. Elle ressemblait à un animal blessé, ne sachant si elle devait fuir mon contact ou au contraire, le rechercher. Je resserrai mon étreinte sur son corps frêle pour le faire basculer contre le mien. Elle nicha sa tête dans le creux de mon cou, le réchauffant de son souffle régulier. Je sentais sa poitrine se soulever régulièrement. Aucune nouvelle crise de larmes en vue, songeai-je avec soulagement en me remémorant ce début de soirée. Ces derniers mois ne semblaient pas avoir été les meilleurs qu'elle ait vécu, et moi j'arrivai comme une fleur, pour en rajouter une couche. Je pestai contre moi, me maudissant d'être aussi idiot. Je lui demandai faiblement :

« Alice, que s'est-il passé ? »

Pendant ce qui me sembla être une éternité, elle ne souffla mot, elle ne sanglotait même pas, se contentant de rester muette. L'angoisse montait en moi. Elle semblait vide, imperméable à tout ce qu'il se passait autour. Juste une coquille vide, qui me terrifiait plus que toute autre réaction. J'aurai voulu pouvoir reprendre ma question, et peut-être même mes aveux, que cette soirée soit simplement ce qu'elle aurait dû être, des retrouvailles entre amis. Je réfléchissais à plein régime pour rattraper ma bourde, pour effacer ce que j'avais mis entre nous, pour reprendre le poids dont j'avais lesté ses épaules, quand elle finit par remuer. Je desserrai mon étreinte, surpris. Elle se leva en titubant, pour se rasseoir un peu plus loin. Mon cœur me fit l'effet d'exploser de joie ; elle était sortie de son état catatonique. Et en même temps, il me semblait qu'il était broyé dans un étau, puis déchiqueté par une meute de chiens enragés, à la voir s'éloigner ainsi de moi. Son contact, son odeur délicate, la douceur de sa peau, ses cheveux et son souffle effleurant mon cou me manquaient cruellement. Je la vis retirer délicatement ses ballerines sans comprendre, puis retrousser le bas de son pantalon.

Un sourire illumina mon visage, me faisant oublier ma douleur, revoilà ma Alice, songeai-je. Entière, insouciante, imprévisible. Du moins en apparence. Je jouai le jeu.

« Tu m'étonneras toujours, à faire ce que personne d'autre ne ferait, tout simplement parce que tu en as envie, même si c'est à des moments tout à fait incongrus, et tout cela sans même t'en rendre compte. »

Elle se retourna, un énorme sourire fendant son visage. Je continuai gaiement, encouragé par sa réaction :

« Tu te rends compte qu'au beau milieu de la nuit, tu ne trouves pas mieux à faire que barboter dans la rivière. »

Son rire monta dans les airs, quand elle m'encouragea, en tapotant l'herbe sablonneuse à ses côtés :

« Allez viens! Ne te fais pas prier et cesse donc d'être si conventionnel, Coquelicot ! »

Rien ne changeait, nous avions échangé ces remarques si souvent, souvenir de ma première intervention. Elles signaient la suite de notre amitié. Elle me surprendrait donc toujours, je ne me fis pas prier et pris place à ses côtés, enfouissant à mon tour mes pieds dans l'eau fraiche. Je savourais ce moment, contemplant les étoiles, la lente dérive de mes jambes poussées par le courant, quand elle prit la parole.

«Pour répondre à ta question, il y a quelques mois, Paul a changé du tout au tout, du jour au lendemain sans explications. Il n'y a pas grand-chose de plus à en dire. En vérité, je ne comprends rien à toute cette histoire, quand bien même, je l'ai examinée et réexaminée sous tous les angles possibles et imaginables. »

Elle laissa le silence s'installer quelques instants, sans que je ne le brise, trop occupé à analyser ces quelques phrases, à tenter de mesurer leur portée. Son regard flottait dans le lointain, comme si elle ne s'adressait pas vraiment à moi, quand elle me dévoila l'atrocité de sa découverte, la hauteur de sa chute, sa confiance brisée. Elle me confia son incompréhension face à son changement de comportement et surtout à son refus catégorique de lui expliquer ce qu'il s'était passé ou même de lui parler. Elle semblait désemparée, toutefois je luttai contre mon envie de la serrer dans mes bras la laissant poursuivre. Elle me raconta ensuite, la façon dont tous lui avait tourné le dos. Amanda, Lucas et Lou étaient, bien sûr, restés à ses côtés, se fichant comme d'une guigne du qu'en dira-t-on. Ils avaient essayé de l'aider à leur manière. Mais à la façon dont elle en parlait, je sentais qu'ils s'étaient montrés trop pressants, trop envahissants, la harcelant, sans s'en rendre compte de questions vaines, qui l'enfermait encore plus profondément dans son mutisme. Au fil des mois, la pitié décelable dans les attitudes de ses amis et des professeurs l'avait poussée à adopter une façade souriante, pour échapper aux interrogatoires constants sur son état d'esprit. Tous n'étaient pas dupes. Mais elle avait réussi à se ménager un espace vital conséquent, qu'ils avaient fini par respecter, enfin plus ou moins...

Elle m'expliqua encore, qu'elle serait restée à Lomson, si ça s'était arrêté là. Mais les coups bas, les humiliations, avec pour point culminant la diffusion de certaines photos, avortée grâce à Lucas, avaient eu raison de son courage. Pendant qu'elle me détaillait sa longue descente aux enfers, je bouillonnais de rage. Moi qui n'avais jamais été d'un tempérament belliqueux, je regrettais amèrement de ne pas avoir refait le portrait de Paul au Jokapi. J'espérais juste que Thibault s'en était bien occupé et à coup sûr, il s'en serait mieux sorti que moi. Je me glissai dans son dos, appuyant mon torse contre celui-ci, pendant que mes jambes encadraient son corps. Cette position avait l'avantage de me permettre de la sentir contre moi, tout en masquant mes émotions qui, à coup sûr déplairaient à Alice. Pourtant, cette idée me ravissait. Je n'avais jamais apprécié Paul, sans pouvoir mettre une étiquette sur les raisons de cette désaffection. Un brin de jalousie y était sans doute pour quelque chose, admis-je, comme malgré moi. Il était en permanence à ses côtés, ne la laissant plus faire un pas seul pour ainsi dire. Mais cela n'expliquait pas tout. Ce gars-là cachait quelque chose, il avait quelque chose de toxique. Le présent confirmait amèrement, ma théorie. Et maintenant, je me surprenais à le détester. Il ne méritait pas, pour moi le pardon qu'elle lui offrirait de bon cœur, s'il venait à le réclamer. Il était devenu nocif pour elle et je ferais tout pour le garder à distance raisonnable, me promis-je. Je ne voulais plus la voir dans cet état, et j'imaginai à grande peine, ce qu'avaient pu être les mois précédents, sentant qu'elle me taisait encore de nombreux évènements.

Elle n'aspirait plus qu'à une chose : Partir en laissant le passé loin derrière. Et surtout remonter la pente. La réponse de l'institut Jefferson de Fontainebleau, avait sonné comme une délivrance. Je me souvins, non sans fierté que je lui avais déposé, de force le dossier sur son bureau, quelques mois plus tôt. Elle avait protesté, affirmant que c'était trop loin, trop prestigieux, trop tout en fait. Elle avait, donc finalement, envoyé sa candidature, sans vraiment y croire, plus par jeu. Surpassant tous ces espoirs les plus fous, elle avait été retenue pour participer à la classe d'élite au sein de la faculté de psychologie, obtenant de surcroît une bourse. L'offre était inespérée à elle seule. Mais elle lui permettait, en plus, de mettre à exécution son plan. La solution idéale en somme, pour tourner la page. 200 kilomètres de distance, 2 heures de route, une nouvelle page vierge s'offrait à elle, songeai-je. La tristesse de la voir s'éloigner à nouveau passa sur mon visage, bien vite chassée par la joie de la voir rebondir si vite. C'était une battante. Si la vie était un champ de bataille, comme aimait à le dire Thibault, elle serait, à coup sûr, l'un de ces héros qui avaient vu tant de batailles sans jamais renoncer ni succomber.

Sa voix avait pris une nuance plus douce pour m'apostropher.

« Timothée ? »

Il était peu fréquent qu'elle m'appelle par mon prénom en entier, la suite promettait déjà d'être essentielle. Je concentrai toute mon attention sur elle. Son chignon à moitié défait, déversait harmonieusement des mèches folles tout autour de son visage, ses grands yeux cacao en amande se verrouillèrent aux miens. La douce brise qui s'était levée faisait danser ses cheveux, passant parfois devant ses yeux. Elle se lança, si timidement que je lui pris la main pour la rassurer :

« Tu veilleras sur Lou quand je serais partie ? »

Je n'avais entraperçu Louise qu'une ou deux fois jusqu'à présent. Je ne voyais vraiment pas comment j'allais réussir ce tour de force d'approcher le pitbull qui lui tenait lieu d'amie, sans y laisser des plumes. Mais la réponse restait évidente :

« Ça va de soi, Alice. Ne t'en fais pas. Tout ira pour le mieux. »

Elle me souffla, chaleureusement, pressant ma main :

« Merci. Ne te fie pas à son air revêche et à son côté « rien ne m'atteint», elle est bien plus fragile qu'elle n'en a l'air. »

J'hochai la tête en signe d'assentiment. Elle se détendit, rassurée. Pendant que je me demandais dans quel bourbier je venais de mettre les pieds.

Après quelques instants de silence, elle me lança, avec détermination :

« Je ne suis pas d'accord avec toi, je ne suis pas celle que tu as décrite. »

J'allai pour l'arrêter, pour la détromper mais elle me stoppa d'un geste, agacé.

« Je pourrais te citer, te démontrer, tout ce que je ne suis pas, mais ce serait, sans aucun doute, trop long. Par contre, ne crois pas un seul instant, que tu ne m'as pas aidé. Tu es le seul à avoir réussi à me détourner de mes sombres pensées. Le seul à avoir réussi à m'arracher de véritables sourires depuis un bon moment. Et surtout le seul à agir normalement avec moi, sans pitié. Et crois-moi, pour moi aujourd'hui, un tel comportement n'a pas de prix. Je lis sans peine dans tes yeux, que tu t'en veux de ne pas avoir été présent, du moins physiquement. Ça n'aurait rien changé, je t'aurais rejeté comme Amanda et Lou. Notre amitié, puisqu'il faut y mettre un nom, compte énormément pour moi. Ne pense pas qu'elle a des bienfaits à sens unique. Je voudrais que tu cesses un jour de te dévaloriser, que tu vois toutes tes qualités, que tu te vois comme je te vois. »

Elle recala une mèche de ses cheveux derrière son oreille, avant de reprendre.

« Je me souviens de notre première année de collège, la première fois où je t'ai vu. Tu étais arrivé en retard, bredouillant quelques mots d'excuses à l'égard de notre professeur de latin, les joues rougies par la gêne. Devant ton air égaré, j'avais immédiatement libéré la place à ma gauche, t'invitant à venir avec un sourire qui se voulait encourageant. Malgré le regard étonné d'Amanda à ma droite, tu t'étais assis, toujours aussi mal à l'aise. J'avais eu tellement de mal à te sortir de ton mutisme, je me souviens d'avoir ramé pendant des semaines. »

En disant cela, sa voix se fit chantante et pétillante. Ce souvenir me dérida tout à fait. J'appuyais mon menton sur son épaule, callant ma joue contre la sienne pour l'écouter avec plus d'attention encore. Son ton devint plus sérieux, quand elle reprit.

« Mais jamais je n'ai regretté mon impulsion. Ton sérieux, ta gentillesse, ta discrétion m'ont tout de suite plu. Mais j'ai découvert bien plus, ta loyauté envers les gens qui te sont chers, ta perspicacité, ta retenue, ta ténacité, ton honnêteté à toute épreuve.

J'admire le regard si juste que tu poses sur les gens, la façon que tu as de les mettre à nu d'un simple clic. Tu as cette propension à mettre les gens que tu connais, à l'aise, de ne jamais les brusquer, de leur laisser toute la place dont ils ont besoin, cette capacité de toujours dire par je ne sais trop quel miracle, les mots qu'il faut au bon moment. Tu ne te rends pas compte de tout ce que tu fais naturellement. »

Une telle déclaration venant d'Alice était rarissime, exceptionnelle. En fait, elle montrait toujours par ses actes ce qu'elle ressentait, c'était bien la première fois que je l'entendais mettre des mots sur ses émotions. J'en étais ému, à tel point que je me retenais à grande peine de l'embrasser.

« Mais parfois, je crois que tu t'oublies dans ce rôle d'éternel confident, que tu as peur de ton ombre, peur de t'affirmer, peur de devenir qui tu es entièrement. Je sais que tu as bien plus de profondeur que ça, Tim. Ce n'est pas à ton entourage de dicter ta vie, tu n'as pas à être le fils parfait, ni l'élève prodige qu'ils attendent que tu sois. C'est ton existence et non la leur ! S'ils rêvent de ça, très bien ils n'ont qu'à le faire eux même! Il est déjà assez difficile de porter ses rêves, pour ne pas se charger de ceux des autres. Alors vis ta vie, sans te soucier du reste! Tu seras toujours toi et même davantage, si tu laisses parfois éclater ta colère, si tu oses dire non, si tu brises quelques règles. Tu as tout à gagner à être toi, et pas seulement avec moi, pas seulement quand tu te permets de me pousser dans mes retranchements, ou de me taquiner. Ce côté de ton caractère est tout aussi attirant que les autres, même si il ne cadre pas avec les aspirations des gens autour de toi. Il est plus que temps de t'émanciper, de prendre ton envol Timothée. »

Je savais, que ces dernières paroles étaient vrais, cruellement justes, mais de les entendre prononcer par la voix douce et sans jugement d'Alice, eut un effet libérateur sur moi. Ignorant les bruits de pas que j'entendais s'approcher, je fis ce que j'attendais depuis des années, ce rêve qui m'avait obsédé si longtemps. J'étais conscient que cela ne changerait rien mais je ne tenais plus. Elle m'avait, malgré elle, donner son autorisation.

Je fis alors, glisser mes mains, sur l'ovale de son visage, enfouissant mes doigts dans sa chevelure soyeuse, comme pour mieux l'attirer à moi. Je posai, avidement et tendrement, mes lèvres sur les siennes. Mon cœur battait la chamade, des papillons s'envolaient de mon ventre tant ils étaient nombreux, des frémissements parcouraient mon épiderme. Jamais je n'aurais pu imaginer un tel tremblement de terre possible.

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