3- L'explosion

Je suis réveillé par une légère brise qui caresse lentement mon visage. Je tente d'ouvrir mes yeux mais je les referme presque instantanément, aveuglée par la lumière du soleil.

Pourquoi est ce que je n'ai pas fermé les rideaux en rentrant ce matin ?

Je recouvre mon visage de mon coussin en poussant un juron. Je grelotte sous ma couette trop fine pour me protéger des assauts glacés du vent qui s'engouffre dans ma chambre. Je m'enroule dans la couverture en me maudissant intérieurement. J'étais tellement éreintée quand je suis rentrée hier soir que je n'ai pas pris le temps de fermé ma fenêtre.

Je me remémore soudain le motif de ma fatigue.
Sophie.
Mon esprit dérive vers elle.
Cette fille est tellement énigmatique. Le mystère plane autour d'elle et m'attire tel un aimant.

Je ne comprends pas pourquoi je me sens si spéciale quand je suis près d'elle. Comme si, quand elle était près de moi je prenais soudain conscience de qui je suis.
De pourquoi j'ai été mise au monde.

J'espère qu'elle va me contacter. M'expliquer qui elle est et pourquoi elle agissait de façon si étrange cette nuit. Mais je ne me fait pas d'idée je ne la reverrais sûrement jamais.

Elle se perdra dans les méandres de ma mémoires, de mes souvenirs. J'oublierai son nom, son visage, cette soirée.
Mais une chose est sûre, je n'oublierai jamais cette phrase :

-"Tu es bien plus que ce que tu penses être, Alice Jones."

La voix de Sophie résonne dans ma tête répétant ces quelques mots inlassablement.
Ils m'ont marqués, bien plus que je ne l'aurais cru.

Mais je crois que s'ils restent aussi fermement attacher à mes pensées c'est parce qu'ils sont ceux que j'ai toujours rêvé d'entendre.

Ils représentent mon espoir d'être quelqu'un d'autre que se que je suis actuellement.
Être quelqu'un d'autre que cette fille banale.
Être quelqu'un d'autre qu'une personne inintéressante que les autres ne prennent pas en compte. Qu'ils oublient telle une feuille de brouillon sur un banc.

Voilà ce que je suis, un brouillon.
Et Sophie est celle qui pourrait me faire devenir un dessin.

Mais encore faudrait-il la revoir.

Suis-je seule au point de créer une obsession pour une fille que j'ai rencontrer à 1h40 du matin dans une bibliothèque nocturne de San Diego et qui pourrait bien être une psychopathe atteinte d'un trouble psychique de la personnalité ?

Oui je crois que je suis seule à ce point là.

Je soupire lentement et me lève pour refermer la fenêtre de ma chambre. J'ai assez aérer cette pièce pour aujourd'hui. Je jette un rapide coup d'œil à mon portable pour savoir l'heure qu'il est. Même si je pense pouvoir deviner toute seule car à entendre les gargouillis que mon ventre émet il doit être aux alentours de midi.
Qu'est ce que je disais ?
12h36.
Mon ventre est une horloge à lui tout seul.

Je décide donc d'aller dans la cuisine en priant pour qu'il n'y est personne dans la maison.

Alors que je descends les escaliers rapidement je me stoppe nette. La voix de ma demi-sœur résonne du salon jusque dans l'entrée. Elle n'a pas l'air de très bonne humeur et elle doit parler au téléphone car j'entends une voix plus faiblement qui répond a ses plaintes et tente de la calmer.

Géniale, encore une super journée en perspective à supporter l'humeur exécrable de cette charmante Jeanne !

Pour ne pas me faire remarquer je marche doucement sur le carrelage froid avec mes pieds nus en direction de la porte de la cuisine quand soudain j'entends mon nom arriver dans la conversation. Intriguée je tends l'oreille pour écouter qu'on ne dise pas de chose affreuse sur moi :

-"Cesse de me dire de parler moins fort tu veux! Alice dort à point fermer, il n'y a rien à craindre. Tout va bien je contrôle la situation. Le problème est que..."

Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas.
Je ne suis pas comme elle.

Jeanne est toujours excessive et pose toujours beaucoup de question sur ma vie, ce qui la rend très... Intrusive. Pour ne pas dire totalement agaçante.

Mon père dit que c'est parce qu'elle veut tisser des liens mais je ne lui fait pas confiance. Ses lèvres pincées, son nez retroussé, ses grands yeux beaucoup trop noir assortis à ses longs cheveux raides et soyeux qui tombent en cascade dans son dos, ses sourcils toujours froncés qu'elle tente tant bien que mal de cacher par un sourire âpre et un air faussement décontracté ne m'inspire guère confiance. En plus son goût pour la mode est plus que douteux.

Mais je ne suis personne pour juger et je n'ai aucunement le droit de me mêler de ce qui ne me regarde pas.

Je tousse pour faire remarquer ma présence et faire cesser ses plaintes sur aiguës et m'approche de l'endroit où elle se trouve.
Elle est de dos.
Je la vois ranger rapidement quelque chose dans sa poche, ce doit être son téléphone et se tourner vers moi un horrible sourire qui s'apparente plus à un rictus énervé sur son visage parfait.

-"Alice ! Je ne t'avais pas entendu !"

Elle s'approche de moi et me prend dans ses bras.
Je me raidis instantanément.

Pourquoi est elle si tactile avec moi ?

Elle ne prend jamais sa mère ou mon père dans ses bras ou ne pose jamais sa main sur leurs épaules comme elle le fait avec moi. Je ne sais pas se qui la pousse à se sentir autant obligé d'être fausse quand il s'agit de moi. Je ne lui ni son "étreinte", ni son "sourire".

-"En même temps, vu comment tu criais tu ne risquais pas de m'entendre."

Mon ton est amer. Je n'ai jamais fait d'effort avec elle. Je suis beaucoup trop méfiante envers Jeanne.

Ça se trouve c'est peut être quelqu'un de bien qui ne sait pas comment s'y prendre avec moi.
Comme hier avec Sophie.

Non.
Je suis sûre que c'est très différent.

Elle me relâche et affiche une mine un peu plus détendue,les traits moins tirés de stress mais tout de même irritée par ce que je viens de dire. Je vois qu'elle se contient de m'envoyer dans le décor avec une réplique cinglante et je n'attends que ça. Mais elle prend sur elle et replace une de mes mèches de cheveux caramels derrière mon oreille.

Je soupire.
Elle a encore gagner.
Ma vie est un concours permanent.

Quel self-control elle a. Ça fait bien longtemps que je me serai envoyer chier moi.

Mais j'ai comme l'impression qu'elle est obligée d'être gentille. Obligée d'essayer d'être mon amie.
Comme si ça lui était vital.
Elle me lance un sourire crispé et me dit :

-"Oui tu as raison, j'ai parlé un peu trop fort. J'espère que je ne t'ai pas réveiller."

-"Non ne t'en fais pas, j'avais oublié de fermer ma fenêtre quand je suis rentrée."

-"Ah. Tu es rentré tard ?"

Et ça y est ça commence. Je vais avoir droit à un interrogatoire détaillé sur ma soirée.

-"Oui."

J'aime bien lui compliqué la chose en répondant par des monosyllabes. Je la vois pincée ses lèvres et son visage se transforme en une sorte de grimace vexée.

-"Ah bon ? Quelle heure ?"

-"Je ne sais plus."

-"Tu étais où ?"

-"Au lac."

-"Toute la soirée ?"

Ses questions sont très ciblées et elle ne lâche pas l'affaire. Je ne sais pas pourquoi mon esprit pense ça comme à chaque fois qu'elle me demande de lui raconter mes aventures plus qu'ennuyeuses, je doit être parano, mais je crois qu'elle sait très bien comment s'est déroulée ma soirée.

Elle ne fait que tester ma loyauté et mon taux de confiance en elle. Qui sont très restreints voir inexistants.

Je la regarde froidement et déclare :

-"Oui."

-"Toute... Seule?"

Elle s'est très bien que je n'ai pas d'amis alors pourquoi pose t-elle cette question totalement stupide ?
Parce qu'elle sait qu'hier j'étais avec Sophie et elle veut me faire avouer.

Je suis définitivement tarée.

Comment aurait-elle pu savoir ?
Ou ne serai-ce que deviner que je n'étais pas seule ?

Je suis vraiment devenu beaucoup trop méfiante. Mais je ne lui dirais jamais ce qui s'est passé hier. Et puis ça ne l'intéresserait pas de toute façon. Elle fait semblant de me poser toutes ces question pour être polie. Mais ça m'agace plus qu'autre chose.

-"Oui, toute seule."

Mon visage est fermé et mon expression froide. Je ne veux pas faire amie-amie avec une commère qui ne s'est pas utiliser un grille-pain. Car oui, je suis tomber sur la seule demi-sœur et la seule belle-mère qui ne connaissent rien aux nouvelles technologies. Elles sont d'une autre dimension c'est deux là j'ai l'impression parfois.

Je lui souris de toute mes dents de façon très ironique comme pour dire "fous moi la paix" et tourne les talons vers la cuisine.

Mon ventre crit famine.

J'attrape la boite de cookies dans le placard tout en haut. Jeanne adore ces gâteaux et moi aussi. On se fait la guerre pour savoir qui les finira pendant la semaine.

Sauf que depuis quelques temps j'ai trouvé une cachette infaillible. Le placard est tellement haut que même moi qui suit assez grande j'ai des difficultés à l'attraper même sur une chaise alors pour Jeanne qui est littéralement minuscule, elle ne pourra jamais.

Cependant quand je regarde la boîte, je découvre que tous mes cookies ont disparu !
Comment a t-elle fait ?

Agacée je retourne en trombe dans le salon où Jeanne se trouve encore. Elle est dans un coin de la pièce tournée vers un miroir ce qui fait que je peux l'apercevoir dans le reflet. Alors que je veux exprimer très fort mon mécontentement par rapport à mes cookies, je suis stoppé dans ma foulée par une surprise et un étonnement sans nom.

Jeanne tient une sorte de petit cube dans sa main d'où sort un faisceau lumineux dans lequel un visage apparaît. On dirait une sorte d'ologramme.

Je me cache derrière la porte.
Cela m'intrigue beaucoup trop pour ne pas que je fasse remarquer ma présence. Stop les convenances et la politesse, la curiosité est loin d'être un défaut.

Je n'ai pas vu le visage dans le raie de lumière mais j'ai pu entrevoir des traits plutôt masculins. La voix de l'interlocuteur de ma demi-sœur est grave et rauque et m'éccorche les oreilles.

Quelque chose ne va pas je le sens.

-"On a eu chaud, elle a failli nous surprendre. Ma mission devient trop dangereuse. On va se faire démasquer."

-"Tu as qu'à être plus discrète, espèce d'incapable. Tu sais ce qui risque de t'arriver si tu échoues ou si tu grilles ta couverture."

Des frissons d'effroi parcourent mon corps. Cette voix me rappelle quelque chose, quelqu'un plutôt.
Et ça me fait peur.
Ce souvenir n'a pas l'air d'être heureux.
Une chose est sûre, cet homme a été enseveli dans ma mémoire et impossible de me remémorer qui il est et pourquoi il m'angoisse autant.

La voix de ma sœur se fait plus froide et plus calme. Comme si elle savait le terrible châtiment qui l'attend si elle ne parvient pas aller au bout de cette "mission".

-"Je sais a quoi m'attendre. Et je sais aussi que je vais réussir quoi qu'il arrive. C'est ma seule chance d'être pleinement intégré aux invisibles."

Les "invisibles"?
Qu'est ce que c'est ça ?
Jeanne fait peut être parti d'une secte.

-"Je te l'ai déjà dit Nalia. Tu fait pleinement parti de notre ordre. Mais Fintan ne t'apprécie pas comme les autres membres. Il pense que tu es trop... Incompétente."

Nalia ? Jeanne s'appelle Nalia ? Je... Quoi? Je ne comprends plus rien.

-"Mais je fais mon possible. Depuis un an je suis infiltré dans cette famille pour surveiller Alice. Elle ne m'aime pas et je ne peux plus la supporter. Faire semblant d'être gentille ce n'est pas moi. Si j'avais le choix je l'aurais embarquer dans une de nos planques depuis longtemps. Pourquoi faut-il que je continu à la surveiller ? On sait que c'est un elfe. Elle comprend la langue des lumières et j'essaye tant bien que mal de bloquer son talent mais il est tellement puissant que je vais bientôt ne plus pouvoir."

J'entends l'homme soupirer et déclarer d'une voix bourru.

-"Je sais, nous sommes en plein débat. Fintan veut voir jusqu'où tes capacités peuvent aller. Et ton rôle de demi-sœur est pratique pour que tu lises ses émotions avec tes aptitudes d'empathe."

La voix de Jeanne monte dans les aiguës et elle déclare :

-"Et elle a rencontrer Sophie ! C'est ça notre vrai problème. Cette petite va la ramener dans les cités perdues et elle va rejoindre le cygne noir et..."

Ma colère et ma faim ont totalement disparu. Il ne reste plus que de la stupeur.

J'avais raison.
Elle sait comment la soirée d'hier c'est passé.
Elle sait tout.
Elle connaît Sophie.
Et puis c'est quoi le "cygne noir", "les invisibles", "la langue des lumières", "les cités interdites", "un talent", "un empathe"?
Je suis perdue.
Elle joue un rôle depuis le début.
Qu'est ce que je vais faire ?

Mes pensées fusent à une vitesse incroyable. Mes émotions me submergent. Je me sens utilisée, on m'a menti.
Depuis le début.
Je ne comprends plus rien.

La colère renaît en moi. Je sors dans le jardin en courant. Je m'enferme dans le cabanon en bois et m'écroule dedans en sanglotant.

Pourquoi ?

J'ai comme l'impression que mon existence est un mensonge à elle toute seule.
Un fureur incroyable s'empare de mon corps.
Ma température monte en flèche.
J'ai chaud.
Je transpire.
J'enfonce mes ongles dans les paumes de mes mains.
Mes larmes brûlent ma peau ou elle glissent.

Je pose ma tête sur mes genoux ramenés contre mon torse.

J'ai tellement chaud.

Au moment où je sens ma température et ma colère arrivées à leur zénith,
j'explose.

Et puis plus rien,
le noir complet.

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