WANT SOME TEA?
Elle ouvrit lentement ses yeux, les paupières lourdes et l'esprit encore embrumé. S'était-elle endormie ? Elle passait un si bon moment, à la fête foraine, avec tous ses amis ! Voyons, comment la soirée s'était-elle terminée ? Elle ne se rappelait pas, réalisa-t-elle. Alors elle tenta de se lever, mais son corps refusa d'obtempérer. Sa tête lourde reposait sur une surface moelleuse, mais sa mémoire demeurait creuse. Ses muscles étaient engourdis, malgré qu'elle soit installée dans un lit confortable. Un lit qu'elle ne connaissait pas, dans une chambre qu'elle ne reconnaissait pas.
Où suis-je ? Réussit-elle vaguement à se demander.
Un petit hoquet d'admiration se fit entendre à sa gauche aussitôt suivi de quelques mots chuchotés.
— Bonjour, jeune demoiselle.
Cette dernière sursauta, ne s'étant pas rendue compte de la présence à ses côtés. Levant les yeux, elle aperçut de jolies prunelles en train de la fixer. Des prunelles qu'elle avait vues auparavant, elle en était persuadée. Mais où ?
Elle était tellement confuse qu'elle en oublia ses bonnes manières.
— Qui êtes-vous ?
L'homme répondit d'une voix neutre :
— Un ami. J'espère.
Elle le toisa un moment, méfiante. Mais ne faisant point attention à la suspicion de la jeune fille, il se leva et, sur un ton enjoué déclara :
— Veuillez vous préparer, très chère. Il est presque l'heure du thé, et nous avons des invités.
D'une démarche bien à lui, il quitta la pièce, laissant la jeune fille pantoise. Maintenant bien réveillée par ce bref mais étrange échange avec cet inconnu, elle put se mettre debout. A présent, tout ce qui l'entourait lui apparaissait nettement. Les murs, d'une couleur pâle mais chaleureuse, étaient en accord avec le mobilier de bois orné de jolies gravures. Un petit endroit confortable, sans prétention, mais qui dégageait une drôle d'impression. Les étagères du fond présentaient un alignement de jouets de multiples formes et apparences qu'elle observa de près. Ce furent la Reine et le Roi de Cœur, assis l'un à côte de l'autre au milieu de l'étagère, qui ravivèrent la mémoire de la jeune fille.
Des images de la veille lui revinrent en masse.
Lyra. Elle s'appelait Lyra Lowell. Ses amis l'avaient traînée de force à la fête foraine, qui la surprit agréablement. Elle suivait ses compagnons de près, se remplissant les yeux des couleurs vives de la fête. Elle se souvint de la femme qu'elle avait malencontreusement bousculée, et qu'elle couvrit d'excuses par la suite, juste assez de temps pour que ses amis disparaissent de son champ de vision. Elle a marché, cherché, appelé, abandonné. Enfants, rires, pommes d'amour, ballons. Des gens, beaucoup de gens, des yeux, quelques mots, l'homme, cet inconnu, puis... Plus rien.
Lyra regarda de nouveau autour d'elle, et prit peur. Elle était encore sonnée mais en tout cas assez lucide pour comprendre que tout ceci n'était pas très rassurant. Cet homme tenait le stand de jouets, se remémorait-elle. Usant d'un simple subterfuge, il parvint à l'attirer... Et elle tomba dans son piège avec une facilité qui à présent la révoltait. Il est temps d'arrêter d'être si naïve, Lyra ! lui avait-on si souvent répété. Elle ne comprit l'importance de ce conseil que maintenant.
L'idée lui vint de chercher une issue, mais le fait qu'elle ne sache absolument pas où diable elle était la découragea bien vite. La fenêtre ! Elle tira les rideaux afin de regarder au dehors. Peut-être que le paysage lui donnerait un indice sur sa localisation ? Très probablement, mais la surprise s'empara d'elle quand elle découvrit le mur briqué derrière les vitres. Une fenêtre n'est-elle pas censée donner un aperçu du dehors ? se dit Lyra en refermant les rideaux.
Elle voulut sortir de la pièce, aller demander des explications à l'homme, trouver une sortie, faire quelque chose. Mais son reflet dans le miroir sur pied l'interpela et elle s'approcha de la glace pour mieux s'examiner. Elle avait toujours la même tête – Lyra en éprouva un étrange soulagement – mais ses habits avaient été... changé. Elle ne se souvenait pas avoir eu la veille cet accoutrement sur le dos, ni même posséder une telle robe. Certes, la couleur bleue du tissu mélangée au blanc de son col et de ses bas se mariaient à la perfection avec son teint, tout comme sa chevelure blonde et le ruban noir coincé sur le haut de son crâne.
L'idée que l'homme ait pu la changer, et surtout la toucher, alors qu'elle somnolait la répugna au plus haut point.
Son visage s'empourpra de fureur et elle claqua violemment la porte en sortant dans le couloir. Elle se rendit compte qu'elle ignorait tout de la constitution de la bâtisse, mais cela n'allait pas l'empêcher de montrer à l'homme de quel bois elle se chauffait. Mais, une fois descendue et rentrée au hasard dans ce qui semblait être la salle à manger, la scène qui s'offrit à elle tassa d'un seul coup sa détermination.
Tout d'abord, l'attention de Lyra fut attirée par les murs habillés d'un papier peint orné de roses blanches sur fond beige. Elle remarqua que la moitié des fleurs étaient grossièrement peintes en rouge, mais à peine eut-elle le temps de s'interroger sur la question qu'autre chose l'interpela. Une longue table trônait au milieu de la pièce, dressée d'une nappe à la blancheur irréprochable et d'un service à thé en porcelaine pimpant. Au bout de la table, l'hôte, assis tel un roi dans son vêtement impeccable – veste, chemise, cravate, veston, sceptre et fameux chapeau ; le même costume que celui à la fête foraine, remarqua Lyra.
Cette dernière se demanda quelle attitude adopter vis-à-vis des jouets et des peluches assises tout autour de la table en parfaits convives.
— Allons, ne restez pas debout ; prenez donc un siège.
Lyra contourna la chaise et s'y installa, s'enfonçant dans le dossier haut.
— Quelle heure est-il ? demanda-t-elle.
— L'heure du thé, voyons.
— Je voudrais savoir l'heure précise.
— Peu importe : il est toujours l'heure du thé !
L'homme se leva et rejoint l'autre bout de la table où Lyra était assise. Il irradiait la bonne humeur tandis que, avec extrême précaution, il se saisissait du thé pour en verser bonne quantité à son invitée ainsi qu'à tous les autres « convives » présents.
— Puis-je vous redemander, monsieur, qui vous êtes ? interrogea Lyra quand il fut retourné à sa place.
— Ceci est une bien bonne question, très chère, répondit-il. Qui suis-je, qui suis-je... Tenez, je me demande si j'ai été changé durant la nuit ? Laissez-moi y réfléchir : étais-je le même quand je me suis réveillé ce matin ? Je peux presque me souvenir m'être senti quelque peu différent. Mais si je ne suis plus le même, la question suivante est, « Qui diable suis-je ? ». Ah, en voilà un mystère !
Lyra resta un moment interdite.
— Vous pouvez tout au moins me faire part de votre nom.
— Oh ! fit l'homme. Vous pouvez m'appeler Owen.
— Très bien, Mr. Owen.
— Non, juste Owen. Inutile de rajouter le « Monsieur ». Nous n'avons pas grande différence d'âge, vous savez.
La jeune fille acquiesça, puis plongea dans un silence pensif où elle tenta d'estimer entre autre l'âge exact d'Owen. Pas longtemps, cependant, car l'exclamation que poussa brusquement son hôte la fit sursauter.
— Ceci n'est pas très poli de votre part, vous ne devriez pas faire de remarque personnelle.
Lyra allait protester en lui rappelant qu'elle n'avait pipé mot, mais se rendit vite compte qu'Owen ne s'adressait pas à elle, mais à... une peluche ?
— Quel incorrigible petit personnage, poursuivit Owen, l'air de ne pas remarquer l'embarras de la jeune fille. Ce petit bonhomme ne peut jamais s'empêcher de faire des commentaires désobligeants. Et quand son frère décide de le contrer ! Ils passent leur temps à se quereller.
Lyra s'interrogea quant à la santé mentale de l'homme. Devait-elle lui signaler la démence de ses mots, ou cacher son opinion ?
— Hum... Et que dit-il ? tenta-t-elle.
— Que vos cheveux ont besoin d'être coupés.
— Ah.
Lyra goûta pour la première fois à son thé – qu'elle trouva trop sucré – et cacha sa gêne à l'aide de sa tasse. Ils restèrent ainsi, tous deux à siroter calmement leur breuvage. Owen regardait Lyra avec grande curiosité depuis un moment.
— Vous pensez à quelque chose, ma chère, lui dit-il, et ceci vous fait oublier de parler. Je ne puis vous dire à l'instant qu'elle en est la morale, mais je devrais me la rappeler dans peu.
— Peut-être qu'il n'y en a pas.
— Oh mais, ma petite, absolument tout a une morale, si seulement vous pouvez la trouver.
Lyra ne trouva rien à en redire, alors elle se contenta de porter à nouveau sa tasse de thé à la bouche.
— Allons, ne soyez pas si silencieuse.
— J'ignore ce que je pourrais vous dire.
— Alors vous devriez dire ce que vous pensez.
— Je le fais, ou tout au moins... Tout au moins je pense que ce je dis, ce qui est la même chose, vous savez.
— Pas la même chose un seul instant ! s'exclama Owen. Vous pourriez tout aussi dire que « Je vois ce que je mange » est la même chose que « Je mange ce que je vois » !
— Mais je ne pense pas...
— Alors vous ne devriez pas parler, l'interrompit-il.
Lyra voulut lui faire remarquer que c'était lui qui avait tenu à ce qu'elle ouvre la bouche, mais sût que cela ne la mènerait à rien. Sa tasse heurta violemment la soucoupe quand elle la reposa et quitta la table sans cacher son agacement, ce qui poussa Owen à tenter de la retenir.
— Jeune demoiselle ! Mais où allez-vous ?
— Là où je ne vous verrai pas !
— J'habite ici, vous savez. Il sera difficile de ne pas me croiser.
— Alors je m'enfermerai dans ma chambre.
— Vous ne le pouvez pas, puisque je détiens toutes les clés.
Lyra poussa un grognement et fit volte-face, lui rentrant presque dedans.
— Pardonnez-moi cette remarque, Owen, mais vous êtes terriblement exaspérant.
— Je vous prie de m'excuser...
Ses paroles restèrent en suspens comme si une pensée furtive venait interrompre le cours de ses mots.
— Lyra, dit-elle.
Les yeux de l'homme papillonnèrent, comme si elle venait de prononcer une insanité.
— Mon prénom est Lyra, expliqua-t-elle.
Owen parut avoir un moment d'absence, Lyra était partagée entre malaise et inquiétude.
— Y a-t-il un problème ?
— Un problème ? se ressaisit Owen. Non, non, pas le moindre ! Venez donc avec moi... Lyra. J'ai toute une maison à vous faire visiter.
N'ayant point le temps de réagir, Lyra se retrouva entraînée à la suite du jeune homme. Elle voulut se dégager, mais sa main était fermement emprisonnée dans la sienne... Doutant pouvoir un jour fuir l'homme au chapeau, elle ne résista pas ; et Lyra, comme dans un rêve, se laissa porter au rythme de ses pas et de son sifflement léger.
Merci d'avoir lu!
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