Le soleil se lève toujours à l'est

Sasha

Je n'ai pas réussi à attendre bien longtemps : à peine rentrée dans mon F2, je balance mes chaussures à talons, qui me faisaient un mal de chien, me débarrasse du tailleur jupe « spécial entretiens », enfile un pyjashort à bretelles, et allume mon ordinateur. Vu que c'est un vieux coucou en fin de vie, j'ai largement le temps de me préparer une petite collation sympa qui me servira de dîner avant qu'il ne se mette en route... Je dégote quelques crudités dans le réfrigérateur, concocte une petite sauce au fromage blanc et dépose le tout sur une petite assiette à emporter dans ma chambre. Ça fait partie de mes bonnes résolutions pour cet été : réussir à avoir un « summerbody » ! Trois ans que j'essaie, trois ans que ça rate... Je suis bien trop gourmande pour réussir à acquérir le corps d'un mannequin. J'observe mon assiette un instant, hésite quelques secondes et, dans un soupir las, rajoute une belle tranche de saucisson : de toute façon, vu l'état de mes finances, aucune chance que je me retrouve sur une plage cette année... alors quelle importance, hein ?

Je m'allonge à plat ventre sur mon lit, mon assiette à côté de moi, et me mets à taper dans mon moteur de recherche « offres emploi Sarrésie ». Des dizaines et des dizaines d'annonces s'affichent sous mes yeux médusés. Piochant au fur et à mesure dans ma collation, je me rends compte au bout de deux heures que j'en ai quasiment oublié de manger... Pas grave, c'est juste passionnant : la Sarrésie recrute, assurément ! Vendeurs, commerciaux, caissières, aide-ménagères, mais aussi banquiers, informaticiens ou comptables ! Assurément, Seb avait raison ! La plupart sont rédigées en français, mais certaines en allemand, ce qui ne me dérange pas vraiment. Je suis parfaitement bilingue. Je note pas mal de références, décrypte les demandes des employeurs, note les compétences requises, et commence un répertoire des annonces les plus intéressantes vis-à-vis de mon cursus. Elles ne sont pas nombreuses, soyons clairs. Je suis même assez loin du compte, mais j'essaie d'être aussi réaliste : si je ne trouve pas dans ma branche, il va falloir que j'accepte de revoir mes attentes. Je prends donc note de plusieurs numéros de téléphone, réponds directement à quelques questionnaires en ligne, et gribouille quelques adresses auxquelles envoyer quelques CV.

Assez fière d'avoir rentabilisé mon temps, je surfe un peu avant de tomber sur le site officiel du gouvernement Sarrésien. Pas mal fait, d'ailleurs, il présente les différents ministères de cette monarchie parlementaire. Du classique, assurément : l'intérieur, la défense, l'éducation, la santé... Mon regard s'arrête sur une particularité : le tout nouveau Ministère de l'écologie et du développement durable. Mon doigt s'empresse de cliquer sur l'onglet, et je me retrouve dans un dédale de projets et autres chantiers à peine entamés. Apparemment, le pôle écologie est en pleine construction, ce qui ne manque pas d'attirer mon intérêt. J'ai peut-être une carte à jouer ? Fébrile, et tout excitée, je parcours les articles, clique sur des liens qui n'envoient pas à grand-chose. Et puis, d'un coup, dans un coin, je décèle un petit aparté intitulé : « offres d'emploi ». Mon sang se bloque dans mes veines, et je clique sans réfléchir. Miracle ! J'ai l'impression d'être Dorothy qui vient d'arriver au pays d'Oz ! Trois offres plus alléchantes les unes que les autres se dévoilent sous mes yeux : l'une d'elles est juste incroyable tant elle semble idéale. Là, sous mes yeux, l'Eldorado, le trésor du pirate, voire le Graal : responsable du pôle écologie de la principauté ! Rien que ça ! Si l'intitulé me faisait déjà saliver, le contenu est tout bonnement génial : proposer des projets de développement écologique pour tout le pays, créer des axes de travail. En un mot : gérer entièrement le développement écologique d'un pays tout entier, en partant de zéro !

Un peu soufflée, je vérifie les critères d'embauches, les diplômes demandés, les cursus espérés. Bordel de merde : je corresponds ! Je m'empresse de remplir le questionnaire de présélection en ligne, télécharge mon CV, et mes diplômes. Les mains moites, j'appuie sur « envoyer », et me fige. C'est trop beau. Il faut absolument que je me calme, pour ne pas être déçue comme toutes les autres fois. Et pourtant, cette fois, ce ne serait même pas de la déception : ce serait presque un drame pour moi. Tout est parfait ! Sauf que je n'ai aucune expérience ou presque, si ce n'est ce CDD en agglomération de communes l'an dernier, quand j'ai mis en place tout le programme écologique de dix-neuf villages. A la réflexion, la Sarrésie n'est guère plus étendue que le regroupement de communes dans lequel j'ai travaillé, alors peut-être que l'espoir est encore possible ?

Pour ne pas trop y penser, j'essaie de me changer les idées : je fais un ménage complet, entrecoupé de pauses lecture sur ma liseuse ou sur Wattpad, ma dernière passion, j'effectue quelques courses pour remplir le frigo (et mes étagères réservées aux biscuits, j'avoue), je retravaille mon CV une énième fois, et je rends même visite à mes parents le dimanche à midi, histoire de prendre de leurs nouvelles et de me couper de mes préoccupations. Évidemment, le sujet « trouver du travail » revient inévitablement sur la table dominicale, mais je m'abstiens pour l'instant de parler de mes recherches sarrésiennes pour le moment. Est-ce par souci de ne pas leur donner de faux espoir ? Ou juste pour ne pas me porter la guigne en en parlant trop tôt ? Aucune idée : j'ai juste envie, je crois, de garder ça pour moi, comme un projet personnel dans lequel, je sais, je repose bien trop d'espoir...

Lundi matin, je me lève tôt, et entreprends de me rendre à Pôle Emploi, comme toutes les semaines. Ma conseillère, qui me voit régulièrement, me sourit à mon entrée, et même si elle me laisse découvrir par moi-même que le tableau des petites annonces me concernant est toujours aussi vide... Je relève néanmoins deux propositions pas trop éloignées de mes diplômes, histoire d'avoir une ou deux portes de sortie dès demain, quand mes résultats d'entretien du Luxembourg seront arrivés... Et c'est d'ailleurs par mail que je reçois la réponse négative, une heure plus tard, en franchissant les portes de Pôle Emploi... Bordel de merde, encore une fois, j'ai échoué.

Je m'assois quelques mètres plus loin sur le premier banc public que je trouve, m'affalant plus que me posant avec délicatesse. Il est dix heures du matin, et pourtant, j'ai déjà le moral dans les chaussettes. La rue est à peine éveillée : les travailleurs sont déjà au boulot, et les autres, ceux qui sont en vacances ou qui ne travaillent pas, sortent à peine. Un balayeur passe près de moi, et je lui renvoie du mieux que je peux le sourire discret qu'il m'envoie. Je ferme les yeux, m'emplit du bruit des devantures des magasins qui s'ouvrent progressivement, puis me décide à ouvrir le message de la boîte d'Esch. Je parcours les premières lignes, avant de m'écrouler complètement : ils m'ont trouvée formidable, et je correspondais le mieux au poste ! Et pourquoi ne m'ont-ils pas prise ? Je vous le donne en mille : cette putain de préférence nationale ! Bordel de merde : un Luxo m'est passé devant, juste parce que je n'ai pas la nationalité luxembourgeoise !

Mon sang ne fait qu'un tour : ma tristesse de ce matin se mue maintenant en rancœur... Je suis furax, et surtout dégoûtée. Bon sang, ça, je n'y avais pas pensé ! Non seulement j'ai une concurrence d'enfer, mais en plus je pars avec un handicap. Des larmes commencent à s'agglutiner au bord de mes paupières, menaçant de rompre le barrage de mes émotions. J'inspire un grand coup, tente de me reprendre, et décide de rentrer chez moi. La journée n'est pas finie, il faut que j'envoie des CV aux quelques annonces précédemment dénichées... Je me lève, abandonne mon banc à une mamie qui me remercie gentiment, et reprends le chemin de mon appartement. J'irais plus vite en bus, mais une soudaine envie de marcher me prend. Sous les premières chaleurs de la matinée, je flâne un peu, sourit à quelques scènes : une fillette qui court vers une fontaine, un gamin récalcitrant qui refuse d'entrer dans une boutique, un chien qui traine son maître par la laisse... Au fur et à mesure, je sens ma bonne humeur revenir. Ou tout du moins mon désespoir s'estomper...

Je suis d'un coup tirée de mes pensées par l'arrivée d'un SMS. Avouons-le, je suis bien tentée de ne pas le regarder, trop heureuse d'être sortie de mes pensées négatives. A quoi bon remuer le couteau dans la plaie ou replonger dans le marasme ? Néanmoins, je finis par me décider, saisis mon téléphone, et appuie sur la touche, avant de me figer. Bon sang, j'y crois pas !

[ Chère mademoiselle Muller,

Nous avons accusé réception de votre candidature pour le poste de Responsable Écologie de la Principauté de Sarrésie. Votre profil nous intéresse beaucoup : seriez-vous libre demain à quatorze heures pour un entretien ? L'adresse vous sera envoyée dès confirmation de votre part.

Cordialement

Ministère de l' Écologie et du Développement Durable.

Principauté de Sarrésie. ]

Oh merde. J'y crois pas ! J'ai un entretien !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top