PARTIE III | Descente aux Enfers
Anyone - Demi Lovato
Année 2039
Après avoir obtenu son baccalauréat, Alexandre part étudier l'histoire à Lyon. Il retrouve cette ville qu'il appréciait tant quand il était gamin. Il s'éloigne des montagnes et de cette maison qu'il déteste tant. Son père le laisse difficilement partir. La situation ne s'est pas calmée entre les deux hommes et ils ne se parlent toujours pas comme ils le devraient. Le père et le fils n'arrivent plus à se comprendre. D'un autre côté, Tim se dit que l'éloignement leur fera du bien. Alex va découvrir la fac et ça ne peut que lui faire du bien. Le père espère juste qu'Alex réussira à s'accrocher. Tim n'a jamais poussé Alexandre à faire des études et il aurait accepté qu'il fasse n'importe quel métier. C'est Alex lui-même qui a insisté pour étudier l'histoire. Malgré ses mauvaises notes au lycée, l'histoire a toujours été un sujet qui le passionne. Il s'est un peu réfugié dedans durant son adolescence, collectionnant les livres historiques.
Alexandre va pouvoir voler de ses propres ailes en comprenant que la vie, ce n'est pas si facile. Il va vivre en colocation avec Robin. Il a même décidé de travailler le week-end pour éviter à ses parents de tout payer. Pour la plupart des personnes, Alex va se reprendre en mains et laisser derrière lui sa crise d'adolescence. Mais ils ont tout faux. Personne ne sait qu'Alexandre a rencontré Robin dans une soirée où la drogue circulait. Alex a accepté cette colocation seulement pour cela. Robin se drogue aussi et ça l'arrange bien, parce qu'il n'aura pas à se cacher. Personne ne sait que s'il a accepté de bosser le week-end, c'est seulement pour pouvoir se payer ses consommations. Avant, il demandait à ses grands-parents. Il trouvait toujours des excuses. Une sortie entre amis, un cadeau à faire, une fille à impressionner. Au début, il culpabilisait. Il trompait ses grands-parents qui l'ont toujours choyé. Il avait l'impression de profiter d'eux et puis le temps a fait son travail. Alexandre avait besoin de ses doses et tout était bon pour les payer. Aujourd'hui, il est capable de se payer sa drogue et il doit reconnaître que c'est bien mieux. La cocaïne, c'est un cadeau qu'il se fait à lui-même.
Car c'est la triste réalité. Alex a goûté à la cocaïne lors d'un nouvel an et il n'a jamais arrêté. Pendant un an, il a caché son addiction à ses parents. Il a dû se réfréner pour ne pas éveiller les soupçons, ne se droguant qu'en soirée. Ça a été une année terrible et il a manqué de peu de redoubler sa terminale, plus occupé à planer qu'à réviser.
Et malheureusement, maintenant qu'il est loin de chez lui, rien ne s'arrange. Le manque d'amour refait surface bien trop souvent. Ses parents sont loin de lui, reportant leur attention sur sa petite sœur et son petit frère. Encore une fois, Alexandre se sent exclu. Alors, il veut oublier et plonge encore plus. La drogue lui devient indispensable au quotidien. Parce que c'est le problème avec la cocaïne, une fois l'euphorie passée, le retour à la réalité est douloureux. Alex se sent encore plus déprimé. Il dort mal. Il maigrit. Il fait peine à voir. Il est loin l'adolescent qui adorait faire du vélo avec sa petite sœur. Des énormes cernes lui mangent le visage. Ses joues creuses traduisent son manque de faim. Et plus il essaie de se passer de cocaïne, plus il se sent anxieux. Il prend la mauvaise habitude de se ronger les ongles.
Forcément, ses cours se passent mal. Il oublie parfois d'y aller, complètement amorphe dans son lit. Certains jours, il n'a aucune force. Il n'arrive même pas à se lever et passe sa journée à comater. Et puis une nouvelle dose arrive dans son sang et c'est reparti. Il est joyeux et souriant. Il oublie son mal-être. Il assiste à ses cours, les yeux explosés. Mais ces jours-là, il parvient à rester concentrer et arrive à prendre des notes. Ces jours-là, il lit les livres dénichés à la bibliothèque universitaire et oublie de se nourrir.
Alexandre est parfaitement conscient du cercle vicieux. Sauf qu'il n'arrive pas à trouver un autre équilibre. Il ne veut pas se faire aider, parce que ça serait avouer à ses parents qu'il va mal. Et ces derniers s'en moquent. Pendant des années, Alex leur a crié sa peine et ils n'ont jamais réagi. Alors, il se tait parce qu'il a peur. Sa plus grande peur est de se faire rejeter encore par Vicky. Il continue donc de se détruire en silence.
Février 2040
Ayumi soupire en entrant dans l'appartement qui n'est même pas fermé à clé. Alexandre n'a pas répondu à ses messages depuis deux jours et elle comprend rapidement pourquoi en voyant l'état du logement. C'est le bordel. La jeune femme n'est pas surprise. Elle a l'habitude de trouver l'appartement comme ça. Sur la table basse, des pailles sont abandonnées et elle entrevoit les restes de rails. Sur le canapé, Robin dort, complètement débraillé. Ayumi ne se préoccupe pas plus de lui et se dirige vers la chambre d'Alex. Le sol est jonché d'affaires. Des vêtements, des livres, des crayons et même un carton de pizza recouvrent le linoléum. La pièce sent la sueur, la nourriture et la poussière. Elle s'approche du lit où Alexandre somnole, seulement vêtu d'un jogging. Ayumi voit ses côtes à travers la peau et jette un coup d'œil au carton de pizza en se demandant de quand il date. À quand remonte le dernier repas d'Alex ? À un ou deux jours, elle dirait. Et quelle quantité a-t-il mangée ? Alexandre n'a jamais été un gros mangeur.
Cela fait deux ans qu'ils se connaissent. Ils étaient ensemble en première année de licence. Aujourd'hui, elle a une année de plus, parce qu'Alex a redoublé. Pourtant, ils continuent de se côtoyer parce qu'ils s'adorent. Ils n'ont jamais été attirés par l'autre, et c'est la première fois qu'Ayumi se sent autant connectée à quelqu'un. Ils ont la même passion pour l'histoire. Ils peuvent passer des heures à regarder des documentaires historiques. Ils adorent les films sur les guerres. Et ils essaient toujours de dénicher de nouveaux ouvrages dans les librairies ou sur internet. La jeune femme se souvient qu'ils se sont tout de suite entendus. Leur rencontre, ça a été une sorte de coup de foudre amical. Et elle ne regrette pas.
Pourtant, quand elle voit l'état d'Alex ce matin, elle se demande combien de temps elle va encore pouvoir le supporter. Elle a toujours essayé de l'aider. Au début de leur amitié, il ne lui faisait pas confiance et elle ne réussissait qu'à le braquer. Mais elle a tenu bon. Alex, c'est une personne merveilleuse, même s'il ne s'en rend pas compte. Alors, elle ne l'a pas lâché. Parce qu'elle est devenue son amie et qu'elle refuse de le voir se détruire. Au fils des mois, il lui a parlé de sa famille. Ayumi est la seule qui connaît entièrement l'histoire.
Elle essuie les larmes du jeune homme quand il se confie. Elle le réprimande avec douceur quand il vient en cours, la drogue courant dans son sang. Mais ça n'a jamais suffi. Alexandre n'écoute pas et parfois, elle en a marre. Dans ces cas-là, ça finit en dispute et ils ne se parlent pas pendant quelques jours. Certains disent que cette amitié est toxique. Cependant, elle s'en fout. Elle a le droit d'être ami avec qui elle veut et si les autres ne sont pas d'accord, ce n'est pas son problème.
Elle s'assoit sur le lit et secoue l'épaule d'Alex qui dort à plat ventre, l'oreiller à moitié dans le vide.
— Alexandre !
Ayumi n'a pas envie d'être gentille et compréhensive aujourd'hui. Elle est en colère qu'il ait oublié leur rendez-vous. Ils devaient aller boire un café avant d'aller à la bibliothèque et cet idiot ne s'est pas pointé. Quand l'étudiante voit son état, elle n'est pas surprise. Comment aurait-il pu se souvenir qu'ils devaient se retrouver alors qu'il a dû consommer cette nuit ?!
— Alex ! Réveille-toi !
Elle le secoue un peu plus fort et un grognement lui répond. Le corps du jeune homme s'étire et il se retourne sur le dos en ouvrant les yeux. Ses paupières lourdes ont du mal à rester ouvertes.
— Yu ?
Alexandre est le seul qui a le droit de l'appeler comme ça. D'habitude, elle déteste les diminutifs, mais Alex, c'est Alex. Elle le foudroie du regard en voyant son air surpris. Il est encore défoncé, à moitié dans les vapes.
— La prochaine fois que tu me poses un lapin, je te réveille avec un seau d'eau.
Les paupières d'Alex se referment et elle comprend qu'elle n'obtiendra rien de lui pour le moment. Il ne doit même pas avoir compris les trois-quarts de sa phrase. Quand il est dans cet état, elle sait bien qu'elle doit éviter de faire des phrases trop longues. Sauf qu'aujourd'hui, elle n'a pas envie de faire des efforts.
Elle frappe son torse pour le maintenir éveiller.
— Je vais faire du café, te rendors pas. Faut qu'on parle.
Car elle n'est pas dupe. Elle s'est bien rendu compte que quelque chose a changé ces dernières semaines. Alexandre a loupé plus de cours, préférant travailler. Elle n'a pas mis longtemps à comprendre pourquoi. Il travaille plus pour gagner plus, ce qui signifie qu'Alex a augmenté sa consommation de cocaïne. Elle se doutait que cela arriverait. Son meilleur ami a développé une sorte de tolérance et pour ressentir les mêmes effets, il est obligé d'augmenter les doses. Mais croit-il qu'il va s'en tirer comme ça ? Il est en train de foirer une seconde année et Ayumi ne veut pas que ça arrive. Elle ne le laissera pas faire. Et il n'a pas le droit de louper leur rendez-vous pour s'enfoncer encore plus dans sa spirale.
Octobre 2040
Alex déverrouille son portable et grommelle en voyant qu'il a trois appels manqués, tous de Méline. Et merde... elle a même laissé un message. Ça n'augure rien de bon pour lui quand sa petite sœur insiste autant. Que lui veut-elle encore ? Il sort tout juste du travail et il n'a qu'une envie, manger puis aller dormir. Le jeune homme écoute le message vocal puis soupire de désespoir. Pourquoi a-t-il dit à Méline qu'il ne bossait pas le week-end prochain ? Il aurait dû se taire parce qu'il sait déjà ce qu'elle va lui demander.
La semaine prochaine, c'est l'anniversaire de sa sœur et cette dernière va insister pour qu'il soit là. Sauf qu'Alexandre, il ne veut pas voir sa famille. Ça doit faire trois mois qu'il n'est pas rentré chez lui. Et c'est tant mieux. Il a déjà eu un week-end de libre, mais il a dit à ses parents que ce n'était pas le cas. Ce n'est pas comme si c'était la première fois qu'il leur mentait. C'est une habitude pour lui.
Cependant, il sait déjà qu'il ne va pas résister. Méline est trop forte quand il s'agit de le faire craquer. Il n'a pas envie de rappeler sa petite sœur, mais s'il ne le fait pas, elle va le harceler encore plus. Et ça sera encore pire pour lui. Alors il l'appelle, redoutant ce qu'elle va lui dire, même s'il s'en doute. Le week-end prochain, il sera de retour dans cette baraque entourée de montagnes.
Et il ne fuit pas. Il ne trouve aucun prétexte pour se désister. Il est bien là, devant cette foutue maison qu'il déteste. Et le temps est d'accord avec lui. Ce week-end va être maussade. Il a beau adorer sa sœur, Alexandre n'est vraiment pas heureux de revenir ici. Son père et Vicky vont le scruter pendant ces deux jours. Son père a déjà remarqué ses cernes et sa maigreur. Et il a déjà eu le droit à ses questions inquiètes. Oui, il a maigri. Oui, il ne dort pas bien. Oui, il semble stressé. L'étudiant a menti à son père. Il lui a dit que ses cours lui prenaient beaucoup de temps et que l'année avait commencé très fort. Son père a froncé les sourcils parce qu'ils sont seulement en octobre. Mais Timothée sait que son fils doit bosser dur pour avoir un bon niveau. Sauf qu'il se trompe. Ce ne sont pas les cours qui mettent son fils dans cet état, mais bien la drogue.
Alexandre soupire en claquant la porte de la voiture. Il s'attend déjà aux regards soucieux de Vicky. Méline va lui sauter dessus et il espère qu'elle ne remarquera pas ses tremblements. Il a déjà eu du mal à les cacher à son père.
La pluie semble s'être arrêtée pour quelques minutes. Cependant Alex sait que cette accalmie ne durera pas longtemps, alors il se dépêche de rentrer dans la maison. Son père lui suit de quelques secondes. Ils se débarrassent de leurs chaussures et de leurs manteaux dans l'entrée. Alex entre dans le salon où Vicky et Mathias regardent la télé, blottis dans le canapé. Le cœur du jeune adulte se serre et il détourne les yeux. L'éloignement et la drogue n'ont jamais réussi à l'apaiser réellement. La moitié du temps, ça marche et il se sent mieux. Et l'autre moitié, il est dans un état encore plus misérable.
— Coucou Al'.
Il n'a même pas entendu Vicky approcher. Elle le fixe, les sourcils froncés. Alexandre sait qu'elle voit exactement la même chose que son père. Et il ne peut pas supporter son air inquiet. Il veut fuir, comme d'habitude.
— Salut.
Elle le serre contre lui. Ça fait des semaines qu'ils ne se sont pas vus. Et Alex a juste envie de pleurer. Les bras de Victoire font remonter beaucoup de choses en lui. Elle s'écarte, mais ne le lâche pas.
— Tu as l'air épuisé Alex.
Il se détache complètement d'elle.
— Je vais bien.
— Al', tu flottes dans ton tee-shirt.
Pourquoi faut-il qu'elle soit si observatrice ?! Il ne veut pas répondre. Il n'a pas envie de parler parce qu'il sait que sa voix va trembler face à elle. Le regard soucieux de Vicky va le faire craquer et ce n'est pas le moment. Alexandre préfère se concentrer sur l'intrus qui est apparu.
— Salut microbe.
— 'Lut.
Alex sent le regard de son père sur lui, mais il l'ignore. Il n'arrive pas à faire un pas vers Mathias. Pas aujourd'hui. Pas maintenant alors qu'il se sent trembler.
— Où est Méline ?
— Dans sa chambre.
Alors, il fuit ce salon où son père le scrute, terriblement inquiet. Il se sauve de cette pièce où Vicky est blessée qu'il rejette Mathias encore une fois. Mathias qui le regarde détaler sans rien dire, parce qu'il a l'habitude que son grand frère ne l'approche pas. Alexandre fuit la réalité pour retrouver sa sœur dont la joie de vivre lui fera tout oublier. Il n'a pas encore atteint l'étage qu'il l'entend déjà. Comme à son habitude, elle parle tout haut. Elle a la fâcheuse tendance à soliloquer. Certains pensent qu'elle est un peu bizarre parce qu'elle adore se parler à elle-même. Quand il était gamin, ça agaçait Alex qui rêvait de silence. Cependant, ça fait des semaines qu'il ne l'a pas entendue réellement. Aujourd'hui ça fait du bien.
Il pousse la porte de la chambre et sa petite sœur s'arrête d'un coup. Ses yeux s'écarquillent de surprise puis un immense sourire étire ses lèvres. Elle jette son livre et ses crayons sur son lit et se lève. Alex la prend dans ses bras et l'embrasse sur le front.
— Alex ! Je suis trop contente de te voir.
— Moi aussi princesse. Et bon anniversaire !
Quelques jours plus tard
Ayumi tambourine à la porte avec son poing, prête à la défoncer. Le dernier message d'Alex était désespéré. Elle a peur qu'il fasse une connerie. Alexandre n'est pas une personne suicidaire. Malgré tout ce qu'il s'est passé ces dernières années, il n'a jamais pensé à en finir. Pourtant, il est capable de prendre plus de drogue que d'habitude, alors qu'il sait qu'une overdose est si vite arrivée.
La porte s'ouvre et la jeune femme est soulagée pendant quelques secondes avant de se rendre compte que ce n'est pas Alexandre qui lui a ouvert, mais Robin. Elle n'a jamais aimé Robin et c'est parfaitement réciproque. Ils ne se disent même pas bonjour et Ayumi rentre dans l'appartement sans attendre d'invitation. Elle déteste toujours autant venir ici. Cet endroit ne ressemble à rien. Le réfrigérateur est toujours à moitié vide. Des bouteilles traînent un peu partout. Des vêtements qui n'appartiennent même pas aux deux colocataires se retrouvent souvent par terre ou sur les chaises. La télévision est allumée, mais l'étudiante sait que Robin doit plus planer qu'autre chose, vu ses yeux.
Elle se dirige à grands pas dans la chambre d'Alex. La porte claque contre le mur et Ayumi étouffe un cri d'horreur en voyant Alexandre. Il est allongé sur le sol, sa main tenant encore son téléphone. On pourrait croire qu'il s'est simplement endormi. Cependant, Ayumi n'est pas aveugle. Elle remarque bien la poudre blanche sur la table de chevet alors que la lampe et le livre sont par terre.
Alexandre est inconscient. Il ne va pas bien. Normalement, la cocaïne n'a pas cet effet. Elle a déjà vu Alex en prendre. Elle sait parfaitement dans quel état cela le met. Là, ce n'est pas normal. Il n'est pas réactif. Il semble endormi, voire pire. Non, non, non ! Il ne faut pas qu'elle pense à cela. Elle doit se reprendre. Il ne faut pas qu'elle panique. Elle s'agenouille près d'Alex. Elle observe sa poitrine qui se soulève et une vague de soulagement déferle. Il respire, même s'il n'est pas conscient.
— Alex.... Alexandre.
La jeune femme le secoue doucement. Mais il ne répond pas. Elle ne peut pas le laisser comme ça. Alex ne va vraiment pas bien et elle ne sait pas quoi faire. Et ce n'est pas Robin qui va l'aider. Doit-elle appeler les secours ? C'est sûrement la meilleure chose à faire. Elle pose ses doigts contre le cou d'Alexandre. Il ne doit pas cesser de respirer. Une main contre sa gorge, elle fouille dans son sac et attrape son téléphone pour appeler les secours. Vite !
— Alex, s'il te plaît...
Quelqu'un décroche au bout de la ligne et la panique refait surface. Ayumi a du mal à donner les informations nécessaires. Elle commence à comprendre qu'Alexandre est en train de faire une overdose. Son propre cœur tambourine dans sa poitrine alors qu'elle a l'impression que le pouls d'Alex se fait plus faible. Ses yeux commencent à piquer et son interlocutrice essaie de la rassurer. Mais Ayumi n'arrive pas à l'écouter. Tout ce qu'elle voit, c'est qu'Alex est inconscient. Il est tellement pâle avec deux taches sombres sous les yeux. Et elle s'accroche au pouls d'Alexandre qui pulse sous ses doigts. C'est son seul espoir et elle s'y accroche de toutes ses forces.
— Alex ! Non !
Les larmes coulent abondamment sur ses joues alors qu'elle ne sent plus rien sous ses doigts. Frénétiquement, elle cherche son souffle et ses battements cardiaques. Cependant, il n'y a plus rien. Alexandre ne respire plus ! Elle pleure et son interlocutrice essaie de la guider. Elle lui demande de faire un message cardiaque. Quoi ?! Elle ne sait pas faire ça. En théorie si parce qu'elle a déjà suivi un stage de premiers secours. Mais là, c'est Alex. Et son cœur ne bat plus alors que celui de la jeune femme est anarchique.
Elle allonge Alexandre sur le dos et écoute la voix de la femme. Elle essuie les larmes qui débordent de ses yeux. Cependant, ça ne les arrête pas, surtout quand elle pose ses mains sur la poitrine d'Alexandre. L'étudiante ne sait même pas ce qu'elle fait. Elle essaie simplement de se concentrer sur la voix de la secouriste. Ayumi veut juste que le cœur d'Alex reparte. Il ne peut pas mourir et cette simple pensée fait redoubler ses pleurs.
Le lendemain
« Monsieur Chevalier, c'est... je... je m'appelle Ayumi. Je ne sais pas si Alex vous a déjà parlé de moi, mais je... je suis une amie. Et je... C'est Alex. Il... il a fait une overdose. Il faudrait que vous veniez. Il... il a besoin de vous. On est à l'hôpital Saint Joseph Saint Luc... »
Alexandre émerge doucement. Il ne sait pas où il se trouve. Il est dans un lit, mais il ne se souvient pas de s'être couché. Il ne se rappelle pas avoir fait un malaise ou être tombé. En fait, il ne se souvient pas de grand-chose. Il est rentré après ses cours et il a pris de la cocaïne. C'est le trou noir après.
Il ouvre lentement les yeux. Il fait presque noir dans la pièce qu'il ne reconnaît pas. Mais où est-il ? Les murs blancs et sans décoration ne sont pas ceux de sa chambre à Lyon. Et puis, il n'est pas dans son lit. Il commence à comprendre où il est quand il sent la perfusion dans son bras. Malgré son esprit embrumé, il comprend qu'il est à l'hôpital. Et tout s'emboîte. Il n'est pas stupide. Être couché dans ce lit d'hôpital ne peut signifier qu'une seule chose. Il a fait une overdose.
Sa poitrine le lance. Il essaie de bouger sa main, mais des doigts serrent les siens. Le jeune homme tourne la tête et ses yeux s'arrondissent de surprise quand il voit son père. Que fait ce dernier ici ? Qui l'a prévenu ?! Ses doigts bougent et serrent ceux de son père.
— Papa...
Sa gorge est sèche et lui fait mal, mais il s'en moque. Il continue de fixer son père comme si c'était un rêve. Parce que ça ne peut pas être la réalité. Son père ne peut pas être là, avec lui, à l'hôpital. Pourtant, les yeux de son père papillonnent avant de s'écarquiller quand il le voit réveillé.
— Oh mon dieu Alex !
Le jeune homme n'a pas le temps de réagir que les bras de son père sont autour de lui. Et il craque. Les barrières s'effondrent comme si elles étaient faites de papier. Les larmes coulent sur ses joues si facilement. Il sanglote dans le cou de son père, qui le serre contre lui. Alexandre comprend qu'il a failli mourir.
Et son père sait. Il doit tout savoir pour la drogue. La honte fait redoubler les pleurs d'Alex. Son père est là, mais que va-t-il dire ? Alexandre l'a déçu. Il est devenu comme Esther. Il lui a menti pendant des années. Et il commence à paniquer. Le monitoring s'emballe au rythme de ses battements cardiaques. Son père s'écarte de lui, affolé.
— Doucement Alex. Il faut que tu te calmes.
Mais Alexandre n'arrive pas à respirer. Sa main se crispe sur sa poitrine. Il essaie de prendre une inspiration, mais sa respiration se bloque. Sa vision se trouble et il n'arrive pas à se concentrer sur le visage de son père.
— Bonhomme, respire. Ça va aller, respire.
Son père l'entoure une nouvelle fois. Une de ses mains caresse les cheveux du jeune adulte qui essaie de caler sa respiration sur celle de son père. Il pose son oreille contre le torse de son père et écoute les battements de son cœur. Le son est apaisant. Et Alexandre se calme lentement. Les larmes continuent de couler, mais sa respiration reprend un rythme normal tout comme son organe vital, déjà bien trop fragilisé.
— Papa...
Il veut tellement lui dire qu'il est désolé.
— Chut... plus tard Alex.
Son père passe ses doigts sur ses joues pour essuyer les larmes, et il lui sourit. Il l'embrasse sur le front avant qu'Alex ne sente quelqu'un s'asseoir sur le lit. Et le geste de son père n'a servi à rien parce que les larmes redoublent d'intensité quand Alexandre se rend compte de la présence de Victoire.
— Vicky... Vic...
Cette dernière passe une main sur sa joue et Al' ferme les yeux, profitant de la présence de celle qu'il considère comme sa mère. Et comme son père, elle le prend dans ses bras. Alex est entouré par sa chaleur et plus rien ne compte à part son étreinte réconfortante.
— Maman....
Il n'entend même pas son propre murmure. Il ne voit pas le sourire à la fois triste et heureux de Victoire. Il ne voit pas non plus ses parents échanger un regard et leurs doigts s'entremêler.
— Ça va aller Al', je suis là.
Janvier 2041
Alexandre est assis dans le jardin, son souffle formant des nuages dans l'air sec et glacial. Ses mains tremblent malgré ses gants. Mais ce soir, c'est seulement le froid qui les fait trembler. La neige recouvre le sol et il trouve presque cela beau. Le froid, ça n'a jamais été quelque chose qu'il apprécie. Pourtant, ces derniers jours, il ne manque jamais le coucher du soleil. Malgré le vent qui refroidit tout son être, il ne s'est jamais senti aussi vivant. Les lueurs orangées de l'horizon le réchauffent. Il détestait ce paysage quand il avait treize ans. Maintenant, il ne peut pas détacher son regard de la lumière rougeâtre. Les dernières lueurs du jour approchent de l'horizon et ce spectacle le rassure. Il détestait tellement cette maison quand il était gamin. Aujourd'hui, elle est un refuge. Il n'a plus envie de la quitter. Elle le protège du monde extérieur et de ses faiblesses. Ici, il est tranquille. Et il s'y sent enfin chez lui.
La neige crisse sous les pas de quelqu'un et Alexandre tourne la tête. Son père vient s'asseoir à côté de lui, silencieusement. Alex s'en veut tellement en voyant l'état de son père. Il se demande depuis combien de temps il n'a pas fait une nuit complète. Le jeune adulte s'est même rendu compte que son père passe le voir la nuit, comme pour s'assurer qu'il est encore vivant.
Il sait qu'il a fait du mal à son père et même à toute sa famille. Au-delà de se détruire, il aurait pu faire imploser sa famille. Et il s'en veut tellement pour ça. Pourtant, ils lui répètent tous les jours que ce n'est pas de sa faute. Ils essaient d'effacer la culpabilité qu'il ressent.
La vie n'est pas facile tous les jours. Alex se bat contre son addiction. Le manque est terrible et les crises sont parfois difficiles à gérer. Dans ces moments-là, il supplierait presque pour avoir une dose. Pourtant, c'est difficile. Le manque fragilise son quotidien. Ses incertitudes et ses peurs se rappellent à lui, le faisant douter. Il n'a toujours pas arrêté de se ronger les ongles. Son rythme de sommeil n'est toujours pas revenu à la normale, et ne parlons pas de son alimentation plus que catastrophique. Pourtant, il doit faire attention à sa santé. Son cœur est encore fragile et Alexandre doit réapprendre à vivre, d'une nouvelle façon.
Il doit affronter ça pour sa famille et aussi pour lui, car il n'ira pas mieux en prenant de la cocaïne. Sauf qu'il y a ces remords qui le rongent. Les dernières années l'ont trop marqué pour qu'il oublie si facilement. Il n'arrive toujours pas à être proche de Mathias, même s'il essaie. Et il bute encore sur le mot qui lui a longtemps été interdit.
« Maman ». Il peut enfin appeler Victoire comme cela. Les discussions de ces derniers temps n'ont pas forcément été joyeuses. Il a pleuré, ses parents aussi. Mais ils ont arrêté de se déchirer. Ils se sont enfin compris et pour Alexandre, c'est la plus grande des victoires. On reconnaît que Victoire, c'est sa maman. Il a enfin l'impression de faire partie de cette famille. Il arrive que les souvenirs remontent et ça le met dans un sale état. Cependant, ses parents sont là maintenant. Ils ne le laissent plus tomber. Ils sont juste là, comme Alex l'a toujours voulu et c'est tout ce qui compte.
Alex ne va pas bien. Mais il va mieux. Il sait que ça ira mieux de jour en jour. Il lui faut juste du temps. Il doit réapprendre à s'ouvrir aux autres. Pour l'instant, il n'est pas capable de sortir de cette maison qu'il a tant haie et qui le protège aujourd'hui. Il n'a pas encore la force d'affronter le monde extérieur et la réalité. Il veut seulement rester avec sa famille. Il sort seulement pour aller à ses rendez-vous avec son addictologue.
Une seule autre personne vient briser sa douce monotonie. Ayumi, sa meilleure amie qui lui a sauvé la vie. Sans elle, il ne serait pas là aujourd'hui et il ne la remerciera jamais assez. Ils s'envoient des messages à longueur de journée. Elle lui parle de tout et n'importe quoi. Il a l'impression qu'elle n'a pas changé alors qu'il sait que son overdose l'a profondément marquée. Elle a été obligée de lui faire un massage cardiaque. Ayumi et Alex ne pourront pas oublier. Toute sa vie, il devra porter les cicatrices de ce jour-là. Elles ne se voient peut-être pas, mais il les sent. Pour l'instant, elles ne sont vraiment pas belles, mais il ne perd pas espoir qu'un jour, elles lui fassent moins mal.
Son père passe son bras sur ses épaules et le serre contre lui. Alexandre reste silencieux, se laissant aller contre son père. Un fin sourire étire ses lèvres. Il se sent bien. Les derniers rayons du soleil laissent place à la nuit. Regarder le coucher du soleil est devenu son rituel. Cela l'apaise et pendant quelques minutes, il oublie la réalité. Même s'il y a toujours quelqu'un pour briser le moment. Et en cette fin d'après-midi, Méline ne déroge pas à la règle.
— Papa, Alex, vous venez jouer au monopoly avec nous ?
Le grand frère serait bien resté dehors encore quelques minutes, mais il ne dit rien. Il n'a jamais su résister à sa petite sœur et ce n'est pas maintenant que ça va commencer. Parce qu'à elle aussi, il a fait de la peine. Avant-hier, elle est encore venue se blottir contre lui, en pleine nuit. Elle ne l'a pas vu quand il était à l'hôpital, mais elle est assez grande pour savoir qu'il a failli mourir. La première nuit qu'il a passé à la maison, elle lui a dit qu'elle n'était plus un bébé. Elle avait compris qu'il allait mal et elle avait eu peur. Alors tous les jours, il essaie d'être présent pour elle. Il ne la repousse pas et la rassure. Il doit assumer son rôle de grand frère. Il a failli quitter sa famille.
— On arrive princesse.
Méline acquiesce en souriant, avant de rentrer dans la maison. Alex profite encore quelques minutes de l'étreinte de son père avant de se détache de lui. Ils n'ont pas besoin de parler. Et le jeune homme remercie son père de ne pas briser leur moment. Ils finissent par se lever avant que Méline s'impatiente et vienne les chercher.
Quand ils arrivent dans le salon, Méline et Mathias sont assis l'un en face de l'autre, en train de choisir leur pion. Leur mère est aussi assise et observe les deux plus jeunes se battre gentiment. Alexandre échange un regard avec son père. Ce dernier le laisse choisir sa place. Pourtant, ce soir, il n'hésite pas. Al' tire la chaise à côté de son petit frère. Cet intrus qu'il apprend doucement à accepter. Mathias, il n'est pas comme Méline. Il ne vient pas le trouver quand il fait un cauchemar. Il ne l'entraîne pas dehors pour faire de la luge ou un bonhomme de neige. Mathias ne lui quémande pas des câlins comme Méline le fait. Non, il fait ce qu'il a toujours fait. Il se contente de ce qu'Alex lui donne. Et ce dernier s'ouvre de plus en plus. Il commence à apprécier de passer du temps avec son petit frère. Alex lui parle d'histoire et Mathias lui répète souvent qu'il est plus intéressant que sa maîtresse. Ils jouent aux jeux vidéo, y passant parfois des heures, ce qui fait râler leurs parents.
Alors, non, Alexandre n'hésite plus. Il s'assoit à côté de cet intrus qu'il a longtemps voulu détester.
— Alors microbe, prêt à se faire éclater ?!
Mathias lui lance un sourire éclatant et le cœur d'Alex s'apaise.
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