PARTIE II | Cœur en milles morceaux

Eté 2033

Il ne se sent pas à sa place dans cette maison. Ça fait deux mois qu'ils ont déménagé et il déteste cette foutue baraque perchée sur une colline, au cœur des Alpes. Oui, c'est joli les montagnes. Il ne va pas mentir. La vue est sympa, mais il ne voulait pas déménager. Il aimait bien leur petite maison en banlieue lyonnaise. Le jardin était plus petit, mais il s'y sentait mieux. Ici, il y a trop d'espace. C'est immense. Même s'il adore l'air frais du matin, il a l'impression de se perdre dans l'immensité. Et ça lui fait peur. 

Ici, il ne connaît personne. Il a dû quitter tous ses amis. Son père lui a promis qu'il les reverrait, mais Alexandre n'y croit pas trop. Vicky et son père disent qu'il va s'en refaire. Sauf qu'il ne veut pas. Lui, il veut juste pouvoir passer des après-midis avec George et Yanis, à jouer aux jeux vidéo. Ses amis, ils ont toujours été son échappatoire. Même s'ils ne comprenaient pas toujours son envie de fuir sa famille et surtout Mathias, ils n'ont jamais rien dit. Ils trouvaient toujours le moyen de lui remonter le moral. Et Alex ne veut pas tout recommencer. Rencontrer des inconnus qui se connaissent depuis des années, se confier à eux sur son mal-être et sa famille dans laquelle il a l'impression de ne pas avoir sa place. Il a peur de se prendre des remarques. Il a peur qu'on lui dise qu'il est idiot de rejeter un bout de chou comme Mathias qui le vénère presque. Il souffre déjà assez pour supporter que des inconnus lui balancent ce genre de choses à la figure.

Sa nouvelle chambre est plus grande que l'ancienne. Son père lui a dit que c'était une des plus grandes de la maison. Pourtant, ça ne le réjouit pas plus que ça. Il a envie de retourner à leur ancienne vie. Mais ce n'est pas possible. Tout le monde a été content de déménager, même si Mathias ne se rend compte de rien. À un an, il ne se souviendra même pas de ce déménagement. Méline n'a pas fait de caprice. Elle a accepté avec sa bonne humeur habituelle. Elle semble toujours excitée comme une puce. Parfois, Alexandre adore ça et d'autres fois, ça le fatigue.

— Alex !

En parlant du loup, Méline déboule dans sa chambre sans frapper. L'adolescent n'a pas le temps d'ouvrir la bouche que la fillette grimpe déjà sur son lit. Elle n'a vraiment aucune notion d'espace personnel. Elle s'installe dans ses bras, lui faisant lâcher sa console. Méline, elle ressemble à Victoire avec ses boucles blondes et ses yeux bleus. Un sourire malicieux aux lèvres, elle semble avoir une idée derrière la tête.

— On va faire du vélo avec Papa ?

Il a envie de dire non. Il aimerait juste qu'on le laisse tranquille. Mais la bouille amusée de sa petite sœur ne le laisse jamais indifférent. Elle sait parfaitement qu'il ne sait pas lui résister et c'est pour cela qu'elle vient si souvent le chercher. Ça serait mentir de dire qu'il ne l'adore pas. Méline, c'est sa petite sœur. Il l'aime à la folie et il la protégera toujours. Elle a su le charmer avec ses grands yeux et ses débordements d'énergie. Malgré tous ses efforts pour la repousser, elle s'est fait une place dans son cœur. Il a essayé de ne pas s'attacher à elle. Quand elle est née, c'était juste un bébé qui lui volait ses parents. Elle prenait sa place et il ne voulait pas l'aimer. Mais comment résister à ses sourires lumineux et à sa joie de vivre ?

— Ok princesse, si tu veux.

Elle pousse un cri de joie et s'enfuit des bras d'Alexandre pour aller prévenir leur père. Il attend quelques minutes avant de se lever en grognant. Il n'avait pas envie d'aller prendre l'air aujourd'hui. Rester enfermé dans sa chambre à jouer était une bien meilleure idée. Méline le tuera un jour. L'adolescent descend les escaliers et un intrus se cogne contre ses jambes. Il soupire en sachant déjà qui c'est.

— Al' !

Ledit Al' baisse son regard sur Mathias qui l'observe, le même sourire que Méline sur les lèvres. Son petit frère ressemble comme deux gouttes à leur père. Et le cœur d'Alex se serre à chaque fois, parce que contrairement à Mathias, il n'a pas les yeux de leur père. Le petit intrus lui tend les bras et le grand-frère se fige comme toujours. Le nombre de fois où il a tenu Mathias dans ses bras se compte sur les doigts des mains. Il n'aime pas le porter. Parce que Mathias, il continue à le rejeter. C'est sûrement horrible et ses parents lui ont déjà fait des remarques. « C'est juste un bébé. » « C'est ton petit frère Alex. » « Il t'aime Alex, prends le dans tes bras. » Non, il ne veut pas. Parce qu'à chaque fois, la douleur dans son cœur se réveille. Pourtant, quand il voit le regard émerveillé que son petit frère pose sur lui, il ne peut s'empêcher de l'aimer. Et il déteste ça. Alexandre voudrait le haïr pour ce qu'il représente.

— Al' !

Mathias commence à s'impatienter, ses bras toujours levés vers lui. Alors Alex attrape la petite main. C'est tout ce qu'il peut faire, et l'enfant semble s'en contenter. Mathias n'a même pas deux ans, mais parfois, l'adolescent a l'impression qu'il comprend et il accepte son besoin d'espace.

— Où est Mam...Vicky ?

Mathias le regarde sans comprendre et gazouille un truc incompréhensible. Alexandre soupire une seconde fois.

— Maman, elle est où ?

Il déteste quand il est obligé de le dire. Il n'en a pas le droit. C'est un douloureux rappel. Victoire, c'est la maman de Méline et de Mathias. Elle n'est pas la sienne.

Le petit intrus pointe la cuisine et Alex l'entraîne donc dans cette direction. Victoire boit tranquillement un verre de thé glacé quand ils entrent dans la pièce.

— Tu as dit oui à Méline ?

Vicky sourit et Alex hausse les épaules, comme si la réponse était évidente. Dans la famille, tout le monde sait qu'il ne peut pas résister à sa petite sœur. Et souvent, ses parents se moquent de lui en lui disant qu'elle le mène par le bout du nez.

— Tu peux...

L'adolescent soulève sa main à laquelle Mathias s'accroche fermement. Son petit frère ne semble pas vouloir lâcher ses doigts et Vicky s'en rend compte. Elle lui adresse un regard tendre avant de récupérer le petit intrus. Ce dernier fronce les sourcils quand les doigts d'Alex lâchent les siens.

— Al' !

Ce dernier détourne la tête. Souvent Mathias le laisse tranquille, même s'il le suit partout. Quand Alex ne veut pas s'en occuper, l'enfant n'insiste pas et va trouver quelqu'un d'autre pour jouer. Mais parfois, il s'obstine et cela rend Alexandre mal à l'aise. Parce que Mathias, c'est son petit frère et il l'aime un peu, même s'il le rend aussi malheureux.

— Al' va revenir mon ange, il va faire du vélo avec Méline et papa.

Dans les bras de Vicky, l'enfant scrute son grand frère qui ne veut pas le regarder. Pourtant, ce dernier finit par tomber sur le regard sombre et peiné. Cet enfant le fera chier jusqu'au bout.

— Je vais revenir microbe.

Le microbe semble comprendre et sourit à Alexandre qui fuit rapidement la pièce, allant retrouver son père et Méline qui l'attendent dehors.

Mars 2035

Assis sur un siège en plastique, Alexandre attend que son père sorte du bureau du principal. Il a encore fait une connerie. Il s'est encore battu. Et voilà le résultat, trois jours d'exclusion parce que ce n'est pas la première fois et qu'apparemment, les heures de colle ne fonctionnent pas. Le problème, c'est que les retenues, les sermons du principal et ses poings abîmés, ne sont rien comparé à la peine de son cœur. Alexandre, il fait du mal aux autres pour oublier son propre mal être.

La porte s'ouvre et son père sort. Alex voit la mine désabusée du principal. Ce dernier doit se dire qu'il est irrécupérable. Pour lui, Alex est juste un adolescent à problème. Un élève moyen qui ne fait aucun effort en cours. Ses notes frôlent la moyenne, ne l'atteignant pas. Un élève bagarreur qui se sert de ses poings à la moindre provocation. Et aujourd'hui, ses phalanges rougies ne mentent pas. Il a encore frappé quelqu'un. Son camarade ne l'avait peut-être pas mérité. Sauf qu'Alex ne sait plus réagir autrement. Il veut juste frapper. Il répond aux provocations pour se défouler. N'importe quoi peut mettre le feu aux poudres. Une moquerie, une parole blessante ou même un geste déplacé. L'adolescent ne sait pas faire la part de chose. Et il ne veut pas.

Une nouvelle fois, il déçoit son père. Il baisse la tête en voyant le regard à la fois dur et dépité. Son père ne comprend pas. Alexandre n'avait jamais été violent. Il ne s'était jamais battu avant cette dernière année de collège. Certes, son fils n'a jamais été un élève exceptionnel. Il a toujours eu des notes moyennes, mais Timothée l'a toujours encouragé sans le rabaisser. Mais depuis quelques mois, c'est un calvaire. Les deux se disputent pour tout et n'importe quoi. Et même si Tim n'a jamais mis la pression à son fils concernant l'école, il ne supporte pas de voir qu'Alex se laisse aller. Alors il sévit. Il le prive de sa console, de son portable, de ses bouquins sur l'histoire, mais rien n'y a fait jusqu'à présent. Les notes de son fils n'ont fait que se dégrader et maintenant, il y a aussi les bagarres. Son enfant accumule les retenues et il a l'air de s'en moquer.

Tim en a marre. Il est tellement énervé d'être convoqué si souvent. Même après des mois, Alex ne change toujours pas. Et le père ne sait pas quoi faire, parce qu'il ne comprend pas. Ça fait longtemps que le dialogue est rompu avec son fils, et il ne sait pas comment arranger cela. Il voudrait qu'Alexandre lui dise pourquoi il se bat, pourquoi ses notes chutent.

— On rentre.

Le ton sec de son père ne rassure pas l'adolescent. Il va encore s'en prendre plein la tête, une fois à la maison. Son père va lui hurler dessus pendant des minutes et il l'enverra dans sa chambre. Méline et Mathias camperont dans l'escalier pour écouter la dispute. Et comme d'habitude, Vicky restera à l'écart. C'est sûrement ce qui fera le plus de mal à Alex. Vicky ne s'investit pas beaucoup dans son éducation. La preuve, elle n'est pas là ce soir.

Le trajet en voiture se fait en silence. Alexandre regarde le paysage défiler. Il en a marre de ces montagnes. Et il en a marre de cette maison qu'il aperçoit enfin. Pour leur entourage, elle est synonyme d'un accomplissement de la vie de famille de Vicky et son père. Pour lui, elle est juste synonyme de tristesse. Car il ne fait pas partie d'elle. Il ne fait pas partie de cette famille.

Son père le précède dans la maison. Alex dépose son sac dans l'entrée, enlevant son manteau et son écharpe au passage. Ses chaussures finissent à côté de la commode. Pendant quelques instants, il hésite à les remettre. Il a juste envie de les renfiler et de fuir loin. Cependant, Vicky ne lui en laisse pas l'occasion.

— Dans ta chambre Alexandre, ton père arrive.

Parfois, son père n'attend pas d'être à la maison pour le disputer et il a le droit à une sale leçon dans la voiture. D'autres fois, ils s'engueulent dans le salon et leurs voix résonnent dans toute la maison. Aujourd'hui, ça sera dans sa chambre et l'adolescent déteste ça, parce que sa chambre, c'est son refuge. Il s'y sent bien, contrairement aux autres pièces de la maison.

Sa sœur et son frère apparaissent en haut de l'escalier.

— T'as fait des bêtises ?

Alex sourit en entendant la question curieuse de Méline. Mais surtout, il sourit face à l'éclat malicieux dans le regard de sa petite sœur. Cette dernière n'est jamais la dernière pour faire des bêtises, même si elles ne sont jamais aussi graves que celles de l'aîné. Alexandre dépose un baiser sur son front et Méline l'embrasse sur la joue avant de prendre la main de Mathias pour l'entraîner en bas. Ce dernier résiste un peu en se tournant vers Alex.

— Al', veux un bisou.

— Plus tard microbe.

L'adolescent n'est pas d'humeur à répondre au besoin de tendresse de son petit-frère. Il entre dans sa chambre et claque la porte. Il veut que son père sache qu'il est toujours en colère. Se battre ne l'a pas calmé, pas plus que la déception dans le regard de son père. Parce qu'Alex a mal et ces foutues montagnes qu'il voit depuis sa fenêtre lui rappellent que ce n'est pas sa maison.

Se battre, c'est aussi un moyen d'obtenir de l'attention. Car voilà la réalité, au fond de lui, Alexandre est encore un petit garçon en mal d'amour. Ne pas travailler à l'école, c'est juste une excuse pour attirer l'attention de son père et surtout de Vicky. Sauf que ça ne fonctionne pas, Victoire s'en fout toujours autant. Ça fait des années qu'Alex souffre de la situation familiale et quand parler n'a plus suffi, il a dû trouver un autre moyen pour leur faire réaliser qu'il va mal. Pourtant ses parents ne s'en rendent pas compte. Vicky reste toujours à l'écart, campée dans sa position de belle-mère. Et il ne fait que décevoir son père qui ne se remet pas en question. Les adultes croient juste qu'il est en pleine crise d'adolescence. Et dans sa famille, tout le monde incite son père à être plus sévère avec lui. Sauf qu'Alexandre, ce n'est pas de fermeté dont il a besoin, c'est de tendresse. Il a juste besoin qu'on l'aime. Il a juste besoin qu'on le rassure. 

Novembre 2037

— Alex ?

L'adolescent lève les yeux de son bouquin sur la guerre de Sécession et scrute son père qui se tient dans l'encadrement de la chambre. Il fronce les sourcils en comprenant que quelque chose ne va pas. Son père a l'air grave.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Son père n'a vraiment pas l'air bien. Il vient s'asseoir sur son lit et Alex se redresse. Depuis plusieurs années, la communication est devenue difficile avec ses parents. Ils ne savent même plus comment se parler. Lui qui était si proche de son père quand il était gamin, aujourd'hui, il n'arrive même plus à se confier à lui. 

L'adulte prend une grande inspiration pour se donner du courage, puis se lance. Il doit faire face à son fils.

— Ta mère est morte.

La vérité sort brutalement de la bouche du plus âge. Et Alexandre reste choqué pendant quelques instants. Son cerveau met de longues secondes à assimiler les mots de son père. Esther est décédée.

— Oh...

Timothée fronce les sourcils en constatant le manque de réaction de son fils. Mais à quoi s'attendait-il ? Veut-il qu'Alex pleure ? Parce qu'il en est incapable. Esther, malgré ce que tout le monde affirme, ce n'est pas sa mère. Elle lui a donné la vie, mais c'est Vicky qui l'a toujours aimé. Pour l'adolescent, c'est elle, sa maman. Il est triste et un peu choqué, parce qu'Esther a été présente malgré tout. Cependant, il ne va pas s'effondrer.

— Alex...

Le père soupire et Alex ne comprend pas. Ça fait un an qu'il n'a pas vu Esther et la dernière fois qu'elle l'a appelé, c'était il y a quatre mois. Esther n'est pas sa maman bordel !

— L'enterrement est jeudi.

Il ne veut pas y aller. Esther, il ne la connaît pas vraiment. Il aurait tellement aimé qu'elle ne soit pas réapparue. Elle aurait pu rester dans l'ombre et ne jamais se montrer. Alexandre aurait préféré. La première fois qu'il l'a vue, il avait six ans. Il avait vécu des années sans elle et il ne voulait même pas la rencontrer. Pourtant, son père lui avait dit que c'était important qu'il la voie. À cette époque, Alex ne comprenait jamais quand Vicky ne voulait pas qu'il l'appelle maman, car pour lui, la place était vide. Sauf qu'Esther est réapparue. Beaucoup disent que sa réapparition a comblé un vide. Et le jeune homme a juste envie de leur hurler que non, il n'y avait rien à combler. Dans son cœur, la place était déjà prise depuis des années par Victoire ! Voir Esther n'a jamais changé cela. 

— Je ne veux pas y aller.

— Alexandre, c'était ta mère.

Justement non ! Esther n'est pas sa maman. Elle ne l'a jamais été. Elle l'a abandonné. L'adolescent fixe son père. Esther les a abandonnés.

— Non, elle ne l'est pas.

Son père se lève, un peu agacé. Et Alexandre sait déjà ce qu'il va se passer. Ils vont se disputer sur ce sujet, encore. Il a arrêté de compter le nombre de fois où son père et lui se sont criés dessus à cause de cette histoire. Alex a juste l'impression que son père ne l'écoute jamais. 

— Alexandre, ne recommence pas !

Timothée est agacé, son fils aussi, ce qui ne promet rien de bon. Le plus jeune jette son livre sur le lit et se lève pour faire face à son paternel. Il en a marre de se taire. Il en a marre de souffrir. Aujourd'hui, la femme qui lui a donné la vie est peut-être morte, mais sa mère est toujours là, en bas, dans leur salon. Son père et Victoire ne l'acceptent peut-être pas, mais c'est elle sa mère. Et il veut qu'ils le comprennent. Son cœur lui fait trop mal pour qu'il s'arrête.

— Et pourquoi ?! Pourquoi vous ne voulez pas comprendre ?

— Il n'y a rien à comprendre. Esther est... était ta mère.

Le ton moralisateur de son père l'énerve encore plus. Comment peut-il être aussi aveugle ? Alexandre a juste envie de pleurer. De tristesse. De douleur. De rage. Il a envie de frapper quelque chose.

— Ça suffit ! J'en ai marre d'entendre ça ! C'est Victoire ma mère !

— Alex, s'il te plaît, on en a déjà parlé.

— Et alors ?! C'est toujours pareil avec vous. Vous n'écoutez jamais !

Souvent, il en veut à son père et à Vicky. Il sait que la femme l'aime. Elle l'aime autant que Méline et Mathias. Sauf qu'il n'a pas le droit de la considérer comme sa mère. La réalité est moche. Elle le fait souffrir tous les jours. Victoire ne veut pas de cette place parce que tout le monde considère qu'elle est déjà prise. Sauf qu'Esther ne l'a pas élevé. Elle ne l'aime pas autant que Vicky. Elle ne s'est jamais occupée de lui. Elle ne lui fait pas son gâteau préféré pour son anniversaire. Elle ne vient pas le consoler quand il fait un cauchemar.

Alex aimerait que ses rêves soient réels. Dans ses songes, Victoire est sa mère biologique et Esther n'existe pas. Tout est plus simple et il a moins mal.

— Alexandre, ne parle pas comme ça à ton père.

Les deux hommes se tournent vers la porte et fixent Victoire qui s'avance dans la chambre.

— Al'... Ça a toujours été clair entre ton père et moi. Tu étais son fils et j'étais sa compagne. Aujourd'hui, je suis sa femme et il y a Méline et Mathias, mais ça ne change rien. Tu es toujours le fils de Timothée et Esther. Ce n'est pas comme si elle n'avait jamais été là. Oui, elle n'a pas été la meilleure des mères, mais elle a été présente, un peu. Et tu dois respecter cela. C'était ta maman Alexandre, c'est comme ça.

Les yeux de l'adolescent s'écarquillent et sa bouche s'entrouvre. Une fois. Deux fois. Cependant, aucun mot ne sort. Il ne sait même pas quoi dire. La gorge nouée, son regard alterne entre son père et Victoire. Il sent quelque chose couler sur ses joues. Les larmes dévalent, sans qu'il ne les retienne pour une fois. Parce que la douleur est trop forte. Son père fait un pas dans sa direction, mais Alex ne veut pas qu'il le touche. Il bouscule ses parents et sort de la maison. Il entend son père l'appeler, mais il ne s'arrête pas. Il doit sortir de cette maison qu'il déteste. Il doit s'éloigner d'eux. Il veut... Il...

Il se retrouve dehors, à l'air frais, son souffle formant un petit nuage. Pourtant, il continue. Malgré le froid qui l'engourdit, il continue de courir comme si sa vie en dépendait. Il veut juste oublier. La douleur pulse dans son cœur. Les paroles de Victoire tournent en boucle dans son esprit. Elle ne veut pas être sa maman. Elle n'a jamais voulu l'être. Pourquoi est-ce que ça fait si mal ? Ça fait des années qu'il le sait. Ils ont eu cette conversation des dizaines de fois, alors pourquoi ça fait si mal aujourd'hui ?

Ses jambes tremblent et il s'effondre dans l'herbe mouillée, au milieu de nulle part et sous le regard des montagnes.

31 décembre 2037

Alexandre ne sait même plus qui l'a invité à cette fête. Pourtant il ne peut que remercier cette personne parce qu'il passe une bonne soirée, entouré par des gens qu'il connaît peu et qui ne le jugeront pas. Il a menti à ses parents pour venir. Il leur a dit qu'il passait la soirée chez des amis proches. Peut-être que son père découvrira le mensonge demain, mais pour l'instant, Alex s'en moque. Il s'amuse, buvant plus qu'il ne le devrait. Il n'a pas l'âge, mais qui s'en soucie à leur époque. Ce soir, il a juste envie d'oublier à quel point la vie à la maison est compliquée en ce moment. Depuis la mort d'Esther, il parle peu à Vicky et se dispute avec son père tous les deux jours. Il refuse de jouer avec Méline et ne s'approche même plus de Mathias. Quelque chose s'est brisée depuis la mort de sa mère biologique. Il s'est encore plus renfermé et sous les lumières néons de la salle à manger où il se trouve, on voit très bien les plaies rouges en train de cicatriser sur ses poings. Cogner dans un mur n'a pas été sa meilleure idée, mais sur le moment, la douleur physique a remplacé celle mentale, et c'est tout ce qui comptait.

— Hé mec, viens par là. Quentin a quelque chose qui pourrait t'intéresser.

Alex suit docilement le jeune homme qui l'a abordé et dont il ne se souvient même plus du prénom. Enfin, ce n'est pas si important. Le jeune homme le conduit à l'écart des autres, dans une chambre où d'autres personnes de son âge discutent, fument, rient. Il a choisi la bonne soirée pour passer le nouvel an. L'année deux-mille trente-sept va s'achever et Alex espère que celle qui va suivre sera moins merdique.

— Quentin, jt'ai ramené quelqu'un.

Ledit Quentin doit mesurer plus d'un mètre quatre-vingt-dix et Alex se sent petit alors qu'il a seulement dix centimètres en moins. Pourtant, le sourire de Quentin le rassure et Alexandre se détend face à cette montagne de muscles. Et c'est là qu'il la voit. Sur la petite table devant lui, il y a cette poudre blanche. Malgré l'alcool qui circule dans ses veines, Alexandre comprend ce que c'est. Il n'est pas si stupide et surtout, son père ne l'est pas. Ce dernier lui en a déjà parlé des dizaines de fois. Il lui a aussi fait promettre de ne jamais y toucher. Sauf qu'Alex a envie d'oublier sa promesse. Il est venu à cette soirée pour fuir sa maison et sa famille. Et la cocaïne est un bon moyen d'y parvenir.

— T'as déjà testé ?

Alexandre secoue négativement la tête et Quentin lui fait signe de s'asseoir. Alex s'exécute et se retrouve presque nez à nez avec des rails de drogue. A-t-il vraiment envie de tester ? A-t-il vraiment envie de briser sa promesse ? Pendant quelques secondes, il hésite. Esther n'a jamais caché son addiction. Les drogues ont fait des ravages sur elle. Et Tim a raconté à son fils sa venue au monde. Il lui a dit qu'il était né prématurément à cause de ça et qu'il souffrait d'un syndrome de manque.

Et l'adolescent a lu des dizaines de témoignages et d'articles sur les drogues. Il sait les conséquences que ça peut avoir. Pourtant, il s'en moque. Quentin lui tend une petite paille, attendant sa décision sans s'impatienter. La main d'Alex ne tremble pas quand il la prend. Il est décidé. La cocaïne peut provoquer des problèmes de santé. Il est difficile de se sevrer, une fois la dépendance installée. Et Alexandre sait que le retour à la réalité, demain, sera dur. Cependant, il s'en moque. Parce qu'il sait aussi que cette drogue va le rendre euphorique. Pendant quelques heures, il va oublier que son cœur souffre. Et c'est le plus important. Alors oui, il prend la paille blanche et approche son nez de la poudre étalée en ligne sur la table. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top