Chapitre 1 : Joyeux Anniversaire Alessia !

Quand  la dix-septième nuit profonde arrivera, 

la Belle dans un tourment de curiosité tombera, 

emportant avec elle, vie et réalité.

L'immeuble en briques rouges dominait le jardin fleuri du bout de la rue. Les couleurs des pétales vives et colorées me rappelaient les ornements de mon exemplaire d'Alice au Pays des Merveilles où s'entremêlaient ronces, pédoncules et gouttes de sang. Je serrais l'ouvrage contre mon torse pour me donner du courage et collai mon nez à la vitre glacée par le froid hivernal. 

La hauteur  du bâtiment était si imposante qu'elle me donnait l'impression que le toit frolait le lit des nuages des Dieux.  Tout d'un coup, l'idée salutaire de l'endroit me frappait de plein fouet. 

BIENVENUE AU CENTRE DE RÉINSERTION JULES VERNES !

Maman, bien trop occupée à discuter avec Christine, son épouse, ne remarquait même pas l'homme qui attendait pied ferme devant la bâtisse. Je ne pouvais m'empêcher de me rapprocher tant bien que mal du pare-brise pour m'abreuver de tous les détails physiques de mon géniteur. Et pourtant cela ne me suffisait pas, puisqu'il était trop loin pour être observé en profondeur. 

Dans un soufflement de dépit, je me repositionnais contre mon siege en attendant que la Chevrolet se gare en face de mon père. Trop fébrile et impatiente de faire la connaissance de l'homme qui m'avait engendré, je ne faisais pas attention aux conseils, déjà maintes et maintes fois répétés par ma lumière de mère, toute la semaine passée. 

-Oui je sais, répondis-je automatiquement avant de sortir avec appréhension de l'habitacle. 

Je mis sur la pointe des pieds pour faire craquer mes jointures de chevilles bien que ma professeur de danse classique nous défende un tel geste puis me figeai face à l'homme qui me faisait face. J'entendis les portes derrière moi claquer mais je demeurais bouche bée. 

Le cinquantenaire en face de moi me souria d'un sourire éclatant, laissant apparaître des petites fossettes enfantines.  Un bouquet de rose rouges pétantes en main, il se tenait droit dans l'espoir de me faire bonne impression tandis que je reconnaissais dans ses pupilles vertes d'eau la petite étincelle de peur que nous possédions en commun. Néanmoins sa posture si droite et si fière me faisait penser à ceux de la garde royale d'Angleterre. Quand nous avions visité le pays avec ma classe, je m'étais laissé impressionner par toutes ces hommes aux armures écarlates dont le regard restait alerte et la force présente. Inlassablement, je ne pouvais m'empêcher de comparer ces gardes fait de chair et ceux de la Reine Rouge fait de papier. 

Je ne parvenais, ainsi pas à retenir un  sourire face à ce souvenir et l'image qu'il me renvoyait. Il prit alors ce geste pour un signe de contentement et parut un peu se détendre, non sans garder sa grandeur et sa droiture. 

Je parcourus alors du regard son visage carré et ses traits anguleux qui dissimulaient tant bien que mal le résultat des années passées, puis remarquais les petites pattes d'oie, si caractéristiques aux hommes d'une beauté époustouflante, que je retrouvais chez ma mère également. Pourtant, tout en lui m'était étranger, bizarre et commun.

Sa redingote vermillon faisait tâche avec le siècle mais il conservait une allure de classe avec ses Jordan's. La montre en gousset qu'il tenait en main me faisait étrangement pensé à celle dessinée sur mon livre d'enfance et je ne pus que toucher celle que je conservais dans la poche de mon sweat-shirt. Je n'étais en un sens pas sa fille pour rien. 

En un instant, son mètre quatre-vingt-cinq digne d'une armoire à glace, ne me faisait plus peur : Il me rappelait cet ours en peluche si agréable et si doux dont je raffolais plus jeune lorsque haute comme trois pommes, je l'enlaçais de mes petits bras pour me sentir protégée et en sécurité.

-Salut Papa ! lui dis-je, soulagée de sa présence, en le prenant dans mes bras. 

-Bonne anniversaire ma belle Alessandra ! (Il me tendit les fleurs, souriant et un peu gauche devant mon sourire radieux. ) Je ne savais pas ce que tu aimais et je ne comprenais pas vraiment toute cette histoire de MP3 et d'iPhone...les roses me semblaient alors un bon témoignage de mon amour pour toi. 

À ses paroles, ma belle-mère émit un son de dédain pure avant de fusiller du regard mon père. Ma mère, aussi incroyable fut-elle, resta impassible laissant les rênes de l'entretien à celle que j'exècrai plus que tout au monde. Si Christine n'était pas d'ores et déjà une casse-pied impressionnante depuis que je la connaissais _ c'est-à-dire depuis mes huit ans_ depuis qu'elle était mariée à ma mère, elle se croyait tout permis et estimait nécessaire à toujours être sur mon dos.

Cela avait été régulièrement le sujet de nos disputes récentes et la raison première de ce rendez-vous. Mon père constituait aussi le parfait alibi pour échapper de sa poigne de fer. Il paraissait dorénavant mon seul rempart contre les difficultés. Pourtant si j'avais lu avec précision le livre de Lewis Carroll, je n'aurais pas oublié que la famille ne figurait parfois pas dans nos meilleurs alliés. La Reine Rouge n'hésitait pas à assassiner son propre mari et mon père dans ce monde, se parait du rôle de la Reine Rouge. 

Finalement, ce jour-ci son besoin de gérer et contrôler mon rendez-vous avec l'homme que je n'ai pas vu depuis plus de quinze ans me poussa à voir rouge et à la faire partir. 

Voulant abroger au plus vite, le duel de regards entre les adultes qui se déroulait, je m'étais interposée de la meilleure manière qui soit. Dans un élan de stress, je serrai ma mère dans mes bras qui n'hésita pas à me rendre ma marque d'affection. Pourtant malgré ses douces paroles de tendresse, quelque chose ne semblait pas couler de source.

Il paraissait qur toute l'emotivité et gentillesse de ma mère s'était évaporée pour laisser place à une femme statique. Si je ne la connaissais pas, le terme "cinglée" aurait été parfait pour la qualifier. Pourtant malgré le doute présent, je mettais son manque de réaction sur le compte du traumatisme. Être battue jours et nuits par son mari n'est pas une épreuve dont on sort indemne et ces hurlements nocturnes, quelques fois en était encore la preuve. 

Alors que mes deux tutrices se dirigeaient vers la voiture, Patrick Vague hèle la femme qu'il eut un jour aimé : 

- La dix-septième nuit profonde arrive. Il est temps, Céleste, de laisser faire son cours. (Il jeta un coup d'oeil à Christine qui bomba le torse. ) Nous ne parviendrons pas à continuer cette mascarade bien longtemps. 

Pour toute réponse, mon étoile acquiesça le regard troublé avant de poser ses doigts sur ses lèvres. Je compris d'emblée son signe. Elle m'intimait de me taire mais le doute persistais. Pourquoi et surtout quels étaient les sujets à éviter ?  

Je n'eus malheureusement droit qu'à un vrombissement pour réconfort avant de suivre mon géniteur dans la bâtisse. Très vite, l'impression de propreté et d'accueil chaleureux se mut en une profonde nausée. L'humidité de l'air semblait plus importante que dans les égouts parisiens où par-dessus, était rajouté une vive odeur de graisse. 

Je me couvris instinctivement la bouche tandis que Patrick me débarrassait de mon manteau. Nous passions par la suite devant un portique de sécurité vérifiant notre absence de port d'armes et l'odeur que je prenais pour intense déjà, s'amplifia à mesure que je pénètrais dans le salon. 

Certes le mobilier suédois tout droit sorti d'Ikéa semblait nouveau mais une profonde odeur de rance et de cadavre me poussait à tousser, les tripes retournées. Des images de désolation, de sang tirés de mes cauchemars les plus terrifiants se succédèrent devant ma retine alors que je tentais de ne pas vomir à même le sol. 

-Mon Dieu mais qu'est-ce que c'est ? l'interrogeai-je, tout en plaçant mon écharpe sur ma bouche. 

-De quoi parles-tu chérie ? 

-Mais de l'odeur, papa ! Tu ne sens pas ? 

La surprise se peignit sur le visage de mon paternel avant qu'il n'acquiesce énergiquement_ un peut trop même pour être plausible_ tout en murmurant qu'il s'en était surement accommodé. Cependant les autres habitants, que je n'avais pas remarqué plus tôt comme s'ils venaient tous d'apparaître, ne semblaient pas préoccupés par l'air nauséabonde qui flottait autour de nous.  Bien que j'avais quelques doutes sur la véracité des propos de mon père, je ne pensais pas que trente hommes puissent s'accommoder à cette ignominie.  

Dans les minutes qui suivirent mon père me fit la visite, me montrant les trois étages habités de l'immeuble, puis les chambres et enfin les salles communes. Il évita les salles de bain et les toilettes, insistant sur le fait qu'une jeune fille de mon âge ne devrait pas être contrainte à la torture si jeune. Malgré mes hauts-le-cœur cette remarque m'arracha un petit ricanement que je regrettai amèrement, d'emblée lorsque de l'air s'introduit dans ma gorge. 

Je semblai d'un coup asséchée et me mourus de soif. Je requeris ainsi un verre d'eau ce qui nous reconduit aux vingt mètres carrés de la cuisine où un jeune homme d'une vingtaine d'années fouillait avidement dans les placards. Torse nu, il dévoilait des tatouages tribales et des hiéroglyphes que je me surprends à admirer. 

-Hey Frost, dégage de là, faut que je récupère de la nourriture pour ma fille. 

L'intéressé s'écarta et se rendit compte de ma contemplation. Il m'assassina du regard avant de se mettre à quelques centimètres devant moi et de me fixer. Je sentis la tension se planter dans mes épaules tandis que je subissais son évasion dans mon espace personnel. Agacé devant mon manque de réaction, il se mit en quête de me pousser à bout (ou de me faire trembler de peur) en tournant autour de moi, comme un lion autour de sa proie, me frôlant à certains endroits, me poussant à d'autres. 

Dans un ultime moment de faiblesse, je décollai mes yeux du sol, recherchant le soutien de mon père et lorsque je le vis, je me glaçai. Ma bouteille d'eau à la main, ses pupilles étaient tellement dilatés que je ne savais départagera la pupille de l'iris. Des veines rouges et bleus que je pensais invisibles striaient son visage lui donnant un air bestial et absolument effrayant.

Dans un bref sursaut, je reculai et me cognai contre le dénommé Frost. Devant ce qu'il considèrait comme un outrage, il me plaque violemment au mur en empoignant ma gorge. La tête me tourne d'un coup et je me sens aussi flasque qu'un ballon de baudruche à mesure que les secondes s'egarent. Mes pensées perdent leur sens et des étoiles miroitent devant mes yeux quand...

-Assez ! S'écrie la voix de mon père, grondante tel un monarque. 

L'instant d'après je décollai du mur et me rattrapai à la chambranle, à bout de souffle. Je lançais un regard décontenancé à l'étrange homme qui souhaitait absolument ma présence mais il n'était plus là. J'étais peut-être en nage et quelque peu chamboulée mais je n'arrivais pas à concevoir comment deux personnes qui étaient l'instant d'avant à mes côtés, avaient pu se déplacer aussi vite. 

Ma conscience me criait que rien ne clochait ici et que je me devais de foutre le camp, pourtant je tenais d'abord à mettre la main sur mon père. 

Après enquête, je les retrouvai au pied de l'escalier en train de s'échanger des messes basses dans un dialecte qui m'était tout à fait inconnu. Rien qu'à leur posture défensive et les grands gestes qui accompagnaient leur discussion, on savait qu'ils n'echangaient pas des mots d'amour. Cette impression de malaise renforcée, suivi de mon inconfort nasale, je me demandai si je ne devrais pas m'en aller. 

Les roses captèrent mon regard et je ne pus m'en détacher comme si j'étais absorbée. Finalement, j'optai pour rester. Trop de questions méritèrent des réponses et après toutes ses années il m'était nécessaire de les avoir en main. 

-Alessandra ? m'appela Patrick. Je crois qu'il est temps pour nous d'avoir une discussion sérieuse, fait-il comme s'il lisait dans mes pensées. Suis moi. 

Le jeune homme avec qui il s'entretenait une houleuse dispute n'était plus des nôtres et bien que je sentais sa présence je ne le voyais pas. Après m'être accroupie sous l'escalier pour savoir où il se cachait, je me résignai à suivre cet homme plein de mystères que j'osais appeler "mon père". 

Il m'attendait au dernier étage dans l'une des plus grandes chambres de l'immeuble. Lorsque je passai la porte, l'odeur semblait décuplée et m'inspirait une image mortuaire d'Auschwitz où les corps s'empilaient avant leur incineration. J'étais tout au temps révulsée par les deux endroits mais me contenais et m'assis sur le lit après un coup d'oeil circulaire. Sans que je le sache pourquoi je demeurai sur-qui-vive. Ou finalement c'était peut-être la multitude d'horloges qui surplombaient la pièce et nous rappelaient de force que le temps nous était compté, nous, humbles mortels. 

Après que la glace de l'embarras soit rompu, je lui racontai les quinze années qu'il avait manqué. Je lui contai à quel point la mort de mes animaux de compagnie m'avait marqué. Je partageais ce doute présent en chaque fibre de mon corps qui me faisait craindre le contact corporel avec autrui. C'était d'ailleurs l'une des raison pour lesquels mes mains étaient constamment couvertes. Je supportais à peine les centaines de grains de beauté dessus, les quelques fois où j'avais tenu mes oiseaux dans le creux de la pomme leur mort avait été proche. 

Cet aveu fut accueilli par un silence tendu avant que mon père ne se lève et me confia qu'il possédait autre chose pour moi. 

-Montre-moi ! M'ecriai-je, exaltée. 

-Regarde derrière la petite porte. 

Je mis un petit bout de temps à trouver tandis qu'il me répétait "Dépêche-toi ! Je suis pressé !" ou encore "Allez trouve-les !". 

Son doigt tendu derrière un bureau, je me mis à quatre pattes pour atteindre mon présent. Elle me rappelait familièrement l'une des portes qu'Alice avait du pénétrer avant de franchir l'autre monde. Sans pouvoir me contrôler, je me mis à ricaner devant mon esprit enfantin alors que mes doigts parvenaient à tourner la clef sur la serrure. Quand enfin je réussis, je m'allongeai et tandis le bras mais ne ressentis que du vide. Je me rapprochai et me sentis d'un coup glisser vers l'entrebâillement, où l'odeur de pourriture semblait trouver racines.  

Et sans que je ne comprenne ce qui m'arrivait, ma tête heurta le mur de granit. Je vis quarante chats volants avant de tomber dans une nuit sans étoiles où profondeur rimait avec obscurité totale. 

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