Partie 3
Alec ne cessa de courir que lorsqu'il atteignit les premiers arbres, il avait dû se faire violence pour ne pas regarder vers le château. Il n'aurait pas cru que cela puisse être aussi difficile de partir. Une fois derrière le premier arbre rouge, il se retourna. Le château était loin. Magnus était loin. Il soupira et repartit vers le tunnel. Il n'avait plus qu'à rentrer à présent.
Comme le lui avait dit le demi-magicien, remonter vers Au-Dessus fut plus rapide. À peine eut-il atteint le noir complet du gouffre qu'une lumière apparut au-dessus de lui. Il ne mit que quelques minutes à atteindre le tunnel supérieur, et quand il regarda à nouveau le gouffre, les ténèbres régnaient toujours. Une lumière blanche baignait à présent le tunnel, il se souvenait pourtant d'avoir été dans l'obscurité jusqu'à être arrivé dans la forêt d'En-Dessous. Rien n'avait de sens.
La porte noire se referma derrière lui. Et disparut. Pendant quelques instants, Alec fixa le mur vide, incapable de respirer. Il était de retour chez lui, Magnus était toujours dans ce château en ruine. Et il n'avait plus aucun moyen d'y retourner. Sauf à oublier Magnus. Sans comprendre pourquoi, l'envie de pleurer le prit soudain, si fort qu'il dut s'appuyer contre le mur de l'étable pour ne pas s'effondrer. Il était certain de ne pas pouvoir l'oublier. Mais ça voulait aussi dire ne plus jamais le revoir. Mais aurait-il toujours envie de le revoir s'il l'oubliait ? Il se retint de justesse de frapper le mur. Il ne comprenait pas pourquoi Magnus lui faisait ça. C'était tellement cruel.
Il faisait toujours nuit et la lune inondait le jardin de sa lumière pâle. Alec s'emmitoufla dans sa cape qui l'avait sagement attendu dans le tunnel et se laissa glisser jusqu'au sol. S'éloigner du mur lui était impossible, rentrer dans sa maison lui était impossible. Alors il resta là, serrant la bourse ambrée dans sa main, incapable de savoir ce qu'il voulait. Il finit par s'endormir, dans le froid, et fut réveillé au matin par sa petite soeur.
— Alec ! Eh Alec, réveille-toi !
Grelottant dans l'aurore, le jeune homme ouvrit les yeux pour tomber sur les iris noirs de sa soeur. Elle afficha un léger sourire et le prit dans ses bras. En le découvrant là, elle avait eu très peur. Mais que lui avait-il pris de passer la nuit dehors ? D'accord, la température à l'intérieur de la maison n'était pas idéale, mais c'était quand même mieux que dehors.
— Rentre te réchauffer !
Elle se redressa et lui prit la main pour le forcer à se relever. Il obéit mais lâcha la pochette qui tomba sur le sol. S'ouvrant, elle échappa deux rubis et une émeraude. Izzy poussa un cri suraigu en voyant les pierres.
— Par l'Ange, d'où est-ce que ça sort !?
— C'est une longue histoire.
L'aîné ne put s'empêcher de sourire, attendri et amusé, devant l'air ébahi de sa soeur, il se pencha pour ramasser la bourse et les pierres et ils rentrèrent dans la maison. Izzy, première éveillée de la maisonnette, réveilla tout le monde à grands cris. Alec avait visiblement vécu quelque chose d'incroyable, elle connaissait son frère par coeur et il avait changé. Il était hors de question qu'elle attende une minute de plus pour l'écouter. Elle s'assit à la table, trépignant alors que leurs deux autres frères arrivaient en se frottant les yeux. Maryse, elle, s'était approchée d'Alec, toujours debout.
— Mais, tu as l'air frigorifié !
— Il a passé la nuit dehors, répondit Izzy pour que son frère ne pense pas à mentir.
— Quoi !? C'est... c'est à cause d'hier soir ?
Les larmes envahirent les yeux puis le visage de cette mère de famille qui avait passé une nuit abominable, entre inquiétude et culpabilité. Alec la prit dans ses bras pour la rassurer.
— Non, maman, non. Je t'assure que ce n'est pas à cause de notre dispute. Ne pleure pas, s'il te plaît.
Il déposa un baiser sur son front et, quand il fut sûr qu'elle avait cessé de sangloter, la lâcha. Ils prirent tous place autour de la table et Alec leur conta son aventure de la nuit. Maryse et Jace étaient dubitatifs jusqu'à ce qu'il leur montre le pochon. Il faisait encore assez sombre dans la maison car le soleil était tout juste en train de se lever, mais le velours brillait. Ils pouvaient tous sentir la magie qui irradiait de l'objet. Alec l'ouvrit et en sortit des pièces d'or. Maryse hoqueta et prit Max, assis à côté d'elle, dans ses bras.
Izzy n'avait cessé de regarder son grand frère pendant qu'il parlait, et elle sentait qu'il taisait des choses. Il leur avait parlé de Magnus, le fils du roi des géants, et de ses yeux de chat, sans jamais évoquer les tressautements de son coeur, mais Izzy n'était ni bête ni aveugle. C'était la première fois qu'il parlait autant de quelqu'un qui n'était pas eux, et qu'il souriait autant. En fait, Alec remarqua combien ses joues lui faisaient mal d'avoir tant souri quand les autres se dispersèrent. Mais c'était certainement normal qu'il fût si heureux, ils allaient pouvoir vivre décemment à présent.
Dans la journée, Alec se rendit au village avec Jace. Ils achetèrent un cheval et une carriole assez grande pour les emmener tous les cinq. Les villageois les observaient avec surprise, mais ils acceptèrent avec plaisir les pièces d'or que les deux frères donnaient pour leurs achats. C'était vraiment de l'or. Où avaient-ils trouvé autant de richesse ? Peu importait, puisqu'ils n'étaient visiblement pas avares.
La nouvelle voiture chargée de nourriture, ils rentrèrent chez eux et firent le plus beau repas qu'ils n'avaient jamais eu. Maryse, Izzy et Max avaient passé la fin de l'après-midi à cuisiner. En voyant la table garnie, Alec ne put s'empêcher de penser à Magnus. C'était grâce à lui, tout ça, et il aurait aimé pouvoir partager ce moment avec lui.
Les jours qui suivirent furent froids, glaciaux, mais aucun n'en eut cure. Dès le lendemain, Alec, Jace et de jeunes villageois avaient entrepris de réparer la maison, ils purent même ajouter une chambre pour leur mère et un garde-manger. Avec les semaines, leurs paillasses se transformèrent en lits, avec des couvertures plus chaudes et confortables. La maison prit des couleurs, Maryse eut enfin la possibilité d'acheter de belles tentures pour la décorer. Ils réparèrent l'étable et achetèrent une nouvelle vache. Dès que les beaux jours revinrent, ils purent acheter des graines et les planter.
Chercher du travail au jour le jour n'était même plus leur priorité. Après le travail à la maison achevé, ils avaient du temps. Alors Alec s'acheta un arc, comme celui qu'avait son père et avec lequel il lui avait appris à tirer. Il recommença à s'entraîner régulièrement, cela l'aidait à calmer ses pensées. Lui qui avait toujours été flegmatique n'arrivait parfois même plus à se concentrer tellement il pensait à Magnus. Cela faisait deux mois, et même s'il avait du mal à se souvenir du paysage d'En-Dessous, il n'avait toujours pas oublié le prince de ces lieux. Au fond, cela le rassurait, il avait eu raison de dire à Magnus qu'il ne l'oublierait pas. Mais s'il ne l'oubliait pas, il allait devoir chercher un moyen de le revoir. Il en parlait parfois à Izzy, il lui disait combien il suffoquait, parfois, en pensant à Magnus. Sa soeur souriait sans rien dire, c'était la première fois que son frère trouvait quelqu'un qui lui plaisait, elle voulait le laisser s'en rendre compte par lui-même.
Leur vie était douce à présent. Leurs inquiétudes étaient loin, ils avaient de quoi s'acheter les choses dont ils avaient besoin quand ils en avaient besoin, et même des choses dont ils avaient simplement envie. Des vêtements, des bijoux. Ils étaient devenus la famille la plus riche du village, vivant toujours dans leur maisonnette en bois. Plusieurs fois ils avaient réfléchi à aller vivre dans une maison plus cossue, mais ils étaient bien ici. Les deux jeunes hommes étaient de plus en plus approchés par les femmes. Des jeunes femmes venaient même des villages voisins pour essayer de les séduire. Bien sûr, Jace s'en amusait beaucoup, mais Alec n'aimait pas toute cette attention. Et ces femmes n'éveillaient rien en lui. Plus il les voyait, et plus il pensait à la beauté magique du demi-géant à qui elles avaient toute à envier.
Plusieurs mois étaient passés depuis sa rencontre avec Magnus. Cinq mois. Et il avait senti que quelque chose n'allait pas. Un matin, il s'éveilla, calme et serein. L'angoisse qui l'avait cloué au lit depuis plusieurs jours avait disparu, il ne se souvenait même plus de cette angoisse. Cette angoisse d'être en train de perdre ses derniers souvenirs, alors que la dernière chose qu'il réussissait à se rappeler était sa propre voix prononçant le nom du demi-géant, avait disparu. Avec le reste de ses souvenirs d'En-Dessous. Pour la première fois, il laissa la bourse sous son oreiller. Il savait qu'elle ne fonctionnait plus de toute façon, il se sentait différent.
Il n'avertit pas tout de suite sa famille. Ils avaient bien assez pour vivre par eux-mêmes à présent, alors cette bourse ne servait plus à grand chose. C'est Izzy qui se rendit compte la première que quelque chose n'allait pas. Elle posa la question un jour, à table.
— Elle a cessé de fonctionner il y a deux semaines, répondit simplement Alec. Ce n'est rien, nous n'en avons plus besoin.
— Ton frère a raison, ma chérie. Il est inutile d'être cupide. Cette bourse était un don de l'Ange, mais à présent nous devons faire sans elle.
Mais ce n'était pas l'argent qui inquiétait la soeur, c'était Alec. Elle avait peut-être oublié ce qu'il lui avait raconté sur En-Dessous, elle se rappelait du comportement de son aîné durant ces derniers mois. De ses sourires qu'il avait quand ils parlaient. Il ne souriait plus comme ça, désormais. Et il ne sourit plus pendant encore un mois.
C'était le milieu de l'été, et les quatre frères et soeur s'étaient rendus à un lac pour se baigner. Les éclats de rire retentissaient, mais Alec ne parvenait qu'à afficher un pâle sourire. Son frère manquait à Izzy. Elle se mit à réfléchir, et à prendre peur. Et si quelque chose, dans cet endroit inconnu, lui avait prit quelque chose en échange de cette bourse ? Il avait bien parlé d'un magicien, non ? Et les magiciens étaient des êtres sournois.
Pour en avoir le coeur net, elle alla chercher la bourse dans la chambre de son frère. Elle était posé sur un meuble, et avant même de la prendre, Izzy remarqua qu'elle contenait un objet. Elle en sortit la clé de métal blanc qui brillait d'une lueur ambrée, au moment où Alec arrivait.
— Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre ? Demanda-t-il, un peu grincheux.
Depuis quelques jours, ils avaient terminés de construire une nouvelle pièce pour que Jace et Alec puissent avoir des chambres séparées.
Il vit la clé dans la main de sa soeur, il s'avança pour la lui prendre. Il la regarda, c'était bien la clé qui l'avait conduit là-bas.
— Où as-tu trouvé ça ?
— Dans la bourse. Je croyais qu'elle ne fonctionnait plus.
— C'est vrai. Quand mes souvenirs ont disparu, j'ai présumé que je ne pourrais plus rien en tirer.
— Et pourtant la clé est là. Il doit bien y avoir une raison, tu ne crois pas ?
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu veux que j'y retourne ?
— Alec, écoute...
Elle soupira et lui expliqua ses craintes. Honnêtement, il aurait préféré que personne ne se rende compte qu'il était différent, mais c'était bien la vérité. Peut-être devait-il le faire. Peut-être comprendrait-il ce qui lui arrivait ?
Il attendit que tout le monde soit couché pour repartir sans que sa mère ne s'en aperçoive. Il glissa la clé sur le mur de sa chambre, elle n'opposa aucune résistance, et il la tourna pour déverrouiller la porte. La même porte noire apparut devant lui, l'unique souvenir qui lui restait de son premier voyage. Il glissa la bourse magique dans sa poche, laissant la clé accrochée au mur, et franchit le seuil sans crainte. Il l'avait déjà fait, après tout, et il y avait survécu, non ? L'endroit ne devait pas être si dangereux.
Pour la seconde fois, et même s'il le savait, il ne s'en souvenait pas, Alec traversa le tunnel sombre. Les mains sur les parois, il avança sans voir où il allait, il continua jusqu'à sentir le sol s'incliner. Comme la fois précédente, son corps s'arrêta de lui-même au bord d'un gouffre. Il chercha de la main un moyen de descendre dans ce puits qui paraissait sans fin, et trouva des prises assez larges et solides pour s'y accrocher. Il les emprunta, un peu inquiet. Avait-il déjà fait ça ? Il souffla. La descente fut étonnamment simple, quoique très longue. Tellement qu'il eut le temps de réfléchir à sa dernière visite. Il devait bien lui rester quelque chose, pourquoi avait-il tout oublié ? Izzy avait-elle raison ? Avait-il passé un marché avec un magicien contre cette bourse ? Que pourrait-il avoir échangé ? Certes, il se sentait différent de ces derniers mois, mais il n'était pas différent d'avant. Ce voyage ne le mènerait sans doute à rien, même si au fond, il avait envie d'y retourner. Il avait envie de voir à quoi cela ressemblait.
Le soulagement le gagna quand la lumière commença à éclairer le gouffre. Il vit enfin le fond et, quelques mètres parcourus plus tard, il posa les pieds au sol. Il suivit sans attendre la lumière au bout du tunnel et atteignit enfin la forêt. Pour ce qui lui semblait être la première fois, il découvrit le ciel orange, les arbres carmins, et l'eau étincelante qui lui donna envie d'y plonger, tant il faisait chaud. Il avança d'un pas mesuré le long d'un chemin inconnu, au milieu des herbes hautes, espérant ainsi sortir de la forêt. Tout était immense, tout était tellement beau. Comment avait-il pu oublier un endroit pareil ?
En atteignant l'orée de la forêt, il vit une plaine devant lui. Immense. Au loin, il aperçut un château. Il avait l'air en ruine, mais il se dit que c'était sans doute là qu'il était allé, et qu'il devait retourner. Sans trop comprendre pourquoi, il se mit à courir, comme s'il ne devait pas rester une seconde de plus loin de ce château. Et il continua de courir même quand le souffle commença à lui manquer, quand ses muscles se mirent à brûler dans ses jambes, il n'arrivait pas à s'arrêter.
Il tomba à genoux devant une porte dégondée. À deux doigts de s'évanouir, son corps le poussait pourtant à continuer d'avancer. Il dut se faire violence pour s'accorder quelques minutes de repos. Quand sa respiration fut plus calme et que les points noirs et blancs eurent arrêté de danser devant ses yeux, il se releva et avança dans le château, à travers les couloirs de pierres couleur sable. Passer devant une chambre démesurément grande le fit légèrement trembler, mais il continua son chemin jusqu'à une porte décorée de pierres précieuses. Magnifique. Il l'observa quelques instants, en se demandant ce qu'elle pouvait cacher, puis il posa sa main sur une ambre incrustée dans le bois noir et la porte bougea toute seule. Il se faufila dans la pièce mais s'arrêta rapidement, le souffle coupé, en découvrant les montagnes de richesses. Il se demanda si les pièces et les pierres qu'il sortait de la bourse venaient de cet endroit. Mais il ne voyait pas de magicien.
Il effleura quelques pièces de ses doigts, délicatement, de peur de faire tout s'effondrer et de se retrouver dessous. Ses pas le firent avancer à nouveau, il suivit le chemin qui traversait toujours la pièce immense. Mais la pièce était vide de vie, elle ne contenait que de l'or, des pierres, des tissus, des objets en or ou en argent. Il secoua doucement la tête, il n'était pas venu pour ça, mais pour des réponses. Il devait trouver le magicien, et il espérait qu'il ne tomberait pas sur la personne à qui appartenait la chambre qu'il avait vu plus tôt. Sinon, tant pis pour ses réponses. Il ne risquerait pas sa vie.
Le chemin le conduisit dans une autre pièce, tout aussi grande que la première. Il y avait de l'or ici aussi, mais beaucoup moins. Dans un coin, seulement, et dans le coin opposé étaient entassés des coussins sous un baldaquin dont un seul rideau était ouvert. Alec fut intrigué par la silhouette allongée là. Ce n'était pas un géant, ce qui le rassura, mais son coeur s'affola contre ses côtes. Il s'avança, d'un pas silencieux, se disant qu'il devait s'agir du magicien. Bien, il n'avait plus qu'à lui poser ses questions et retourner chez lui. Son pied se prit dans un tissu étendu au milieu de la pièce. Il ne tomba pas, mais le bruit de ses pieds suffit à éveiller la personne qui dormait. Les rideaux du baldaquin s'ouvrirent tout seuls, et la lumière de l'extérieur, amenée par les grandes ouvertures des murs, atteignit l'inconnu.
Il s'agissait d'un homme, terriblement beau, et il se leva du lit pour s'approcher d'Alec. Ses yeux couleur chocolat étaient posé sur le jeune homme et un sourire doux étirait sa jolie bouche rose. Il ne portait qu'un pantalon noir, usé, ce qui laissa à Alec tout le loisir d'observer la peau caramel de son torse nu finement musclé. Il eut d'ailleurs du mal à s'arracher au spectacle quand, entendant un bruit métallique, il dut baisser le regard. Il aperçut enfin la chaîne blanche à son pied. Un prisonnier ?
— Je... je m'appelle Alexander. E-enfin, Alec.
Le sourire de Magnus se figea légèrement. Il s'y attendait pourtant, si Alec était revenu, c'est parce qu'il avait tout oublié de sa dernière visite. Alors pourquoi était-il revenu ? C'était encore un mystère, mais le jeune humain ne tarderait sans doute pas à le lui dire avant de s'enfuir à nouveau.
— Je sais qui tu es, lui avoua-t-il, de sa voix grave et veloutée.
— Oh. C'est toi le magicien qui m'a donné ça ?
Ce disant, Alec sortit la bourse ambrée de sa poche et la tendit vers l'inconnu. Les longs doigts fins de l'homme se refermèrent sur le tissu. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu ça. Plusieurs années. Combien de temps avait-elle fonctionné ? Un peu plus de trois ans. Depuis lors, il attendait de voir si Alec reviendrait et tiendrait sa promesse.
— Je ne suis pas vraiment un magicien. Un demi-sang, c'est tout ce que je suis. Mais c'est bien moi qui t'ai offert ça. T'a-t-elle été utile ?
— Oui, incroyablement oui !
— Mais tu en veux plus, c'est ça ? Souffla Magnus, déplorant la cupidité des humains.
— Non, ce n'est pas pour ça que je suis venu. En fait, il y a des choses que je veux savoir !
Les sourcils de Magnus se haussèrent sous la surprise. Il ne voulait pas plus de richesses ? C'était pourtant pour cela que les humains venaient En-Dessous habituellement. Pour les trésors enfermés ici. Alec l'observait, attendant de voir si le demi-sang, dont il ne savait toujours pas le nom, était disposé à répondre à ses questions.
Le demi-géant retourna vers son lit de coussins et se laissa tomber dessus. Il releva les yeux vers Alec, mais resta silencieux. Son coeur battait fort devant la vision de cet humain. Il avait changé, cela se voyait qu'il vivait mieux à présent. Ses vêtements étaient moins abîmés. Sa chemise noire, bien que légèrement rougie par la poussière du gouffre était d'un tissu plus fin, et les lacets desserrés laissaient entrevoir son torse. Son pantalon était également en toile noire. Cela faisait ressortir la pâleur de sa peau, bien qu'elle était moins éclatante que la dernière fois. Ce devait être l'été Au-Dessus. Magnus détourna soudain les yeux quand une pensée rendit ses joues plus roses. Alec était encore plus beau que la dernière fois, et il n'aurait pourtant pas cru cela possible.
— Quelles choses veux-tu savoir ? Demanda-t-il finalement en fixant la chaîne à son pied.
— Eh bien... comme je ne me souviens pas d'être venu ici, je me demandais... je me demandais si j'avais passé un marché avec toi. Si, en échange de la bourse, je t'avais donné quelque chose... si tu avais pris une part de moi.
En parlant, Alec leva les yeux au ciel à plusieurs reprises. C'était ridicule. Pourquoi avait-il cru aux paroles d'Izzy ? Elle aurait bien fini par se faire à son nouveau caractère. Il n'était pas quelqu'un de démonstratif et, non, il ne souriait pas tout le temps. Mais ça ne voulait pas dire qu'il n'était pas heureux. Il l'était, ils avaient de l'argent et vivaient bien à présent, que pourrait-il vouloir de plus ?
Pris dans ses pensées, il ne put pas se rendre compte que ses paroles venaient de blesser le demi-sang. Celui-ci s'entêtait toujours à ne pas regarder Alec. Comment pouvait-il l'accuser de ça ?
— Je n'avais jamais passé de marché avec un magicien, mais j'imagine qu'un objet de cette valeur... je n'aurais pas pu l'avoir contre rien. Je ne veux pas le récupérer, juste savoir !
Alec essayait de se défendre de la tournure de ses phrases, de faire comprendre à cet inconnu qu'il ne lui reprochait pas leur marché. S'il l'avait fait, c'est qu'il avait dû y trouver son compte. Magnus le regarda enfin, le visage fermé, luttant contre les émotions fortes qui auraient raison de son glamour.
— Et la clé ? Lança-t-il, la voix acide. C'est bien un magicien qui te l'a donné, non ?
— Oui mais... je l'ai échangée contre ma vache. Et c'était la seule possession de valeur que j'avais.
— Donc tu penses que j'ai profité de ta pauvreté pour te prendre quelque chose d'immatériel ? Et d'après toi ? Ce serait quoi ? Tu dois bien avoir une petite idée.
— M-ma soeur me trouve différent depuis que la bourse a cessé de fonctionner. Et moi aussi, je me sens différent.
— Alors quoi ? J'ai pris quoi ? Tu ne te trouves plus assez bien, tu n'as plus confiance en toi ? Ou alors, tu ne te trouves plus assez fort, et c'est de ma faute ? Ah non, je sais ! Tu croyais que tout cet argent te comblerait et ce n'est pas le cas !
Magnus s'était relevé, cette fois il était vraiment en colère, ses doigts s'étaient resserrés sur le velours ambré toujours dans sa main. Les humains étaient tous pareils. Ils demandaient de l'aide aux magiciens et ensuite ils se retournaient contre eux et les accusaient de tous les maux. C'était à cause de ça qu'il était arrivé En-Dessous, grâce à ça que son père l'avait attiré ici. À cause des humains qui n'étaient jamais contents de ce qu'ils avaient ! Il en avait assez de devoir servir d'excuse au malheur des autres.
— Non, ce n'est rien de tout ça, je te jure !
Mais le demi-géant n'entendait plus Alec. Des larmes brûlantes envahissaient ses yeux, et sa colère rendait son glamour vraiment instable. Il ne fallut que quelques secondes de plus pour qu'il disparaisse et la véritable apparence de Magnus se révéla à Alec. Le jeune homme hoqueta et eut un mouvement de recul en croisant ses yeux de chat ambrés. Et Magnus ne rata rien de sa réaction, le coeur gros.
— Ils te font peur ? Demanda-t-il dans un souffle, en essayant de se reprendre.
Sans répondre, Alec leva lentement une main vers le visage de Magnus, mû par la soudaine envie de caresser les paillettes d'or maculées de larmes sur ses joues. Était-ce lui qui avait mis le demi-sang dans cet état ? Comment ? Et pourquoi sentait-il si mal ? Il plongea son regard dans celui de Magnus. La colère avait disparu, pas sa douleur. Il arrêta son geste avant de le toucher. Que se passait-il ? Son coeur s'était mis à battre plus fort. Peut-être bien que ses yeux lui faisaient peur, mais sans doute pas de la façon dont l'imaginait le demi-magicien.
Il le regarda s'éloigner de lui de quelques pas et lui tourner le dos avant de claquer des doigts. Alec s'attendit à voir disparaître la vision enchanteresse de cette apparence envoûtante, mais il n'en fut rien. Magnus s'était contenté de chasser ses larmes, quelque part c'était moins embarrassant de le faire comme ça plutôt que de les essuyer avec ses mains.
— Je n'ai rien pris, répondit-il enfin, la gorge nouée. Je ne t'ai rien demandé en échange.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
Magnus fronça un peu les sourcils. Comment ça « pourquoi » ? Et pourquoi lui aurait-il demandé quelque chose en échange de quelque chose d'aussi banal que quelques pièces d'or ? C'était ridicule. Combien y avait-il de salles, dans ce château, entièrement remplies d'or ? Ou même de diamants ? Son père n'avait même pas remarqué qu'il en avait eu moins pendant quelques temps. Parce qu'avec Magnus dans ce château, il y aurait toujours plus, et plus encore.
Cette fois, ce fut Magnus qui resta silencieux. Que pouvait-il répondre ? Alec ne semblait même pas le croire. Il n'avait pas envie de se justifier. Le silence qui s'installa alors fut lourd pour lui, mais Alec s'en rendit à peine compte. Son attention était focalisée sur le dos du demi-sang, la courbe de son dos, sa chute de reins. Il serra les poings pour se retenir d'aller emprisonner sa taille dans ses grandes mains. Mais il ne put s'empêcher de s'approcher à nouveau.
— Tu as eu ta réponse. Pars, maintenant.
En disant cela, Magnus se retourna et pressa la bourse magique contre le torse de l'humain, du bout des doigts pour ne pas risquer de le toucher, il avait fermé les yeux. L'idée de le voir repartir déjà le brisait.
— Non, je n'ai... Je ne partirai pas, protesta Alec. J'ai encore des questions ! Pourquoi est-ce que je me sentais différent pendant tout ce temps ? Pourquoi est-ce que j'ai tout oublié ? Pourquoi la clé est revenue à moi ? Et pourquoi...
Alec cessa de parler quand Magnus le regarda enfin. Ses yeux de chat lui coupèrent le souffle. Il déglutit difficilement et s'apprêtait à s'excuser quand l'homme en face de lui leva sa main libre pour l'arrêter.
— Cesse de t'excuser, c'est une mauvaise habitude.
— Dé... D'accord.
— Tu apprends vite. S'il te plait, pars, je n'ai pas le temps de répondre à des questions que tu auras vite oublié.
— Alors c'est comme ça, je dois juste attendre d'avoir oublié ?
— C'est ce que font les humains, répliqua-t-il machinalement.
— Et toi alors ? Tu fais quoi quand j'oublie ?
Alec écarquilla les yeux, sans comprendre pourquoi il avait posé cette question. Magnus se souvenait avec tristesse qu'ils avaient déjà échangé des paroles tes similaires. Et s'il n'avait pas répondu à cette question quatre ans auparavant, il comptait encore moins le faire à présent.
Le jeune homme voulut poser sa main sur celle de Magnus, toujours sur son torse, mais le demi-sang la retira rapidement, ne laissant que la bourse sous les doigts d'Alec. Magnus esquissa un nouveau pas pour rétablir une distance nécessaire entre l'humain et lui, mais ce pas fut léger, trop léger. Craignant le pire, il se tourna et baissa les yeux vers le sol derrière lui pour enfin se rendre compte que la chaîne attachée au bracelet d'or blanc de sa cheville avait disparu. Et ça ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose. Son regard horrifié remonta vers le visage d'Alec qui s'apprêtait à parler. Magnus plaqua brusquement une main sur la bouche de l'humain et le poussa pour qu'il tombe parmi les coussins.
— Tais-toi, souffla-t-il à peine. Ne dis plus rien. Et ferme les yeux.
Il claqua des doigts et d'autres coussins cachèrent Alec qui se contenta d'obéir, ne comprenant pas ce qui se passait. Ses doigts claquèrent encore et l'air se chargea d'une forte odeur de fleurs alors que des milliers de pétales se mirent à tomber en pluie sur le sol pendant quelques secondes. Magnus eut juste le temps de refermer les rideaux du baldaquin avant qu'il n'entende des pas lourds dans la pièce à côté.
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