Partie 2

Le spectacle qui s'offrit à lui alors, lui coupa le souffle. Il ne savait pas vraiment à quoi il s'attendait, mais certainement pas à ça ! Il crut d'abord que c'était le crépuscule, tant le rouge et l'or dominaient le paysage, mais ce n'était pas le cas. C'était l'herbe, et les plantes, et les arbres qui étaient rouge. De différents rouges. Beaux, magnifiques. Le ciel qu'il apercevait à travers les feuillages était orangé, et l'eau de la rivière qui coulait plus loin était transparente, mais on aurait dit qu'elle brillait comme un diamant.

Alec se retourna pour observer la paroi de la grotte qu'il venait de quitter. Il n'arriva pas à voir jusqu'où elle allait. Était-il toujours dans la grotte, ou bien était-ce une falaise incroyablement haute ? Il n'aurait sans doute jamais la réponse. Il se remit en marche, en direction de la ligne d'arbres qui l'empêchait de voir plus loin. Il se hâta, surpris par son propre empressement à découvrir cet endroit inimaginable. Il lui fallut un moment pour se rendre compte de quelque chose d'étrange. Tout semblait haut. Très haut. Les arbres faisaient plusieurs dizaines de mètres, pour les plus petits. L'herbe était aussi haute que lui et le dépassait parfois d'un ou deux mètres. Il finit par atteindre un chemin de terre très large qui le mena hors des arbres.

Une grande plaine s'étendait devant lui, et au milieu de cette plaine, un château. Il fut presque surpris de voir que les murs semblaient gris et ternes, au milieu de cet environnement flamboyant. Il reprit la route pour se rendre dans ce château, après tout, le trésor se trouvait sans doute là-bas. Son enthousiasme lui ôta la notion du temps. Il observait tout, autour de lui, en avançant. C'était tellement différent de chez lui. Jamais personne ne le croirait s'il racontait ce qu'il y avait ici.

Il ne s'arrêta que devant la porte du château. La porte immense et délabrée. Cette fois, il s'attendait à ce que ce soit grand, c'était un château après tout. Et même s'il ne s'était jamais approché d'un château de sa vie, on lui avait dit que c'était immense. Mais celui-là était à la même échelle que les arbres et tout l'environnement autour. Alec ne savait même pas comment entrer. Il entreprit alors de faire le tour, peut-être y aurait-il une ouverture à sa mesure ?

Après quelques minutes seulement, il trouva une porte qui était sortie de ses gonds et lui laissait un mètre entier pour passer. Il dut baisser un peu la tête, mais il n'eut pas plus de difficultés. Son exploration du château put commencer. Contrairement à ce qu'il avait vu, les pierres n'étaient pas grises, mais couleur sable. Des tentures étaient accrochées par endroit sur les murs encore debout. Les meubles les plus bas faisaient au moins le double de la taille du jeune homme. Mais la plupart du château était dans un triste état, comme si une tornade l'avait ravagé. À part une pièce qui avait l'air d'être la cuisine, et une chambre tout aussi immense que le reste. Quand il vit le lit, il commença à réaliser que quelqu'un vivait ici. Et que ce quelqu'un était, aussi, à la mesure du reste.

Une sueur froide glissa le long de sa colonne vertébrale et il continua à explorer en se demandant si c'était finalement une bonne idée de rester ici. Il devait vite mettre la main sur ce trésor, en espérant qu'il lui soit capable de le ramener avec lui.

Ses pas un peu affolés le menèrent à une nouvelle porte. Une porte gigantesque, large, mais elle était en meilleur état que tout le reste. Le bois était noir, comme celui de la porte qui l'avait mené au tunnel. Mais cette porte-là était ornée d'or, d'argent et de pierres précieuses. Les pierres étaient petites, enfin elles faisaient une taille normale. Alec les caressa doucement, pensant que, si cette porte ne menait pas au trésor, c'est qu'elle devait l'être elle-même. Le problème, c'est que la poignée était bien trop haute, et qu'il ne pourrait sûrement pas l'ouvrir. Alors il sortit son couteau pour essayer de faire sauter les pierres de leurs châsses.

— Allez, bouge, murmura-t-il après quelques minutes à essayer de planter son couteau entre le bois et une pierre.

En vain. Il poussa un long soupir puis se figea. Un bruit venait de résonner de l'autre côté de la porte. Il reposa la main sur le bois et, cette fois, la porte bougea. Elle s'entrouvrit à peine mais, encore une fois, c'était bien assez pour permettre à Alec de passer. Il entra dans une nouvelle pièce. Le plafond était aussi haut que partout mais les objets étaient de taille normale. Et quels objets ! Partout sur le sol étaient répandues des quantités de pièces d'or, de pierres précieuses et brillantes, de tissus délicats. Assurément, le trésor dont parlait l'inconnu.

Parmi tout cela, ce désordre si précieux, il y avait comme un chemin. Comme si quelqu'un passait assez régulièrement ici pour avoir poussé ce qui le gênait. Alec l'emprunta en se demandant ce qu'il allait emmener, et comment, et plus il avançait dans la pièce, plus il entendait un bruit léger. Une respiration qui n'était pas la sienne. Son regard partit en direction du bruit et il découvrit une personne installée sur une balancelle suspendue au plafond par des chaînes. C'était un homme, et il dormait.

Alec arrêta de bouger. Il se mit à regarder avec curiosité le corps fin de l'homme endormi sur les coussins en satin bleu. Il était vêtu étrangement. La chemise légère qui couvrait le haut de son corps était brodée de fils d'or, mais le pantalon noir sur ses jambes était usé, le bas en lambeaux. Il était nu-pieds et l'une de ses chevilles était ornée d'un épais bracelet d'or blanc, gravé de symboles et serti d'une améthyste marquise. En entendant un léger soupir, Alec releva les yeux vers le visage toujours endormi. Ses yeux étaient maquillés de poudre noire, ce qui surprit grandement Alec. Il n'avait déjà pas l'habitude de voir les femmes se maquiller, alors encore moins un homme. Il remarqua ensuite les autres bijoux autour de son cou et sur ses doigts. Et c'est ainsi qu'il se rendit compte que la chemise si élégante était en fait transparente.

Dans un sursaut, il recula et son pied heurta une pile de pièces qui tomba en tintant. En voulant retrouver son équilibre, il trébucha et tomba sur les fesses. Le bruit des pièces augmenta parce que d'autres se mirent à tomber, glisser, rouler, se rencontrer et recommencer. Le vacarme soudain le surprit. La pièce était si grande, le moindre son résonnait, comme dans le gouffre.

— Oh, tu es qui, toi ?

Alec releva les yeux vers le bel endormi qui ne l'était plus. Plus endormi. Parce que beau, ça il l'était toujours. Alec n'avait même jamais vu quelqu'un d'aussi beau. Le souffle court, il le détailla du regard. Il vit d'abord la bouche qui avait porté une voix tellement douce qu'elle était le seul son à ne pas résonner dans la pièce. Cette bouche petite et jolie, dessinait une moue un peu boudeuse et était étrangement sensuelle. Ses joues étaient légèrement creuses et soulignaient ses pommettes. Et puis, il y avait ces yeux. Des yeux comme Alec n'en avait jamais vu. Leur forme allongée était de celle que l'on ne trouvait que très loin de son village. Et leurs iris étaient deux orbes ambrés bordés d'une ligne noire, à la pupille fendue comme le serait celle d'un chat.

— Tout va bien ?

La voix retentit encore. Légèrement grave, veloutée. C'était comme une caresse aux oreilles d'Alec. Il dut se retenir de lui demander de parler encore, mais ça aurait été bizarre. Pourtant il était certain qu'il ne se lasserait jamais d'entendre cette mélodie. Il secoua légèrement la tête pour se remettre les idées en place.

— Oui, tout va bien. Pardon de t'avoir réveillé.

— Ce n'est rien, cela faisait longtemps que je dormais.

Alec haussa les sourcils. Pourquoi quelque chose lui disait que sa notion du temps n'était pas la même que celle de cet homme ? L'homme esquissa un geste vers Alec mais se ravisa aussitôt, le jeune homme se remit sur ses pieds.

— Je m'appelle Alexander, dit-il en époussetant son pantalon. Mais tout le monde m'appelle Alec.

— Magnus.

Les yeux de chat croisèrent à nouveau ceux d'Alec et il étudia quelques instants sa réaction. Mais Alec ne bougeait pas, il ne s'enfuit pas en courant et ne se mit pas à hurler comme un perdu. Toujours assis sur sa balancelle, il la fit aller doucement d'avant en arrière d'un appui de son pied nu. Un bruit métallique retentit mais Alec ne comprit pas d'où il venait.

— Tu es... un humain ?

— Oui, répondit Alec, un peu surpris par la question. Et... toi ?

— Non.

Un fin sourire étira les lèvres de la créature qui se garda d'en dire plus. Un silence s'installa pendant lequel les deux hommes continuèrent de s'observer. Les cheveux de l'homme en face d'Alec étaient aussi étranges que ses vêtements, longs sur le dessus de sa tête, et courts sur les côtés, Ils étaient noirs comme le jais, mais un blond presque doré les striait par endroit. Quelques mèches retombaient sur son front.

Non, c'était évident qu'il mentait pas. Cette créature ne pouvait pas être humaine, elle était beaucoup trop magnifique. Alec déglutit difficilement, son regard glissant sur Magnus. Il évita soigneusement le torse élégant et trop visible. Non seulement la chemise était transparente, mais elle était ouverte et dévoilait sa peau presque jusqu'à son nombril. Le jeune homme commençait à avoir chaud sans comprendre ce qui lui arrivait.

— Comment es-tu arrivé ici ? Demanda finalement Magnus.

— On m'a offert une clé, e-en échange de ma vache.

— Quoi ?

Le rire de Magnus éclata, cristallin, et Alec fut subjugué par l'expression de son visage à cet instant. Il semblait soudain si vivant, et si réel. Lui-même se surprit à sourire. Son histoire était bizarre, même pour quelqu'un de magique. La créature se leva de la balancelle et s'approcha d'Alec. Elle paraissait si grande, et pourtant, elle était plus petite que le jeune homme. Les deux en furent étonnés, et un rictus étira la bouche de Magnus.

— Même toi, tu es plus grand que moi.

C'est à peine si Alec l'entendit. De près, ses yeux étaient encore plus éblouissants. Comme la clé toujours dans sa poche, ils semblaient luire.

— Quel âge as-tu, Alec ?

— Vingt ans.

Quelque chose empêcha Alec de lui retourner la question. Magnus ne semblait pas avoir d'âge. Son visage était doux et lisse, il paraissait très jeune, mais dans son regard on pouvait voir l'éternité qu'il avait traversé. Une éternité de solitude.

Un bruit coupa ses réflexions, et Magnus rit de nouveau. Son estomac criait à nouveau famine, et c'était extrêmement embarrassant.

— Désolé, souffla-t-il, les joues rougies.

— Ne t'excuse pas pour ça, c'est normal d'avoir faim. Enfin, pour un humain ! Viens, suis-moi.

Magnus tourna les talons et passa derrière la balancelle. Le bruit métallique reprit et, cette fois, Alec comprit. À la cheville de Magnus, à ce magnifique bracelet qu'il avait déjà remarqué, était attachée une chaîne, en or blanc également. Elle était accrochée au mur derrière et ne devait pas faire plus de deux mètres, mais quand Magnus s'éloigna, sans même y prêter attention, elle s'allongea. Des maillons s'ajoutaient, encore et encore. Alec n'arriva pas à bouger, son coeur se serra. Magnus était prisonnier, il était attaché ici. La chaîne avait beau être belle et magique, c'était quand même une chaîne qui lui ôtait sa liberté.

— Alec ? Tu viens ?

— J-j'arrive !

Il se précipita à la suite de Magnus. Il était de plus en plus curieux à son propos, mais il garda ses questions. Il n'était pas sûr que Magnus y répondrait de toute façon, pas tout de suite.

Les deux hommes s'éloignèrent vers une autre pièce. Alec écarquilla les sourcils et ouvrit la bouche dans une expression de franche surprise, il s'agissait de la cuisine qu'il avait vu plus tôt. Mais elle était... elle était à sa taille à présent. À leur taille. Magnus le regarda du coin de l'œil, un sourire amusé sur la bouche. Les humains étaient amusants. Il avait oublié ça. Il claqua soudain des doigts, une lumière bleue entoura sa main et la table se retrouva garnie de nourriture. Des fruits, des légumes, de la viande, et même des pâtisseries. La salive monta aussitôt à la bouche d'Alec tant l'odeur était exquise et son estomac se manifesta bruyamment.

Magnus s'approcha d'une chaise et la tira doucement pour l'inviter à s'y asseoir.

— Allez, viens manger.

Alec ne se fit pas prier, il s'assit et commença à manger. Il n'avait jamais vu autant de nourriture, il aurait presque pu en pleurer. Les saveurs s'enchaînaient sur sa langue au fil des plats qu'il goûtait, c'était bon au-delà de l'imaginable.

Il mangea vite, comme quelqu'un qui n'aurait pas mangé à sa faim depuis quatre ans. Si vite qu'il finit par avaler de travers et il se mit à tousser. Un gobelet d'eau limpide apparut soudain devant lui. Il l'attrapa et le vida. Cela l'aida, mais il lui fallut quelques minutes pour se reprendre.

Magnus, inquiet, fit disparaître quelques assiettes pour s'asseoir sur la table, près de lui. Il posa une main sur le bras d'Alec qu'il avait reposé sur la table.

— Hey, ça va ? Tu ne devrais pas manger si vite.

— O-oui ça va, désolé.

Le regard d'Alec se posa sur cette main agréablement tiède sur sa peau. Il fut d'abord saisi par le contraste entre leurs carnations. Alec avait beau avoir l'habitude de travailler en extérieur, même l'été sa peau ne prenait qu'un hâle léger, sans plus, parce qu'originellement, il était assez pâle de peau. La peau de Magnus était couleur caramel et elle brillait. Oui, elle brillait, comme si elle était constellée de paillettes d'or. Le jeune humain attrapa doucement sa main dans la sienne pour la faire bouger et voir les paillettes apparaître et disparaître en fonction de la lumière. Il n'avait jamais rien vu d'aussi beau. Émerveillé, il releva les yeux vers Magnus et réalisa, devant son air déconcerté, qu'il venait d'être inconvenant. Il ouvrit la bouche, sans pour autant lâcher la main. Mais Magnus le devança, sans pour autant enlever sa main.

— Non, ne t'excuse pas encore. C'est juste que je n'ai pas l'habitude d'être touché. Et puis, je dois avoir l'air bizarre, pour toi.

— Tu n'es pas bizarre ! Enfin, peut-être. Mais c'est pas une mauvaise chose ! T'es incroyable.

Les joues de la créature se parèrent d'une teinte rouge qui fit encore plus ressortir les paillettes. Alec sourit, amusé, et caressa doucement sa main en plantant son regard dans les yeux de chat.

— Tu ne veux pas me dire ce que tu es ?

— Pourquoi veux-tu savoir ? Les humains sont tellement curieux.

— Et tu en vois souvent, des humains ?

— Non, plus depuis... très longtemps. Mais pas ici. C'était quand je foulais le sol d'Au-Dessus.

— « Au-Dessus » ? C'est mon monde que tu appelles « Au-Dessus » ?

Magnus retira doucement sa main, si lentement qu'Alec ne s'en rendit compte que lorsqu'il ne put plus la reprendre. La créature se leva et fit quelques pas de sa démarche gracieuse. Elle capturait le regard d'Alec à chaque mouvement. Magnus l'hypnotisait. Et il faisait oublier, si facilement, qu'une lourde chaîne l'entravait.

— Oui, c'est ça. Ici, c'est En-Dessous. Le monde de ceux qui ne veulent plus vivre avec vous, les humains.

— Alors, tu vivais dans mon monde ?

— Oui. Il y a très longtemps, plusieurs millénaires. Pour ton monde, je ne sais pas, peut-être quelques siècles. Le temps ici ne s'écoule pas de la même manière. Ton monde est lent.

Les informations ne venaient qu'au compte-goutte, et le cerveau d'Alec tournait à plein régime pour comprendre ce qui l'entourait. Il avait raison de penser que Magnus était hors du temps. Pour Alec, l'espérance de vie était beaucoup plus courte que ça, imaginer un être capable de vivre plusieurs siècles ou plusieurs millénaires, ça lui donnait le vertige.

— Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu es.

La bouche de Magnus s'étira à nouveau. Ce jeune humain ne voulait pas passer à autre chose. Il avait pensé que ce qu'il lui avait déjà dit lui aurait suffi. Il s'appuya contre le buffet noir, en face d'Alec. Devait-il le dire ? Ce n'était pas plus fou que tout le reste, pourquoi prendrait-il peur maintenant ?

— Je suis un géant.

— Un... géant ?

Alec regarda son hôte, les sourcils froncés par l'incompréhension. Certes, les choses étaient disproportionnée dans ce monde, mais Magnus était plus petit qu'Alec. Comment pouvait-il être un géant ? Le rire doux de Magnus sortit l'humain de ses pensées.

— Un demi-géant, en fait. Ma mère était une magicienne, Au-Dessus. Mais, de mon père, je n'ai hérité que ces yeux qui effraient tout le monde.

Il les désigna d'un geste élégant avant de baisser le regard vers le sol. Qui avait dit que ses yeux étaient effrayants ? Alec ne pouvait l'imaginer. Il n'avait pas peur de ces yeux, il n'avait pas peur de Magnus. Il aurait voulu le lui dire, se lever, et plonger dans ses yeux de chat pour le prouver. Mais qui était-il pour faire une telle chose ? Il soupira doucement et attrapa une pâtisserie entre ses doigts. Il avait encore faim. Son corps réclamait la nourriture devant lui, mais son coeur battait un peu trop fort pour qu'il se sente à l'aise.

— Tu devrais manger encore, souffla Magnus en se hissant lestement sur le buffet. Tu as l'air de mourir de faim.

— Oui, c'est... c'est un peu le cas.

Inutile de mentir compte tenu du bruit qu'avait fait son estomac plus tôt. Sous le regard de la sublime créature, il se sentit mieux. Il n'aimait pourtant pas qu'on le regarde, il se demandait toujours ce que les gens pouvaient penser quand ils le regardaient. En fait, il se demandait aussi ce que Magnus pensait de lui. Mais il aimait avoir son attention.

— Alors, dis-moi, comment en es-tu arrivé à échanger une vache contre une clé soi-disant magique ? Demanda Magnus après qu'Alec ait avalé sa pâtisserie.

— Pas soi-disant, elle est magique !

— Oui, mais tu ne le savais pas, tu ne pouvais pas en être sûr quand tu l'as eu.

Vrai. Il haussa les épaules. Il l'avait su, c'était tout. Il ne pouvait même pas l'expliquer, sinon il aurait peut-être réussi à convaincre sa mère.

— J'avais besoin que ce soit vrai. En fait, ma famille est assez pauvre, et c'est pour ça que je vendais cette vache, pour avoir de l'argent pour acheter à manger.

Magnus se mord doucement l'intérieur de la bouche pour garder une expression neutre, Alec n'était certainement pas du genre à vouloir qu'on s'apitoie sur son sort.

— Alors pourquoi avoir accepté cette clé ?

— Le magicien m'a dit qu'elle me conduirait à un trésor. J'en ai assez de voir mes frères et soeur, et ma mère, avoir faim sans pouvoir rien faire. Quelques pièces contre une vache, ça nous aurait permis de manger quelques temps mais ensuite ce serait redevenu pareil. C'est moi le plus âgé, c'est à moi de trouver une solution.

— Et ce trésor, tu crois que c'est celui qui est dans la salle où tu m'as trouvé ?

Alec était déterminé, sûr de lui, mais cette question le fit redescendre sur terre. Avoir ce trésor signifiait le prendre à Magnus. Il secoua la tête et se leva précipitamment, levant ses mains devant lui.

— N-non ! Enfin, je ne sais pas. Mais je ne compte pas te voler quoi que ce soit, je t'assure !

Ce magicien s'était peut-être joué de lui, finalement. Alec voulait sortir sa famille de la misère, mais il pensait que le trésor serait abandonné, pas qu'il deviendrait un pillard. Magnus n'avait rien demandé à personne, et c'était quelqu'un de bien. Non seulement, il n'avait pas chassé Alec alors qu'il s'était introduit chez lui sans y être invité, mais il lui avait aussi offert un fabuleux repas.

Le jeune homme se passa une main sur le visage alors que Magnus redescendait de son perchoir pour revenir vers lui.

— Tu penses que ce trésor m'appartient ?

— Eh bien... oui. Ce n'est pas le cas ?

— Je ne peux pas croire que tu n'aies pas remarqué ça, dit-il en montrant le bracelet et la chaîne à sa cheville.

— C'est vrai, je l'ai vu mais...

— Ce trésor, c'est celui de mon père. Asmodeus. Le roi des géants.

Le sang reflua un peu du visage d'Alec devant cette nouvelle information. Donc, Magnus n'était pas seulement un demi-géant, c'était aussi un prince. Oui, c'était vraiment la première chose qui trouva un sens dans la tête d'Alec.

— Mais je vais t'aider, continua Magnus. Il ne remarquera pas la disparition de ses pierres précieuses.

— Des pierres précieuses ?

— Quoi ? Ce n'est pas assez bien ? En plus d'être curieux, tu es avide ?

— Non, non !

Magnus se remit à rire. Il semblait prendre plaisir à taquiner Alec, qui ne put s'empêcher de sourire encore une fois. Il était tellement beau quand il riait. Les mains d'Alec se posèrent sur les joues du demi-magicien avant même qu'il puisse comprendre qu'il en avait envie, ce qui calma instantanément son rire. Ils étaient proches. Si proches. Alec pouvait voir distinctement les paillettes sur sa peau, il y en avait même sur ses lèvres roses. Les yeux de chat le fixaient, il le sentait, mais il continua d'admirer son si beau visage quelques instants avant de les rencontrer. Ses pouces caressèrent doucement les joues sur lesquelles ils reposaient, et les yeux de chat se fermèrent. Personne n'avait fait preuve de tendresse envers lui depuis très longtemps. Il fut troublé de sentir son coeur se mettre à battre plus fort, sans savoir que celui d'Alec tenait le même rythme.

Un bruit, très loin, que Magnus fut le seul à entendre, lui fit rouvrir les yeux et s'écarter d'Alec.

— Il faut que tu partes !

— Quoi ? Pourquoi ?

— Mon père est en train de rentrer. S'il te trouve ici, il te tuera !

Magnus claqua des doigts pour faire disparaître la nourriture sur la table et prit la main d'Alec pour le ramener jusqu'à sa chambre. La cuisine reprit lentement sa taille normale. Asmodeus était encore très loin, et il lui faudrait du temps pour être au château, mais il fallait impérativement qu'Alec soit dans la forêt, sinon il sentirait sa présence.

Alec regardait la chaîne perdre ses maillons à mesure que Magnus s'approchait de la chambre.

— Pourquoi est-ce que tu as cette chaîne ? Demanda-t-il alors qu'ils entraient dans la pièce remplie d'or.

Magnus l'ignora et lâcha sa main. Cette fois-ci, il tendit le bras pour le rattraper. Il l'attira contre son torse, un peu plus fort qu'il l'aurait voulu car ils se retrouvèrent collés l'un à l'autre.

— Alec, il faut que tu te dépêches, le hâta la créature.

— Réponds-moi d'abord.

— Pourquoi ? Tu pars. Tu vas m'oublier de toute façon.

— Quoi ? Non, jamais !

— Les humains ont la mémoire fragile, les souvenirs d'En-Dessous disparaissent vite. Tu sauras que tu es venu, mais pas ce que tu y as vu, ni même ce que tu as pu ressentir.

— Je n'oublierai pas ! Et je reviendrai ! Je te le promets.

— Alors je te le dirai quand tu reviendras.

Le sourire triste de Magnus révéla à Alec qu'il ne croyait pas qu'ils se reverraient. Pour le jeune homme, c'était impossible d'oublier ce qu'il avait découvert ici. Magnus se dégagea encore et claqua des doigts. Il fit bouger ses mains et une bourse en velours apparut entre ses doigts. Du velours couleur ambre, qui brillait comme les yeux de chat de Magnus.

— Elle est magique, expliqua le demi-magicien en la lui tendant. Elle se remplira de pierres ou d'or, n'importe quel objet qui constitue le trésor de ce château et qui loge à l'intérieur. Je saurai quand tu l'utiliseras.

— Je... merci, Magnus.

— Ne me remercie pas trop vite. Elle ne fonctionnera pas éternellement. Seulement tant que tu te souviendras de moi.

Il n'avait vraiment pas confiance en sa mémoire d'humain, et il ne le cachait même pas. Le coeur d'Alec se serra, et alors qu'il se faisait à lui-même la promesse de revenir prouver à Magnus qu'il se trompait, celui-ci reprit la parole :

— Et tu ne pourras revenir que lorsqu'elle ne fonctionnera plus.

— Mais.. !

Un nouveau claquement de doigts résonna dans la pièce, des étincelles bleues accompagnèrent le léger mouvement de la main de Magnus et, quand elles disparurent, il tenait la clé d'ambre. Alec plaqua la main sur sa poche. Vide.

— Rends-la-moi ! S'écria-t-il, des accents désespérés emplissaient soudain sa voix.

— Je le ferai. Elle apparaîtra dans la bourse quand tu m'auras oublié.

— Pourquoi ? Je t'ai dit que je ne t'oublierai pas ! Tu ne veux même pas me laisser une chance ?

— On ne t'a jamais dit que les magiciens étaient sournois ?

— Pourquoi veux-tu que j'oublie, Magnus ? C'est ridicule !

— C'est ce que font les humains.

— Et toi, dans tout ça ?

Ils se fixèrent, l'émotion menaçant de les submerger, mais Magnus n'avait pas le temps pour ça. Il lança la clé par-dessus son épaule et elle atterrit dans les pièces d'or, l'expression sur son visage était à présent indéchiffrable. Était-ce un jeu pour lui ? Alec n'en était pas sûr, mais à présent il était en colère contre cette créature qui ne voulait pas croire en lui. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Il avait pourtant bien cru les paroles du magicien, lui !

Magnus hoqueta soudain et Alec vit la peur dilater ses pupilles de chat.

— Alec, pars. Maintenant.

Il tendit la main vers le jeune homme et la posa dans son cou. De nouvelles étincelles bleues apparurent et Alec sentit comme un courant électrique le traverser. Quand il voulut regarder ses mains, elles avaient disparu.

— Ne te retourne pas avant d'être dans la forêt. Tant que tu ne le vois pas, il ne sera pas capable de te voir non plus. Et ne t'inquiète pas pour le gouffre, remonter est beaucoup plus facile.

Il esquissa un sourire et poussa doucement Alec. Tout ce qu'il put voir ensuite furent les pièces qu'Alec poussaient dans sa course. Il ne l'entendit même pas sortir de la chambre. Il retourna s'asseoir sur la balancelle et soupira.

Quelques minutes plus tard, la chaîne à son pied disparut. Asmodeus venait d'entrer dans le château.

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