Partie 1

Il était une fois, dans une contrée lointaine, un jeune homme qui vivait avec sa famille dans une maison trop petite pour eux. Alec, puisque c'est ainsi que tout le monde l'appelait, était un jeune homme courageux et il travaillait dur pour aider sa mère à subvenir aux besoins de sa famille. Depuis la mort de leur père, lorsqu'ils avaient seize et quinze ans, Alec et son frère Jace se rendaient tous les jours au village pour proposer leur aide et pouvoir ainsi ramener de quoi manger. Maryse, leur mère, passait généralement ses journées au lavoir pour faire la lessive de quelques familles plus riches qu'eux. Izzy, leur jeune soeur, s'occupait de la maison et de leurs animaux avec Max, le petit dernier. Trois poules et une vache, voilà ce qui leur restait après quatre ans.

Les temps étaient durs, et l'hiver s'était installé depuis plusieurs semaines. Le froid traversait la maison malgré le feu allumé en permanence dans la cheminée. Ce feu, unique source de chaleur, obligeait Jace à se rendre dans la forêt pour couper du bois, et Max à rester à l'intérieur pour l'empêcher de s'éteindre, ou que des braises ne s'envolent sur le sol de bois.

Au village, ce n'était guère mieux. Ils n'étaient pas les seuls à s'endormir le ventre creux, alors même si Alec continuait de travailler pour ses voisins, il ne ramenait que bien peu de choses. Jace parvenait parfois à ramener un petit animal ou des châtaignes pour enrichir le repas.

Un matin, Alec retrouva sa mère devant la porte de leur misérable étable après qu'elle ait trait la vache. Elle leva un regard fatigué vers son grand fils et soupira.

— Je veux que tu amènes la vache au village aujourd'hui.

— Quoi ? Mais pourquoi ?

— Pour la vendre. Nous n'avons plus de foin pour elle, autant la vendre tant qu'elle peut nous rapporter quelque chose.

Maryse tourna les talons pour ne pas laisser à Alec le temps de protester, ou qu'il voie sur son visage à quel point cela la peinait. Cette vache était leur dernier bien de valeur, mais elle était aussi la préféré de son défunt mari. Alec s'approcha de l'animal qui leva ses grands yeux sombres vers lui et se mit à meugler, comme pour le saluer. Il lui sourit et posa sa main sur son dos blanc. La chaleur que la vache dégageait était agréable sur ses doigts frigorifiés. Il la détacha et sortit avec elle. Il jeta un dernier regard à l'étable vide. Honnêtement, l'endroit était prêt à s'écrouler à la moindre bourrasque. Sa mère avait raison, ils ne pouvaient plus s'occuper d'elle, de toute façon.

Ses frères et sa soeur vinrent à leur tour dire au revoir à leur jolie vache avant de laisser partir leur aîné. Le chemin jusqu'au village était long, et il faisait froid ce matin. Mais ce trajet, il le connaissait par coeur, et ses pas le guidaient sans qu'il ait à y réfléchir. Parfois l'animal s'arrêtait pour brouter quelques brins d'herbe restant au bord du chemin. Alec soupira. Il soupirait beaucoup ces derniers temps. En fait, tout le temps. Il passa sa main froide dans ses cheveux noirs et désordonnés, repensant à ce qu'il pouvait entendre au village.

Alec avait vingt ans à présent, largement l'âge de se trouver une épouse et de fonder une famille. Il n'avait jamais pensé à ça, il avait déjà une famille de laquelle il devait s'occuper. Pourtant, tous les villageois qui avaient une fille âgée d'au moins dix-huit ans approchaient Alec pour lui parler de leur belle enfant. Souvent envoyés par cette belle enfant, d'ailleurs. Quand elles n'allaient pas directement le voir, espérant être la première à lui faire remarquer ses charmes. Devant lui, elles minaudaient. Devant ses beaux yeux noisette, sa mâchoire carrée et ses lèvres pleines toujours pincées. Elles rêvaient toutes de se jeter à son cou. Mais il n'était pas intéressé. Contrairement à Jace, qui était du genre à aller batifoler dans le foin dès que les beaux jours revenaient, Alec ne s'était jamais intéressé aux femmes. En fait, il s'intéressait assez peu aux autres, il était poli avec les villageois uniquement pour le travail, mais on le voyait rarement sourire. Il était toujours préoccupé, c'était son devoir de nourrir sa famille et il y arrivait à peine. Non, vraiment, trouver une épouse n'était pas dans ses projets.

Ils reprirent leur chemin, encore une fois. L'estomac d'Alec se mit à crier famine. Il l'ignora, comme d'habitude. En hiver, il avait l'habitude d'avoir faim. C'était toujours la même chose. Leur vie était difficile, mais en hiver c'était encore pire. Et là ils vendaient leur vache ? Ils n'auraient même plus de lait, au cas où les assiettes demeuraient vides ! Il ne voulait pas la vendre. D'accord, ils auraient un peu d'argent, mais ça ne durerait pas, et ensuite... ce n'était pas trois malheureuses poules pondeuses qui allaient les nourrir.

Il arriva enfin au village. Quelques noms lui venaient en tête quand il se demandait qui achèterait une vache. Alors qu'il était en chemin vers la maison du premier de ces noms, on l'arrêta. D'une main sur son épaule. Il se tourna pour faire face à un inconnu. Il n'était pas très physionomiste, mais cet homme, s'il l'avait déjà vu auparavant, il ne l'aurait pas oublié. Un peu plus petit que lui et plus âgé, la première chose qu'il nota chez lui, ce furent les deux espèces de bosses de chaque côté de son front, à la base de sa chevelure noire sur laquelle courait une mèche blanche, et puis sa peau avait des reflets verts. Alec dut se frotter les yeux, croyant à une hallucination. L'homme était richement habillé, il portait une cape épaisse en laine et en fourrure sur une tenue qu'Alec aurait certainement davantage imaginée à la cour du roi que dans son pauvre village. Le gens d'ici portaient davantage des vêtements fonctionnels que beaux, surtout les hommes. Des chemises et des pantalons en toile solide, sans fioriture. Une cape pour se protéger du froid. C'est ce que portait également Alec, qui se fichait bien de son apparence.

— Est-ce que je peux vous aider ? Proposa le jeune homme, pensant que l'homme s'était perdu.

— Peut-être est-ce moi qui peux t'aider, mon jeune ami.

Le regard de l'homme passa d'Alec à la vache, puis de la vache à Alec. Il s'approcha de l'animal, sur son visage on pouvait voir qu'il réfléchissait sérieusement. À quoi ? Alec aurait bien été en peine de le dire, mais l'allure de l'homme et son intérêt pour sa vache lui donnèrent un peu d'espoir.

— Tu la vends, cette vache ? Demanda l'homme en le regardant à nouveau.

— Euh, oui. Vous la voulez ?

L'homme glissa sa main dans le revers de son manteau. Alec entendit un tintement que sa nécessité associa aussitôt à des pièces. Quand l'inconnu planta son regard dans les yeux d'Alec, celui-ci eut l'impression qu'il était en train de lire en lui. Un sourire s'afficha sur sa bouche fine et il tendit à Alec un sachet en velours bleu nuit. Il attendit qu'Alec le prenne pour continuer :

— Voilà ce que je t'offre, en échange de cet animal.

Les doigts d'Alec tâtèrent le sachet, il était déçu, mais une part de lui était intriguée. Ce qu'il sentait, cela ressemblait à une clé.

— C'est de l'argent que je veux, répondit-il néanmoins.

— Oh, mais je t'offre bien mieux que l'argent, mon ami. Cette clé est magique, elle te mènera à un trésor qui t'apportera le bonheur et tout ce que tu as toujours désiré.

Les yeux du plus jeune s'écarquillèrent. Cet homme était étrange mais sa proposition était vraiment tentante. Un trésor ? Peut-être réussirait-il à faire vivre sa famille durablement, enfin ! Peut-être pourrait-il arrêter de s'inquiéter chaque jour ? L'espoir est quelque chose de violent. Quand il est là, il est difficile de le faire disparaître.

— C'est d'accord.

Les mots sortirent si vite de sa bouche qu'il en eut le tournis. Alors que l'inconnu prenait la corde de l'animal, Alec sortit la clé du pochon. Il fut surpris par la simplicité de l'objet, à première vue. Mais une lueur ambrée attira son regard sur la tige. Fondue de métal blanc, on aurait dit que des symboles étaient gravés dessus, mais c'était si petit que c'était impossible. Elle était sans doute juste abîmée. Les deux courbes qui constituaient l'anneau le faisait ressembler à un coeur. Cette pensée fit souffler Alec. Il releva la tête pour poser une dernière question à l'inconnu mais il avait disparu, avec la vache.

À quoi servait cette clé ? Était-elle censée ouvrir un coffre ? Une porte ? Et où ?

Les questions tournèrent dans sa tête toute la journée alors qu'il avait trouvé quelqu'un pour le faire travailler en échange d'un peu d'argent. Après avoir acheté un peu de nourriture, il rentra chez lui. Son pas était lent, il était fatigué. Mais sa main serrait sa clé et il ne cessait de réfléchir. À aucun moment, il ne doutait. Pour une raison qui lui échappait, il savait que l'inconnu avait dit la vérité. Maintenant, c'était à lui de trouver ce trésor dont il avait parlé.

Mais l'accueil chez lui fut plus que glacial. Après qu'il eut déposé le sac de jute rempli du repas du soir sur la table, sa mère lui demanda l'argent qu'il avait reçu contre la vache. Quand il lui dit qu'il avait accepté une clé magique, Maryse entra dans une colère noire. Elle attrapa l'objet et le jeta à l'extérieur.

— Comment as-tu pu faire ça, Alec !? Cette vache était tout ce qui nous restait ! Et tu as été assez naïf pour faire confiance à un magicien !?

— Maman, écoute-moi, je t'en prie !

Le regard de sa mère l'empêcha de continuer à parler. Quel sortilège cet homme avait-il pu lui lancer pour qu'Alec accepte une telle duperie ? La colère de Maryse était telle qu'elle n'arrivait même plus à le regarder, ça ne faisait que l'énerver encore plus. Et pourtant, chacun savait que l'amour que cette mère portait à ses enfants était infini.

— Va dans ta chambre, je ne veux plus te voir.

Sa voix était froide, tellement froide. Alec serra les dents et obéit. Même si elle était en colère, il finirait par lui prouver qu'il avait raison. Il alla se laisser tomber sur la paillasse qui lui servait de lit. Une minuscule flamme accrochée à un fond de bougie l'empêchait d'être dans le noir. Il s'enroula dans une couverture pour essayer de se réchauffer, loin du feu du foyer.

Plusieurs fois, il se demanda d'où lui venait la foi qu'il avait en cette petite clé. Les magiciens étaient rares dans ces contrées, et très mal vus. La plupart était malhonnêtes, et ici, on ne leur faisait pas vraiment confiance. D'où la réaction de sa mère. La magie pouvait être dangereuse, de nombreux récits le prouvaient. C'était ridicule d'y croire, et ça ne lui ressemblait pas, mais il ne pouvait s'empêcher d'y croire. Profondément, sincèrement.

Il resta seul environ une heure avant que Jace ne le rejoigne. Ils partageaient cette chambre. Izzy, Max et leur mère partageaient la seconde. Enfin, l'hiver, ils dormaient plutôt dans la pièce de vie, près de la cheminée. Mais pas Alec, pas ce soir. Jace s'assit par terre, près de lui. Il lui tendit un morceau de pain.

— T'as vraiment fait ça ?

La dispute entre Alec et Maryse avait eu lieu loin des oreilles des autres, mais la fratrie s'était inquiété de l'absence de l'aîné au repas et Maryse avait dit la vérité. Maryse était une femme honnête, et croyait que la vérité était ce qui comptait le plus.

Alec haussa les épaules. Allait-il devoir se justifier devant son petit frère ? Bon, d'accord, ils avaient assez peu de différence pour qu'Alec ne voit pas Jace comme un petit frère, seulement comme un frère. Mais c'était quand même lui le plus vieux, et le chef de famille, du moins aux yeux de leurs voisins et autres villageois.

— Oui. Ce magicien m'a dit que la clé menait à un trésor.

— C'est certainement un mensonge, Alec ! Et même si c'est vrai, est-ce qu'il t'a dit ce qu'elle ouvre ?

— Non, mais je trouverai. Je trouverai ce trésor, et je le ramènerai. On sera riche, et on sera en sécurité.

La détermination dans sa voix convainquit presque Jace, mais c'était quand même fou. Jace se rapprocha et attrapa la couverture enroulée autour de son frère.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Tu es banni du salon, mais je veux pas que tu meurs de froid ! Je vais dormir avec toi.

Alec le laissa prendre le tissu et se coucher contre lui. Jace avait passé la journée à couper du bois, il s'endormit à la seconde où il ferma les yeux. Alec avala le pain en trois bouchées avant de s'allonger à son tour. Mais le sommeil le fuit. Il écouta les bruits de la maison. Il entendit sa mère et Izzy parler, mais de loin, il ne comprit pas ce qu'elles disaient. Plusieurs minutes plus tard, ce furent les sanglots de sa mère qui lui parvinrent. Sa foi vacilla un peu face au chagrin de Maryse, alors il se releva et sortit sans bruit.

Puisqu'il ne pouvait pas dormir, il allait commencer par retrouver la clé. Dehors, la lune était pleine et baignait tout d'une lumière blanche. Il s'approcha de la fenêtre par laquelle Maryse avait lancé l'objet et tourna son regard dans la direction où l'objet devait être parti. Rapidement, un éclat doré le fit regarder vers l'étable. Non, pas doré. Ambré. Il s'approcha et trouva la clé fichée entre deux planches du mur de l'étable. C'était bien elle qui brillait de cette couleur d'ambre sous la lune. Pourtant, quand il se plaça entre elles et projeta son ombre, elle continua à luire. En regardant de plus près, il comprit. La clé n'était pas fichée entre deux planches, elle était plantée dans le bois. Le panneton entier avait disparu. Alec tendit le bras pour la prendre, mais elle tourna.

Elle tourna, comme dans une serrure.

Il entendit un déclic métallique. Puis la clé sortit de la planche, sans y laisser aucune trace. Quand il regarda le mur de l'étable, il découvrit une porte. Une porte qui n'avait jamais existé auparavant. C'était une porte en bois noir, avec une poignée ronde. Alec l'attrapa pour la faire tourner et pousser le battant.

De l'autre côté de la porte, il faisait noir. La lumière de la lune, pourtant derrière Alec, n'arrivait pas à entrer. Abasourdi mais curieux, Alec glissa la clé dans sa poche et avança d'un pas prudent, les mains posées sur les murs de chaque côté de lui. C'était un couloir, un long couloir qui ne faisait pas plus de la largeur de la porte.

Oui, il faisait noir. Le seul bruit environnant était celui de ses pas. Et aussi celui de son coeur qui battait à tout rompre. Il marcha. Pendant longtemps sans savoir où il allait, mais toujours convaincu de pouvoir trouver ce trésor au bout du chemin. Il était déterminé, il avait eu raison de croire ce magicien, maintenant qu'il n'avait plus qu'à découvrir ce que ça cachait.

Le sol commença à s'incliner, vers le bas, pendant quelques mètres et puis Alec s'arrêta. Sans savoir pourquoi, comme si quelqu'un lui intimait de le faire, il s'arrêta. Il s'accroupit et découvrit les bords d'un gouffre. Il entendait l'écho de sa respiration qui se répercutait le long de la roche. Il attrapa un cailloux par terre et le lança. Puis il attendit. Il attendit d'entendre le son qu'il ferait en touchant le sol. Il attendit encore. Mais rien, il n'entendait que l'écho de sa respiration qui se répercutait le long de la roche. Rien d'autre. Tremblant et peu sûr de lui, il chercha le long des bords pour trouver peut-être une échelle, ou une corde. Rien de ça, mais il sentit des prises au niveau des pierres.

La peur oppressait son coeur, mais sa résolution faisait bouger ses bras et ses jambes et, après avoir retiré sa cape qui l'aurait encombré, il commença à descendre avec précaution. La descente dura plusieurs minutes, plusieurs dizaines de minutes. Il perdit la notion du temps quand il commença à se dire que ses bras ne faiblissaient pas. Ni ses jambes. Il descendait, portant son poids sur le bout de ses doigts et de ses orteils, et pourtant c'était aussi facile que de marcher.

Il continua longtemps. Mais si la force dans son corps ne diminuait pas, ses paupières commençaient, elles, à se faire lourdes. Il s'était levé tôt le matin, ou la veille ? Et il avait travaillé toute la journée. Par ailleurs, tout ce qu'il avait eu dans l'estomac c'était un malheureux bout de pain. Son corps demandait du repos. Il se mordit la lèvre pour se réveiller un peu, et il commença à compter ses pas.

Il se perdit après deux milles. Quand il commença à discerner la roche devant lui, puis ses mains et enfin ses pieds en baissant les yeux. Lentement, il avançait dans la lumière. Finalement, il aperçut le sol à une dizaine de mètres en-dessous de lui.

À peine eut-il posé les pieds par terre que ses jambes se mirent à trembler si fort qu'il dut s'asseoir. Il regarda au-dessus de lui, le gouffre ne laissait rien apparaitre de ses secrets. Il s'empêcha de se demander comment il allait remonter, et se releva après quelques minutes. Un nouveau couloir s'étalait devant lui, mais cette fois il voyait où il avançait. Après un virage, il aperçut le bout du tunnel. Une lumière brillante, qui l'éblouit un peu, mais il ne put s'arrêter d'avancer.

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