Prologue
Mercredi 18 juillet 2018
Salt Lake City, Utah.
Nous survivons. Enfin, ce sont les termes employés par les médias pour définir la situation de manière poétique.
Je déboule dans le salon, le ventre tordu par la peur, comme depuis une semaine maintenant. Depuis, maman reste devant la télévision, à l'affût. Je ne sais pas comment elle fait pour encore entendre ces conneries sans en faire une overdose. Je n'en peux plus d'écouter le présentateur nous parler de cette fin du monde.
Fin du monde.
Quel concept naze, franchement. J'avais pour habitude de rire au nez de toutes ces personnes qui prévoyaient une fin. Ce sont des allumés. Mais, au moins, ils étaient préparés. Neals me parlait constamment de son oncle Joey, un survivaliste. Je me foutais de lui. Pourtant aujourd'hui, Joey est bien au chaud dans le bunker de son jardin en attendant la fin. L'enfoiré.
— Alors, qu'est-ce qu'ils prévoient pour aujourd'hui ? Éruption solaire ? Pluie de météorites ? ironisé-je.
— Georgia...
— Je sors.
Ma mère se lève d'un bond, folle d'inquiétude, puis elle prend mon visage en coupe entre ses mains.
— Aujourd'hui est le dernier, chuchote-t-elle les larmes aux yeux.
Je fronce les sourcils. Elle débloque.
— Maman, tu me fais flipper.
Elle me lâche et tourne en rond dans le salon, les mains agrippant ses cheveux. Elle n'a pas bonne mine et ça ne va pas en s'arrangeant. Plus les jours passent et plus elle devient obsédée par cette fin du monde. En même temps, il y a de quoi.
Tout a réellement commencé il y a quelques mois, même si nous notons des effets notoires depuis un mois seulement. D'abord, il y a eu un changement climatique. Nous n'avons rien ressenti au début, il faisait juste soudainement trop chaud ou trop froid selon l'hémisphère. Ici, à Salt Lake City, les températures sont comme déréglées. Les météorologues n'ont pas su expliquer ce changement, ils considéraient cela comme un phénomène unique.
Ensuite, la Terre s'est mise à débloquer dans tous les sens. Des raz-de-marée importants en Asie, des éruptions volcaniques sur les îles... L'Utah n'était pas vraiment concernée par tout ça, ces phénomènes survenaient loin, nous restions spectateurs à travers nos écrans de télévision. Mais le vent s'est levé, voilà une semaine. Le ciel est constamment gris depuis. La pluie ne fait que s'abattre sur Salt Lake City, inondant certains endroits. Il y a aussi beaucoup d'orages. Et le top du top, ce cher et merveilleux ciel nous prépare une tempête meurtrière. De la plus forte intensité possible. Et ce n'est pas la seule, plusieurs cheminent jusqu'à nous et ont commencé à détruire un maximum d'états: la Virginie, la Louisiane, le Texas, la Californie...
Une légère secousse se fait ressentir. Maman s'agrippe à la table tandis que je tente de garder mon calme et mon équilibre. C'est comme dans le métro : écarte les pieds, garde-les bien ancrés dans le sol et fléchis les genoux. La secousse passe au bout de quelques secondes et notre salon arrête de tanguer. Les bibelots du buffet sont encore tombés par terre, maman s'affaire à les remettre à leur place, comme à chaque fois.
Je lace mes rangers, enfile ma veste et prends les clés mais elle m'attrape le poignet :
— Georgia, sois prudente.
— Oui maman, je rejoins Neals. Son oncle a pas mal de choses qui pourraient nous aider, il compte nous les offrir. Il a aussi un ami, Brayden, qui est chasseur de tornades...
Elle plisse les yeux. Je comprends.
— Il est chasseur de tornades et même si sa vocation paraît stupide, il sait un max de choses. On va le rejoindre. Je serai rentrée ce soir.
— Avant que la nuit tombe, souffle-t-elle.
— Avant que la nuit tombe.
Je la prends dans mes bras et la laisse me serrer fort. Je comprends qu'elle s'inquiète, avec ce chaos qui règne dehors. Je ne tique pas comme la première fois qu'elle m'a suppliée de rentrer avant que la nuit ne tombe : le ciel est si sombre qu'il a l'air de faire nuit en plein jour. J'enfile mon sac à dos, rempli d'une bouteille d'eau et de mon appareil photo.
— Je t'aime, dit maman.
— Moi aussi, je t'aime ! À ce soir !
Je passe la porte et m'engouffre dans cet enfer sur terre. Je lève la tête pour observer le ciel : il est d'un gris excessivement lourd, comme d'habitude. Des flashs blancs n'arrêtent pas d'éclaircir le ciel. Le tonnerre ne vient jamais. Il n'y a que la foudre. Dehors, l'atmosphère est pesante malgré le vent qui vient fouetter mon visage et soulever mes cheveux. Je dois rejoindre Neals à notre point de rendez-vous à seize heures ; un coup d'œil vers ma montre m'indique que je n'ai pas de temps à perdre. Je me mets à courir dans cette ville fantôme, où personne ne circule à part les militaires qui en ont pris le contrôle, puisque le système fait le mort. De plus, la plupart des habitants sont devenus cinglés, agressifs, violents, ils pillent les commerces et il paraît même que, maintenant, ils s'attaquent aux habitations. Des vrais rats. On dénombre pas mal de morts depuis l'annonce. Et pas qu'à Salt Lake City. Pas étonnant, annoncez à la population mondiale qu'elle va périr et que ce n'est qu'une question de temps : ils deviennent tous hors de contrôle !
Les survivalistes se sont enfermés, quelques tarés prêchent la bonne parole dans les rues – ceux-ci me font particulièrement flipper – , les plus vieux se sont barricadés chez eux, et les plus sanguins dévalisent les magasins. Ils ont commencé par se ruer sur l'eau, la nourriture, les médicaments, les groupes électrogènes et l'essence. Et puis est venu le tour des produits de seconde nécessité. Il n'y a plus un supermarché qui ressemble à quelque chose.
Alors que je tourne à un croisement de rues, une voiture militaire roule à mon niveau. À l'intérieur, deux types assez jeunes me fixent, un air dur sur le visage.
— Qu'est-ce que vous faites à courir dans tous les sens ? me demande un brun à la mâchoire carrée.
— Je rejoins un ami. Ne vous en faites pas pour moi, les gars. Je gère.
Ils se regardent, le deuxième émet un léger rire et le brun reporte son attention sur moi :
— Une tempête arrive. Elle va passer ici et tout dévaster.
— Ouais, je sais. J'ai une télé, moi aussi, dis-je avec un rire nerveux.
— Si vous avez une télé, alors vous avez eu vent des consignes de sécurité ?
Mon attention est captivée par autre chose. Au loin, deux types se battent à la sortie d'un supermarché. L'un d'eux tient un large carton à bout de bras. Je parie sur l'écran 4K.
— En effet. Restez cloîtrés, fermez bien vos entrées, clouez des planches de bois aux fenêtres et priez. Mais j'ai bien peur que ce ne soit pas suffisant. Vous le savez aussi bien que moi : je suis autant en sécurité chez moi que dehors, sous ce ciel meurtrier.
Ils s'échangent de nouveau un regard. Je n'aurais pas été si téméraire si j'avais eu affaire à un chef d'escouade plus vieux et plus autoritaire. Ceux-ci sont des jeunots.
— Quel âge avez-vous ? me demande le brun.
— J'ai vingt-et-un ans.
C'est faux, j'ai dix-huit ans. Mais je sais ce qu'il se passe dans sa tête : si je suis majeure, il aura moins de regrets à m'abandonner et faire comme s'il ne m'avait pas vue. Alors je lui facilite la tâche.
— Votre ami possède un abri ?
— Un bunker.
C'est l'info que je garde secrète auprès de tout le voisinage. On sait bien qu'ils seraient capables de me torturer pour que je leur donne l'adresse. Mais ils peuvent courir, j'ai fait une promesse à Neals. Je me permets de glisser l'information à ces deux militaires parce que je me doute qu'ils ont leur bunker à eux et qu'ils n'ont rien à faire des délires survivalistes de Joey. Je regarde ma montre, les minutes s'écoulent et je suis on ne peut plus pressée :
— Je gère. Allez plutôt voir ces deux abrutis qui se battent pour un écran qui ne leur servira à rien. Eux ne sont de toute évidence pas assez fins pour survivre à cette apocalypse sans votre aide.
Les deux me sourient et je jurerais que celui qui reste muet depuis tout à l'heure a lâché un petit rire. Je suis sûre qu'ils apprécient mon audace. Le brun tape sur sa portière et la voiture démarre. Je reprends ma course effrénée contre le temps.
Quand la gare se dessine enfin devant moi, je cours encore plus vite. Ici il y a du monde, bien que les transports ne soient plus fonctionnels. Plus on approche du centre-ville et plus la population se densifie. Je tourne sur moi-même, à la recherche de la tête blonde de Neals, mais les gens courent dans tous les sens, crient ou se battent, me donnant cette sensation de tournis. Jusqu'à ce que je sente des mains presser mes épaules. Je me retourne. Neals me prend dans ses bras et, après quelques secondes, je m'écarte de lui et il me frotte le sommet du crâne :
— On y va ?
Il se met à trottiner dans la rue. Des gens pillent, se livrent bataille et brûlent des magasins. J'essaye de ne pas y prêter attention même si leur comportement me choque. Neals nous fraie un chemin à travers la foule et maintenant que nous sommes en plein quartier urbain, une ambiance plus lourde s'installe, sans que je ne puisse l'expliquer. De hauts buildings percent le ciel, leurs vitres s'accordant avec le gris ambiant. Mon ami sort son téléphone de sa poche et semble embêté.
— Putain, tu vas marcher !
Je regarde au loin, des bâtiments sont déjà en feu et bien que nous ne nous fassions pas encore agresser, je contemple les prémices d'une guerre civile.
— Le réseau est coupé, n'est-ce pas ? confirmé-je le regard dans le vide.
Les yeux de Neals se perdent dans les miens et j'ai ma réponse. Il ne défaillit pas et ouvre son sac à dos pour en sortir une radio dont il tire l'antenne et tourne quelques boutons.
— Brayden, est-ce que tu m'entends ?
Il retente sa demande plusieurs fois en bidouillant sa radio entre chaque tentative tandis que j'observe tantôt le ciel, tantôt les gens qui n'en finissent pas d'être violents. Un homme auquel je donnerais quatre-vingt ans passe devant moi. Il arbore une longue barbe blanche et marche nonchalamment dans la rue, une pancarte sur laquelle est écrit que la fin est proche en guise de collier. Il crie, d'un air qui m'en donne des frissons.
— Neals, active ! Les gens commencent à devenir tarés par ici !
— Je fais ce que je peux, je te signale.
Il reporte son attention sur sa radio :
— Brayden, tu vas me répondre, espèce d'enfoiré ? Je te jure que si tu nous as fait un plan foireux, je vais survivre dans le seul but de te retrouver et de t'arracher les couilles !
Une goutte d'eau s'écrase sur mon visage, me provoquant une sensation de brûlure. Je regarde le ciel et me fais encore attaquer par cette pluie bien trop forte. Un regard vers le sol me signale que ce n'est pas de la pluie : c'est de la grêle. Plus elle tombe, plus elle grossit. Bientôt, ce sont des grêlons de la taille de billes qui s'écrasent sur nous. Je rabats ma capuche sur mon crâne et Neals fait de même. Des alarmes de voiture s'enclenchent, rendant cette situation encore plus chaotique et apocalyptique.
— Neals, je suis devant l'animalerie, fait enfin la voix de Brayden.
— J'arrive.
Neals range sa radio dans son sac et me tend la main. Je la fixe un moment, avant de planter mon regard dans le sien et d'esquisser un sourire moqueur :
— T'es sérieux, là ?
— Ben quoi ?
— J'ai pas besoin que tu me tiennes la main. Tu sais que je cours vite et que je suis courageuse ! Tu ne m'as jamais tendu la main, qu'est-ce qui te prend ?
Il fronce les sourcils, alors mon sourire s'élargit :
— T'as peur ?
— Georgia, par pitié, mets-moi cette foutue fierté de côté. Bien sûr que j'ai peur, la seule personne ici qui n'a pas peur, c'est ce vieux SDF qui a enfilé une pancarte à son cou et qui se prend pour Jésus !
Ses yeux devenus sombres me lancent des éclairs, je ne l'avais encore jamais mis en colère.
— Il ne s'agit pas de jouer au plus malin, ajoute-t-il. Je vais te remettre dans le contexte : les riches, le président compris, se sont planqués et sont bien à l'abri. Je ne serais même pas étonné d'apprendre qu'ils sont tous montés à bord d'une fusée en direction d'une station spatiale de secours, là où ils s'installeraient en observant notre planète brûler ou sombrer dans les eaux, une boite de pop-corn entre les mains ! Il y a les cinglés, comme Joey, on s'est foutu d'eux tout au long de leur vie mais aujourd'hui, ils ont un bunker et des vivres pour les prochaines années à venir. Et puis il y a les gens comme toi et moi Georgia, nous, le peuple, les pauvres ! Il y a un mois de cela, je préparais ma rentrée à l'université et maintenant, je suis avec ma meilleure amie au beau milieu de ce foutoir, à me réjouir de chaque minute qui passe pendant laquelle je suis toujours en vie, et à me demander combien de minutes encore je pourrai gratter !
Il semble reprendre son souffle, je ne le contredis pas. Il ne faut jamais contredire Neals. J'ai aussi peur. Mais je préfère jouer aux insouciantes, ça me fait pousser des ailes et me donne de l'espoir. Parce que c'est de cela dont il est question aujourd'hui, non ? L'espoir nous sauvera. Ou pas.
Une secousse arrive, beaucoup plus forte que lorsque j'étais à la maison. Cette fois, je m'accroche à Neals pour ne pas perdre l'équilibre. Rien à voir avec le train. Des débris tombent au sol : des bouts de murs et une enseigne de magasin qui était positionnée de travers.
— Il faut qu'on y aille ! crie Neals.
Nous courons sur ce sol fragile. En me concentrant sur l'asphalte, je remarque qu'il s'est déjà fissuré à certains endroits, alors j'évite les brèches : je n'ai pas envie d'un petit voyage au centre de la Terre. La grêle s'est arrêtée mais le vent se fait de plus en plus fort, à tel point que ma capuche retombe sans cesse sur mes épaules. Lorsque la secousse s'arrête, nous accélérons la cadence en direction de l'animalerie.
Une fois devant, nous sommes seuls. Nous regardons alentour mais ne discernons rien d'autre qu'un coup de feu : c'est la première fois que j'en entends un vrai. Ça me file des frissons. Notre réflexe est de nous accroupir et de protéger notre tête.
— Putain, ça vient d'où ? crié-je.
— Le type, là-bas.
Je regarde au loin et discerne un adolescent qui porte un bonnet et une chemise à carreaux : il tient un pistolet à bout de bras et menace un homme qui est agenouillé à terre, alors qu'un autre git non loin. Tout ça va beaucoup trop loin.
La porte de l'animalerie s'ouvre, une voix retentit.
— Vous êtes prêts ?
C'est la première fois que je vois Brayden : un brun dont le visage est couvert d'acné qui arbore un sourire de petit con. Il porte des vêtements militaires, un sac à dos, une casquette et il tient des clés de voiture à la main. Un bip se fait entendre non loin, Brayden se dirige vers un pick-up et nous demande d'y monter. À l'intérieur, une caméra est braquée vers le parebrise et un ordinateur portable trône sur le siège passager. Avec Neals, nous montons à l'arrière et Brayden démarre.
Nous roulons depuis seulement cinq minutes mais j'ai déjà vu plus d'horreurs que dans toute ma vie : des gens qui s'entretuent sous mes yeux, des jeunes qui balancent des cocktails explosifs dans des bâtisses, des bagarres et des pillages.
— C'est le début de la guerre, les amis, dit Brayden, toujours ce même sourire aux lèvres.
Neals et moi nous lançons un regard entendu : ce type est bizarre.
— Alors, c'est quoi le plan ? demandé-je.
— Je vous emmène voir Joey. Mais j'espère que je vais pouvoir filmer la tornade qui arrive.
— Quoi ? dit brusquement Neals.
Brayden pousse un petit rire.
— Il était question d'une tempête.
— Ouais, mais les choses ont évolué. Les secousses vont commencer à se faire moins espacées et plus violentes. Il devrait y avoir une importante brèche entre... notre position actuelle et votre quartier.
Mon cœur manque de sortir de ma poitrine. L'ordinateur posé sur le siège avant émet un son et je remarque qu'il est illuminé d'animations oscillant entre plusieurs teintes de rouge. Après un petit coup d'œil, Brayden appuie sur l'accélérateur et nous dépassons à coup sûr la limitation de vitesse. Ce n'est pas comme si ça avait toujours de l'importance, de toute façon.
— Je vous annonce que le Japon et toutes les îles environnantes n'existent plus. Elles viennent de se prendre la saucée de leur vie !
Comment peut-il nous balancer cette information avec un calme olympien, pire encore, avec un air fasciné ? Neals me prend la main, cette fois je ne dis pas non.
— Il se passe quoi, après les secousses ? demande Neals.
— Des tornades. Et puis ensuite, ça sera vraiment la merde. J'espère être encore là pour voir ça. C'est mon rêve. Ça ne vous excite pas, vous ?
Je fronce les sourcils. Je regrette d'être montée dans cette voiture, confiant au passage ma vie à ce fou furieux. Il finit par freiner au beau milieu d'un jardin et sort de l'auto. Je remarque alors combien il combat le vent.
— Tu crois qu'on va mourir ? demandé-je à Neals.
Ce dernier me regarde avec des yeux de chien battu. Il me donne presque envie de lui faire un câlin.
— C'est certain.
— Ce que vous pouvez être pessimistes ! intervient Brayden. Allez, Joey nous attend.
Nous nous trouvons désormais devant une plaque en métal qui se distingue de la pelouse du jardin. Brayden frappe trois fois. La trappe s'ouvre immédiatement et un homme d'une cinquantaine d'années en sort. Il est plutôt baraqué, sa peau a été tannée par le soleil, ridant au passage son visage qui a l'air dur. Il prend Neals dans ses bras et me salue brièvement, avant de nous donner un sac à dos rempli de matériel de survie.
— Je les raccompagne chez eux et je reviens, OK ? explique Brayden à Joey.
L'oncle consulte sa montre et son expression se fait encore plus ferme :
— T'as une heure. Pas une minute de plus. Je ne prendrai pas le risque de t'ouvrir au-delà.
Brayden hoche la tête tandis que Joey plante son regard dans celui de Neals.
— Et toi, tu ne veux pas venir ? lui demande-t-il.
Mon ami secoue énergiquement la tête.
— Non. Je dois rentrer voir mes parents et ma sœur.
— Je sais qu'on est brouillés avec tes vieux, mais si d'ici une heure ils changent d'avis, dis-leur que ma trappe est ouverte.
Je vois l'espoir passer dans le regard de Neals, avant qu'il ne s'assombrisse et que ce dernier baisse la tête.
— Ils ne prendront pas le risque. Et puis il y a Georgia aussi.
— Toi aussi tu peux venir, me dit Joey.
Je secoue la tête.
— Nous n'en aurons pas le temps. C'est bien pour ça qu'on est venus chercher ce sac de survie, non ? rétorqué-je d'un ton tranchant.
— Ouais, mais si tu changes d'avis, tu peux venir. Tu comptes pour Neals, alors tu fais partie de la famille.
Je hoche finalement la tête, plus pour lui faire plaisir qu'autre chose. Il opine à son tour, répète qu'il reste une heure et disparaît sous sa trappe. Nous grimpons alors tous trois dans la voiture. Brayden est concentré un instant sur son ordinateur : il ne sourit plus cette fois.
— Putain de merde, siffle-t-il avant de mettre le contact. Attachez vos ceintures.
Il démarre à toute vitesse, mon dos se colle au dossier de mon siège et je remarque que Neals m'a encore pris la main ; la sienne est moite et il me presse tellement fort que tout son stress passe à travers moi.
— Écoutez les gars, une tornade se dirige droit vers le centre-ville. D'ici une heure, elle aura tout détruit. Sans parler de l'activité du sol qui va commencer à devenir hors de contrôle d'ici quelques minutes. Mais ça va le faire !
La voiture roule à toute allure, alors que tout est en train de trembler sous mes pieds – je le sens malgré les bosses qui sillonnent la route. Je pense fort à ma mère qui, à l'heure actuelle, doit être tétanisée devant son poste de télévision... s'il fonctionne encore. Alors que nous repassons devant l'animalerie, les esclandres se font encore plus violents que tout à l'heure. Maintenant, des militaires tentent d'avoir le contrôle sur la foule. J'entends des coups de feu, je vois des corps allongés au sol. J'évite de les regarder...
Un militaire nous arrête, Brayden baisse sa vitre.
— Vous ne pouvez pas aller plus loin, explique l'homme.
Brayden nous observe un instant. Il sort un cordon au bout duquel pend une carte et le montre à l'homme en uniforme :
— J'ai le droit de passer.
Un autre officier arrive. Je reconnais le brun de tout à l'heure, il lit ce qu'il y a d'inscrit sur la carte.
— C'est la première fois qu'elle te sert, n'est-ce pas ?
Brayden esquisse un sourire.
— Ben ouais, c'est pas l'apocalypse tous les jours.
— Donc tu conservais jusqu'à ce jour un laisser-passer te permettant d'assister aux premières loges de n'importe quel cataclysme ? C'est ton travail ?
— Plutôt stylé, j'avoue, répond Brayden.
Les deux officiers se lancent un regard entendu et le brun reprend la parole :
— Les deux derrière, ils ne t'accompagnent pas.
Brayden jette des coups d'œil frénétiques à son ordinateur qui clignote en rouge.
— Neals, Georgia, descendez, dit-il.
— Mais...
— Je vais chercher vos parents. Rejoignez Joey. À pied, trouvez un bus, un mec sympa ou un Uber post-apocalyptique, j'en sais rien, mais allez-y.
Il saisit une radio et me la balance.
— On se parlera via la radio. N'oubliez pas de regarder le contenu du sac, ça pourrait vous aider, ajoute-t-il.
Neals descend de la voiture, je fais de même et tangue en sentant le sol trembler sous mes pieds.
— Tu vas dans quelle direction ? lui demande l'officier brun.
— Droit vers le nord, répond Brayden.
— Mais... La tornade arrive par là.
J'ai envie de hurler. Neals presse ma main, il essaye de me rassurer. Je n'aurais jamais dû quitter la maison sans maman ce matin. J'aurais dû l'emmener. J'aurais dû l'écouter quand elle disait que c'était le dernier jour. S'il lui arrivait malheur, je ne me le pardonnerais jamais.
— C'est bien pour ça que j'y vais, répond Brayden avec un sourire insolent aux lèvres.
— Ça vaut quelque chose, son truc, là ? demande le soldat qui ne parlait pas en désignant la carte accrochée au cordon.
Le brun hausse les épaules.
— On s'en fout. C'est sa décision. On n'a plus vraiment le temps de vérifier qui circule maintenant, il faut se mettre en sécurité.
Une grosse détonation se fait entendre non loin, similaire à une bombe, et les deux officiers se lancent un regard lourd de sens. Brayden met le contact, je pose ma main sur l'ouverture de sa fenêtre toujours ouverte.
— Tu ramènes ma mère vivante, sinon je te jure que...
— Me fais pas perdre de temps dans ce cas, Georgia, me coupe-t-il.
Il visse sa casquette sur son crâne et démarre. Je regarde la voiture s'éloigner tandis que le sol tremble un peu plus, rendant la position debout impossible. Je m'accroche tant bien que mal à Neals. Puis une fissure se forme juste sous mes pieds. Je recule instantanément, cours le plus loin possible en arrière, avec Neals et les officiers. Le sol craque, une ligne qui zigzague créée une brèche. Des morceaux du béton disparaissent plus bas, comme si un trou béant s'était formé dans le sol. C'est probablement ce qui s'est passé d'ailleurs.
Je reste tétanisée et me rends compte seulement maintenant de l'ampleur de la situation. Je regrette de ne pas avoir pris au sérieux tous ces gens qui parlaient de fin du monde, je regrette d'avoir ri au nez de ma mère. Je regrette de ne pas être restée là-bas : maintenant que cette brèche s'est formée, je me demande comment Brayden compte revenir. S'il ne se fait pas happer par la tornade une fois là-bas.
Mes larmes dévalent mes joues mais Neals me tire en arrière.
— T'en fais pas, il va ramener nos proches.
Il me prend dans ses bras mais les militaires nous hurlent de reculer et de nous cloîtrer quelque part. Alors je me rappelle notre but : rejoindre Joey. C'est ça. On doit choper une voiture.
Un immeuble s'effondre non loin. C'est impressionnant, cette masse colossale de béton qui s'écroule et rejoint le sol dans un gigantesque nuage de poussière. La foule est en panique, les cris rebondissent sur les façades des édifices encore debout. Des cris, mais aussi des sirènes de secouristes, des voix qui résonnent dans des mégaphones et, surtout, la fameuse alarme qui vient de se déclencher. Celle qui vous fait comprendre que vous êtes foutus. Parce que vous n'êtes pas censés l'entendre pour de vrai. C'est un truc qui ne se passe que dans les films : l'alarme signalant la fin du monde. Mes jambes se dérobent.
— Georgia, tu disais quoi tout à l'heure ? me presse Neals en tentant de me faire tenir debout. Tu es forte et courageuse. Là, on dirait un gros bébé. Allez viens, on va avancer.
Un autre bâtiment s'écroule à quelques mètres, intensifiant tous les sons environnants qui me sont de plus en plus insupportables. Neals me force à courir tandis que le vent se fait encore plus violent. Je vois un paysage enflammé au loin, puis des gens qui se battent encore. Je tombe à terre, ma tête tourne et je ne suis plus sûre de rien. Neals s'accroupit à mon niveau alors que j'entends encore un éboulement. Il me recouvre de ses bras, comme pour me protéger. Quand plus rien ne tombe, nous redressons nos têtes, il me regarde dans les yeux et j'ai l'impression que, en l'espace d'un après-midi, Neals est devenu un homme. Moi, je suis retombée en enfance. Je suis apeurée. Il saisit mon menton, me fixe un moment, puis attrape mon visage de ses deux mains, avant de poser ses lèvres sur les miennes, dans ce décor apocalyptique, alors que ce n'est ni l'endroit ni le moment. Mon cœur s'agite encore plus, l'adrénaline de ce baiser se mêle à la peur.
Il finit par s'écarter et un large sourire égaye son visage :
— Putain, j'en avais tellement envie. Puisqu'on n'est pas sûrs de survivre, faut que tu saches, Georgia. Je t'aime. Et ça ne date pas d'hier.
— Tu attends la fin du monde pour m'embrasser et me dire que tu m'aimes ? T'es vraiment qu'un lâche, Neals.
Il sourit et m'embrasse de nouveau, je le laisse faire parce que j'en ai besoin. C'est du courage physique. C'est comme ça que je le prends. Et puis il faut dire que je me suis toujours demandé ce que ça me procurerait de l'embrasser. Je l'ai toujours trouvé attirant, mais notre complicité était tellement fusionnelle que je n'ai pas cherché à savoir si je ressentais quelque chose pour lui. Il s'écarte subitement de moi, me fait me lever et se met à courir.
— J'ai eu une idée de malade ! crie Neals. On va chez le concessionnaire. Dans trois minutes, on y est !
— Tu ne crois pas que toutes les bagnoles ont déjà été prises ?
— On verra si c'est notre jour de chance.
Je note l'ironie de sa réponse. Aujourd'hui, je ne sais pas si nous pouvons nous considérer comme étant chanceux.
Alors que nous y arrivons, c'est la cohue sur le parking. Au loin, une route s'est écroulée, rendant les automobilistes du mauvais côté prisonniers. Neals se précipite vers une voiture alors qu'un autre homme court dans la même direction. Ils commencent à se battre et ô grand jamais je ne pensais assister à ce genre de scène un jour. L'homme fait tomber les clés à terre, je m'empresse de les ramasser, tandis que Neals lui envoie un crochet parfait qui assomme quelques secondes notre concurrent, juste le temps de grimper dans ce 4x4.
— Comment il va faire, lui ? m'inquiété-je en attachant ma ceinture alors que mon ami roule déjà à toute vitesse.
— C'est chacun pour sa gueule.
Neals roule, alors que le sol craque, alors que les éléments et le ciel s'acharnent sur nous, alors que la nuit tombe.
×××
Coucou !
À partir de maintenant, je republie les premiers chapitres, c'est à dire que ce que vous venez de lire et ce qui va suivre ces prochains jours, c'est la version corrigée et officielle.
Comme d'habitude, dites moi tout ce que vous en pensez :)
😘
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