Say avait repris forme humaine et... bon sang, ce que c'était douloureux ! Elle venait de subir, sans conteste, la blessure la plus sérieuse de son existence. Il fallait dire aussi qu'elle ne se battait pas souvent. Jamais en fait, elle était plutôt du genre à éviter les conflits.

Jusqu'à ce qu'Ash débarque dans sa vie.

Et qu'elle trouve ça affreusement excitant !

Bien que douloureux se rappela-t-elle en faisant un faux mouvement. Elle souffla tout l'air de ses poumons pour ne pas geindre comme une gamine. Sa louve s'efforçait de la guérir, mais ça prendrait du temps. Sans doute toute la nuit. Allongée dans un lit qui tanguait, elle essayait aussi de ne pas vomir. Un gros pansement ensanglanté recouvrait ses côtes. Kenny, le lieutenant d'Ash l'avait posé avec un savoir-faire tel qu'elle se demandait s'il n'était pas médecin.

— Merci, Kenny.

— C'est déjà en train de se refermer. Je vais demander à ce qu'on t'apporte à manger. Ne bouge pas, il vaut mieux que tu passes la nuit ici.

Puis quoi encore ? Ash se trouvait là, dehors, peut-être en danger de mort. Elle devait l'aider. D'un mouvement vif, qu'elle regretta aussitôt, elle fit basculer ses jambes par-dessus le lit.

— Hors de question, jeune fille, tu restes ici, lui ordonna sa mère.

— Mais...

— Pas de « mais ». Mange ça.

Elle lui tendit des barres protéinées. Pour qu'un loup puisse guérir son humain, il lui fallait de l'énergie. Say en mangea deux d'un coup, avant de prendre la parole.

— Et Ash ?

— Sur le pont, il est en grande conversation avec son lieutenant.

— Tu savais ce qui allait se passer, maman. Tu me l'as caché.

Aucune trace de reproche dans sa voix, simplement une vérité absolue.

— Je me doutais bien qu'Adrien n'attendrait pas les trois ans réglementaires après ta majorité pour t'épouser. Il est trop vicieux pour ça.

— De toute façon, jamais je ne me serais mariée avec lui.

— Je sais, mais on ne pouvait pas quitter l'île. Pas sans aide. Les Carter nous surveillaient en permanence, ils nous auraient rattrapés sans difficulté.

Say prit le temps de réfléchir.

— Depuis quand es-tu en contact avec Ash ?

— Le jour de tes dix-huit ans. Il m'a proposé son aide, même si au début j'ai pensé qu'il nous trahirait. Puis j'ai vu la haine qu'il portait à sa famille et en contradiction, l'amour qu'il te vouait. J'ai compris.

Compris que lui et elle étaient liés par un lien invisible ? Par l'Alchimie ?

— Il ferait tout pour toi. Bien que je trouve ça très dérangeant, d'un certain côté. Je l'ai à l'œil, ce gamin.

Say éclata de rire. Mauvaise idée. Les ondes de souffrance remontèrent dans sa poitrine. Dans le but de les oublier, elle continua :

— On ne pourra jamais revenir chez nous, n'est-ce pas ?

— Pas tant que Josh et Adrien seront là.

Un léger silence s'installa, brisé par les craquements de la coque et le bruit de la pression de l'eau autour d'elles. Say détestait le bateau.

— J'aimerais tellement que papa soit là.

— Je sais, trésor.

Sa mère déposa un baiser plein de tendresse sur son front.

— Ils ne me lâcheront pas aussi facilement, n'est-ce pas ? demanda tout à coup Say. Adrien, il et Josh feront tout pour me récupérer...

— C'est possible, mais je les en empêcherais.

Ainsi, devait mettre la vie de sa famille en danger ? Elle se refusait ça. Elle se sentait déjà coupable de les entraîner dans cette histoire de mariage forcé.

— Ne pense pas à ça pour l'instant, repose-toi. Je vais aller aider ta sœur à faire sa couchette. On est dans la chambre à côté, appelle si tu as besoin de moi.

Elle regarda sa mère partir, ferma les yeux et prit quelques minutes pour se reposer. Un bruit, pas plus fort qu'un frottement, le sortit du demi-sommeil dans lequel elle plongeait lentement. Ash était là, debout à côté de son lit, il l'observait. Par instinct, elle remonta la couverture sur sa poitrine.

— On ne t'a jamais appris à frapper ?

— Sur les gens ? Si, c'est même une seconde nature chez moi.

Elle rit malgré elle, heureuse de le voir en bonne santé. Surtout, de vivre ce changement brutal en sa compagnie. S'il n'avait pas été là, sans doute serait-elle en train de pleurer toutes les larmes de son corps.

— Alors, cette blessure ? Laisse-moi regarder.

Il s'agenouilla et voulut soulever la couverture.

— Tu rigoles ? Je suis nue là-dessous !

— Vraiment ? sourit-il avec malice.

Il prit le temps de replacer une mèche de cheveux de Say derrière son oreille, avant de reprendre sérieux :

— Je ne te ferais jamais rien qui te causerait du tort. Tu peux me faire confiance.

— Tu ne verras rien, il a mis un pansement, ton super lieutenant.

— Très bien, je n'insiste pas. Tu es le genre de fille à ne pas accepter son corps, je me trompe ?

Elle rougit jusqu'aux oreilles.

— N'importe quoi ! mentit-elle. Fais-moi voir ton bras, toi.

Il s'exécuta et l'adolescente observa la blessure avec minutie, inconsciente que donner un ordre à un dominant ne se faisait pas. Mais elle n'avait jamais appartenu à une meute, comment aurait-elle pu savoir ? Toutefois, Ash s'en fichait bien.

— Ca commence à se refermer. Fais attention quand même, évite les mouvements brusques.

— Compris, docteur.

Elle leva les yeux sur lui. Avec un sourire malicieux, il plongea ses iris sombres dans les siens. Pour la première fois depuis toujours, Say eut envie de se jeter tête baissée dans cet océan de ténèbres qui lui murmuraient mille promesses. Une brusque envie de l'embrasser embrasa ses lèvres.

— Je suis tellement heureuse que tu sois revenue. Tu n'as pas idée, Ash.

— Oh si, Sayana.

Il lui attrapa la main avec un désespoir et une force surprenante.

— On aurait pu vivre tellement de belles choses si tu étais resté sur cette île, continua-t-elle.

— Tu crois qu'il est trop tard ?

— J'espère bien que non. Mais 8 ans, c'est long.

Il approcha son visage du sien.

— Ce n'est rien comparé aux années qu'on a devant nous. Aux aventures qu'on pourrait vivre ensemble.

Ensemble, ce mot produisit une déferlante de frissons dans son corps. Il entreprit de dévorer l'espace qui séparait leurs visages. Son premier baiser, songea Say en écarquillant les yeux, à la fois terrifiée et excitée. Sauf qu'au lieu de l'embrasser, il approcha les lèvres de son oreille et murmura :

— Tu t'es bien battu ce soir. J'ai trouvé très... jouissif.

— C'était une première pour moi.

Il s'écarta et tenta de ne pas sourire.

— On dirait que tu vas découvrir plein de premières fois avec moi.

— De quoi tu parles ?

— Oh... le bateau, les voyages, tout ça, tout ça...

Il éclata de rire devant la mine soucieuse de la jeune fille.

— Arrête de te moquer. Raconte-moi plutôt ce qui s'est passé sur la plage.

À sa grande surprise, sans omettre le moindre détail, il lui relata la façon dont il avait dominé son frère.

— J'ignorais que tu étais aussi puissant, commenta-t-elle, surprise.

— J'ai vécu 5 ans dans un endroit habité par une créature si puissante que ça t'en donnerait des cauchemars. J'ai été obligé de le devenir. Repose-toi, Say, je dois aller voir ce qui se passe là-haut.

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