Semaine 48
26 novembre, l'ambiance est bizarre. Anton n'est pas là, ça ne m'étonne pas. Trois personnes ne semblent pas affectées : Mahia, Louna car elle n'est jamais affectée par quoi que ce soit, et Léo. Pourquoi Léo alors qu'il est visiblement déprimé ? Parce qu'il a une réaction bien trop exagérée par rapport à celle qu'il devrait avoir.
— J'en connais un qui s'est engueulé avec son copain, susurre Louna.
— Je t'emmerde, contre-t-il. Mes parents nous ont choppés.
— Dans quel contexte ? demandé-je, curieux.
Je tourne un instant les yeux pour voir Enzo se séparer à contre-coeur de Blandine.
— J'ai pas envie de t'faire un dessin, Mathis. Ils nous ont choppés, et ils ont dit qu'ils porteront plainte si jamais on se revoit.
— Pourquoi t'as un sac de sport, mec ? lance Enzo. On a EPS en même temps que vous, et c'pas aujourd'hui.
Enzo lance un regard à Louna pour s'assurer de ne pas dire de bêtise. Oui, Enzo, nous n'avons pas EPS le lundi.
— Disons que je me casse chez mon copain, répond-t-il avec un calme olympien.
— Là, tes parents vont vraiment porter plainte pour détournement de mineurs, soupiré-je.
— T'inquiète, j'ai bossé l'aspect juridique de la question, j'vais avoir un dossier en béton et tout va bien s'passer.
Des mains m'attrapent par le col, et me tirent vers l'arrière. Je me tourne, et Mahia se penche sur moi pour m'embrasser.
— J'exige une explication, braille Louna.
— Hé bien, je vous présente Mahia, et nous sortons ensemble.
— Oh. Oh. Oh, s'exclame-t-elle. Oh, ça pour un scoop c'est un scoop ! Qui est au courant ?
— Personne, à part vous, du coup, dis-je.
— Ah, donc tu m'assumes pas avec tes potes, réplique Mahia. Bah bravo. Bah bien, bien. S'pèce de bouffon.
27 novembre, Rita s'est installée face à moi dans le réfectoire.
— N'étais-tu pas sensée être en cours, toi ?
— Nan, souffle-t-elle en me montrant son poignet tordu. J'ai EPS, et je suis dispensée.
Elle prend une fourchette de purée.
— Blandine m'a dit que t'étais en couple.
— C'est vrai, dis-je.
— C'est qui ?
— Mahia.
— Qui ?
— Mahia, répété-je. Tu sais, la fille qui était en Seconde l'année dernière avec nous et qui s'étirait souvent des ennuis.
Elle écarquille les yeux.
— Toi. Avec elle ? s'exclame-t-elle. Mais Mathis, t'as toujours été le premier à te comporter en connard avec elle. Mec, j'suis contente pour toi, vraiment, mais elle ? Ça me fait bizarre, tu comprends ? Et, j'veux pas dire, mais t'es passé de Blandine à... Cette fille.
— Rita, nous nous connaissons depuis le primaire, je ne veux pas te détester pour une phrase malheureuse sur ma petite-amie, rétorqué-je.
Elle tourne le regard, en avalant une bouchée de purée.
— Tu savais que Léo utilise Gabriel pour faire croire à ses parents qu'il est juste chez un ami ? lance-t-elle soudain.
— Ah bon.
Emmy est passée en me jetant un regard mauvais. Lui ai-je fait quelque chose de mal ?
28 novembre, Léo a souhaité réunir une cellule de crise au CDI. Faya s'occupe des cafés, Enzo de la nourriture (comprendre, de dix Twix et une vingtaine de carambars), Louna de nous faire passer convenablement aux yeux des documentalistes.
Dieu sait que nos choix de filières n'ont pas aidé pour trouver un horaire.
À une table, Anton est entouré de deux personnes. Il pleure en regardant dans le vide. Mon cœur se serre en l'apercevant. Aujourd'hui, le fait qu'il aimait Maé crève les yeux. Je n'imagine même pas ce qu'il doit vivre. Je n'imagine même pas ce que Mahia va vivre après moi.
J'ai la tête qui tourne...
— Mathis ? Ça va ? S'inquiète Rita en m'attrapant le poignet.
— Oui, oui.
— Au fait, saviez-vous que notre Mathis national s'est trouvé une copine en la personne de C'est-quoi-son-nom-déjà ? Dit Gabriel.
— Mahia, corrigé-je. En Première ST2S.
Un sourire entendu traverse les visages de certains de mes camarades, tandis qu'un éclair étrange passe dans le regard des autres.
— Bref, nous ne sommes pas ici pour parler de ma situation sentimentale, mais plutôt de celle de Léo.
— En effet, reprend-t-il. Je suis chez mon copain.
— Et il m'utilisait comme alibi, soupire Gabriel. Ses parents sont venus hier chez moi sans trouver leur fils.
— Donc ils se doutent de quelque chose. Et c'est la merde pour Isidore et moi. J'ai besoin de vos cerveaux, les gens, s'il-vous-plaît.
— Ça va mal finir, tes conneries, Léo, dit Blandine.
— Je suis amoureux, Barbie, je vis chez l'amour de ma vie.
Blandine, évidemment, déteste ce surnom de « Barbie ». Et, évidemment, Emmy ricane sous cape.
29 novembre, il ne se passe rien, ce jeudi. Juste une rumeur qui court... Demain, les lycéens feraient grève.
Faya, tu sais quelque chose de ça ?
Ouais, carrément, on va se battre contre la déconne de Parcours Sup, la généralisation de la Seconde en pro, la réforme du bac, etc
Et y vas-tu ?
Mec.
MEC.
J'ai littéralement porté le Cédiv.
Tu penses bien que j'y vais;D
J'y vais avec Louna, d'ailleurs
Et toi ?
... Je verrais
Mahia se blottit contre moi, comme un chat.
— Bisou ?
— Si tu ronronnes, ma chère.
Elle me tire par le col, et m'embrasse en riant.
30 novembre, dès 8 heures du matin, personne dans les classes. Nous sommes trois. Rita ? Elle manifeste. Léo ? Probablement aux prises avec la justice et ses parents. Enzo a rejoint le cortège. J'aperçois dans l'encadrement de la porte d'Espagnol la chevelure blonde de Blandine. Emmy a dû suivre, aussi. Mahia aussi, je la connais, elle suivrait n'importe quoi si cela peut faire sauter des heures de cours.
De Gabriel :
Tu restes au lycée, toi ?
Un Terminale monte sur l'estrade. Il commence son discours pour nous solidariser à sa cause. Il nous tend une main. Une main que je prends.
1 décembre, en l'espace d'une journée, celle d'hier, j'ai :
– respiré ma première grenade lacrymogène
– bloqué les autres lycées du coin avec le cortège
– fait une crise de tétanie
– mangé au fast-food avec une ambiance électrique entre Rita (et la plupart de mes amis) et Mahia
– été insulté cordialement par Gabriel qui se retrouvait seul
– amené au commissariat avec une dizaine d'autres manifestants (nous avons causé un peu de grabuge. D'accord. Beaucoup de grabuge)
Pour ce dernier fait, c'est Arthur. Il m'a vu. Il a dit « Ooooh toi. », comme si Jeanne allait m'assassiner.
Et Jeanne ne m'a pas assassiné car c'est illégal. Mais si ça ne l'était pas, je peux parier qu'elle l'aurait fait.
Antoine a l'air aux anges ce matin. Premier décembre, vous voyez, il a ouvert la première case de son calendrier de l'Avent. Je me sens... bizarre. Plus qu'un mois à vivre, hein ? Allez, faisons de la vie une fête et tentons de sourire jusqu'à la fin.
2 décembre, deuxième case du calendrier pour Antoine. Il fait peur à rire comme un dément en jouant avec ses legos de l'Avent.
Mais qui est-ce que j'essaye de tromper avec mon sourire ? Je ne peux même pas me regarder en face. Je vais mourir. C'est fini. Plus qu'un mois, 31 jours. 724 heures. Ce n'est rien. Plus rien. Et bientôt, il n'y aura plus de moi grouillant à la surface de la Terre. Peut-être qu'il vaut mieux en finir maintenant ?
Je chasse cette idée. Regarde Mathis, comme le ciel est gris.
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