Semaine 45

5 novembre, retour en cours. Les professeurs sont énervés. 

— Allez, les Premières ! Faudrait peut-être songer à bosser, le bac de Français c'est à la fin de l'année, et à cette allure et cette attitude jamais vous ne l'aurez.

Alors, ce genre de discours, cela rend folle Louna. Cela agace le reste du monde. Moi, ça m'horripile. Je m'en fiche, du bac. Je me fiche de la fin de l'année. Je serai mort. Moi, mon bac, jamais je ne le passerai. Jamais je n'aurai d'autres diplômes que le Brevet, jamais je ne ferai d'études supérieures, jamais je ne serai adulte, jamais je ne travaillerai, jamais. Je mourrai. Alors, entendre cela me donne juste envie de tuer quelqu'un. Car cela me met face à la vacuité et la brièveté de mon existence, et en tant qu'humain je déteste ça.

— Mathis, rasseyez-vous !

Je me fiche des mots du professeur. Des regards sur moi. Je remonte mes lunettes sur mon nez, et je sors de la classe. Je sors du bâtiment. Je sors du lycée. Je ne m'entends plus cogiter, je suis comme en pilotage automatique ?

Je vois à peine la Wesh s'approcher de moi. À mieux y regarder, elle a quelque chose de changé. Quelque chose de... différent. Une attitude. Des cheveux mieux coiffés. Elle me jauge avec un demi-sourire, passe ses mains dans mon cou, joint ses lèvres aux miennes. Ses yeux pétillent. 

— Mahia, murmuré-je comme si je l'avais toujours su.

— Mathis, répond-t-elle. Tu m'as manquée.

Elle aussi m'a manqué.

6 novembre, je n'irai pas en cours. Pas aujourd'hui. Même pour Mahia.

Mathis

Es-tu mort ?

On ne parle pas aux roux, Gabriel

Vous n'avez pas d'âme

Je te conchie, camarade :D Ma magnifique chevelure orange a plus d'âme que ta personne toute entière :D

Ah ah ah

Rita est revenue ?

Pas vue en tout cas

Enzo s'est mis avec Blandine, j'ai la rage

Je comprends

Au fait, le Cédiv explose de l'intérieur

Genre Faya s'est barrée

Raconte-moi

Le Cédiv prend une voie... Extrême, on va dire

Des gens se sont fait agresser

Donc au final ça fait dire aux skins qu'ils ont raison d'être des connards

Donc les skins sont plus violents

Donc le Cédiv se sent légitime face aux violences des skins

Tu suis ?

Je suis

Un gars du Cédiv

Jonathan je crois en Première L-ES-SI

Dans la classe de Léo

Ouais, dans la classe de Léo

Jonathan s'est fait refaire le portrait dans les toilettes

Trois cottes et un bras cassé, plein de points de suture

Donc évidemment le Cédiv a riposté

Et ça a fini en baston générale dans le self

Donc le principal a dû agir malgré son charisme de mollusque

Et comme il ne pouvait pas vraiment renvoyer ni les uns ni les autres

Le Cédiv car ça allait dire que notre lycée est intolérant étou

Les skins car ils sont protégés par des gens au conseil de discipline et d'administration

Putain, ce lycée c'est pire que Gomorra

?

J'ai pas de culture série, Mathis

Enfin, du coup, l'huître a dissout le Cédiv

Et collé tout le monde

Et Faya s'est barrée

Et Faya s'est barrée

7 novembre, je suis allé au lycée. Principalement parce que Mahia commence singulièrement à me manquer, principalement parce que la nuit dernière j'ai rêvé d'elle, principalement parce que Jeanne est devenue terrifiante, principalement parce qu'Arthur oscille entre une colère noire et une euphorie discordante, principalement parce que le Cédiv a disparu et ceci me fait plaisir.

— Faya ?

— Mathis ?

Elle se retourne, pousse ses roues pour me rejoindre. 

— Je m'excuse pour ma connerie, murmuré-je à contre-coeur.

— Moi aussi, on est allés trop loin, avoue-t-elle.

Elle me tend une main, une main que je serre, puis me tire à elle et me prend dans ses bras.

— J'voulais juste... J'voulais juste aider les gens, souffle-t-elle dans un sanglot. J'voulais juste que les gens discriminés soient plus entendus. J'ai tout merdé...

Je ne trouve pas de quoi répondre. 

Je sens une main dans mon dos. Je me retourne, lâchant mon amie. Un type, très grand, de ma classe. Charles. C'est Charles. Je m'écarte, je pars. Ils ont des choses à se dire, je n'ai pas à m'y immiscer.

8 novembre, il neige. Il neige peu, mais il neige. Les cheveux de Rita sont constellés de flocons, elle est venue aujourd'hui. Toute sa situation s'est arrangée : elle est portée plainte pour harcèlement, preuves à l'appui. 

9 novembre, et je viens de tilter : comment faire avancer mon TDE avec Anton et Maé (que j'avais totalement oublié, tiens, quel est le thème, déjà?) si Anton est visible absent, et Maé probablement décédé.e. Je suis mauvais, je l'admets. 

— Mathis.

— Quoi, Enzo ?

Son visage grave ne présage rien de bon. C'est suspect, qu'un imbécile heureux devienne un idiot sérieux. Blandine cherche ses mots. Elle ne trouve rien à dire. 

— Qu'est-ce que vous avez, vous deux ? Demandé-je.

— Tu sais que Maé... était interne ? Souffle Blandine. 

— Rien de nouveau sous le soleil.

— Ben... On a retrouvé Maé, articule-t-elle avec peine. Un peu plus, et on l'enterrait.

10 novembre, 11 novembre, laissez-moi. Laissez-moi, laissez-moi, laissez-moi. Jeanne, va-t'en. Arthur, va-t'en. Antoine... Antoine, si tu t'approches, je t'étripe. Mahia... Mahia... Mahia...

Je ne l'ai pas vu, ma Mahia.

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