Semaine 43

[NDA : Partant en stage ce soir, le chapitre paraît plus tôt. Je risque d'être en retard la semaine prochaine, je m'en excuse.]

22 octobre, Mahia ne me sort pas de la tête. C'est étrange. C'est agréable. C'est douloureux. Je voudrais la revoir. Je voudrais l'embrasser, la tenir dans mes bras, toucher sa peau. J'aimerais parler d'elle à tout le monde, j'aimerais hurler son nom pour voir si elle se retourne dans la rue.

Mais ce n'est pas raisonnable.

— Mathis. T'es flippant.

— Antoine... Tu es trop jeune pour comprendre, soupiré-je.

— J'ai onze ans.

— Tu es trop jeune, en conclus-je.

J'attrape mon téléphone. Rita, il faut que je parle à Rita.

— Tu vas encore parler à ta copine ? demande-t-il.

— Tais-toi.

Rita

Mathis

Je suis amoureux

Cool

23 octobre, Antoine est chez un ami, et Jeanne est à la maison. Hotel California, des Eagles, tourne en boucle. Jeanne aime beaucoup cette chanson, dernièrement. Ses cheveux se strient de blanc, elle a vieilli. Elle semble fatiguée.

— Mathis, je sais que ces derniers temps, on était en conflit.

— Nous l'avons souvent été, dis-je d'un ton tranquille en tuant des monstres dans Zelda.

— Ce n'est facile pour personne, en ce moment, soupire-t-elle.

— Tu n'as jamais autant enfoncé de portes ouvertes. Et oui, c'est très triste, Alzheimer pour Marie-Rose, très, souris-je, mais disons que je vais mourir dans un peu plus de deux mois. Comprends-tu que ça me passe au-dessus ?

— Parle-moi, Mathis, je t'en supplie parle-moi.

— Mais je te parle, Jeanne, je te parle.

Et je meurs en même temps sur Zelda. Mince.

La voix de Jeanne se fait soudain stridente, impérieuse, violente, pleine de sanglots refoulés depuis des jours, des semaines, sans doute depuis des mois :

— Mathis, je suis ta mère, merde ! Tu arrêtes de me parler comme à un chien !

— Tu t'énerves seule, Jeanne.

Je sens que je vais trop loin. Jeanne est sur le point de craquer, de dire des choses qu'elle va regretter ensuite.

Je n'ai plus le temps de regretter, moi, Jeanne. Autant la pousser à bout, qu'elle dise enfin tous ces mots pourrissant sous toute la frustration. Vas-y. Parle. Parle-moi pour une fois dans ta vie, pour de vrai, sans passer par des chemins de traverse et des précautions oratoires.

— Et tu n'es pas ma mère, ajouté-je pour achever de mettre le feu aux poudres.

Elle pousse un hurlement désarticulé tuant le silence de la maison. Elle m'attrape par l'épaule, ses doigts s'enfoncent dans ma chair. Je n'ai plus Jeanne face à moi, j'ai la furie qui croupissait derrière ses sourires de façade. Son visage se tord, se distord, se transforme, se fond dans un masque grotesque et effrayant. Jeanne en colère.

— Tu vois comme tu me mets hors de moi ? vocifère-t-elle. Tout le monde ira mieux quand tu seras mort !

Je la pousse, je reste plus fort que cette femme insipide. Sa rage retombe d'un coup. C'est comme ça, avec elle : elle crie très fort, puis ça va mieux.

Mais ces mots s'impriment dans ma tête, se gravent dans mes oreilles. J'arrache mon blouson de sa patère.

— Où... où est-ce que tu vas ? Murmure-t-elle.

— Puisque tout le monde ira mieux quand je serai mort, je vais voir où le monde s'arrête, soit...

J'ouvre la porte.

— ...Demandez-moi chez les Wagner, docteur Paillon.

Le battant claque en rencontrant le cadre. Il fait mauvais, il pleut.

Asile ?

Qu'est-ce qu'il s'est encore passé ?

Une femme de ma connaissance a pété les plombs

24 octobre, Rita pleure la nuit. Elle cauchemarde. C'est horrible.

25 octobre, je ne suis toujours pas décidé à remonter chez moi. Même si recevoir les SMS d'une Jeanne mortifiée a quelque chose de pitoyable.

26 octobre, j'ai besoin de sortir, Rita a besoin de sortir, tout le monde a besoin de sortir, donc nous sommes sortis en groupe avec Léo (et son copain), Louna (et ses frères), Enzo (et sa cousine qui est en Seconde, Flavie je crois) et Emmy (et sa petite sœur) que nous avons ramassé sur le chemin, et Gabriel (et personne) parce qu'il est sur place.

Et nous sommes allés...

— A la vogue ! hurle Louna. Allez, bande de mioches, en avant !

— Cousiiiin, on va faire le Panic ? Beugle Flavie.

— On laisse les tribus s'autogérer ? demande Gabriel.

— Oui, bonne idée, dit Léo en saisissant la main de son petit-ami.

— Les tribus vous emmerdent, rétorque ma camarade binoclarde.

Rita hausse les épaules.

— Ça va revenir cher en croustillon, soupire-t-elle. Et l'Palais va jamais pouvoir tous nous accueillir.

— Oh, d'ailleurs, vous avez vu la nouvelle décoration ? Elle est horrible, je préférai le rouge, critique Gabriel.

— J'aime bien, moi, dit Flavie.

— Fla', s'tu veux faire le Panic, grouille.

— J'arrive, j'arrive !

Rita m'amène faire tous les manèges à sensation, évidemment. Tant et si bien qu'à la fin de la journée, je la retrouve riante et souriante parmi nous. C'est bien. Ça me fait chaud au cœur.

Par contre, plus de quarante euros en croustillons, c'est extrêmement douloureux.

27 octobre, après avoir passé la nuit chez... Et non, raté, chez Gabriel, je me suis enfin décidé à rentrer chez moi. Sans doute parce que mes vêtements ont déjà fondé leur propre écosystème, et que cela me dérange franchement.

— Tu rentres chez toi en bus ?

— Est-ce que j'ai le choix, Gabriel ?

— Non, tu as raison, soupire-t-il. Mange un peu, au moins.

J'avale un bout de pain, pour lui faire plaisir.

— Où est ton père ?

— Probablement chez sa maîtresse, lance-t-il cynique. Comme ma mère n'est jamais là, le pauvre bichou va s'amuser ailleurs.

Je le tapote sur l'épaule, comme pour lui apporter mon soutien.

— Tu vas rater ton bus.

— Je le prendrai demain, finalement, dis-je. Une cigarette ?

— Électronique, pardon.

Je hausse les épaules, allume une Sweet Smokes à la fenêtre. Lui s'empare de sa vaporette, cachée avec soin dans une boîte derrière une armada de livres.

Les fumées se mélangent dans une odeur désagréable.

— Je regrette déjà, rit Gabriel. Il va falloir aérer.

28 octobre, j'ai tout d'abord pensé me prendre une volée par Arthur. Puis une volée par Jeanne. Puis une série de questions par Antoine. Et enfin Léon qui va miauler pour faire entendre son mécontentement.

Ce qu'il s'est réellement passé : Jeanne m'a sauté au cou en larmes et s'excusant de tout, Arthur a semblé sincère dans son soulagement, Antoine a eu la décence de me laisser tranquille, Léon est en vadrouille dans le voisinage. En bonus, j'ai eu Mahia au téléphone.

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