Semaine 33

14 août, Axelle est venue frapper chez moi. Elle porte un t-shirt atroce avec un chat en forme de... En forme de coeur. Oui. Voilà, voilà, voilà.

— Salut Mathis avec un I ! beugle-t-elle. Yo Antoine !

— Yo, répond mon « frère » par adoption.

— Bonjour, Axelle, dis-je. Ton t-shirt est horrible.

— Je savais qu'il allait te plaire, sourit-elle en me faisant un clin d'oeil.

— Pourquoi t'es là ?

À la question d'Antoine, elle éclate d'un rire sardonique. Je sens que cette journée va être bizarre.

15 août, Axelle est un putain de génie. Nous avons volé le shampooing de Pomme, nous y avons mis des choses dégueulasses dedans, et nous avons attendu. C'était... C'était génial.

Bon, là, actuellement, nous sommes tous les deux à la plage de galets, avec un grand chapeau et des grosses lunettes de soleil. Enfin, tous les deux plus Antoine, Jeanne et Arthur, plus le père d'Axelle.

— Bon, les mômes, vous allez rester comme ça longtemps ? s'exclame l'homme.

— Chhhht pap', la Pomme c'est une démone. J'te jure.

Les parents se regardent... Et soupirent de concert. Quoi, l'adolescence fait sens.

Mais... Mais qui voilà ?

— Mathys ?

— Ah, le retour de la fangirl, se moque Axelle.

— Chut, toi. Tu te tais, dis-je.

— Hé, Mathys avec un Y ! Ramène ta gueule !

— Axelle, je te hais.

Mathys arrive, tout sourire, le genre de sourire à faire craquer les midinettes dans mon genre. Je rougis jusqu'aux oreilles, et Axelle se fout manifestement de moi. Il s'assoit avec nous.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— On prépare une invasion extra-terrestre, dit-elle.

— Nous avons fait une saloperie à Pomme.

— Ah, lance-t-il. Elle le mérite, c'est une sacrée connasse. Et qu'elle est collante, putain !

Je ne peux pas réprimer un sourire diabolique. Ça, ça c'est une bonne nouvelle.

16 août, je me suis approché en mode agent secret de chez Mathys. Moi, flippant ? Non non non, pas du tout.

— Bonjour.

Il sursaute, retire ses écouteurs.

— Mathis ! Oh putain tu m'as fait peur ! s'écrie-t-il. Qu'est-ce que tu fous là ?

— Rien, je ne fais que passer... Qu'est-ce que tu écoutais ?

— Tu juges pas, hein ?

— Sauf si c'est du JuL.

Je lui souris.

— Non, t'inquiète, rit-il. C'est une chanson qui marche bien avec une comédie musicale, Heathers... « Teen Idle ».

— Je ne connais pas, avoué-je.

— Tiens, dit-il en me tendant ses écouteurs.

La musique commence. Une voix de femme. Des sanglots dans la voix. Elle parle de son adolescence, du fait qu'elle la regrettait, qu'elle voulait se suicider.

J'ai mal à la gorge. Au ventre. Je m'affaisse sur une chaise en plastique. Mes yeux me brûlent. Je sens des larmes couler sur mes joues.

— Hé, Mathis ? Mathis ? Qu'est-ce qu'y a ?

Il me prend par les épaules, coupe la musique, me secoue un peu. J'enlève mes lunettes, m'appuie sur les yeux. Ça va aller, ça va aller.

— C'est... C'est rien, murmuré-je. Juste que... ma sur s'est suicidé il y a des années, ça m'a fait penser à elle.

— Ah... Désolé.

Non, je n'ai pas une seule seconde pensé à cette pauvre Amandine, probablement parce que je m'en fiche et que je suis une des causes hypothétiques de sa mort.

Mathys s'assoit à côté de moi.

— Désolé, je savais pas.

— Pas grave, pas grave.

Pendant un moment, nous nous regardons en chien de faïence.

— Me ferais-tu écouter autre chose ?

— Heu... Ouais, ouais, s'tu veux ! Un truc un peu plus joyeux, quand même... Heu... Voilà !

Il appuie sur un titre, me tend ses écouteurs.

— Sincerely Me, de Dear Evan Hansen, annonce-t-il.

Le rythme est sympathique, dynamique, amusant. Cela me met un sourire aux lèvres. L'histoire de deux gars qui envoient des mails à un troisième, je crois.

— Encore à écouter des trucs de pisseuse ?

Je tourne la tête et vois un homme massif. Grand. Très grand. Imposant. Mathys lui ressemble beaucoup. C'est son père, sans doute. Il coupe la musique.

— N-nan, j'te jure papa.

— Qu'est-ce que c'était ?

— Du rap, tu l'sais.

Le père n'a pas l'air très convaincu.

— Et c'est qui, lui ? Lance-t-il en me pointant du doigt.

— Un pote. Il s'appelle Mathis, mais avec un I.

Mille coups de poignards dans le coeur, mais je survis. Hétérosexualité, où es-tu ? Pas là, pas là, pas là.

L'homme me salue de la tête.

— Bon, ça me rassure pas vraiment que tu traînes avec un gars comme ça, (sympathique pour moi, merci monsieur) mais bon. J'préfère ça à l'autre folle.

— Ouais, sois rassuré p'pa.

Mathys lui fait un grand sourire, puis me tire par le bras avec un « Allez, Mat, on y va ? ». Je le suis.

Axelle nous agresse brutalement au croisement.

Après avoir dévalé les marches du bungalow, et remonté jusqu'aux balançoires, je demande sèchement :

— Quel est le problème de ton père, sérieusement ?

— Ah, lui ? soupire-t-il. Il me trouve hyper efféminé, car j'ai des dreads et pas le crâne rasé, car j'aime les comédies musicales, car j'ai préféré faire de la danse au lieu de la boxe... Pour lui, j'me comporte comme une tapette, une fiotte, enfin j'te laisse imaginer.

— Triste.

— Mon père aussi, il craint, se plaint Axelle. Il a l'air sympa, mais il est homophobe as fuck. J'ose pas lui dire que je suis pan.

— Et c'est un coming-out, bien joué, dis-je.

— J'suis pas peu fière de l'avoir casé en douceur, braille-t-elle en riant.

— Et c'est quoi, être pan ? l'interroge Mathys.

Les longs moments d'éducation de la part de mes chers camarades LGBT+ me reviennent à l'esprit, tant et si bien que je ne peux pas réprimer un grand, un large sourire.

— Ouh là, assieds-toi, ça va être un peu long, le préviens-je.

— Alors, l'attirance pan, qu'elle soit sexuelle ou romantique, se caractérise par une attirance sexuelle ou, ou alors et, romantique par tous les genres.

— Ben pourquoi tu dis « pan » et pas « bi », c'est la même chose, non ?

— Mathys, tu as justement dit ce qu'il ne fallait pas, soupiré-je. Content de t'avoir connu.

— Alooooooors, reprend Axelle. Les genres, c'est des sciences sociales, c'est un spectre, et ça correspond pas forcément à ce que t'as entre les jambes. Donc t'as homme et femme, ouais, mais y'a des trucs entre. C'est les genres non-binaires. Et quand t'es pan, et ben tu regardes pas le genre. Un hétéro va avoir du désir pour une personne du genre opposé, un homo pour une personne de même genre, un bi pour deux genres style homme et femme par exemple, un ace pour rien... Et un pan peut avoir du désir pour tout le monde peu importe son genre. Ça veut pas dire que je suis amoureuse de tout le monde, hein ! Mais juste que je peux l'être potentiellement. Tu comprends ?

— Tu l'as perdu, Axelle.

— Mais non, répond Mathys, j'ai bien compris.

— Wow, le blabla militant qui est pigé du premier coup ! Dis, Mathys, j'peux t'épouser ? dit-elle avec un sourire gigantesque.

17 août, journée calme. Une journée de repos. Une journée de vacances.

— Oh, voici mon anxiété paralysante !

— Boucle-la, Axelle, dis-je. Les mèmes traduits ne sont pas drôles.

— C'est toi qu'es pas drôle.

Blandine a appelé pour son anniversaire.

18 août, c'est une journée normale. Calme. Du moins... En matinée.

Et maintenant, il est 20 heures. Jeanne m'a dit de rentrer avant minuit, et m'a ordonné de surveiller Antoine.

Problème : j'ai perdu Antoine.

Bon, dans un espace fermé composé uniquement du village de vacances, il n'ira pas bien loin. Je soupire, en m'asseyant sur une balançoire. Je ne suis pas le premier arrivé : Lino pianote sur son téléphone, je reconnais les dreads de Jérémy et je vois une personne portant un t-shirt tie-n-dye qui ne peut être qu'Axelle. Ma fabuleuse memelord pan au t-shirt immonde.

— Bonsoir tout le monde.

— Ugh, visage pâle, lance la jeune fille.

— Salut, Mathis le blanc, souffle Jérémy en même temps que la fumée de sa cigarette électronique.

Bien entendu, Mathys-Y arrive quelques instants après.

— Salut les gens ! sourit-il en m'ébouriffant les cheveux.

— Pourquoi moi ?

Question purement rhétorique, je n'attends aucune réponse. Comme toujours. Je sens mon visage chauffer. Je remets mes lunettes sur mon nez pour cacher ma gène. Pomme arrive avec Antoine un instant plus tard. Elle apostrophe Mathys, en le tirant par le t-shirt.

...

Je n'aime pas Pomme.

Toujours pas.

— T'as perdu ton frère, braille-t-elle.

— J'ai pas de frère. C'est celui de Mathis.

— Oui, murmuré-je. C'est mon frère.

— Ah ? Ben, vous vous ressemblez pas.

J'attrape Antoine.

— Toi, tu restes avec moi.

— Pourquoi...

— Ordre de Jeanne, dis-je sentencieusement.

Lino range son téléphone, et Jérémy, en tant que doyen parmi nous, ordonne une migration vers le champ attenant. Antoine marche devant, et je me place à côté de Mathys.

— Sais-tu ce qu'il veut ?

— En vrai ? Pas du tout, souffle-t-il. Mais si il nous fait aller dans le pré, avec les arbres et la nuit... Démerdes-toi pour protéger ton petit frère, ça sent la merde.

— Oh, c'me on. Qu'est-ce que ça peut être ?

— L'année dernière, ça a manqué finir en couille. Mais littéralement.

Ah. Je frémirais presque de dégoût mais... En fait, je crois que je m'en fiche. J'en ai vu d'autres. Je sens le bras de mon homonyme en -y contre le mien, et j'apprécie ce contact bien plus que de raison. Je cherche sa main, et glisse la mienne dedans.

Il me regarde, un peu étonné, mais ne me repousse pas. Au contraire.

D'autres nous rejoignent en chemin. Ninon, Margot, Akim, Kilian, Kelly, et tous les petits « génies » bas de plafond peuplant ce village de vacances.

Nous nous asseyons en cercle, derrière les arbres.

— Bon, les minos. Lino, Antoine, s'exclame Jérémy, vous dégagez, c'est pas trop pour vous.

— Mais !

— Pas de problème, dit Antoine. Viens, Lino.

19 août, c'était... Particulier, hier. Non, mais un strip-tease d'Axelle, et toutes ces choses qui feraient passer ce spectacle family-friendly en show pornographique, c'était...

C'était génial.

20 août, on remballe.

— Vous partez ? lance Mathys.

— Oui, dis-je avec un soupir triste et l'envie de pleurer.

Il me prend dans ses bras, et une Axelle en larmes le fait de même. Je me sens étouffer dans leur étreinte affectueuse et chaude, je sens leurs doigts dans mes cheveux... et mes larmes sur mes joues.

Voilà, c'était mes dernières vacances à la mer.

Mes derniers amis de vacances.

Axelle me lâche. Elle a le cur gros, je le vois dans ses yeux.

— À l'année prochaine, murmure-t-elle en reniflant.

Elle recule, se tourne, et court au loin. Elle retient ses larmes, ça me fait un pincement dans la poitrine.

— Tu vas me manquer, lâche Mathys après un temps.

— Toi aussi.

— On se voit l'année prochaine, d'acc ?

Il me sourit. Je ne peux m'empêcher de passer mes bras autour de lui, de le serrer contre moi. J'ai envie de pleurer. C'est comme si quelque chose, qui a beaucoup de valeur pour moi, vient de se briser. J'ai l'impression de saigner. J'ai envie de hurler, de rester ici.

— Hé, du calme, tout va bien.

— Mathys, non, murmuré-je avant de reprendre mon souffle. Je vais faire quelque chose que je vais sans doute regretter, mais que si je ne le fais pas je m'en voudrais trop.

Je me hisse sur la pointe des pieds, et le tire contre moi. Ses dreads pendent dans ma direction. Nos lèvres se rejoignent, à mon initiative. Il est... surpris. Je sens son corps chaud contre le mien, ma bouche sur la sienne. Je perçois tout ce qu'il se passe autour de moi, et je me sens bien. Bien, quasi euphorique.

Si cet instant pouvait durer une éternité...

— Mathis, en voiture ! appelle Arthur.

Il rompt le baiser. S'éloigne de quelques pas. Il a comme un sourire triste, et me fait un signe de la main.

Je reste planté là. Jeanne me tire par le col, et m'assoit dans la voiture.

Une vague de mélancolie m'envahit.

Et je pleure.

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