Semaine 32
7 août, réveil à 2 heures du matin pour dix de voiture. Arthur est surcaféiné, et Jeanne prépare un thermos de café au cas où ils n'auraient pas assez de caféine dans le sang. Alors qu'ils doivent en avoir plus que d'hémoglobine, mais je dis cela je ne dis rien.
— Mathis, dors. Et ça vaut pour toi aussi, Antoine.
Antoine ne se fait pas prier. Et, honnêtement, je n'ai pas assez de batterie pour geeker sur mon téléphone.
Donc, dodo.
Nous arrivons à midi dans une résidence de vacances au bord de la Méditerranée. Nous occupons une petite maisonnette aux murs en craie et au toit bleu, en face du babyfoot collectif et des tables de ping-pong. À quatre, nous déchargeons vite.
— Ça fait des années que nous ne sommes pas venus là, s'exclame Jeanne, visiblement joyeuse, en entrant dans notre 15 m² de vacances.
— Et ça a pas changé, sourit Arthur.
Antoine est barbouillé. Il s'essuie les yeux, boit un demi-litre d'eau, change de vêtements.
— Mathis, je peux prendre le lit du haut ?
— Si tu veux, Antoine, je m'en fiche.
Moi aussi, je me change ; ensuite, j'attrape un livre. Non, ce n'est pas mon éternel Anna Karénine, mais un roman graphique : « Le Temps des Sauvages ». Très intéressant, et en plus les personnages ne font pas trois bulles sans parler de sexe. Je m'en vais établir ainsi mon quartier général sur le banc en face entre la table de ping-pong et le baby-foot, tandis qu'Antoine se met à réfléchir à des stratégies d'échec pour me vaincre.
— Cavalier en C5, soupire-t-il.
— Que je mange avec mon Fou ? Mais bien sûr.
— Tu es pénible.
— Je préfère le terme « doué ».
Il gonfle les joues dans une moue exaspérée, et reprend son carnet. Sans me concentrer sur ma lecture, je regarde par dessus son épaule. Il s'est mis à gribouiller des personnages entre les lignes.
Sur le coup des 14 heures, alors qu'Antoine était parti soit pour boire soit pour asticoter une Jeanne à l'agonie à cause du soleil méditerranéen, trois homo adulescentis s'approchent de notre antre. Un est petit, à l'air teigneux et les cheveux d'un blond sale. Un est plus grand, l'air puéril, à la peau noire comme Antoine et plutôt joli garçon (mon hétérosexualité a dû en prendre un coup, mais je le pense vraiment : il est beau). Le dernier, brun et un voile d'insolence sur le visage.
Car je peux très bien parler.
— T'es nouveau ?
— Oui.
— Comment tu t'appelles ?
Celui ayant pris la parole est le très beau garçon du trio. Je vais partir à la recherche de mon hétérosexualité dans « Le Temps des Sauvages », le temps qu'ils s'en aillent.
Il me prend le livre des mains.
— Allez, dis !
— Mathis Paillon. Content ?
— Oh ! Toi aussi ? Avec un -i, nan?
— En effet.
— Je m'appelle comme toi, mais avec un -y.
— Enchanté, Mathys. Et...
— Byron, lance Mathys en désignant le brun, et Hugo.
— Bon, Mat', tu veux faire copain-copain avec le nouveau ou faire une tournante ? s'exclame le dénommé Hugo.
Byron fait le service sans attendre de signal, sous les braillements d'exaspération du blondinet.
— Et'esoù ?
— Plaît-il ? dis-je.
— Wah, tu parles bizarrement, t'es marrant, sourit-il.
— Et que disais-tu ?
— Je te demandais d'où t'étais.
— Réflexe ! crie Byron.
Mathys attrape en plein vol la raquette.
— Tu voudras jouer, après ? demande Mathys.
— Heu... Pourquoi pas...
Mon visage chauffe. Je rougis, non ? La balle m'arrive sur le front.
— Pardon ! Ça va ? demande le responsable de ma rougeur.
— Le nouveau c'est une tomate ! braille Hugo en riant.
8 août, je me réveille vers 10 heures. Ouch, j'ai du mal aujourd'hui...
Vers midi, nous sommes partis à la plage. Le vent se prend dans les cheveux de Jeanne, et le bras d'Arthur se retrouve autour de sa taille. Je marche devant, avec Antoine. Il ne dit rien, et moi non plus.
Nous arrivons très vite sur le front de mer, et la plage de galets.
Oui, ce n'est pas du sable blanc et fin.
Bienvenue à Sanary.
Je m'installe sur le muret, et dégaine Le Temps des Sauvages de ma sacoche. Jeanne s'assoit à côté de moi, et Arthur court à l'eau avec Antoine.
— Il vous appelle « papa » et « maman ».
— Vous n'avez pas du tout la même personnalité, souffle Jeanne en me caressant les cheveux. Antoine a besoin de faire confiance aux adultes, et toi tu as toujours été très indépendant.
— Hm. Si tu le dis.
Arthur et Antoine jouent ensemble dans l'eau, comme un père et son fils.
— Il est bruyant, de nuit.
— Il fait des cauchemars, dit-elle. Toi aussi, tu en faisais la première année que tu as passé avec nous.
Je soupire profondément, en replongeant dans mon livre, jusqu'à ce qu'une main me sorte de ma lecture. Par réflexe, je me mets à hurler. Il hurle. Je hurle. Il hurle.
— Mathys !
— Salut, Mathis avec un -i, cool de te voir ici !
— ... Tu m'as fait peur.
Il rit d'un rire clair et franc, puis s'assoit à côté de moi. Il salue Jeanne, lui serre même la main. Un social. Un animal social, souriant. Il est radieux. Et sa bonne humeur est communicative. Je remonte mes lunettes sur mon nez, gêné comme une midinette niaiseuse. Aaaaah, va-t'en bellâtre. Rodrigue, as-tu du cœur ? Enfin, Mathys ? Enfin, peu importe !
N'importe quelle pisseuse fleur bleue trouverait ce garçon fabuleux. Et visiblement les binoclards à l'article de la mort aussi.
Il a une peau parfaitement unie, entre chocolat et café, des dreads que j'ai envie de tresser. Et il est musclé, je fais crevette rachitique albinos à côté de lui. Aie l'air naturel, Mathis. Calme, naturel.
— Tu craindrais pas un peu la chaleur, par hasard ?
— Qui ça, moi ? M'écrie-je d'une voix bien trop aiguë.
— Heu... Ouais, toi. T'es tout rouge.
— J-j'ai dû prendre un coup de soleil.
Un coup d'amour un coup d'je t'aime.
Mathis, as-tu laissé ton cerveau dans la voiture ? Je crois. Je suis devenu bien stupide, et niaiseux. Et midinette. Je lance un regard de détresse à Jeanne, qui me répond par le regard n°26 : « démerde-toi gamin, c'est pas mon problème ».
Je me lève, très mécanique, très raide, très gêné, très peu moi-même.
— On pourrait a-aller dans l'eau.
— Ok, Mathis I, j'te suis !
Je sens les cailloux sous mes pieds nus, et ça serait mentir que de dire que je suis serein.
9 août, nous avons fait connaissance avec toute la bande des enfants insupportables du village de vacances.
D'abord, Mathys. Mais vous le connaissez déjà.
Ensuite, ses acolytes Hugo et Byron.
Il y a aussi Lino, qui joue tout le temps sur son portable. 13-14 ans maximum, vaguement stupide.
Jérémy, aussi, un grand. Déjà 18 ans, il a des dreads et des airs de Bob Marley. Il fume beaucoup, beaucoup trop. Non, je ne joue pas l'hôpital qui se fout de la charité, je ne vois pas de quoi vous parlez.
Il y a Axelle. Elle est sympa, porte un t-shirt tie'n'dye que même les hippies de mai 68 n'auraient jamais osé porter, mais qui lui va plutôt bien.
Pomme, qui est une connasse, existe. Je ne dis pas que c'est une connasse car elle approche beaucoup trop Mathys. Bon, un peu. Un peu beaucoup.
Sinon, dans les gens tellement peu consistants que je les nommerais les PNJ, il y a Ninon, une petite brune avec de grosses lunettes ; Akim, qui est mon voisin de bungalow ; Margot, qui a le mérite d'exister ; Killian, qui est le grand frère de Ninon ; Kelly, qui est un peu l'archétype de la cagole...
Si mes yeux étaient des kalachnikovs, Pomme serait morte d'une manière très violente.
— T'es jaloux, soupire Antoine.
— Non. Je n'en suis pas amoureux.
— Si tu ne l'étais pas, tu ne serais pas là à m'emmerder avec cette fille et Mathys.
Je soupire plus fort que lui, lui donnant ensuite une petite tape derrière la tête.
— Woh, les frangins dépareillés, vous v'nez ? braille Byron.
— Si c'est encore pour une tournante, nan, déclare Antoine.
— C'est pour un foot, on fait les maisons paires contre les impaires. En gros, ça fait pour le moment Killian, Ninon, Akim, Jérémy, Hugo et Pomme contre Hugo, moi, Mathys, Axelle... et du coup vous pour faire du 6v6.
— Il n'y a pas marqué « footeux » sur mon front, rétorqué-je.
— Alleeeeeez.
C'était Mathys -y. Ok, toute ma détermination à refuser vient de fondre, et je vois le sentiment d'être trahi dans les yeux d'Antoine.
— ... D'accord, nous jouons, dis-je.
— Oye, c'est génial ! s'exclame Byron. On va les massacrer !
Au final, à la fin de la journée, on s'est fait massacrer. Pomme a passé toute la partie à coller Mathys, j'ai fait une « crise » d'épilepsie (j'avoue j'ai essayé de frapper Pomme) qui a bien terrifié tout le monde, et seule Axelle tenait la route dans notre équipe.
Je meurs. Rita, j'entends ta voix me dire que j'exagère. Chut.
Mathys s'assoit à côté de mon cadavre.
— Ça va, tu t'es remis ?
— Juste une crise tonico-clonique, rien de grave, ironisé-je.
— On savait pas que t'étais épileptique, sourit-il. M'enfin, j'ai vu que t'as pris des médicaments, donc j'pense qu'on devrait pas s'inquiéter.
Je prends des placebos et du paracétamol, tu crois vraiment que cela fait quoi que ce soit ? Mais je n'ai pas vraiment la force de le détromper. Et puis, son sourire, son sourire...
Je remonte mes lunettes sur mon nez, sentant mon cœur battre beaucoup trop vite.
10 août, une journée chaude. Trop chaude.
— Parlons peu, parlons bien, parlons cul, lance Axelle. Bon, qui a eu une première expérience sexuelle ?
— On est pas assez intimes pour parler de nos parties génitales, répond Pomme.
— Ben quand même, ça pourrait être marrant, continue-t-elle. Moi, je l'ai déjà fait. C'était cool. Et vous ?
— Moi ? dit Mathys en prenant la parole. Bof, je suis célib', donc le sexe et tout...
Pomme le fixe d'un air carnassier. J'avoue également que cette information est plus qu'intéressante.
— Mon ex a rompu avant qu'on ne puisse faire quoi que ce soit, dis-je.
— Et moi je suis désespérément vierge, s'exclame Pomme en gardant ses yeux rivés sur Mathys.
Si je pouvais, je la tuerais.
11 août, j'ai dormi. Mais j'ai dormi... Il fait trop chaud pour faire quoi que ce soit d'autre. Oui, ça énerve Arthur. Oui, ça énerve Jeanne. Mais actuellement, je m'en fous.
12 août, je traîne avec Axelle. Elle est...Elle est meilleure que moi aux échecs. Mon côté Magnus Carlsen vient d'être blessé dans son ego.
— ... How.
— I'm just the president of the chess club. And I can beat a monkey.
— I've got a déjà-vu impression.
Elle me fait un grand sourire.
— Déjà-vu, chante-t-elle très faux, I've just been in this place before, higher on the street, and I know it's my time to come hoooome !
— Calling you, and the subject's a mystery, standing on my feet, it's so hard when I try to believe!
Nous nous regardons d'un air complice.
— Déjà-vu !
— I've just been in this time before !
13 août, j'avoue avoir eu un grand sourire sadique en voyant Pomme se faire violemment repousser par Mathys.
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