Semaine 24
12 juin, je ne retourne pas au lycée. De toute façon, personne n'y retourne. Après le conseil de classe, avant le baccalauréat... Notre établissement est centre d'examen, en plus.
Je suis allé chez Rita avec Léon, parce que je ne pouvais pas le laisser seul, et parce que Jeanne et Arthur travaillent tous les deux aujourd'hui.
— Bonjour, dis-je quand Anne Wagner m'ouvre la porte. Comment allez-vous, madame Wagner ?
— Bonjours Mathis ! Ça va, et toi ? Et je t'ai dit de m'appeler Anne et de me tutoyer.
— Oui oui, oui oui.
Elle me fait rentrer, un grand sourire aux lèvres.
— Ja... Rita est dans sa chambre. Elle est réveillée, ne t'inquiète pas.
— Je ne m'inquiète jamais, souris-je.
— Tu as mangé, ce matin ?
— Ne vous inquiétez pas, vous.
— Mais tutoies-moi, je t'en prie. Allez, tu vas bien me prendre un gâteau.
Elle me tend une boîte pleine à rapport de cookies. C'est si gentiment demandé. Et les gâteaux de la mère de Rita sont excellents. Je caresse Léon en même temps que je mange.
— Alors, comment se sent le chaton chez toi ?
— Léon, comment te sens-tu ?
Il pousse un petit miaulement adorable, qui fait pouffer Anne Wagner. J'attrape un autre cookie et le mange. Des pas se font entendre à l'étage.
— Ah, la princesse sort de sa chambre, dit-elle en souriant.
Rita descend l'escalier en pyjama gris, avec du feutre sur les mains, du graphite au bout des doigts.
— Hallo, m'man, lance-t-elle sans me remarquer en embrassant sa mère.
— Regarde qui est là, mon poussin.
Rita se retourne, puis me voit.
— Mais t'es partout, toi.
— Je sais.
Elle me prend dans ses bras. Elle grattouille le menton de Léon. Elle fait un câlin à sa mère et mange un cookie.
— T'as pas l'air bien, dit Rita.
— Je vais très bien, on ne peut mieux même.
— Mathis, ça fait un moment que tu tires une gueule pas possible, soupire-t-elle. Bref, tu veux pas en parler, c'est ton problème. Mais ça m'inquiète.
Madame Wagner écoute d'une oreille distraite notre conversation, en faisant du thé.
— Et toi, comment vas-tu ?
— Ben... Bien, souffle-t-elle. Qu'est-ce qui te ramène ici ?
— Ai-je besoin d'une raison pour voir ma meilleure amie ?
— Et après tu te plains que ta tante Anna nous voit en couple, rit-elle.
— Je pensais aller dans la journée à Lantriac, glissé-je, et je suis ici pour te proposer de venir.
— Pour la patinoire ?
— Exactement. Et nous embarquons Léo sur le chemin.
— Il est au courant ?
— Non, mais il le sera sur l'instant.
Elle sourit. Elle me fait le plus beau et le grand sourire que je n'ai jamais vu.
— M'man, je pourrais aller à Lantriac avec Mathis ?
— Tant que tu es joignable, soupire Anne Wagner.
— Super ! s'écrie-t-elle, Danke schön, Mutti !
Rita n'a jamais grandi, après tout. Et ce n'est pas plus mal.
13 juin, j'ai mal. J'ai très mal.
Ça va depuis ta chute ? :c
Tu penses que je respire la joie de vivre ?
Pourquoi ai-je toujours des idées à la con ?
14 juin, je me suis réveillé avec la sensation d'étouffer. Je n'arrive pas à respirer. J'ai du mal à émerger. Je distingue Jeanne, Arthur... Et encore.
J'entends du bruit. Le téléphone qui sonne. Et je sens quelqu'un qui me porte. Puis la voiture.
Je ne sais pas combien de temps ai-je mis pour sortir de cet état comateux. Il fait noir dehors.
Célia veille à mon chevet.
— Réveillé ?
— Mon dieu, sale sorcière, que m'as-tu fait ? Soupiré-je d'un ton parfaitement égal.
— Je t'ai juste sauvé la vie, ne me remercie pas.
— Pour que je meure plus tard ? dis-je en me levant. Célia, je te hais, mais à un point... Tu es restée en tant que cheffe de projet ?
— En tant que membre de ta famille. Attention à la perf'.
En effet, il y a une perfusion reliée à mon bras gauche.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— La puce qui a déconné, annonce-t-elle. Ça arrive de plus en plus souvent à l'ensemble d'entre vous.
— Et quel numéro suis-je ?
— Sur les 27 ? Trois sont passés la semaine dernière, tu es le quatrième.
Je me laisse retomber sur le lit d'hôpital.
— Fatigué ?
— Va t'en, savant fou.
Et je rabats la couverture sur moi. Célia me tapote l'épaule, avant de sortir en fermant avec beaucoup trop de précaution la porte.
15 juin, je suis rentré chez moi. Jeanne n'a pas dormi, et Arthur également. Ils se sont jetés sur moi, et m'ont harcelé de moult questions.
— Arrêtez de vous inquiéter, dis-je. Je vais bien.
Ils ne sont pas convaincus, mais se rassoient rapidement. Je m'installe à ma place habituelle, où mon petit-déjeuner est prêt. Wow.
— Tes amis sont passés, m'informe Jeanne.
— Qu'est-ce que tu leur as dit ?
— Que tu avais fait une mauvaise chute dans l'escalier, rien de grave mais que tu étais sonné et fatigué.
Arthur tourne sa cuillère dans son café. Il le boit sucré. Jeanne préfère le thé. À l'occasion, ils boivent du lait chaud ou un chocolat, mais le temps est trop ensoleillé pour cela.
Je pianote sur mon portable.
Ritchan, jtbez
Matkun, t'es bourré
Nan, je suis fatigué
Nuance.
Et probablement encore sous l'effet de la morphine
Mathis, Mathis, mtahis, mthais, hatims, t'es con :D
Mon deuxième prénom, que veux-tu
16 juin, quand Jeanne est rentrée, elle était blanche. Je la regarde tremblante, attraper une plaquette de Zénalia, et avaler un comprimé.
Puis elle s'assoit à côté de moi, me tire vers elle et me caresse les cheveux.
— J'ai vu que tu as fait le repas, mon poussin.
— Ne m'appelle pas comme ça... Et puis, remercie plutôt Louna, c'est elle qui a tout fait, soupiré-je.
— Tes amis sont venus ?
— Oui, à 15 heures.
Elle sourit tristement.
— Jeanne, je suis très curieux de ta journée, dis-je.
— Je suis au secret.
— Voyons, je suis en quelque sorte ton fils. Et puis, tu ne le respectes pas toujours, ce sacro-saint secret professionnel, lui fais-je remarquer.
— Très juste, reconnaît-elle. D'accord, je vais te dire.
— J'aime le fait que tu ne résistes jamais.
— J'aime te parler, Mathis, répond-t-elle. C'est tout.
Elle remonte ses lunettes sur son nez.
— Tu sais, parfois, dans mon métier comme dans celui d'Arthur, on rencontre des moments pas toujours très simples.
— Tu n'es pas non plus obligée de me parler comme à un caneton.
— J'ai dû annoncer aux parents d'une petite fille que celle-ci était autiste, et plus précisément atteinte du syndrome d'Asperger. La petite est restée dans son coin et a accepté la nouvelle comme allant de soi, mais sa mère a commencé à hurler, à crier, à dire que je mentais car sa fille était on ne peut plus normale. Le père était complètement ahuri. C'est bête, non ? De se laisser toucher à ce point.
— Surtout que tu en as vu des pires.
— J'ai encore en tête les insultes de la mère... Si ça n'était que pour moi, baste. Mais elle a hurlé sur son mari, et sur sa fille. Tu imagines ?
Non, je n'imagine pas. Je ne serai jamais le père d'une petite fille Asperger, tout comme je ne serai jamais le médecin qui l'annoncera à ses parents.
À cette pensée, je sens des larmes couler le long de mes joues.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien, murmuré-je. Rien.
Léon se frotte contre mes jambes, en poussant un miaulement pathétique.
17 juin, il fait beau. Vraiment très beau. Le chaton joue avec les rideaux, Jeanne et Arthur rient entre eux, le soleil brille...
Meh. Je pense que Jeanne, ou Arthur, ou moi-même mais je refuse de me l'avouer, a glissé quelque chose dans mon thé matinal. Oui, l'été, j'aime boire du thé.
Tout va bien. Rita m'appelle juste pour dire qu'elle ne sera pas disponible de la journée, car les Wagner vont manger au restaurant et les connaissant, ils vont y rester des heures. Comme son père s'en va dimanche...
— Mathis ? Célia voudrait te parler, lance Arthur en me tendant le téléphone.
Je prends l'appareil, en me grattant la joue.
— Qu'est-ce que tu veux, sale race ?
— Des mots d'amour, dis-moi mon petit.
— Tu ne m'as pas répondu, me défends-je.
— Certes, admet-elle. Je voulais juste m'assurer que tu ne t'étais pas encore suicidé suite à tes idées noires. Il y en a déjà deux sur vingt-sept qui nous ont claqué entre les doigts.
J'ai raccroché. Inutile d'appeler pour déblatérer des choses horribles.
18 juin, nous mangeons tous les trois au restaurant.
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