Semaine 2

Ah, je déteste ce 8 janvier. Je reprends les cours, avec les mêmes professeurs, les mêmes camarades, le même rythme traînant. D'ailleurs, notre cher professeur d'SVT nous a accueilli avec un contrôle ! Merci, merci, monsieur Sissoko. Je vous adore.

Cependant, il y a ces jours étranges où la gloire des uns fait le fou rire des autres. En ce qui concerne aujourd'hui, Jannick a eu son heure de gloire, et moi mon heure de fou rire.  Ce-dit contrôle l'emmerdait au plus haut point, fin de citation,  et il a trouvé amusant de couvrir sa table de dessin. Monsieur Sissoko a trouvé cela si absurde qu'il est parti chercher sa collègue d'Art-Plastique.

Jannick. Ah, Jannick. Tout un sujet, Jannick, qu'on l'appelle « Janik » ou « Yanik ».

C'est quelqu'un qui échappe par moment à ma compréhension, avec son air niais, ses cheveux noirs, longs et luisants. Je le connais depuis le collège ; mentalement, c'est le même, physiquement, il a perdu de l'acné et gagné vaguement du poil au menton... et du succès avec certaines filles, en particulier Emmy. Sauf qu'il est tellement dans son univers qu'il ne le remarque pas.

De plus, il semble aimer les défis. Pour exemple, j'en tiens ses choix de langues : son père étant Allemand, Jannick passe la moitié de ses vacances en Allemagne et par conséquent parle allemand couramment ; or il a Anglais LV1, Espagnol LV2 et Chinois LV3, et le Latin. Mais... il a un petit don avec les langues, il faut l'admettre. Il y est aussi talentueux qu'avec un crayon. Cependant, il se repose systématiquement sur moi, lorsqu'il s'agit de sciences.

— Mathis, marche pas aussi vite, y'a pas le feu, soupire-t-il de sa voix traînante.

— Je ne marche pas vite, tu es juste lent.

— On va l'atteindre, c'te salle de maths...

Je ne supporte pas le retard, imbécile.

Arrivé en mathématiques, je me rends compte qu'en effet, il n'y avait pas le feu. C'est Eric, un pion, qui se tient à la place de monsieur Hatier.

— Il est absent, murmure Jannick.

C'est plus un constat qu'une question. Bravo Einstein, il est effectivement absent. Eric nous note présents. Emmy attire Jannick, et pour moi, il ne reste qu'une place libre à côté de la Wesh.

La Wesh, personne ne connaît son prénom. Personne ne fait attention à elle pendant l'appel. Elle ne parle pas, ne pose pas de problème, n'a aucun ami. Il paraît qu'elle est de Lyon.

Honnêtement, je préférerais être à côté de Blandine qui, même si elle doit puer le chien mouillé, a le mérite d'être jolie. Ou Louna, qui elle est un vrai cerveau. Mais bon.

La Wesh est incroyablement banale dans son physique, quoique un peu androgyne. Elle n'est pas belle, ça on ne peut le nier. Elle n'est pas laide non plus. Elle est... banale, toujours cachée dans des vêtements de sport noirs et larges, parfois tâchés de peinture. Elle a des cheveux plus courts que Jannick, et sent mauvais. De plus, son vocabulaire oral est terriblement pauvre, et contrairement à Louna qui se distingue par son génie, elle ne brille pas par son esprit.

— Toujours sans ami ? dis-je en m'asseyant

— Sale bourge.

— Aimable, comme toujours ma chère.

— Wallah, fais pas chier.

Cette heure va être longue. Si longue.

Oh, un rond violet.

9 janvier, mardi. Je suis, en Physique, à côté de Léo. Léo qui s'est taillé en début d'année une réputation de cherche-merde et d'aimant à ennuis. Il n'est pas spécialement grand, et a une carrure de brindille. Il s'est inscrit au club des weeaboo, pardon, le club manga du CDI juste pour lire des comics tranquille. Cheveux bruns, toujours bien coiffés, des yeux noirs bridés : Léo est asiatique par sa mère, il me semble. Et il est connu pour son côté, comment dire ? Tactile. Ce qui me met assez mal à l'aise, en sachant qu'il est gay. Enfin, s'il avait été hétéro, j'aurais eu exactement la même envie qui me saisit actuellement : lui planter mon compas dans les yeux.

— Trouves-toi un mec et arrête de me tripoter. Je vais porter plainte pour harcèlement sexuel.

— T'es pas drôle, Mathis. T'as répondu quoi, question 1), à a) ?

— C'est cent-trente-deux kilowatts-heures, soupire Louna. Ce n'est pas du tout comme si cela faisait dix minutes que je le répétais.

Ah, les équipes de TP. Louna, Léo et Moi, ce qui mérite une majuscule.

— Léo, arrête de faire chier Mathis, tu vois bien qu'il n'est pas consentant. Mathis, t'es sensé m'aider à ramer, pas à te coupler à notre poids mort.

— Le poids mort t'emmerde et va porter plainte à SOS Racisme, ou à une quelconque assoc' LGBT, réplique Léo en souriant.

— Ferme-la, Léo. Tu es un poids mort.

Louna soupire très fort, en jetant un regard suppliant à la professeure. Elle a déjà complété sa fiche, et visiblement, nous l'ennuyons profondément. Les génies sont parfois énervants. Elle attend beaucoup de moi, car tout comme elle j'ai sauté une classe, mais s'en trouve déçue, car je n'ai aucune envie de travailler. Elle est belle, Louna, mais elle ne s'en rend pas compte. Enfin, belle, belle... Elle a un physique plutôt banal - cheveux châtains, yeux vaguement bleutés, kilos en trop et lunettes à monture épaisse - rien d'exceptionnel, mais sa personnalité fait tout son piquant. J'ai très vite voulu l'avoir, pour moi et rien que moi, qu'elle me soit soumise et...

J'ai appris que, tout comme ce cher Léo, elle est homosexuelle.

J'ai une chance folle avec les femmes : Fiona ayant 19 ans et un copain, Louna lesbienne.

Je devrais racheter des cigarettes, il ne m'en reste qu'une. Enfin, racheter, racheter... Je les volerai à la mère d'Arthur.

Je la porte à la bouche, et l'allume.

Douce nicotine...

10 janvier. Blandine sort de l'internat vers midi, et ses parents viennent la chercher à 15 heures.

— Salut, Blandine.

— On se connaît ?

Évidemment qu'elle ne connaisse pas mon nom. Elle ne me trouve pas assez intéressant, et elle ne sait pas ce qu'elle rate d'un type aussi formidablement pessimiste et sublimement fataliste.

— Mathis, dans ta classe. Tu avais oublié ton écharpe.

J'avoue, je l'ai volée.

— Merci.

Elle a souri, et m'a embrassé sur la joue. Blonde, yeux bleus, bonnet D. Elle est jolie, son odeur de chien mouillé se respire comme un doux parfum. J'aurais bien voulu qu'on fasse connaissance de la manière que je prévoyais.

11 janvier. Contrôle de mathématiques, monsieur Hatier étant sur pied.

— Mathis... J'ai rien pigé.

— Jannick, tu ne piges jamais rien en maths.

12 janvier. Vendredi. Plus rien ne compte, le vendredi. Jannick déjeune avec moi, Emmy aussi. Avec sa centrale électrique dans la bouche et ses gros seins, ses traits fins et ses boutons d'acné, elle est et attirante, et repoussante. Je ne sais pas quoi en penser. Contrairement à la Wesh, je n'arrive pas à la détester. Contrairement à Fiona ou Blandine, je n'arrive pas à fantasmer. Contrairement à Louna, je n'arrive pas à l'apprécier. Je lui suis neutre.

Et on mange des haricots verts.

13 janvier. Jeanne, au secours, j'ai besoin de toi pour l'Histoire.

Or, Jeanne est absente pour X raison. Et Arthur est là.

— Arthur, tu t'y connais bien en Histoire ?

— Tu demanderas à Jeanne.

— Merci de l'aide, vraiment, ironisé-je.

J'abandonne mes devoirs.

— Arthur, est-ce qu'on peut parler... enfin, parler ?

— Heu... Oui, si tu veux.

Il migre du plan de travail contre lequel il lisait le journal pour la table de la cuisine où s'étalent mes affaires du lycée.

— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? demande-t-il.

Il a une voix grave et claire, et plutôt douce. Signe qu'il est surpris, agréablement surpris. Quand il s'énerve, il a tendance à monter dans les aigus.

— C'est à propos d'une fille.

— Qui te plaît.

— Exact.

— Je croyais que tu ne voulais pas t'impliquer dans une vie amoureuse, note-t-il.

— Oui, mais elle me plaît au point que je puisse voler son écharpe pour la revoir.

— Très moral, je te félicite, lance-t-il comme une pique. Qui c'est ?

— Blandine Menini. Blonde, yeux bleus, visage en forme de cœur, vit au croisement de la Haute-Loire et la Lozère et ses parents sont agriculteurs.

— Qu'est-ce que t'attends de moi, au juste ?

— Comment dois-je m'y prendre ?

— Prends ton courage à deux mains et invite-la au cinéma.

14 janvier. Dimanche, jour du seigneur. Qu'est-ce qu'on mange ? Des patates au beurre.

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