Réécriture de la semaine 11

[NDA : Relisez la semaine 11 du premier jet. Puis lisez celle-ci. Ça va vous faire un choc ;D. Ouais, ça me tue d'appeler Rita Jannick. Heureusement, je n'aurai bientôt plus à le faire ;)]


Le 12 mars, je me suis dis que cette semaine serait amusante parce que Jannick avait perdu son cahier de dessins et parce que le Struthof, Strasbourg, Seconde Guerre Mondiale, c'est le summum du fun. Au final, il l'a retrouvé, et Blandine lui a fait un lavage buccal intégral avec sa langue.

Si c'était pour me rendre jaloux, c'était juste stupide. Emmy a pété les plombs. Nous sommes montés dans le bus, Jannick à côté de moi, Emmy derrière, Léo dans la rangée opposée à la nôtre, Louna devant nous, je passe l'emplacement de chaque humain dans cet environnement restreint puant autant la sueur que la médiocrité. Ah ! La joie des voyages scolaires. Certains chantent, certains crient, pour éprouver la patience des professeurs. Les quelques Premières et Terminales dans notre bus ne sont pas en reste : tout n'est que cacophonie et capharnaüm. Qu'est-ce que je suis inspiré, moi, maintenant.

Jannick dessine, affalé sur la tablet... Ah non, il dort. J'allume mon portable, je regarde les stories Snapchat et Instagram de mes camarades de galère, puis je file sur YouTube. La 4G, cette créature mythologique au lycée, nous entoure, et c'est fort appréciable. Écouteurs sur les oreilles, je me coupe du monde.

Le saviez-vous ? Je suis un immense fan de Michael Jackson. Vraiment. Personne ne le sait, pas même Jeanne, pas même Arthur, pas même Jannick. J'ai pleuré à sa mort, pourtant je ne pleurais jamais à l'époque. J'écoutais Célia en discuter avec son équipe, quand ils pensaient que je ne pouvais pas les entendre. J'ai pleuré sans bruit, comme je sais le faire. Quand les premières notes de Smooth Criminal atteignent mes oreilles, cela me fait quelque chose. Je ne saurais l'expliquer, un sentiment de pure satisfaction et de pure nostalgie.

Après quelques chansons, je coupe. Je risque d'avoir le moral au centre de la Terre, déjà qu'il n'est pas haut de base. Juste à temps pour entendre un Léo sauvage lancer un « On m'appelle l'ovni » de JuL.

— Léo, si tu coupes pas ça de suite j'te tue ! braille l'énergumène à côté de moi, soudain réveillé.

— Attrape mon enceinte si tu peux, ricane l'intéressé en balançant son enceinte à un complice derrière lui.

— Les Secondes, on se calme, lance madame Khayan, avec son regard fourbe et sévère de professeure d'Histoire menaçant d'un contrôle surprise.

Bizarrement, ils se calment immédiatement. Je me demande pourquoi, tiens.

— Et coupez ça, Léo, ou c'est quatre heures.

Bizarrement, ça... Enfin, la suite est prévisible. Un Seven Nation Army commence du côté des Terminales, mais rien qui ne puisse faire bondir l'équipe pédagogique.

À midi, le chauffeur s'arrête sur une aire d'autoroute un peu après Beaune. Les professeurs font un rapide topo de l'après-midi, puis nous lâchent dans la nature sauvage de l'aire de repos. La seule table de pique-nique étant prise d'assaut par eux, nous nous retrouvons par terre, assis sur le rebord en béton entre le bitume et l'herbe trempée. Le ciel est gris. Les gens aigris. Chacun mange ses chips et son sandwich, ou sa salade. Nous parlons entre nous, enfin, Emmy ne dit rien, je mange et Jannick aussi, donc la conversation n'est pas très présente ici. Seule Louna bavarde, seule, elle monologue. Mais les gourdes, là-bas, Blandine et consort, ça jacasse. Moi, revanchard ? Hé, je l'ai largué, j'ai le droit d'être un enfoiré fini. Il y a Gabriel qui mange tout seul. C'est... assez triste.

Cet après-midi, nous visitons la forteresse de Besançon. Je m'en fiche éperdument, et certains autres aussi. Il faut savoir que, peu avant le voyage, une charmante tribu de beaufs alsaciens avec un nom de famille que seul Jannick sait bien dire nous a envoyé des photos sur Snap, via le groupe « Voyage Alsace », de la colonie de vacances déserte qui nous servira d'hébergement. Il s'avère qu'ils tiennent cet endroit vaguement lugubre, vaguement sordide, et qu'une charmante demoiselle, ressemblant de loin à la fille du grand MJ, apparaît sur deux des photos. Un petit malin de Terminale a cherché à savoir son identité, et a réussi à avoir son Snap. Qu'il a fait tourner sur le groupe, et c'est de cela dont traitait les stories de ce matin. Logique, simple, efficace. Lycéen, quoi.

Je vais m'étrangler tellement je suis ironique.

Mais il faut avouer que la demoiselle est mignonne. Comme Blandine n'est plus ma petite-amie, je peux très bien la draguer sans avoir de retombées négatives sur mon image. Car j'ai grand besoin de réconfort, vous savez.

Je vois la visite passer en un éclair. Nous remontons, nous partons, nous nous arrêtons sous la pluie dans un lieu digne d'un film d'horreur. Je récupère mon sac de vêtements.

— Les bâtiments du hauts pour les Secondes, les Premières et les Term celui du bas. Repas à 18 heures 45, couvre-feu feu 22 heures 30, annonce un professeur inconnu au bataillon. Pigé ?

Pigé. Le troupeau se sépare. Je dors dans la même chambre que Jannick et un géant du nom d'Anton, qui ne parle absolument jamais et n'a fait que poser ses affaires avant de partir. Les draps attendent, pliés d'une manière bien proprette. Au travail, alors.

— Mathis.

— Quoi, Jannick ?

— Y a du sang sur ma taie d'oreiller.

En effet, une large tache rouge macule le tissu d'un côté.

— Hé ben ça commence bien, dit-il.

Jannick jette dans un geste dépité le linge sur l'oreiller, et fourre le coussin dans la housse. Il éventre son sac, pour en sortir deux ou trois objets dont un saint chargeur de téléphone. Louna déboule à ce moment-là dans notre chambre.

— Oh les gars, on va explorer les environs, vous venez ? hurle-t-elle toute prise dans son enthousiasme. Maryse a trouvé une colonie d'araignée sous une planche qui se défaisait, doit y avoir plein de trucs ici !

Faya apparaît derrière elle avec son appareil photo et son petit-ami, ainsi que Léo. Et Gabriel, qui n'a pas l'air à l'aise pour un sou.

— Au pire, soupiré-je, nous ferons les lits plus tard.

— Ouais, on vient avec vous ! J'vous rejoins vite.

Je sors, et vois du coin de l'œil un tissu à fleurs dans le sac de Jannick. J'en connais un qui a fait sa valise à la va-vite. Je suis le troupeau. À peine sortis qu'un français-germain dans son flamboyant t-shirt Nirvana « RIP Kurt Cobain » nous emboîte le pas.

— Là-bas, j'ai vu une sorte d'abri de jardin, lance Faya. Par là-bas, en arrivant, j'l'ai vu. Il y a une mare en dessous.

Nous nous approchons, d'un geste désordonné et pourtant d'un même pas. L'herbe mouillée se plisse sous nos pas, nos K-way se collent à nos peaux. Gabriel regarde l'heure sur son téléphone. Louna mène le cortège. Nous arrivons devant une cabane, grande comme une petite maisonnette, avec des carreaux et des rideaux. Inhabitée. Verrouillée. Un préservatif usagé à côté. Faya prend une photo.

— Oh, regardez, là-bas ! s'exclame Charles, le petit-copain de Faya. Une tombe.

Un « ooooooh » général s'en suit. Je ne suis qu'à peine impressionné.

— Les gens... Nous allons être en retard, murmure Gabriel. Nous devrions rentrer...

— Allez, on va plus loin, allez ! crie Léo en le poussant vers l'avant.

— Léo, si Gabriel n'a pas envie de rater le repas et la charmante fille des gérants, laisse-le tranquille, dis-je. Je viens avec toi.

— Pas envie d'rater la délicieuse Ania ? ricane Charles.

Faya lui donne un coup de coude dans le genou et Louna éclate de rire.

— Tu ne peux pas comprendre, Léo, ton cancer de l'hétérosexualité est en phase post-terminale, répliqué-je.

— Ah-ah-ah, rit-il avec ironie. Allez, dégagez.

— Je viens avec vous, sourit Jannick.

Notre trio rebrousse chemin, et nous remontons vers le réfectoire où un groupe de garçons gazouillent déjà autour d'une charmante dame, la sublime Ania. Pourquoi une telle obsession ? Parce que cette fille a un corps de déesse et un visage de poupée. Je sais reconnaître les beautés des femmes quand je les vois.

— C'est affligeant, soupire Gabriel. Elle est traitée comme une femme-objet.

— Réduite à un bout d'viande. Putain de monde patriarcal.

Je me tourne vers eux, passablement étonné, avant de faire comme si je n'avais rien entendu et de m'approcher vers l'objet de mes tout nouveaux fantasmes. Quoi, moi, machiste ? Noooon. Considération de la femme ? Mais quel est ce Pokémon ?

Ania est absolument splendide, surtout vue de près. Elle se hisse sur une table, et hurle :

— Bon, les marmots, si vous voulez bouffer vous reculez tous d'un pas !

Je retourne avec mes deux compères. Elle jette un regard vers notre petit groupe, avant de nous faire une risette.

— Je crois que l'un de nous a une touche avec elle, fais-je remarquer.

Et entre nous soit dit, j'espère que j'ai cette dite touche. Jannick s'avance vers elle, tandis qu'elle descend de la table. Il lui sourit. Elle lui sourit. Ils entament la conversation, et je n'entends pas. Elle se touche une fois les cheveux.

— Rectification, chuchote Gabriel. Jannick a une touche avec Ania.

Quoi. Choqué et déçu, j'essaie de ne rien en laisser paraître.

13 mars, nous allons au Struthof aujourd'hui, et madame Khayan a bien précisé que la visite du jour donnerait lieu à un débat sur un thème quelconque, j'avoue avoir déconnecté mon cerveau à ce moment-là. Travail par binôme.

— Jannick, t...

— Désolé, Emmy m'a déjà demandé, s'excuse-t-il tout penaud.

— Ce n'est pas grave.

Autour de moi ? Il n'y a guère que Faya. Qui est une excellente oratrice. Oui, un bon choix. Le meilleur possible.

— Au fait, Jannick, comment cela se passe avec Ania ? Je crois que tu as un ticket avec elle.

— Je crois pas, vraiment, elle est très sympa, mais j'pense pas. On va juste être potes.

— Et cela ne t'embête pas ?

— Quoi ?

— Je veux dire, reprends-je, que beaucoup d'autres personnes dans ce bus auraient sauté sur l'occasion pour... sauter la demoiselle, et ne se seraient pas contentées d'une amitié.

Il rougit.

— Ça se fait pas, je la connais à peine, murmure-t-il.

— Je n'aurais pas autant de scrupule, si j'étais toi.

Nous nous arrêtons.

— Et c'est parti pour une journée à l'ambiance morose.

Est-ce que mon enthousiasme se sent ? Non ? Très bien. Qui peut être enthousiaste à l'idée de visiter un camp de concentration ? Des morts, des morts partout, je sens la mort partout. La mort a une odeur très particulière, qui imprègne les terres et les murs. Ma puce me lance. Et si je mourrais sur place, là, maintenant ? Non, ne nous minons pas, j'ai le reste de l'année pour cela.

Vivement qu'on retourne au décor de film d'horreur.

Le soir même, pour nous sortir du cauchemar, la princesse Ania est venue manger avec Jannick, et donc avec moi, subséquemment.

— Vous avez fait quoi, aujourd'hui ?

— On a visité un camp de concentration, annonce Jannick.

— Top de l'amusement et de la bonne humeur, ironisé-je à la suite.

Elle rit par politesse, ses cheveux blonds miel et ondulés tombent sur ses épaules comme une cascade. Dans mon classement des filles, elle se hausse à la hauteur de Fiona, voire la dépasse.

Ah, je suis refait. Allongé sur le lit en hauteur, regardant le plafond noirci par l'obscurité, je pense à la journée, à la vie, à la mort, à rien surtout, avec en prime une gaule énorme à cause de la masse phénoménale de désir provoqué par Ania. La présence de Jannick juste sous moi et celle d'Anton que je remarque du coin de l'œil m'empêchent de me masturber en paix. J'entends des rires nerveux dans le couloir. Ah, ces enfants.

14 mars, nous allons visiter le mémorial Alsace-Moselle, ainsi que strictement tous les musées traitant de la Seconde Guerre Mondiale dans la région.

— Mathis, tu fous quoi ? demande Jannick.

— Je cherche l'amusement, car je suis venu ici surtout pour m'amuser, pas pour enrichir ma culture personnelle.

Il éclate de rire, avant de m'envoyer son oreiller à la figure. Tu veux la guerre, tu vas l'avoir... J'écrase mon oreiller sur son visage. La puce envoie des petites décharges. Ouch. Je me calme un peu, me montrant moins belliqueux. Anton grogne, sans rien dire, et sort de la chambre. La bataille continue. Je suis retombé en enfance. Un instant de joie stupide et insipide, mais pourtant si lumineux, si puissant. Tétanie musculaire.

— Hé, Mathis ?

Il lâche son oreiller pour me soutenir, alors que je partais à la renverse. Ça... Ça va aller. Calme... Calme. Je reprends mon souffle. Il scrute ma face, inquiet.

— Ça va ?

Je lui adresse un grand sourire avant de le pincer sur les cottes. Son rire part de plus belle.

Nous aurions pu continuer longtemps comme ça, si une charmante créature n'était pas arrivée à ce moment.

— Vous foutez quoi ? Le petit-déj est servi !

La tête d'Ania passe dans l'encadrement de la porte. Je me stoppe net. Jannick lui sourit, remet une mèche derrière son oreille.

— On arrive, An', promis, lui dit-il en reprenant son souffle..

« An' » ? Elle sort en fermant doucement la porte. Je donne un coup de coude à mon congénère chevelu.

— On dirait que tout va pour le mieux avec elle, roucoulé-je. Dépêche-toi de conclure, nous ne sommes pas en Alsace pour l'éternité.

— C'est juste une amie, Mathis.

— Juste ?

— Juste.

15 mars, aujourd'hui est notre dernière soirée hors de nos foyers. Après une journée à Strasbourg, de visites historiques mais surtout de lèche-vitrine, certains Terminales ont joué aux bootleggers en ramenant de merveilleuses bouteilles de vodka-pomme, des bières alsaciennes et du whisky. J'ai pour ma part acheté une cartouche de cigarettes. Un petit comité s'est chargé de négocier avec Ania pour qu'elle nous ouvre une salle, un autre pour que les professeurs nous laissent faire la fête ce soir. En totale liberté. Comme les professeurs ont aussi des plans pour la soirée, que chacun fasse ce qu'il veut et tout se passera parfaitement bien.

La musique commence à fond. Du Artic Monkeys. Le DJ est bon. L'alcool pas mal aussi. Jannick discute avec Ania.

Une fille de Première qui ne veut pas être seule m'aborde. Elle a bu. Elle a une clope à la main. Elle me propose un verre, que j'accepte, et je me retrouve à faire un concours de shots avec elle. J'ai tellement bu que je ne me rappelle pas de la soirée. Je me rappelle des battements de la musique dans ma poitrine, l'odeur de sueur, les corps qui s'entrechoquent dans une semi-pénombre. Les gens qui s'arrêtent pour hurler. Pour se parler. On s'embrasse ou pas. Un couple sort de la salle, va savoir pourquoi. Je me sens seul. Au milieu de la foule. Oui, je me rappelle de la solitude. C'est idiot de boire autant, mais je ne m'arrête pas. Le spectacle doit continuer, il faut avoir l'air plus heureux que les autres.


Si, je me souviens de la fin de soirée. Jannick, je suis sûr que c'est Jannick, qui m'a pris mes lunettes et tenu les cheveux pendant je vomissais dans les toilettes.

16 mars, j'ai mal à la tête. Ma valise est bouclée, dans la soute du bus. Jannick prend Ania dans ses bras, avant de monter dans le bus. Il la salue à travers la vitre. Je balance la tête en arrière.

— T'es pas très frais.

— Non, tu crois ? Marmonné-je.

Le bus démarre. Pas un bruit. Nous avons une gueule de bois commune, la douleur nous unit, comme une grande famille de saoulards. Un œil sur les réseaux sociaux, à voir les photos d'hier soir en story, et au final un : « C'est un 2nde qui s'est tapé Ania :( ». Connaissant l'identité présumée du coupable, cela me fait sourire. Je coupe mon portable, et ferme les yeux.

Retour vers le milieu d'après-midi. Je n'ai pas vu passé le trajet.

17 mars, Arthur est parti chez ses parents à la première heure. Jeanne ne dit rien sur le sujet. Je n'aime pas vraiment rester seul avec Jeanne. Je sors, j'allume une cigarette. La Haute-Loire ressemble à l'Alsace, au fond. Je souffle ma fumée. Le monde tourne, la vie continue, tout va bien.

18 mars, pour la première fois de ma vie, j'ai vu Arthur pleurer sur la table de la cuisine. Il ne sait pas que je l'ai vu. Jeanne lui tapotait le dos pour le réconforter. Pourquoi pleurait-il ? Je l'ignore. Je ne veux pas vraiment savoir. 

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