Chapitre 1.
Jusqu'à la première de toutes les étranges rencontres que j'allais faire dans ma vie, j'étais normale. Normale selon les critères humains. Normale, dans le sens où j'étais, à cette époque de ma vie, une jeune fille de treize ans tout à fait polie, gentille, serviable, studieuse. L'enfant parfaite, je crois. J'étais à l'image de ma grande sœur de seize ans et de mon grand frère de dix-neuf ans.
Nous étions, si mes souvenirs sont bons, à la fin du mois d'août. Mes parents et leur éternel besoin de changer d'air nous avaient une fois de plus fait déménager, cette fois dans un coin normand et paumé. St Marc les Eaux. Rien que le nom du village sentait le camembert et les pommiers dans les vergers. La Normandie, quoi.
Jusqu'à cet âge, j'avais vécu en ville, et je ne m'imaginais pas à la campagne. Je pensais – et j'avais raison, d'un côté – que la campagne n'était pas du tout identique à la ville.
La première fois que j'ai vu la maison, je me suis dit que ce séjour n'allait peut-être pas être si terrible. Peut-être même agréable, qui sait ?
La maison était spacieuse, avec un grand jardin et une belle allée gravillonnée. La façade était blanche à colombages, et le toit fait de tuiles rouges.
J'ai aidé à monter mes affaires et préparer des sandwichs avec des fruits et des sodas, puis j'ai vissé une casquette sur mon crâne pour sortir me promener dans la rue, désertée. La faute au soleil de plomb caractéristique de la fin de l'été.
Soudain, alors que je restais sur le côté, plus ou moins abritée du soleil, je fus recouverte par une ombre. Humaine. Par réflexe, je levai la tête et la vit.
Pour la première fois. Elle était impressionnante, j'en conviens ; vêtue d'un débardeur jaune citron, d'un short de jean troué, et une chemise à carreaux rouge et blanche par-dessus le tout. Ses cheveux blonds, dorés et bouclés, étaient retenus par un crayon.
Je restai immobile, à la fixer, alors elle se résolut à descendre de son arbre. A contrecœur, sans doute. Mais une chose était étonnante : la façon dont elle descendit de cet arbre. Les yeux fermés, elle prit une sorte d'élan, et le temps que je cligne des yeux, elle était en bas, adossée, mastiquant un chewing-gum avec tranquillité.
Puis, elle parla. Sa voix a toujours été saisissante, mais la première fois qu'on l'entend, surtout, avec ces mots qu'elle prononça, c'était presque effrayant.
- Salut.
- Bonjour, répondis-je avec toute la froideur, tous le mépris dont j'étais capable.
- T'es nouvelle, dit-elle, sans me demander comment j'allais ou se présenter. Et tu as une drôle d...
Mais elle s'interrompit, à mon grand dépit, pour me fixer avec une sorte de fascination mêlée à une grande dose de curiosité.
- Moi, c'est Albane, rétorquai-je sans me laisser faire. Et toi ?
- Camille. Mais... Où est-ce que tu as emménagé ?
- 5 rue des Saules Pleureurs... Je crois.
Je n'osai pas lui demander où elle habitait précisément, elle aussi. Je pensais – et j'avais raison, là encore, sans nul doute – qu'elle m'enverrait promener si j'osais formuler une demande pareille.
Elle hocha simplement la tête avec un sourire. Puis, elle m'adressa un sourire gentil, tout en posant le pied sur son skate. Wait. Quoi ? Son quoi ? Un skateboard ? Elle n'en avait pas, dix secondes plus tôt. Camille dut s'apercevoir de mon étonnement car elle émit un petit rire et secoua la tête. Cela voulait sans doute dire qu'elle ne donnerait pas d'explications, car elle s'en alla en sifflotant.
Je restai immobile, puis regardai ma montre. Presque six heures du soir. Il fallait que je rentre si je ne voulais pas de punition pour bien commencer notre vie ici.
Dans ma chambre, seule, je m'allongeai sur mon lit, et fermai les yeux pour réfléchir calmement. Toutes ces pensées concernées Camille. Elle était bizarre. Avec son skateboard sorti de nulle part. Ses yeux étranges. Son agilité tellement étrange. Le fait que je ne l'avais pas vue, de loin. Comme si elle était apparue d'un coup.
Cet amas de pensées, au final, ressemblait plus à une liste de questions. Une très longue liste.
Je m'endormis. Je ne sais pas à quel moment, mais avec tous les événements de la journée, le fait que je sois morte de fatigue est sûrement compréhensible.
Je rêvai d'une plage. Une plage nocturne au sable blanc, fin. A mes pieds était abandonnée une paire de chaussures noires. Le propriétaire était assis plus loin, les pieds dans l'eau. Tout vêtu de noir. Je le rencontrai pour la première fois, pourtant il me flanquait une frousse saisissante.
Argh. Maintenant que j'y pense, c'était assez prémonitoire. Parfois, j'ai encore peur de lui.
Il ne se retourna pas, mais dit malgré tout ;
- Bonsoir, Albane.
Je fis le choix de ne pas répondre, lèvres pincées. Il poursuivit, il devait sans doute devait-il s'y attendre.
- Je te connais. Tu ne me connais pas, mais tu sais que je ne me présenterai pas. Tout ce qu'il faut que tu saches, c'est que tu es puissante. Je dois t'alerter, même si ils pensent tous que je suis trop jeune, trop irresponsable. Pourtant, je vais prouver que c'est faux. Cherche la magie, Albane. Cherche et trouve la puissance.
Sur ces mots, bien puissants pour un garçon qui, ainsi vu de dos, devait bien avoir quatorze ans, il se retourna. Je sursautai et il découvrit des dents blanches et alignées dans un sourire qui avait, je trouve, quelque chose de carnassier. Ses yeux étaient semblables à deux saphirs, brillants, clairs, lumineux. Il était beau, ne nous mentons pas. D'une beauté effrayante, mais d'une beauté étrange, inhabituelle.
Il tendit le poing vers moi, pour l'ouvrir avec assurance. Dedans, un bijou. Une chaîne d'or sertie d'une émeraude ronde et polie. J'attrapai l'objet, intriguée, et je l'observai. Sans le surveiller lui. Ah ! Quand j'y repense... Je me suis vraiment faite avoir comme une imbécile.
Tandis que j'observais le collier, le garçon me poussa violemment en arrière, et je tombai sur le sable.
Non.
Pas sur le sable. Dans mon lit.
C'est à ce moment que je réalisai avoir rêvé. Je frissonnai, et m'étirai. J'étais contente d'un côté, car j'avais réussi à faire un rêve lucide. Ces rêves, vous savez, où on est un peu conscient et maître de ses actions.
Mais en m'étirant, je pris conscience que ma main était serrée sur un objet.
Frissonnante, je l'ouvris, avec lenteur, comme si ça pouvait arrêter le temps.
Sauf que non. Je m'en doutais. Ce rêve était trop étrange pour être un simple rêve. Il fallait bien sûr que je retrouve, au creux de ma paume tremblante, le pendentif de mon rêve, à l'émeraude polie. Qui était gravée d'étranges signes, maintenant que je la voyais de plus près.
Ma mère m'appela pour manger, dans un cri, et, mue par une impulsion venant de je-ne-sais-où, je décidai de porter le collier pour le dîner. Je l'accrochai avec les difficultés dues au manque d'habitude, puis je descendis l'escalier, et m'assis dans le canapé avec le reste de ma famille. Ce soir, on mangeait des chips, des salades de crudités, et des boules de glace vanille-chocolat.
Un repas d'emménagement, au final.
Lorsqu'elle m'aperçut parée de l'émeraude, ma mère sembla faire un bond, elle faillit en renverser la petite table que nous avions installée dans le salon, faute de mieux.
Elle échangea un simple regard avec mon père et observa la parure d'un regard curieux, suspicieux. Ce fut lui qui prit la parole pour demander :
- Dis-moi, Albane. Où as-tu trouvé ce collier ?
Il parla d'un ton calme, pensif, seul son regard trahissait une grande inquiétude. Je décidai de répondre d'un ton égal, en le regardant droit dans les yeux. Ma façon de lui faire comprendre que je savais qu'il était troublé.
- Au grenier. Je farfouillais, je l'ai trouvé joli. Je l'ai pris. Pourquoi ?
Mon « pourquoi », c'était ma pique. Nouveau regard entre mes deux parents. Cette fois, ma mère répondit ;
- Parce que c'est joli !
Son sourire était forcé, et sa réplique bancale. Etrange. Je ne relevai pas, me concentrai sur mon assiette, tandis que mon grand frère tripotait son ordinateur pour nous mettre un film.
Le lendemain fut un nouveau « grand jour » aux yeux de mes parents, qui m'accueillirent avec un grand sourire dans la pseudo-cuisine. Je pris un verre de lait, et une tartine que j'ai recouverte de confiture.
- Alors, prête ? Demanda ma mère.
Oh, non... La rentrée. J'avais oublié. Rentrée, encore dans un nouvel endroit. A ce moment, j'étais extrêmement tendue, et j'étais fatiguée. De bouger, recommencer, reconstruire. Ça, je ne le dis pas, et je fixai ma tartine en hochant silencieusement la tête.
Puis, sans un mot, je remontai dans ma chambre me laver – mes parents s'étaient levés à trois heures du matin pour nous mettre l'eau courante – et m'habiller.
Mon uniforme consistait en une jupe plissée bleue marine et un blazer de la même couleur, accompagné des armoiries du collège (une éprouvette et une lance entrecroisées devant un soleil), ainsi qu'une chemise blanche, une cravate rayée verte et bleue, des chaussettes montantes et des ballerines vernies.
Un uniforme. Je l'aimais bien, et ça évitait les fautes de goût, qui vous excluaient du « groupe » sitôt arrivé.
Je pris mon sac, et je montai sur le siège passager à côté de mon père. Il conduisit tranquillement en direction du CES, en sifflotant de temps à autre les chansons qu'il appréciait et qui passaient sur le canal que nous écoutions.
En arrivant en vue du collège Marie Curie, je me levai, mais il m'attrapa par le bras pour me retenir. Un frisson de panique glacée me parcourut tout le corps, me donnant la chair de poule. Je me tournai vers lui furtivement, pour écouter la petite phrase qu'il lança d'un ton de mise en garde :
- Albane. Je t'en prie. Attention aux Quatre.
Et sur ces mots, il débloqua la portière et je me coulai hors du véhicule. Je le regardai s'éloigner, intriguée, seule, et je rejoignis la cour de l'établissement. Il avait du être construit sur les ruines d'un château médiéval car il était beau et luxueux... Et ancien.
Je m'approchai timidement, et restai à l'écart, en attendant que mon nom sorte, car la proviseure, une femme aux cheveux blonds platine coupés au carré et aux lunettes d'écailles faisait l'appel pour constituer les classes.
Je fus envoyée en 4°4, entre David Sogneli et Emma Stuart. Un peu plus loin dans l'alphabet, le nom d'une élève de ma classe me fit frissonner, sursauter. Camille Underwood. Je ne dis rien, impressionnée, et tournai la tête vers celle qui se frayait un chemin jusqu'à mon rang.
Camille.
La Camille.
J'en restai coite, attendant que quelqu'un crie Surprise ! Et me pince pour me réveiller, mais rien de cela n'arriva et je fixai l'arrivante, qui elle me fixa.
Ou plutôt, elle fixa le pendentif d'émeraude gravée que j'avais enfilé autour de mon cou.
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