Je me souviens qu'autrefois les coquelicots berçaient leurs pétales rouge au gré de la brise, dodelinant calmement sous les regards curieux des étourneaux. Le champs qui longeait la route cabossée était semblable à un océan. J'aimais observer cette immense flaque de fleurs. Mais l'année suivante, on avait coupé à la racine ses vagues écarlates et replanté à la place de vastes allées symétriques de bouquets de lavandes. L'odeur sucrée de ces grappes délavées embaumaient l'air. Elle me donnait presque la nausée.

Moi, le regard flouté de songes, j'avançais seule sur la route bétonnée, cabossé, bancale, faisant claquer mes tongs usées à chaque pas. Mes mains lasses tenaient le guidon de mon vélo qui me suivait docilement, faisant parfois quelques écarts entre trous et bosses. Mon regard longeait le champs de lavande, cimetière de coquelicots qui bordait la route. Je les contemplais et pensais à ces bourgeons d'autrefois, à ces flots rouges qui noyaient mes yeux d'émerveillement et de rêves. Et puis, je pensais à l'hiver, qui part cette chaleur ne viendrait peut-être pas, et priais pour que le grand manteau blanc vienne étouffé le parfum de la lavande.

Dans ma tête, les mots s'entremêlaient en poèmes fugaces, qui s'évadaient à chaque caresse du vent sur mes cheveux. Je les avait déjà oublié et pourtant leur essence imprégnait chacune de mes blessures ouvertes.

Je m'arrêtais un instant, sans raison. La lumière déclinait, le ciel se teintait de pastel. La lune me regardait et je la regardais comme on regarde une sœur. Mon innocence crevée et saignée me faisait mal. Mais elle, elle me lorgnait de son oeil bienveillant.

« C'est fini. À quoi bon pleurer maintenant?»

Je laissais évader ses quelques mots dans un souffle et repris le pas, m'engageant dans le petit chemin caillouteux qui menait à ma maison. Les mots et les poèmes se turent.

Je suis rentrée chez moi, muette. Un silence de plomb a régné jusqu'au lendemain et la nuit, au creux de mon lit, les rêves m'ont portés vers le passé, vers les vagues de fleurs rouges et la complaisance de mes regrets.