5- Une femme nue s'invite au cours
Alagan consommait la totalité de son quota journalier en réalité virtuelle, le plus souvent en compagnie de Nam et Cassiopée. La matrice l'emmenait dans les mondes somptueux qu'ils se programmaient ou dans des endroits qui autrefois avaient existé. Tout était bon pour se créer des aventures, échapper à la monotonie quotidienne et au harcèlement de ses camarades.
En outre, il appréciait la spontanéité de Cassiopée qui avait toujours de nouvelles histoires à raconter, toujours des combats à mener en faveur des opprimés contre lesquels elle voulait se battre. Ah ! Cassiopée. Un sens de la justice inné, une droiture inébranlable et une gaîté naturelle alliée à un soupçon de folie, surtout dans sa façon de s'habiller.
Il la trouvait quelquefois décalée avec ses deux ans de moins, un peu dans la lune, mais sa résilience à toute épreuve et son intelligence l'impressionnaient. Nam, quant à lui, égayait ses journées avec ses plaisanteries, parfois un peu lourdes. Heureusement qu'ils étaient auprès de lui, ces deux-là, toujours à la rescousse quand il se faisait chahuter.
— Je dois interrompre le programme, avertit Shella. Le cours du professeur Médérisse va finir. Tu dois reprendre ta place en classe.
Alagan vociféra. Shella émit un second rappel. Le roadster se désagrégea et il se retrouva dans la salle de cours, à l'intérieur de la matrice. Il remplaça son clone préprogrammé sans que personne ne remarque rien. Le professeur Médérisse, dépitée devant l'ignorance de ses étudiants, les sermonnait un à un.
Des rangées de têtes se baissaient, craignant le prochain nom qui fuserait dans la bouche de la septuagénaire. Soudain, à l'insu de l'enseignant, l'hologramme d'une femme nue s'afficha dans son dos. Les étudiants masculins relevèrent immédiatement la tête et sourirent tandis que les filles s'offusquèrent. Un brouhaha monta très vite dans la salle.
— Mais qui a osé ? gronda le professeur Médérisse.
Cassiopée et Alagan portèrent leur regard sur Nam. Ils ne doutaient pas un seul instant qu'il eût écrit un agent farceur. Ce dernier fixait ses pieds. Un silence sépulcral régnait maintenant dans le cours : ses occupants attendaient la sentence qui aller tomber. Une tête blonde s'écria alors :
— C'est Alagan, Madame. Tout le monde sait que c'est un as de la programmation !
— Mais non ! absolument pas, se défendit ce dernier alors qu'il sentait ses joues se colorer.
— Vous n'avez pas honte ! Joe ! intervint le professeur. Je n'achète en rien cette idée.
Une cloche électronique retentit, indiquant la fin de la classe.
— Ça ne se passera pas comme ça ! conclut le professeur Médérisse. Je vais préparer un rapport pour l'académie ! Puis elle ajouta en vérifiant sa montre : vous pouvez quitter la réalité virtuelle ou y restez pour ceux qui n'ont pas encore atteint leur quota. Nous en reparlerons jeudi.
Le cours d'histoire-géo s'arrêta. La femme disparut. Les élèves se retrouvèrent dans le désert artificiel de la matrice et très vite la plupart d'entre eux, après avoir bien rigolé prirent des chemins différents. Certains se désagrégèrent immédiatement. Nam, Alagan et Cassiopée se trouvaient toujours là et Joe s'approcha d'eux.
— Je viens m'excuser, dit ce dernier à l'attention d'Alagan.
Ce n'était franchement pas son style de demander pardon et Alagan, soupçonneux, se demandait ce que cette terreur aux allures de faux blond manigançait. Joe expliqua :
— Bah oui, quoi, une femmelette comme toi, ne se risquerait pas à désobéir ! Ah, ah !
— Casse-toi, grogna Alagan.
L'image de l'étudiant disparut rapidement. Ce crétin de Joe lui pourrissait pas mal les cours ces temps-ci. Cassiopée se rapprocha et lui fit un clin d'œil.
— Heureusement que Médérisse t'adore ! Ça aurait pu tourner au vinaigre votre histoire. Elle te donnerait le Bon Dieu sans confession cette prof !
En fait, il était un adjectif sur lequel tout le mode s'accordait concernant Alagan : gentil. Trop gentil, docile, obéissant. Ça lui créait des ennuis avec les garçons qui le bousculaient un peu pour le faire réagir. Quant aux filles, attirées de prime abord par son air d'ange, elles le trouvaient rapidement ennuyeux et trop sérieux. Mais Cassiopée l'adorait. De son côté, Alagan ignorait les remarques autant que possible. Tout en demi-teinte, il se cherchait encore.
— Trop bon, adressa-t-il à l'attention de Nam en lui tapant dans la main.
— Je sais, je sais ! confirma ce dernier avec une grande fierté.
— Vous êtes vraiment des gamins ! déplora leur amie. Le jour où les terroristes viendront vous enlever, vous ferez moins les malins ! reprit-elle.
Ils allaient partir lorsque le regard d'Alagan fut accroché par de magnifiques cheveux jaune pâle qui tombaient bien droit. La fille, de dos, discutait avec l'un des étudiants.
— Qui est-ce ? demanda Alagan, intéressé.
— Oh, c'est Kassandra, précisa Nam. Elle est nouvelle. Le professeur Médérisse l'a présentée tout à l'heure. T'étais dans la lune ou quoi ? s'étonna Nam, surpris que son ami, habituellement sensible à la gent féminine ait pu manquer l'attraction principale. Alagan ne répondit pas.
La blonde se retourna, consciente des paires d'yeux qui la fixaient. Alagan la dévisagea, à l'instar d'une œuvre d'art dont il se nourrirait des moindres détails. Ses sourcils et ses boucles de chaume brillaient tel l'éclat de la lune tandis que ses iris bleu-marine pétillaient d'une intelligence secrète. Elle était filiforme, sa beauté indéniable, digne de son héritage slave.
Son corps, bien que très long, arborait de jolies formes voluptueuses. De petits seins mis en valeur par des sous-vêtements adéquats se devinaient sous le T-shirt léger qu'elle portait. La gorge d'Alagan se fit sèche. Un jean turquoise épousait ses jambes interminables, aussi grandes que les siennes. Elle mit fin à sa conversation puis s'approcha des trois amis.
— Salut, moi, c'est Kassandra, dit-elle hésitante. Ce ne serait pas toi, Nam, l'auteur de cet agent farceur ? plaisanta-t-elle sur un faux ton inquisiteur.
— Heu non ! mentit Nam, surpris de sa lucidité.
Cassiopée leva la tête au ciel devant un Alagan hébété, face à la plastique de la blonde.
— Non, mais c'est pas vrai ! Je le hais quand il est comme ça ! C'est pour ça qu'il énerve tout le monde ! Nam, fais quelque chose !
Le jeune asiatique lui donna un coup de coude dans les côtes pour qu'il se ressaisisse.
— Salut, moi c'est Alagan, arriva-t-il péniblement à articuler à l'attention de Kassandra, se reprochant son manque d'originalité.
Leurs regards se croisèrent et, sous une façade qui se voulait impassible, il crut déceler une fragilité et une timidité attendrissantes.
— Et voilà Nam et Cassiopée, ajouta-t-il en désignant ses amis.
— Nam, chuchota Cassiopée, nous avons une O.F.P.I. qui risque de déclencher un S.I.A.M., continua-t-elle tous bas à l'attention du jeune Chinois. « Objet Féminin Parfaitement Identifié risquant de déclencher un Syndrome d'Idiotie Aigue et Mièvre » décoda Nam.
— Affirmatif, confirma-t-il. Puis, à l'attention d'Alagan : Il faut que l'on y aille !
Ce dernier ne bougeait pas, hypnotisé par la longue chevelure blonde et raide, par ses lèvres en cœur et ses oreilles sans lobes. Il détailla ses doigts graciles, son buste bien droit, sa taille fine, ses cils effacés. Perdu dans un tourbillon de pensées inavouables, il n'entendait pas son ami.
— Nam, gronda Cassiopée, je te dis qu'il est en pleine atrophie mentale, fais quelque chose !
— Je crois qu'il vérifie si l'image virtuelle a des défauts, se plut Nam à commenter, avec un sourire niais.
Voyant que Cassiopée n'appréciait pas, il mit le bras autour du cou de son ami et bafouilla rapidement une excuse :
— Alagan, il faut rentrer entraîner nos corps physiques, histoire de ne pas ressembler à des loques. Ce n'est pas dans la matrice qu'on va se muscler.
Sous le regard menaçant de Nam et son bras insistant, le jeune homme grommela, mais ses yeux continuaient de s'attarder sur la silhouette de Kassandra.
— Bon et bien, on doit partir, Kassandra, désolé, s'excusa Nam, il faut qu'on y aille.
— Content d'avoir fait ta connaissance, laissa échapper Alagan que Nam tirait par la manche. Oh, et si tu veux ajouta-t-il, je peux te donner des cours particuliers quand tu le souhaites !
Finalement, l'image des trois jeunes gens se désagrégea de la matrice. En une fraction de seconde, ils retraversèrent cette couche terrifiante qu'était l'Entre-Deux puis Alagan reprit ses esprits, bien assis au fond du fauteuil que son corps n'avait jamais quitté durant toute la leçon d'histoire. Shella désactiva la protection périmétrique. Deux fenêtres réapparurent aussitôt sur le mur avec les visages de Cassiopée et de Nam.
— Mais qu'est-ce que vous avez à être si pressés ? lança furieux Alagan.
— C'est sûr que toi, dès qu'on exhibe des formes, et qu'il y a du monde au balcon, plus rien d'autre n'existe ! lui assena Cassiopée, jalouse.
— Tu deviens vulgaire, Cassiopée, la fustigea-t-il. Ses yeux marron tiraient des éclairs.
— Ne sois pas trop dure avec lui, la consola Nam. C'est un faible, il aime se faire pigeonner. Et il a la mémoire courte. T'as déjà oublié Lidzie ?
Alagan foudroya Nam à son tour, mais, habitué à son tempérament colérique, le jeune asiatique ne broncha pas. À l'évocation de sa dernière aventure, Alagan sentit un instant sa joue droite s'enflammer. Souvenir de la gifle dont « l'aventure en question » l'avait gratifié. « De l'air », avait-elle dit. « Je m'ennuie avec toi. ».
Puis Alagan explosa :
— Arrêtez tous les deux ! Vous me donnez la migraine ! Fâché, il se déconnecta du canal, coupant court à la conversation.
Il se dirigea vers sa chambre, chassant toute femme de ses pensées. Il retirait sa chemise mao lorsque son attention fut attirée par une auréole rouge sur le col. Il s'interrogea puis passa sa main dans le cou. Derrière l'oreille, à l'endroit même de l'init en diamant, une goutte de sang suintait. Il nettoya la plaie, resta un moment perplexe en se demandant comment il avait bien pu se couper puis se posa dans son fauteuil cubique.
[Ambiance en bandeau : Hasley - Colors]
(NDLR : ne pas porter attention aux titres des chapitres qui sont uniquement pour Wattpad)
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