Chapitre 19

La route jusqu'à la capitale fut longue, car les troupes avançaient lentement. Personne n'arrivait à concevoir l'idée que la guerre était terminée. Tout s'était déroulé si vite... Les dragons, mal en point, marchaient, et les elfes les plus blessés étaient transportés dans de larges chariots. Tout le monde discutait tout bas, certains heureux d'enfin retrouver leur famille, d'autres de revoir leur bucolique maison et de reprendre une vie normale. Pour Arthen er Serendil, ce n'était pas encore fini. Que voudrait Akileha ? Retourner vivre sur Valarwen, avec Gorina, qui l'a élevée, et ses amis ? Ou ici, avec ses parents, et toutes les nouvelles personnes qu'elle a rencontrées ? Si c'était son désir, comment allaient faire les régents déchus, qui vivaient jusqu'à présent à Teranopolis ? Ils ne pourraient contraindre leur fille à vivre sous sa forme métamorphosée. "Pour l'heure, réglons cette affaire avec Veneris et Usurina. Ils ont menti à Akileha, lui faisant croire qu'ils étaient ses parents, ils nous ont caché son arrivée sur le continent. Ils ont menti au peuple. Comment les gens ont-ils pu croire à tout ça ?"

L'elfe s'avança vers le roi et la reine, en tête de la troupe.

— Je dois vous parler.

Sentant bien que ce n'était pas amical, les monarques le regardèrent avec méchanceté mais l'invitèrent à s'exprimer.

— J'ai besoin d'explications. Nous avons besoin d'explications.

Il marqua un temps d'arrêt, se gratta les côtes.

— Pourquoi avez-vous menti ? À Akileha, au peuple ? Pourquoi nous avoir caché la vérité sur sa venue ? Pourquoi l'avoir pris sous votre aile comme si elle était votre fille ?

— Nous avons eu une idée, confia Usurina. Vois-tu, nous avons toujours voulu des enfants, mais nous n'avons jamais réussi à en avoir. Alors, quand vous avez amené Akileha sur Valarwen et que nous sommes devenus roi et reine, une illumination nous a foudroyé : nous allions vous voler votre fille.

Un frisson parcourut Arthen, mais il ne coupa pas le récit de la reine.

— Nous allions nous l'approprier. Ce ne serait pas compliqué, nous nous sommes dit. Nous avions raison. Smälga, engagée pour notre compte, a préparé une poudre d'amnésie, et après l'avoir dispersée, tout le monde avait oublié que vous aviez une fille, Akileha, qui se trouvait sur l'autre continent. Tout le monde sauf la sorcière, les animaux dont les dragons et nous. Après cela, tout était des plus simples accomplissements.

— Mais... Pourquoi Akileha ? murmura Arthen, les yeux vides fixant le lointain. Tu es ma sœur, tout de même... Pourquoi as-tu fait ça ?

Sans voix, il était outré. Plus qu'outré. Révolté, scandalisé. Et furibond. Une fureur telle qu'elle grossissait en lui sans en montrer la moindre trace. Une fureur telle qu'elle semblait ne pas exister, alors qu'elle allait, à un moment ou à un autre, transformer Arthen en un elfe cherchant à anéantir le monde, et surtout Veneris et Usurina. Et il devrait tout expliquer à Serendil. Serendil... Que pensera-t-elle ?

— Akileha, parce que personne ne se souvenait d'elle, et que si elle arrivait sur l'île en vous cherchant sans que personne ne se rappelle qui elle était, ça poserait problème, détailla Veneris.

— Non, gronda Arthen. Pourquoi, au début de votre machination, c'est à elle que vous avez pensé ? Pourquoi vous avez fait tout ça pour elle, et pas les tristes orphelins qui cherchent des familles sans en trouver ?

Les larmes se mirent à dévaler ses joues sales et poussiéreuses, sans retenue.

— Si vous aviez choisi quelqu'un d'autre comme enfant, vous auriez pu l'élever depuis son plus jeune âge, ou pas, selon votre décision. Vous auriez pu adopter quelqu'un depuis longtemps, à la place d'attendre qu'Akileha vienne à vous ! Pourquoi elle ? Pourquoi ?!

— Remarque, ajouta Veneris, ce ne fut qu'un court contretemps, elle vous a vite retrouvés.

Il ricana tout bas, et Arthen se jeta sur lui.

— Monstre ! hurla-t-il.

La troupe s'arrêta, ne comprenant pas bien ce qui se déroulait sous leurs yeux. Usurina vint à la rescousse de son mari, et Serendil, bien qu'étrangère à la scène, aida le sien. Elle ne connaissait pas les détails, mais elle savait bien que ces régents n'étaient pas nets. Quelques elfes tentèrent de les séparer, demandant ce qu'il se passait.

— Ce qu'il se passe ? tonna Arthen. Ce qu'il se passe ? Il se passe que ses traîtres ont essayé de nous voler Akileha ! Ils vous ont tous fait oublier qu'elle était notre fille, vous on fait gober qu'elle était la leur !

L'ancien roi se dressa de toute sa hauteur, s'époumonant pour se faire entendre de tous. Les elfes étaient choqués. Ceux qui le savaient déjà, ainsi que les dragons, eux aussi au courant puisqu'ils avaient été au premières loges, pinçaient les lèvres.

— Ils se la sont appropriés car ils ne pouvaient eux-même pas avoir d'enfant, et à la place d'en adopter, ont préféré nous la prendre. Ils ont préféré nous faire du mal, nous briser, plutôt que de contenter un enfant sans famille.

Tarann eut un accès de mélancolie, mais il se tarit bien vite. "Jamais je n'aurais voulu être leur fille, surtout depuis que je sais ce qu'ils ont fait". Des cris horrifiés parvenaient à Arthen depuis les rangs de soldats qui apprenaient la vérité. Il termina son récit, et demanda aux régents, en guise d'humiliation pour leur tyrannie, de donner les détails de cette affaire. Après l'avoir fait, ils gardèrent pourtant la tête haute, et leurs soldats se révoltèrent.

— Comment avez-vous osé ?!

— Vous n'avez fait ça que contre Arthen et Serendil !

— Akileha est votre nièce tout de même !

— On ne veut plus de vous !

Alors les elfes se jetèrent sans retenue à leur tour sur les régents. Ce fut Smälga, cette fois-ci, qui les empêcha de commettre plus de mal. Apparue de nul part, elle fit cesser l'altercation.

— Cessez de vous battre comme ça ! J'étais au service d'Arthen et Serendil, mais c'est fini. J'ai enfin trouvé ma place dans ce monde, grâce à quelque chose qui ne vous regarde pas, et je désire apposer mon parti. Veneris et Usurina ne méritent plus d'être roi et reine. J'aimerais alors vous rendre un service.

Comme par magie, tout le monde avait cessé de parler, et la fixait avec insistance.

— Voici ma proposition. Je vous aide à enfermer ces traîtres qui nous ont tous utilisés et m'ont corrompue. Je vous aide à retrouver une vie normale après cette guerre, à vivre à nouveau en paix avec les dragons et les elfes métamorphosés en dragons qui souhaitent vivre ainsi. Je vous convaincs d'engager encore une fois Arthen et Serendil comme régents, puis je repars. Je disparais, pour vous prouver que je suis dans votre camp, et je ne réapparais plus jamais à vos yeux. Marché conclu ?

Elle tendit la main pour que quelqu'un la serre, mais seul un silence lourd lui répondit. Chacun mûrissait ses paroles. Finalement, Serendil, avec un regard entendu pour son mari, s'avança.

— Non. Tout n'est pas parfait dans ton plan, sorcière. Tu vivras avec nous, auprès de tous ces elfes. Tu pourras être intégrée en tant que sorcière royale, si tu le désire. Mais s'il te plaît, ne pars pas. Pour tout l'or du monde, reste. C'est toi qui a permis à notre fille de nous retrouver. C'était dans ton plan, n'est-ce pas ? Depuis longtemps tu étais de notre côté ? C'est pour ça que tu as voulu empoisonner Veneris et Usurina avec une delgana ?

Smälga hocha la tête en souriant.

— Oui, mais cela a magistralement raté, car c'était un peu sur un coup de tête. Et bien, ta proposition me va, ma reine.

Les deux elfes se serrèrent la main, et, sous le regard horrifié et dépassé de Veneris et Usurina, les soldats jetèrent leurs casques en l'air en clamant des paroles d'ancien elfique censées exprimer un long règne paisible aux nouveaux monarques. Toujours hébétés, ils se firent ligoter les mains par d'autres soldats pendant que les dragons accompagnaient le chant des elfes.

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