Chapitre 10
La porte s'ouvrit à la volée, et Tarann, suivit d'Erewen, débarqua dans la pièce. Derrière eux, quelques gardes armés stoppèrent net en voyant que le danger était presque dissipé. Les deux adolescents se précipitèrent vers Akileha, qui leur dit avec une amertume emplie de panique qui retombait lentement et de joie de les voir ici :
— Trop tard.
Ils observèrent alors la scène, avec Smälga au sol, les mains liées par une corde épaisse et la bouche bâillonnée.
— C'est qui ça ? demanda Tarann sans ménagement.
— Smälga. Une... Sorcière. Une sorcière. Elle a essayé de tuer ma mère avec des delganas.
Le cri d'effroi sortit sans hésitation de la bouche de la jeune elfe aux cheveux rouges, qui se précipita vers la reine, métamorphosée à nouveau en elfe.
— Reine Serendil ! Tout va bien ?
Akileha se dit que son amie avait de la chance que sa mère soit tolérante envers ce manque de politesse extrême, car elle était sûre que beaucoup de régents l'auraient repoussé. Au lieu de quoi, l'elfe mature rit avec clarté, et lui expliqua brièvement les événements. Entre temps, Erewen s'était rapproché de la rouquine, et il lui demanda :
— Ils avaient un plan ? Les orques ?
— Un pacte avec la sorcière, j'imagine. Dans tous les cas, je t'assure que leur mise en scène était pitoyable. Mais on a bien été surpris. Je me remet à peine de mes émotions.
Les gardes portèrent Smälga, sous les instructions d'Arthen, qui leur commanda de l'enfermer dans la prison la plus sûre et gardée jusqu'à nouvel avis.
— Au fait, questionna le roi avec étonnement et suspicion, comment cela se fait-il que vous soyez intervenus si vite avec une petite garde, malgré qu'il était un peu tard ?
Erewen se gratta l'arrière de la tête, signe de gêne, mais répondit du tac au tac, avec honnêteté :
— Nous écoutions... derrière la porte. Toutes nos excuses.
— Je ne m'excuse pas, moi ! râla Tarann qui revenait vers eux. Je suis complètement fière de cet acte immature et je l'assume !
Elle mit les poings sur les hanches dans un air de défi, le regard hautain. Une lueur passa dans le regard du roi, qui souriait manifestement avec ses yeux.
— Mettons de côté. Il faut cependant trouver une nouvelle solution, comme apparemment les Nordiques ne sont pas une source suffisante pour stopper cette guerre. Nous allons convoquer une nouvelle assemblée.
— Encore ? s'écria Tarann, manifestement agacée et hébétée. Mais c'est au moins la centième !
— Et certainement pas la dernière, donna pour toute réponse le roi.
À grandes enjambées il se dirigea vers Serendil et lui demanda si tout allait bien avant de lui faire part de son idée de nouvelle convocation. Peu après, plusieurs nobles elfes étaient une fois de plus rassemblés autour de la table des séances, et cette fois-ci Tarann et Erewen en faisaient partie. Ce dernier, d'ailleurs, semblait fébrile, quoique plongé dans ses pensées. Il paraissait un peu absent, et n'écoutait que d'une oreille distraite ce qui se disait. Mais soudain, il se redressa et frappa la table du poing.
— J'ai une idée ! s'écria t-il avec ferveur.
Un silence s'installa alors, et toutes les têtes se tournèrent vers le jeune elfe. Pendant un moment il ne dit plus rien, comme replongé dans les tréfonds de son esprit, mais reprit vite la parole.
— Récemment, j'ai lu un livre sur les légendes des champignons, et je crois que je tiens quelque chose d'intéressant.
Il se pencha un peu en avant sur la table, comme prêt à faire une confidence, et poursuivit :
— J'ai découvert le mogna draconit, un champignon ambré à la forme semblable à celle des chanterelles, mais en bien plus grand. Il est très rare, mais par contre... Il mène jusqu'au pays des dragons, vous savez, ces créatures dont personne ne se soucie, qui vivent en paix on ne-sait-où. Certains sont même des elfes métamorphosés qui ont décidé de vivre parmi les dragons ! Enfin bref, c'est une opportunité incroyable ! Les orques ne vont jamais s'attendre à ce qu'on réussisse à convaincre des dragons de se rapatrier !
Un énorme blanc fit fasse à cette exclamation saugrenue. Les uns s'entre regardaient, les autres semblaient ne pas comprendre... Alors le roi sourit lentement, avec malice.
— Mon cher Erewen, c'est une rude bonne idée ! Je ne sais point comment un champignon peut tracer un chemin, ni si cette légende dit vrai, mais je pense qu'essayer ne coûte plus grand chose.
— J'adhère, dit simplement Serendil.
Malgré les applaudissements et l'enthousiasme de beaucoup, le jeune champignonneur se déconfit, et se replia un peu sur son siège de bois.
— Justement, Roi Arthen, il y un point problématique... Pour que le champignon soit opérationnel, si je puis dire, il doit être préparé d'une certaine manière, que malheureusement seules les sorcières cultivées connaissent...
Un nouveau silence plana, durant lequel chacun réfléchissait, la mine grave et soucieuse.
— Je crains que trouver une sorcière soit une tâche compliquée, admit le roi avec déception.
— Le temps manque, de plus. Il aurait fallu être rapide, renchérit la reine.
Les pensées tourbillonnaient dans les esprits de chacun lorsqu'une elfe à l'armure rouge et argent se demanda la parole.
— Il y a une solution, je crois. Je doute qu'elle plaise à quiconque, mais c'est, je crains, la seule possibilité.
Elle parlait lentement, articulant chaque mot avec peine.
— J'aimerais vous rappeler qu'une sorcière se trouve depuis quelques heures dans vos cachots... À vous de juger de la suite.
Elle croisa les bras et s'appuya contre le dossier de son siège, se mordant la lèvre. Son idée fut couronnée, comme il fallait s'y attendre, d'un énième silence de plomb.
— Effectivement, soutint Serendil, le regard vague.
— Mais c'est une traîtresse ! rappela Tarann, outrée que la reine ait laissé entendre que cette possibilité méritait réflexion. Elle a essayé de vous tuer, et tous ceux qui se trouvaient dans la pièce par la même occasion ! Sauf les orques et elle-même bien sûr, comme elle devait posséder un antidote ou une potion bizarre du même style, marmonna-t-elle.
Personne ne releva son intervention, mais Akileha mit une main sur son épaule dans une demande muette de se calmer un peu.
— À vrai dire, avoua Arthen à contrecœur, c'est l'unique option. Nous sommes face à une confrontation difficile, mais je pense que nous sommes obligés de tenter le coup, ou alors on dit d'emblée adieu aux dragons. Je propose que nous établissions une liste de pour et contre. Tarann, comme tu sembles préoccupée par le sujet, commence.
— Et bien, commença la jeune elfe avec diplomatie, il y a de mon côté plusieurs arguments contre cette opportunité. Le premier est bien évidemment le fait d'une probabilité intense que la sorcière nous trahisse, le second qu'elle nous tue durant le trajet, le troisième qu'elle nous fasse un sale coup et le quatrième, qu'elle trouve comment tous nous affaiblir pour aider les orques à gagner. Les arguments pour sont alors le simple fait qu'elle pourrait, potentiellement, nous être utile. Je passe la parole.
Sans autre commentaire, le tour de la table se fit. Quand vint le tour d'Akileha, elle réfléchit longuement avant de parler.
— Je vais commencer par le négatif, avança-t-elle. Comme l'ont soulevé nombre d'entre nous, c'est une traîtresse meurtrière, puissante qui plus est. Je pense malgré tout qu'il ne faut pas oublier qu'elle dit être neutre dans cette guerre, et même nous avoir quelques fois donné un coup de pouce discret. Certes, ce ne peut être que du baratin, une comédie bien rodée, mais... Un instinct me souffle qu'elle disait la vérité. Comment en être sûre ? Il suffit d'essayer. À quoi en est-on, de toute manière ? Si perdus sur notre propre territoire, minables soldats impuissants.
L'héritière fit une courte pause pour gratter son bras rouge des symptômes de la métamorphose, de plus en plus présents.
— Personnellement, et ce n'est que l'avis d'une princesse qui vient à peine de découvrir son rang, ses origines, son île natale, et beaucoup de choses que vous connaissez par cœur, je suis pour essayer de lui demander de l'aide.
Tout le monde ayant parlé, Serendil trancha.
— Chacun a parlé, donné son opinion, ses arguments négatifs et positifs. À présent, je décrète que nous allons quémander à cette sorcière son aide, et voir ce qui en découlera. De ce fait, Akileha, Tarann, et bien sûr Erewen, le meilleur champignonneur que l'on puisse trouver, escorteront Smälga et veilleront à ce que tout se déroule pour le meilleur.
Voyant venir les protestations des soldats expérimentés, la reine leva gracieusement le bras pour demander le silence.
— Je vous vois venir. Et non, personne d'autre ne les accompagnera. C'est amplement suffisant, et ces jeunes sont très adaptés à cette quête. Et puis, il faut bien les former, à un moment ou à un autre, les lancer dans le grand bain, seuls. C'est une occasion à ne pas manquer.
C'est ainsi que l'assemblée fut close, les bagages de chacun préparés. Une petite équipe descendit aux cachots pour voir Smälga, et les trois autres voyageurs retournèrent à leurs appartements pour discuter.
— C'est n'importe quoi, grommelait Tarann. Comment pouvez-vous placer votre confiance en cette sorcière ? Elle va nous trahir, c'est certain ! Elle va nous empoisonner, et sur notre lit de mort je vous soufflerai, la gorge serrée : "Je vous l'avais dit, je vous l'avais dit !" et alors vous me regarderez, les yeux vides, et vous direz dans un dernier râle : "Pardon Tarann, tu étais la voyante de notre équipe, nous aurions dû t'écouter..." ou alors, nous courrons pour lui échapper, et, essoufflée, je vous lancerai : "La prochaine fois, pensez à m'écouter !" et vous répondrez, désarçonnés...
— Stop ! s'écria Akileha, riant. Ça suffit, Tarann ! C'est décidé maintenant, et tu auras beau te faire tous les scénarios du monde rien ne changera. Les dés sont jetés, il n'y a plus de retour en arrière possible.
— Ça va le faire, la rassura Erewen. On va le faire, on va trouver les dragons, on va les ramener, on va gagner la guerre. On va gagner la guerre, répéta t-il.
✧✧✧
Smälga avait accepté d'aider les elfes, en échange de sa liberté lorsque la guerre serait terminée, gagnée par l'un ou l'autre camp. Pas avant, avaient décrété les régents, pour éviter qu'elle aide encore les orques. À présent, les trois jeunes elfes et la sorcière se trouvaient sur le départ, devant l'immense palais. Sacs au dos, tenues de voyage, cartes et autre matériel, ils faisaient leurs adieux.
— Revenez sains et saufs, murmurait Serendil en embrassant chacun de ses protégés.
— Vous allez y arriver, encourageait Arthen.
Quelques autres soldats leur souhaitait bon vent et courage, en vitesse, ne voulant pas les retarder. Les aurevoirs ne durèrent que peu de temps, et sans qu'il ne l'ait vu filer, les elfes se trouvaient déjà sur un chemin de forêt moussu. Erewen furetait partout dans l'espoir de trouver le mogna draconit, et Smälga suivait la petite compagnie d'un peu plus loin, observant la forêt comme une enfant émerveillée, mais sans le sourire et l'étincelle dans les yeux. Elle parlait peu et évitait le contact de Tarann, dont les nerfs étaient à vif de vivre si proche de "sa future meurtrière". Tous marchaient lentement, pour laisser au champignonneur le temps de contempler chaque recoin. Malgré son don, qui lui permettait de voir les champignons même à travers la pierre, car ils s'illuminaient dans différentes couleurs selon leur propriété à ses yeux, il avait de la peine. La météo, cependant, était agréable. Il faisait tiède, pas trop humide, et peu de nuages voilaient le soleil. La voûte des gigantesques arbres offrait une luminosité magique, et Akileha ne cessait de tourner la tête de ci-delà pour observer. Elle restait cependant sur le qui-vive, d'un point pour surveiller Smälga, de l'autre dans l'attente qu'Erewen découvre le champignon tant espéré. Pendant un jour, ils avancèrent donc, lentement, mais aucune trouvaille ne fut plaisante. Le soir venu, ils trouvèrent un coin où poser bagage et Tarann alluma un feu, puis partit chercher de l'eau pour cuire les champignons comestibles trouvés en route. Smälga, toujours un peu en retrait, ne mangea pas, les yeux rivés sur le feu. Les trois jeunes métamorphes discutèrent alors à voix basse comme de vieux amis, ne sachant quoi se raconter.
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