9. Le trésor d'Okinawa

Les jeunes tokyoïtes eurent droit à une semaine particulièrement ensoleillée. Thermostat au-dessus des trente degrés tous les jours, une seule petite matinée de pluie pour rafraîchir l'air et une eau turquoise dans laquelle il faisait bon se baigner. Le temps était tellement agréable qu'Akémi en oublia presque la mission qu'il s'était fixée. Bien sûr, il ne manquait pas de questionner les gens ici et là au grès de ses déplacements dans le nord de l'ile, mais le cœur n'y était plus vraiment. Aaron et son poème ressemblaient plus à un prétexte qui, pour finir, revêtait moins d'importance que les photos qu'Ydaï pouvaient prendre de lui et Akito en pleine visite de monuments anciens et en pleine découverte de panorama somptueux. Qu'il était doux de flâner entre amis près de la forêt Yanbaru ou d'écouter des anciens discuter en okinawaïen, la langue locale que les jeunes parlaient de moins en moins !

Il y avait aussi les châteaux. Les fameux châteaux de pierres auxquels Aaron faisait référence dans son poème. Nakagusuku tombait en ruine mais possédait encore de nombreux remparts. Nakijin, en haut d'une colline, permettait d'admirer la mer de Chine du Sud. Et puis voilà. Akémi ne savait pas bien pourquoi, mais cela lui suffisait. Il ne parcourait plus l'île à la recherche d'un trésor, mais tout simplement de souvenirs à se créer, de bons moments et de sable fin. Là, il pouvait bien se laisser dorer pendant des heures au soleil avant de se jeter tête la première dans l'océan avant de se laisser porter par les vagues.

Puis arriva la veille du départ. Se réveillant avant tous les autres, Akémi resta silencieusement accroupi à observer Akito. Quand il dormait, son camarade habituellement grognon laissait enfin son visage se décontracter et sourire, qu'il pense ou non à des choses agréables. Depuis leur dernier tête-à-tête sur la plage de Nashiro, s'ils avaient certes beaucoup parlé, ils n'avaient pas vraiment pris le temps de réellement discuter.

Avec Ydaï, les trois garçons ne s'étaient pas lâchés d'une seule semelle de toute la semaine. Pendant que l'un prenait des photos, les deux autres posaient en multipliant mimiques et signes « V » des doigts. Ils avaient aussi rigolé, beaucoup, surtout lorsqu'Akémi avait glissé sur un caillou et s'était retrouvé le short de bain troué et le derrière tout éraflé. Bien sûr, il n'avait pas eu mal, mais quand même. Voyant que ses camarades se moquaient de lui, il avait chouiné histoire de les attendrir. Cela avait fonctionné à merveille et lui avait valu de se faire offrir une bonne glace.

Pas une seule fois ils n'avaient évoqué la rupture du Vietnamo-japonais et de la petite Française. Pas une seule fois ils n'étaient revenus sur les confidences d'Akémi. Pas une seule fois ils n'avaient jugé bon de mettre les choses au clair, comme si rien de tout cela ne s'était vraiment passé, comme si la lune ne s'était jamais reflétée dans les larmes qui avaient coulé sur les joues de l'adolescent aux yeux de chat.

Ce matin-là, Akémi ne put qu'observer Akito en luttant contre la douleur que lui procurait son cœur tambourinant aveuglement contre sa poitrine. Il se sentait bête. Terriblement bête. Pourquoi diable avait-il fallu qu'il l'ouvre alors qu'il aurait pu tout garder pour lui ? Les choses auraient été tellement plus simples. Il aurait même pu essayer de rafistoler les morceaux entre sa sœur et son camarade de classe. C'eut-été particulièrement louable. Hypocrite, certes, mais toujours moins que de rester là, immobile, devant des lèvres innocentes et douces qui ne demandaient qu'à être picorées en plein sommeil et dont il évitait pourtant de trop se rapprocher. C'était d'autant plus difficile, d'ailleurs, qu'il se sentait inexorablement attiré par ces dernières, comme si on avait placé un aimant autant dans sa bouche que dans celle de l'assoupi. Par trois fois, il s'avança au plus près avant de brusquement reculer. Puis, les larmes aux yeux, il osa la seule chose qui lui semblait ne pas être trop indécente, à savoir se blottir en sous-vêtements contre le flanc du Nippo-vietnamien, histoire de profiter des dernières minutes avant que le soleil s'engouffrant à travers les volets ne vienne réveiller tout le monde. Là, il pourrait toujours se justifier en évoquant une nuit agitée qui l'aurait fait glisser de son futon à un autre. Profitant de la chaleur que dégageaient Akito, l'adolescent au corps frêle ronronna. Il se sentait quand même bien, comme protégé. Suffisamment en tout cas pour lentement soupirer et laisse se clore ses paupières.

« C'est l'heure du petit déjeuner, Aké-chan ! Allez réveille-toi... »

Ouvrant doucement les yeux, le jeune lycéen murmura le prénom du propriétaire de cette voix qui venait de le tirer des songes.

« Akito-kun ? ».

Ce dernier, étrangement, parlait d'une manière douce. Plutôt que de s'offusquer d'avoir reçu de la visite sous ses draps, il avait naturellement laissé sa poitrine se plaquer sur le dos de son camarade, et ses bras lui enlacer le torse et le ventre, comme s'il avait à faire à un fragile petit animal qu'il tenait à réveiller de la plus délicate des manières. Surpris et décontenancé par ce doux piège qui le retenait prisonnier, Akémi ne chercha pas à s'en échapper. L'entrave d'Akito était un peu chatouilleuse. Ses doigts glissèrent naturellement des cuisses au nombril comme si de rien n'était. Ni l'un ni l'autre ne semblait vouloir réellement mettre fin à cet étrange instant. Pourtant, ils échangèrent des grognements.

« Allez Aké-chan, debout... »

« Mhhh, encore deux minutes... »

« T'es chiant, putain... Et tu fais quoi, dans mon futon, d'abord ? »

« Ch'ais pas... J'dors. Laisse-moi dormir... »

« Une minute. Après on y va, d'accord ? »

La minute en dura dix. Le souffle chaud d'Akito dans sa nuque empêchait très clairement Akémi de se mouvoir. Il se sentait comme un chiot venant de naître. Ce fut au final Ydaï qui, nerveusement, les obligea à se lever après être revenu les chercher.

« I so ide kudasai ! Ohjiro-jiji et Cécile vous attendent en bas. Y a de l'éperlan grillé et du tofu ! Akito-kun, lâche ta peluche ! Aké-chan, arrête de faire la peluche et bouge-toi ! »

La joie des petits déjeuners traditionnels... Akémi leur préférait de loin les céréales – qu'il dévorait la semaine les jours de classe – et les œufs brouillés au bacon – auxquels il avait le droit certains week-ends. Oh, et les pancakes, aussi, mais ça, ce n'était que dans les hôtels internationaux qu'il y avait eu droit, mais il adorait. Péniblement, il s'extirpa des bras protecteurs qui cherchaient encore à le retenir puis enfila un Yukata et bailla de la plus adorable des manières. C'était une manipulation des plus intelligemment orchestrées pour pousser Ydaï à relâcher son attention. Deux secondes passées par ce dernier à naïvement admirer Akémi suffirent à Akito pour lui envoyer un oreiller en pleine poire. Quel idiot il fallait être pour mettre ainsi fin à un tel rêve !

Une bataille de coussins plus tard, les trois adolescents se retrouvèrent agenouillés à table en face de Cécile et Ohjiro qui les regardèrent avec des yeux de merlan-frit. Rarement on avait vu une bande de jeunes aussi débraillés et décoiffés ! Le doyen du groupe profita du fait que sa jeune troupe se gave, baguettes à la main, pour prendre la parole :

« Avec Cécile, on a décidé de profiter un peu de la plage une dernière fois. Et vous les garçons ? »

À vrai dire, Akémi n'en savait pas grand-chose. Il avait visité tous les endroits qu'il avait voulu voir. Le séjour touchait à sa fin et il se voyait mal imposer quoi que ce soit à ses deux camarades alors qu'il ne leur restait plus qu'une nuit à passer sur l'île. Ça serait forcément une journée libre. Du coup, il haussa les épaules. Mais avant même qu'un souffle ne s'échappe de sa bouche, Akito posa violemment son bol vide sur la table et lui coupa la parole :

« On va chercher le trésor ! Faudrait pas qu'on s'en aille avec des regrets ! »

Surpris, Akémi baragouina que c'était bien gentil, mais qu'il ne voulait pas abuser, et qu'il n'avait même aucune idée d'où encore chercher, mais ses rougissements et son air gêné n'y changèrent rien. Akito sortit d'une poche la photo d'Aaron et la posa au milieu des plats.

« Eh, mais c'est à moi, ça, tu l'as prise où ? »

« Dans ta poche hier soir pendant que tu lisais encore son stupide poème dans ton coin ! Bon, c'est à cause de cet imbécile qu'on est ici et je n'ai pas envie de perdre contre lui. Il n'y aurait pas un truc à côté duquel on serait passé ? »

Doublement embarrassé, l'adolescent aux yeux de chats posa ses poings sur ses genoux, baissa la tête et récita bêtement les quelques vers qu'il avait en tête, puis fit la liste des nombreuses pistes foireuses qui n'avaient mené à rien. Voilà. Il n'avait plus la moindre idée. Mais ce n'était peut-être pas si grave que ça, peut-être tout simplement que le trésor n'existait pas... De toute manière, il ne voyait pas quoi faire de plus, maintenant. Il avait bien du mal à croire aux miracles, en plus. Et là, il lui en aurait fallu un carabiné. Genre, que quelqu'un reconnaisse Aaron sur la photo ! Mais en une semaine, cela n'était pas arrivé une seule fois ! Loin de se démonter, Akito la prit du bout des doigts et la montra à la propriétaire du Ryokan qui s'était avancée pour débarasser la table. D'abord surprise, elle observa longuement l'image, avant de sourire et de s'exclamer en japonais que cela lui disait bien quelle chose.

« Atashi wa kono shōnen ni aimashita »

La bouche aussi grande ouverte que ses yeux étaient écarquillés, Akémi dévisagea la vieille dame, puis lui sauta littéralement dessus pour lui demander des précisions. Son comportement particulièrement impoli gêna particulièrement Ohjiro qui, le saisissant par le crâne, le poussa à se courber pour s'excuser. Plus amusées qu'outrée, la logeuse rigola de bon cœur et expliqua avec une certaine tendresse sincère se souvenir qu'il y avait de cela plusieurs années, elle avait accueilli un jeune « gaijin » aux cheveux très noirs et à la peau très blanche. L'enfant l'avait marquée par sa politesse, son sourire et sa solitude. Bien que venu avec sa mère et sa sœur, il avait passé presque toutes ses journées en yukata seul dans son coin et lui avait parlé à quelques reprises avec grand enthousiasme d'un trésor qu'il avait trouvé sur la plage. Malheureusement, elle ne se souvenait plus s'il s'agissait d'une pierre, d'un coquillage où d'autre chose.

« Soumimassen... Ano...»

Complétement vert et la mâchoire bloquée en mode gobage de mouche, Akémi resta complétement muet. Depuis une semaine qu'il était-là, il avait bien emmerdé la moitié de l'île avec sa foutue photo et n'avait même pas pensé à commencer par se renseigner à l'endroit où il logeait. Le pire, c'était peut-être de devoir supporter un Ydaï mort de rire qui se roulait par terre en se tenant les côtes en admirant sa tronche d'ahuri. Ou alors, de voir Akito plonger ses yeux dans ses mains d'un air abattu. Ou encore d'observer sa sœur qui n'en avait rien à faire et qui grimaçait après avoir avalé un légume mariné trop aigre. Dans tous les cas, le frêle lycéen resta bloqué pendant cinq bonnes minutes à ne rien dire, le temps que l'information monte jusqu'à son cerveau. Quand enfin il reprit ses esprits, ce ne fut que pour grincer des dents, passer du vert au rouge et lâcher la plus énorme grossièreté qui ne lui était jamais passé par la tête.

« Chinko Wo Shaburu, Aaron ! »

Forcément, toute la petite salle se retourna. Une telle vulgarité proférée avec une voix aussi douce et déterminée, c'était rare, particulièrement au Japon ou l'étiquette empêchait les uns et les autres de se montrer trop vulgaire en public. Même autour de sa table, cette réaction semblait tellement improbable que tous restèrent muets, abasourdis, pendant plusieurs secondes. Il était question d'Akémi, quand même. Le garçon le plus douillet, mignon, gentil, espiègle et poli de tout le lycée français de Tokyo, voire de la ville toute entière, quand on y réfléchissait bien. Du coup, Ohjiro s'essuya nerveusement le front, choqué par le verbiage de son adorable petit neveux, Cécile le dévisagea comme si elle venait de découvrir que son petit frère avait été livré avec des testicules à la naissance, Ydaï explosa de rire à s'en fendre les côtes et à s'éclater le crâne contre le rebord de la table et Akito toussa de toute ses forces pour masquer la terrible gêne qui venait de l'envahir jusqu'au bout des oreilles.

Quelques minutes plus tard, alors qu'Ohjiro et Cécile s'en étaient allés tous les deux faire bronzette, les trois garçons se mirent en tête de passer toutes les plages de la zone au peigne fin. Plus déterminé que jamais, Akémi avança devant en serrant les poings. Entre sa réaction légèrement exagérée et son sentiment d'avoir perdu une semaine à traverser toute l'ile de fond en comble pour rien puisque ce qu'il cherchait se situait juste sous son nez, l'adolescent ressentait une honte qu'il n'avait jamais connue. Mais d'un autre côté, avoir explosé lui avait fait le plus grand bien. C'était comme si trois années de pressions venaient d'exploser d'un seul coup, le libérant d'un poids qu'il n'en pouvait plus de porter sur ses épaules. Et puis, une certaine excitation avait aussi gagné son corps. Il n'avait jamais été aussi près. Quel dommage qu'il lui restait si peu de temps, et autant de plages...

Alors qu'Akémi marchait sur la route à un rythme soutenu, la petite troupe passa devant un panneau sans y prêter garde. Seul Ydaï s'arrêta devant et l'observa longuement avant de le pointer du doigt.

« Ça ne serait pas celle-là ? »

名城ビーチ - Nashiro beach. Akémi n'y avait pas remis les pieds depuis sa discussion avec Akito. Observer avec attention les kanjis qui la composaient le fit écarquiller les yeux. Il venait de comprendre.

« L'enfoirééééééééé... Shiro... putain, j'suis trop con... »

Un peu surpris, Akito demanda à ses deux camarades des explications. Akémi trop occupé à se frotter le visage entre les mains, ce fût Ydaï qui se chargea de les lui fournir :

« Dans son poème, Aaron parle des particules blanches. On pensait que c'était simplement du sable, mais c'est p'têt aussi un jeu de mot. Blanc se traduit shiro en jap et Aaron semblait insister sur ce point vu qu'il avait foutu le Kanji pour blanc entre parenthèse dans son texte. On n'a pas fait gaffe, parce que le kanji « shiro » dans Nashiro signifie château, c'est un homophone. Du coup à la lecture, ça ne saute pas aux yeux. Mais si son objectif était de nous le faire prononcer, « shiro », alors ça prend tout son sens. Surtout si on cherche une plage à côté de l'endroit où il a créché... »

Vu comme ça, Akito ne pouvait nier que c'était troublant ! Le plus rageant fut sans doute, en arrivant à ses abords, de croiser un râle d'Okinawa en train de faire son nid et de réaliser que la zone était protégée par de nombreux arbres aux feuilles particulièrement vertes. Ne restait plus qu'à trouver une sorte de cercle doré situé entre une émeraude et un saphir et le tremper dans l'océan. Dit comme ça, c'était presque facile ! Toute la journée, les trois compères retournèrent chaque grain de sable et scrutèrent chaque centimètre carré de la plage. Finalement, après des heures et des heures de recherche infructueuse, la journée se termina par un bon bain improvisé. Akémi se désespérait tellement fort de n'avoir rien trouvé alors qu'il se savait si proche que son front commençait à fumer. Enfin, ce fut ce que prétexta Ydaï pour le pousser par surprise dans l'eau, histoire de le rafraichir. Furieux qu'on ne l'ait pas prévenu avant qu'il ne se sépare de son t-shirt, Akémi l'enleva et s'en servit comme d'une arme pour agresser ses deux camarades. Mouillé à son tour, Akito se jeta sur le petit insoumis et le noya de toutes ses forces, d'abord pour se venger, ensuite par pur principe et enfin une petite dizaine de fois parce que cela lui permettait de laisser ses doigts au contact d'une peau qu'il trouvait tellement douce dès lors qu'elle était mouillée. Forcément, Akémi ne se laissa pas faire. Alors qu'Ydaï avait depuis déjà quelques minutes abandonné la bataille et se laissait sécher sur la plage, l'adolescent aux yeux de chats essaya de contrecarrer les assauts d'Akito en se servant de ses phalanges comme tout autant d'armes aiguisées et chatouilleuses. Sauf qu'à force de chahuter, le résultat fut légèrement différent de celui espéré. Au lieu de provoquer des rires, les caresses produisirent simplement une réaction naturelle qu'Akito avait déjà dû essuyer pendant le voyage lors d'un bain commun, et qu'il essaya de cacher du mieux qu'il put dans son short de bain. Trop tard, Akémi sentit presque immédiatement quelque chose grossir contre lui. L'effet fut immédiat et provoqua une réaction similaire sur son propre organisme. S'en rendant compte, Akito s'énerva et le repoussa du plat des mains. Complétement décontenancé, rouge de honte, le menton bien immergé dans l'eau et les iris tremblotant, le jeune Franco-japonais baragouina quelques excuses.

« Gomen Akito-kun... Heu, je... »

« Chut... »

Contre toute attente, Akito s'était rapproché du pauvre adolescent timoré et l'avait enlacé par le cou, avant de se coller à son dos plongé dans les flots. Là, il lui avait chuchoté trois autres mots à l'oreille, avant de lui embrasser la nuque.

« C'est pas grave... »

Les joues plus flamboyantes encore que le soleil qui avait amorcé sa descente, Akémi lâcha un petit « nya » aigu de circonstance et se laissa câliner et caresser sans un mot, même si certains gestes à travers son short de bain lui semblèrent aussi déplacés qu'agréables. La scène dura jusqu'à ce que, n'en pouvant plus, le plus frêle des deux lycéens se dégage d'un seul coup au prétexte qu'il avait trop chaud et une furieuse envie de nager. Puis, de la plage, Ydaï les héla tous les deux. Il était plus que temps de rentrer. Ils avaient promis à Ohjiro d'être à l'auberge avant le coucher du soleil.

Se séchant rapidement, Akémi et Akito ne remirent pas leurs t-shirts trempés et avancèrent d'un pas vif. Sur le chemin, les trois adolescents discutèrent comme si de rien n'était. Finalement, aussi près du but, ils avaient échoué. C'était rageant, mais il fallait bien se faire une raison. Cela faisait quatre ans qu'Aaron était venu en ces lieux, et trois qu'il avait écrit son poème. Quoi de plus normal que ce qu'il y avait trouvé ait disparu ? Le temps s'était écoulé trop vite. Bien qu'un peu abattu, Akémi voulait se montrer philosophe. Il n'avait rien à regretter. Et puis surtout, deux supers bons copains avaient crus en ses délires et l'avaient suivi. Cela avait plus de valeur que tout l'or au monde. Cette déclaration très typé « nekketsu » lui valut de se faire doublement traiter de baka, mais cela ne le dérangea pas le moins du monde. Il souriait. Il s'était fait une raison.

En arrivant, la jeune troupe croisa la logeuse en train de balayer le trottoir. Pressé de se laver, Ydaï partit devant. Akémi, lui, s'arrêta et se pencha. Il tenait à s'excuser pour son comportement déplacé lors du petit déjeuner. Faisant comme si elle ne s'en souvenait plus, la vieille femme lui caressa la tête, puis lui demanda avec sincérité pourquoi il était déjà là.

Étonné par cette remarque, Akémi lui montra le soleil et lui expliqua qu'il allait bientôt se coucher. Se mettant à rigoler, son interlocutrice lui expliqua en quelques mots que le petit gaijin ne rentrait jamais avant qu'il ne le soit. À ces mots, l'adolescent se braqua, puis levant les yeux au ciel, il ouvrit grand la bouche.

« YATTA ! »

Sursautant à cause du cri que venait de lâcher son camarade, Akito l'attrapa par le bras. Mais au final, ce fut Akémi qui, courant à toutes vitesses, le tira derrière lui, en direction de la plage qu'ils venaient de quitter.

« Mais putain, Aké-chan ! Tu fous quoi ? T'as oublié un truc ? Attends, et pourquoi tu m'entraines avec toi, là ? »

« J'ai compris ! J'ai compris, j'ai compris ! », répondit simplement le Franco-nippon en accélérant de plus belle. « Je sais ce qu'est le trésor ! Le mon doré ! L'émeraude, le saphir, Ryujin.... J'ai tout compris, Aki-kun, j'ai tout compris ! »

Ayant bien du mal à en croire ses oreilles et incapable de comprendre exactement ce qui se passait, Akito suivit simplement le mouvement. Il n'avait pas vu Akémi aussi joyeux depuis des lustres. Ce simple fait justifiait pleinement qu'il batte son record de vitesse au kilomètre. Et puis, la main de son camarade était chaude. Si chaude. Sur le moment, il aurait préféré que ses poumons explosent plutôt que de la lâcher. Puis, enfin, passant les dernières branches le séparant de la plage, sentant ses pieds s'enfoncer dans le sable, il le vit. Le trésor d'Aaron.

« C'est ça ! C'est ça ! Le saphir, c'est le ciel. L'émeraude, c'est la couleur de la mer ! Le mon doré, c'est... c'est lui... »

Pointant le soleil en train de se faire dévorer par l'océan. Akémi afficha son plus large et humide sourire. Causées autant par l'émotion que par la fatigue et les nerfs qui lâchent, les larmes s'écoulèrent toutes seules sur ses joues. Assis dans le sable, main dans la main, les deux adolescents observèrent silencieusement le spectacle. Les éclats lumineux du soleil se réfléchissaient sur la surface de l'eau en tout autant de rayons multicolores. Une légère brise rafraichissait cette atmosphère brulante. Puis vinrent les rubis. L'astre en plein couché se teinta d'un rouge profond qu'il diffusa dans la mer du bord de la plage jusqu'à l'horizon. La magie n'opéra que pendant quelques secondes. Mais pour ceux qui les vivaient, elles semblèrent s'étendre, comme si le temps lui-même s'était figé pour leur permettre de profiter de chaque détail, chaque éclat, chaque lueur, chaque instant. Avec sa toute petite voix et ses yeux fragiles, ses doigts enlacés à ceux du garçon qui l'avait suivi, Akémi murmura les vers d'Aaron :

« Observe bien le mon doré. Derrière les feuilles vertes, entre l'émeraude et le saphir, Ryujin l'engloutira. De là naitrons mille rubis. Te les offrir, tel est mon cadeau... »

Après avoir dégluti d'émotion, Akito lâcha les trois mots qui en servaient de conclusion :

« Akémi, petit joyau... »

Puis le silence. Celui du vent et du soleil disparaissant à l'horizon. Celui de la nuit naissance et de l'obscurité enveloppant tout de son voile d'écume. Celui de deux garçons se touchant du bout des doigts.

« Écoute Aké, je voulais te dire... »

Akito n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Déjà, son frêle camarade s'était jeté sur son visage. Les mains posées sur ses joues, Akémi plaqua ses lèvres sur celle de l'adolescent qui l'avait suivi jusqu'au bout et qu'il aimait. Un frisson les parcourut tous deux. Hésitant d'abord à se défaire de cette étrange étreinte, le Vietnamo-japonais serra au contraire contre lui le petit joyau, fort, plus fort, jusqu'à l'étouffer. Leurs salives se mêlèrent. Leurs larmes coulant de leurs joues jusqu'aux lèvres se mélangèrent. Leurs coeurs, au même rythme, s'activèrent. Leurs bras, sous la même brise, tremblèrent. Leurs yeux, avec la même tendresse, se dévisagèrent. Puis se reculant de quelques centimètres, Akito explosa et mugit de rage. Ses paupières lourdes, il renifla, grimaça et s'essuya son menton détrempé. De tous les râles dont il était coutumier, celui qu'il lâcha fut le plus torturé. Sa voix grésillait de honte, de peur et de culpabilité.

« Baka ! Quand... Quand est-ce que tu as deviné ? »

S'attendant à une réponse proche dans le temps, comme « aujourd'hui », « hier » ou « la semaine dernière », Akito haleta en entendant la réponse toute douce, sincère et tremblotante du petit Franco-japonais.

« En quatrième. Quand t'as raté un entrainement pour moi. C'est à ce moment que j'au su. Mais j'étais trop bête pour faire le premier pas. J'pouvais pas t'avouer que c'était ce que je voulais aussi, et puis tu avais ta vie, ta réputation, tes copines... J'me suis fait une raison. »

« Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi tu m'as embrassé maintenant ? », demanda Akito en se frottant les yeux et en grelottant de plus belle. « Putain... Pourquoi tu l'as fait ! Si tu savais que je t'aimais et que je voulais pas l'admettre ? Pourquoi tu m'as embrassé ? À cause de toi, j'vais être obligé d'assumer... Fait chier... »

Le front levé vers les étoiles qui commençait à apparaitre dans le ciel et les deux mains glissées entre ses genoux, Akémi laissa un souffle d'air s'échapper de sa bouche. Ses propres larmes semblaient s'être évaporées à cause de la chaleur de ses joues. Il tremblait pourtant toujours. La lune, brillant déjà d'un éclat pale et hypnotique, se reflétait dans ses yeux pétillants. La réponse lui sembla évidente.

« Parce que c'était ce que voulait Aaron, je crois... C'est pour ça qu'il m'a envoyé sur la trace d'un bête coucher de soleil. Pas pour que je le vois, mais pour que je comprenne. Le vrai trésor, c'est tout l'effort qu'on peut mettre à le chercher, et les gens avec qui on le cherche. Moi, j'voulais qu'il m'aime. Quand il est parti, j'étais triste. Mais lui, ce qu'il voulait, c'était que je sois heureux. Et pour être heureux, faut que je l'oublie... Enfin, que j'accepte mes sentiments, quoi. La vérité, c'est que je suis amoureux de toi, Aki. Pas depuis le début, t'étais trop méchant, mais depuis longtemps quand même. Depuis que j'ai arrêté de te détester, je crois, donc ça remonte... »

Avalant chaque parole comme tout autant de chocolats fourrés de tendresse, Akito grogna et gémit encore plus fort, jusqu'à attraper son frêle petit trésor par la nuque et le plaquer contre le sable. À califourchon au-dessus de ses hanches, il lui caressa la joue du revers des doigts pendant cinq bonnes minutes en silence avant d'enfin l'embrasser. Passionnée, l'étreinte dura encore plus longtemps que la précédente, à cela près que, cette fois-ci, ce fut Akito qui la dirigea et Akémi qui la subit. Cela ne dérangeait pas la victime. Au contraire, même, elle préférait de loin que le petit agneau se fasse bouffer par le loup. C'était bien mieux comme ça. Finalement, seuls les cris d'Ydaï qui, effrayé par la disparition de ses camarades s'était mis à leur recherche, les força à mettre fin à leur baiser.

À table, les deux enfants mangèrent très peu et ne parlèrent pas, sauf pour évoquer le coucher de soleil. Cependant, ils ne se lâchèrent pas la main de tout le repas. C'était leur manière à eux de le dire aux autres. Tout juste sourirent-ils tous, plutôt satisfait d'un dénouement qu'ils n'avaient que trop attendu.

Le soir, alors qu'Akémi s'était réfugié en caleçon sous ses draps, Akito leva le sien et lui fit un signe de la main.

« Allez, viens... »

N'attendant que cela, le frêle lycéen se jeta au cou de son amant et lui picora les lèvres, avant de s'endormir profondément blotti dans ses bras.


Dépêchez-vous !

Tonton Ohjiro

« J'ai rencontré ce garçon. »

Étranger

« Excusez-moi... »

« Euh.. »

Trop vulgaire pour être traduit ^^

Pardon

Miaou en japonais

Lit. Sang bouillant. Type de manga de baston pour jeunes garçons mettant très fortement en avant les valeurs de l'amitié, souvent de manière légèrement caricaturale.

Idiot

Étranger

Mot pouvant signifier « je l'ai fait ». Ici, Akémi le lâche pour indique qu'il a finalement compris.

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