7. Sur la route d'Okinawa
« Allez, plus que deux mille cent vingt-deux kilomètres et on y est ! Ganbatte ! Courage tout le monde ! »
L'heure du grand départ avait été fixée à onze heures, chez Akémi, le septième jour du mois de juillet. Un véritable symbole. Juste avant de quitter son appartement, l'adolescent avait pris soin d'accrocher son vœu de Tanabata. Il était d'une grande sobriété. « Je veux trouver le trésor d'Aaron. » Cela faisait maintenant trois ans que le brunet l'avait laissé seul avec comme unique directive de se lancer à la recherche d'un Mon doré pommé sur un iceberg. Ces trois années étaient celles pendant lesquelles il avait le plus grandi. En taille, mais aussi en maturité. Il n'était plus un petit enfant craintif et torturé. À présent, il jouait un tout autre rôle, celui d'un capitaine dirigeant la plus fabuleuse expédition qu'il n'avait entreprise. Plus de deux milles kilomètres de train, de voiture et de bateau à travers tout le Japon ! Dès la fin de la première borne, parcourue à pieds et en métro, il s'était retourné vers sa petite troupe pour saluer l'exploit. Toute l'équipe des chercheurs d'or était-là, même si tous ne partageaient pas exactement les mêmes objectifs.
À lui le trésor, aux autres le plaisir du voyage ! Cécile adorait l'idée de passer une bonne semaine à la plage après un petit périple dans tout le pays qui comprenait une croisière en bateau avec son petit ami du moment ! En plus, cela faisait plaisir à son petit frère et la changeait de Miyajima où de Kyoto, lieux où elle avait déjà passé bien des étés. Akito, lui, suivait principalement le mouvement. Tant qu'il pouvait poser son regard bienveillant sur la nuque recouverte de cheveux fins et noirs d'Akémi et tenir la main de sa sœur, tout lui allait. Son principal souhait était de profiter du long trajet pour opérer un rapprochement de plus en plus assumé physiquement parlant avec Cécile. Si l'embrasser était quelque chose de particulièrement agréable, passer sa main sur sa poitrine se révélait meilleur encore. De quoi imaginer avec malice l'étape suivante. Il le savait : même s'ils n'en avaient pas beaucoup discuté, elle n'était pas forcément contre l'idée d'essayer. Cela faisait déjà plusieurs semaines qu'elle n'hésitait plus à se montrer devant lui en petite tenue, et certains messages particulièrement érotiques qu'ils avaient pu s'envoyer par SMS avait naturellement guidé sa main droite vers des sommets. Forcément, jouer ainsi avec son adolescence en pensant à sa désirée lui avait procuré une certaine honte, mais cette dernière restait bien moins ennuyante que celle qu'il avait déjà ressentie devant certaines vidéos d'un genre très particulier sur internet. Le véritable problème n'était pas tant ce que les protagonistes pouvaient y faire, ni même leur sexe – quoi que certains visionnages s'étaient révélés particulièrement perturbants – mais bel et bien le visage qu'il imaginait dès qu'il fermait les yeux. C'était pour cela qu'il préférait largement penser à Cécile. Au moins les choses lui semblaient-elles ainsi un peu plus normal.
De son côté, Ydaï s'était fixé une mission bien particulière : photographier tout ce qu'il visiterait pour montrer son épopée à sa mère bien aimée. Ayant reçu pour son anniversaire un appareil photo Reflex avec un objectif 70-200mm dernier cri, il s'était découvert une toute nouvelle passion. Même la cuisine et le salon d'Akémi furent capturés dans les moindres détails, tout comme le wagon restaurant du Shinkanzen devant les mener à Hisoshima.
Qu'il était beau, le train blanc à grande vitesse ! Finalement, les quatre adolescents avaient fait le choix de la ligne la plus rapide, même si le billet était couteux. Cette décision avait été rendue possible via de nombreuses économies sur la suite du voyage. Assis à sa fenêtre, Akémi admira le mont Fuji en arrière-plan. Bien que l'été eût fait fondre la neige qui recouvrait son sommet en hiver et au printemps, le vieux volcan somnolant restait majestueux. Les rizières et champs ici et là dans le paysage sentaient bon la campagne. Quelques minutes seulement suffirent pour passer d'une facette du Japon à une autre. La ville grouillante de vie laissa sa place au calme, à la verdure et aux grands échassiers. Voir une grue du Japon s'envoler au passage du train fit sourire Akémi et se lamenter Ydaï. Trop occupé à photographier son Bento, il en avait raté l'oiseau. Sur le siège juste derrière, Akito leva les yeux au plafond et soupira. Le voyage serait long. Heureusement que pour occuper son esprit, il pouvait laisser ses doigts se balader entre la paume et le flanc de sa petite amie. Ainsi ne vit-il pas le temps passer. À peine le Shinkansen fut-il entré en gare d'Hiroshima qu'Akémi se leva et pressa les autres de le suivre. Ils avaient encore un petit trajet en bateau jusqu'à Miyajima où les attendait son grand-oncle pour la suite du voyage ! Plutôt que de monter sur Tokyo puis redescendre avec ses petits-enfants et leurs amis, Ohjiro leur avait proposé de le rejoindre et de poursuivre leur périple après une bonne nuit de repos dans son auberge dans sa vielle Toyota Prius qui lui avait rendu tant de services par le passé.
Même si l'idée de quitter sa maison l'effrayait, Ohjiro jugeait que son fils cadet et sa belle-fille avaient largement les compétences de s'occuper seuls des lieux. Cela faisait déjà plusieurs années qu'il les avait associés au management dans l'espoir qu'ils reprennent l'affaire après sa mort, telle que le voulait la tradition familiale. C'était la première fois qu'il leur laissait les commandes de la sorte, mais l'excitation de suivre son petit-neveu préféré dans ses aventures avait chassé ses craintes.
En arrivant près de l'île de Miyajima, Ydaï grimpa sur le bord du bateau avec son appareil photo afin de pouvoir prendre la plus belle image possible du Torii flottant. Comme lui fit remarquer Akito après qu'il ait glissé et se soit cassé la figure, lui aussi flottait plutôt bien. Heureusement pour l'appareil photo, le maladroit du jour avait eu la présence d'esprit de le jeter derrière lui pour éviter qu'il ne l'accompagne dans sa chute et se retrouve inutilisable à cause d'un méchant bain d'eau salée. Sa véritable chance, en réalité, avait été qu'Akémi possède d'excellents réflexes. Le lycéen aux yeux de chat avait en effet réussi à se jeter sur l'objet juste avant qu'il ne se brise en mille morceaux sur le pont du bateau. Fier de son coup, il se la joua modeste en se grattant l'arrière du crâne. Son geste n'était pas si éloigné que cela de ce qu'il avait pu apprendre au base-ball !
L'histoire se termina bien pour tout le monde. Dès qu'il eut mis un pied à terre, Ydaï fut convié par Ohjiro à rejoindre les bains pour se réchauffer. Cela valait aussi pour Akémi et Akito. Mais là où le premier n'attendit même pas d'être dans les vestiaires pour faire tomber ses vêtements au sol et dévoiler ses fesses ambrées, le second eu plus de mal à se décider. Les bains publics, comme ça, cela n'avait jamais été son fort. Il avait toujours trouvé le manque d'intimité gênant. Enfin, le regard mortellement attendrissant et suppliant que lui lança son camarade après l'avoir attrapé par la main le fit rapidement céder. De sa voix la plus douce, Akito lâcha un de ses classique : « Kore wa amarini mo kawaïdesu... » pour accompagner un de ses éternels sourires.
À contrecœur, l'adolescent se dévêtit et rejoignit donc ses deux camarades, une serviette fermement nouée aux hanches. Ni Ydaï ni Akémi ne prirent les mêmes précautions. Ohjiro ne les surveillant pas, ils avaient bien l'intention d'en profiter et faire leur la célèbre maxime : quand le chat dort, les souris dansent. Un morceau de tissus ne pouvait que les déranger au moment du chahuter dans le bassin. À l'écart, le Vietnamo-japonais désapprouva d'un grincement de dents, mais ne manqua pas une miette du spectacle. Voir Akémi en difficulté en train de se faire noyer, puis ressortir de l'eau en sautant était étrangement agréable. D'autant plus que le liquide brulant faisait briller sa peau particulièrement lisse. Enfin, c'était surtout son naturel qui avait quelque chose d'envoutant. Akito l'observa un long moment en silence, la bouche entrouverte, jusqu'à se retrouver bien malgré lui mêlé à la bataille. Voulant faire fuir son adversaire qui cherchait à lui grimper dessus, Ydaï avait projeté de l'eau tout autour. Furieux d'être arrosé alors qu'il n'avait rien demandé, Akito avait rétorquéde la même manière puis, voyant que cela ne servait à rien, avait aidé Akémi à couler son opposant. L'affaire aurait pu s'arrêter là si son frêle camarade, le regard malicieux, n'avait pas choisi de s'en prendre à lui tout de suite après. Sentir la peau humide et douce de l'adolescent aux yeux de chats contre son dos surprit la victime. Voir ses doigts malicieux se balader involontairement sur ses côtes, son ventre et ses cuisses à la recherche d'une prise l'énerva au plus haut point. Akémi avait des mains fines et chatouilleuses qui se rapprochaient étrangement de celles de sa sœur. Leur texture était agréable. Trop peut-être. Pris d'un énorme coup de chaud, Akito le repoussa violemment et sortit brusquement du bassin. Il détestait cela. Cette réaction incontrôlée qu'il avait eue et qu'il voulait cacher. Tombant les fesses les premières dans les soixante-dix centimètres d'eau, Akémi l'observa la bouche béate, sans comprendre sa réaction. Le rougissement des joues d'Akito s'accompagna de mots criards.
« Akémi wa baka ! ».
Puis le fier adolescent claqua la porte des bains, se changea et se promena seul dans les rues jusqu'à l'heure du diner. En plus, il n'avait même plus faim, la faute à la glace au melon qu'il avait engloutie d'un seul coup pour refroidir ses ardeurs.
Après une nuit calme et chaude où chacun dormit dans son futon, la petite troupe monta avec la petite Toyota Prius d'Ohjiro dans le ferry qui rattachait Miyajima à la côte, puis reprit la route. Il ne leur restait plus que mille trois cents kilomètres. Les plus longs. Toute la matinée, ils roulèrent en direction de Fukuoka, où vers les quatorze heures, ils purent se sustenter dans une échoppe à sobas. Les pâtes de sarrasin froides plaisaient à tout le monde, d'autant plus quand elles s'accompagnaient de tempura. À table, Ohjiro parla gastronomie et avoua regretter le temps béni du cassoulet et du Kouign-amann. Un peu étonné par ce dernier terme qu'ils n'avaient jamais entendu et qui sonnait d'autant plus bizarrement que l'accent nippon du vieil homme était marqué, Ydaï et Akito rigolèrent de bon cœur, ce qui énerva Cécile. Elle s'en souvenait, elle en avait déjà mangé une fois, quand elle était petite, avant que sa famille ne rentre au Japon. Lorsqu'Akémi haussa les épaules en avouant qu'il n'en avait aucun souvenir bien qu'il sache à quoi ressemblait le gâteau breton, elle lui rétorqua méchamment que c'était normal, il était trop petit à l'époque. Outré, l'adolescent se défendit immédiatement :
« Mais... on n'a qu'un an d'écart ! »
« Ça, je m'en fiche ! Tu resteras toujours mon petit frère ! Ouvre la bouche ! »
Obéissant, l'adolescent écarta grand la mâchoire et goba d'un seul coup le morceau de carotte fritte que lui tendait sa sœur du bout des baguettes. Qu'est-ce qu'il aimait le tempura ! À chaque fois qu'il en mangeait, cela lui rappelait l'odeur de friture du restaurant en bas de chez lui dans lequel il allait souvent manger au collège, quand sa mère rentrait trop tard pour lui préparer sa pitance. Il en avait presque les larmes aux yeux, ce que ne manqua pas d'immortaliser Ydaï avec son appareil photo. Il restait neuf cent quatre-vingt-dix-sept kilomètres.
L'après-midi fut consacrée à la traversée de l'île de Kyushu, avec un petit détour vers le mont Aso. Le plus vaste et actif volcan du Japon méritait bien une petite photo. En tout cas, ce fut la requête d'Ydaï. Il voulait voir de ses propres yeux le cratère, son lac bleu et ses vapeurs sulfureuses. Le spectacle était à tomber. Ce qu'il faillit faire une nouvelle fois en se penchant trop avec son appareil photo. Après s'être fait copieusement grondé par Akémi qui refusait qu'un de ses compagnons d'aventure décède bêtement avant de l'avoir aidé à trouver son trésor, l'adolescent alla se cacher dans la voiture pour jouer à un jeu vidéo sur son téléphone portable.
En début de soirée, la troupe arriva enfin à Kagoshima. Un volcan en chassant un autre, les voyageurs eurent droit au magnifique spectacle d'une baie au bleu intense au milieu de laquelle trônait fièrement le mont Sakurajima, dont la dernière grosse éruption en 1914 avait tué des dizaines de personnes et comblé l'espace entre sa base et l'île de Kyushu. Toujours actif, le monstre crachait des tonnes de cendres et de poussières tous les ans, sans que les habitants qui vivaient à côté ne s'en émeuvent vraiment. Kagoshima était considéré comme la Naples de l'Orient. Il y faisait bon vivre, surtout en été. On y trouvait même quelques palmiers.
Après un dîner sur le pouce, les adolescents et Ohjiro se baladèrent le long des quais et posèrent devant des sculptures et souvenirs à l'effigie de Saigo Takamori, considéré parfois comme le dernier des samouraïs. Ydaï se fit un réel plaisir de réaliser les clichés d'un Akémi faisant le pitre en sautant bras écartés partout.
Une fois encore, cela énerva Akito. Fatigué, il aurait de loin préféré se poser sur un banc avec sa petite copine. Cette dernière, malheureusement, préférait largement s'acheter des souvenir et regarder son frère s'amuser. Après tout, le but du voyage était avant tout de lui faire plaisir, et c'était plus important que le reste. En tout cas, ce fut ce qu'elle lâcha froidement à Akito lorsqu'il s'énerva de ne pas recevoir assez d'attention. Surpris, l'adolescent recula d'un pas, avant de réavancer, de lui attraper les poignets et d'essayer de l'embrasser. La réaction immédiate de la belle le laissa complétement décontenancé. C'était la première fois qu'une fille le giflait, et la sensation était encore plus désagréable que lorsqu'il rougissait à la vue des idioties d'Akémi. Furieux et honteux, il rentra avant tout le monde dans leur petit hôtel, au grand désarroi peiné du lycéen aux yeux de chats avec qui il refusa de communiquer avant le petit déjeuner. Là, jonglant entre des fruits et du poisson grillé, il se comporta comme si de rien ne s'était passé et fit la bise à tout le monde, à Ohjiro, à Akémi, à sa copine qui se laissa faire après une légère hésitation et même à Ydaï. Seuls ses yeux chargés témoignaient d'une nuit difficile. Il restait sept cent kilomètres à parcourir, plus d'une journée complète en bateau.
Le lendemain, avachi sur une des tables du bar du ferry reliant Kagoshima à Okinawa, Akito s'adonna de nouveau à l'activité qu'il maitrisait le mieux au monde : râler.
« On ne peut pas jouer à autre chose qu'à l'uta-karuta, sérieux ? Je sais pas, un président ou un tarot ? »
Il fallait dire aussi qu'entre l'ennui profond d'une traversée interminable et le jeu de cartes proposé par Akémi, il avait de quoi soupirer.
Il avait fallu attendre six heures du soir, la veille, pour embarquer. Kagoshima avait beau être une ville agréable pour flâner, un jeune tokyoïte habitué aux quartiers de Ginza et d'Akihabara en faisait vite le tour. Après un repas et une bonne nuit de sommeil, la troupe s'était réveillée au milieu de l'océan. Certes, le bleu intense de l'eau et la brise fraiche qui parcourait le pont n'étaient pas désagréables, mais ce type de croisière restait quand même assez chiant, au demeurant. Il fallait avouer que les activités à bord n'étaient pas vraiment nombreuses.
Certes, chacun de ses camarades s'était rapidement trouvé une occupation. Akémi avait relu en boucle le poème d'Aaron pour s'imprégner de tous les détails qu'il connaissait pourtant déjà par cœur afin de se lancer à la recherche du trésor dès qu'il aurait mis un pied à terre. Son grand-oncle Ohjiro, désireux de de ne pas enflammer son début de sciatique, était resté assis sur une chaise sur le pont. Malgré son âge, son crâne dégarni et ses rides, cette escapade lui faisait le plus grand bien. Il avait l'impression de revivre les folles aventures de sa jeunesse étudiante où il courrait à travers les rues du boulevard Saint-Germain, à Paris. Qu'il était bien court, le temps des cerises, ce temps-là qu'il avait gardé au cœur. Les merles moqueurs qu'il avait entendu chanter dans un petit cabaret avaient les traits et le visage de ses deux petits neveux. Quoi qu'Akémi ressemblait en fait plus à un gai rossignol, ce qui ne le rendait que plus attachant.
Ydaï, de son côté, s'était mis en tête de photographier le bateau sous toutes les coutures, remplissant une carte mémoire entière avec uniquement le pont, sa cabine et la cheminée. L'embarcation usée transportait autant des touristes que des containeurs. Le confort à bord était spartiate, mais cela ne gênait pas le moindre du monde les habitués qui faisaient la traversée plusieurs fois par mois. Au calme, Cécile s'était mise à la lecture de la suite de son light novel préféré. Elle n'avait pas vraiment envie de fréquenter le reste de la troupe et avait prétexté un mal au ventre particulièrement féminin pour justifier à la fois sa réaction violente de l'avant-veille ainsi que son isolement. Finalement, chacun avait vaqué dans son coin sans se soucier des autres. Sauf Akito qui, après avoir vidé la batterie de son téléphone en s'adonnant à un jeu stupide, dut bien admettre qu'il s'ennuyait ferme. Encore, s'il avait pu flâner avec sa petite copine, il s'en serait bien moqué. Mais là, avec autant d'eau dans le gaz, il ne pouvait que serrer des dents en attendant qu'enfin ils débarquent et puissent passer à autre chose.
Ce fut sur les coups de midi, voyant que son groupe était un peu trop dispersé et qu'Akito grognait tellement fort qu'il commençait à couvrir le bruit des machines de ses râles, qu'Akémi proposa aux autres jeunes une partie de cartes et sortit de son sac à dos un jeu de Karuta. Il en avait toujours un sur lui, histoire de travailler sa mémorisation et de passer le temps, quand il était tout seul, à essayer de reformer les différents extraits du poème. Il adorait ce jeu qui nécessitait concentration et rapidité, et déplorait toujours qu'au lycée Français, personne ne l'appréciait autant que lui.
Forcément, après une partie qu'il écrasa haut la main en récupérant à lui seul plus de la moitié des cartes en jeux, Akito grogna à nouveau. Il fallait vraiment avoir une case en moins pour apprécier cet amusement, et même voir Akémi au summum de la mignonnerie se jeter sur la table comme une tornade dès qu'il entendait une syllabe ne justifiait pas du tout ce goût douteux pour cette activité passée de mode. Du coup, histoire de faire plaisir à tout le monde, Ydaï réussit à convaincre l'adolescent aux yeux de chat d'arrêter ses caprices et de passer à un autre jeu. Prenant tout d'abord un air de félin maltraité, Akémi finit par accepter, à condition que toute la bande s'adonne à tour de rôle avec lui à un Koi-koi avec son nouveau Hanafuda qu'il venait d'acheter à Kagoshima. Pour finir, seul Ydaï céda et accepta de l'affronter, ou plutôt de perdre contre lui. Le goût de la défaite, quand il s'accompagnait d'un énorme sourire, était toujours plus sucré que celui d'une victoire amère cause de bouderies. En matière de cartes, Akémi était connu pour être un très mauvais perdant. Pendant naturel de ce mauvais caractère, il faisait un gagnant plutôt joyeux à qui on pouvait demander tout et n'importe quoi dès lors qu'il l'emportait. Au lycée, de nombreuses filles de sa classe l'avaient compris. C'étaient pour elles un moyen de récolter des câlins à moindre frais de la part de leur peluche préférée.
Vers quatre heures et demie, le bateau accosta enfin à Okinawa, et plus précisément à Motobu. La destination finale de la troupe où Akémi avait réservé un Ryokan se situant à Itoman, tout au sud de l'île, il était préférable de débarquer à la capitale régionale Naha, à encore deux heures de croisière et bien plus proche de l'auberge. Cette dernière étape d'un long périple fut le théâtre d'une nouvelle dispute. Akito n'avait pas du tout apprécié que sa petite amie le compare à Aaron, la cause de leur présence en ces lieux reculés.
« Quand même, réussir à nous traîner jusqu'ici des années après être sorti de nos vies, c'est fortiche. Il a toujours eu un truc particulier avec lui. C'était mon premier petit copain, quand même. Déjà alors qu'il était super jeune, il embrassait vachement bien, j'en ai jamais retrouvé de pareil à ce niveau-là. Mais c'était vraiment un mufle. Jamais compris, après la manière dont il m'a traitée, que mon couillon de petit frère soit tombé en admiration devant lui ! »
Rouge comme une cerise, Akémi avait détourné la tête. C'était sa manière à lui de confirmer ce secret de polichinelle : Aaron embrassait foutrement bien. La seule différence qu'il avait avec sa sœur, c'était son absence d'éléments de comparaisons. Le brunet était le seul qui avait pu effleurer ses lèvres de sa bouche. Après avoir cassé avec sa sœur, hein. Il avait beau être un mufle, Aaron faisait les choses dans l'ordre. De son côté, Akito se leva simplement et tapa du poing sur la table. Les sous-entendus foireux ne lui plaisaient pas du tout. En fait, rien de tout cela ne lui allait. Ni l'attitude de Cécile à son égard, ni le visage légèrement ocre et gêné d'Akémi, ni même Ydaï qui ne trouvait rien de mieux que de prendre tout le monde en photo ! Ce voyage dans son ensemble commençait très sérieusement à lui courir sur le système.
« Vous me faites chier avec votre Aaron. Je suis largement meilleur que lui ! Je l'ai toujours été ! C'est un con et vous êtes des cons de l'apprécier ! »
« Tu ne traites pas mon frère de con ! », lâcha aussitôt Cécile d'un air affligé. « Si Aké-chan a été capable de faire tout ça, à organiser ce voyage et à s'opposer à nos parents, c'est uniquement grâce à Aaron ! Moi, ça me touche, je suis fière de lui, c'est pour ça que je l'accompagne ! »
« Tu te fous de ma gueule ? Ça fait depuis la quatrième que je m'occupe de lui et que je le bichonne, ton ototo ! C'est pour ça, d'ailleurs, que je me tape ce voyage de merde en votre compagnie ! »
« Ah bon ? », réagit immédiatement la jeune fille, outrée, au bord des larmes. « Je croyais que c'était pour moi et pour passer un peu de temps en amoureux ! Enfin, c'était ce que tu prétendais ! Excuse-moi d'avoir cru que tu tenais à moi, connard ! »
Sur le point d'en venir aux mains, il fallut une intervention extérieure pour les séparer. Sans même réfléchir, Akémi s'interposa et repoussa les deux protagonistes à l'aide de ses paumes. De toute ses forces, les yeux gorgés de pleurs, il hurla :
« DAMARE ! DAMARE, DAMARE, DAMARE ! »
L'effet fut immédiat. Plus personne ne bougea. Akémi, lui, renifla lourdement en essayant de reprendre son calme. Quand enfin il eut fini de hoqueter, il s'essuya la joue du dos de la main et cria de plus belle sur sa sœur et son camarade de classe.
« Usotsuki ! Vous n'êtes pas venu pour m'aider, mais simplement parce que je vous ai fait chier ! Vous n'en avez rien à foutre du trésor que je recherche ! Vous trouvez ça ridicule. Et vous savez quoi ? Vous avez raison ! Mais j'm'en fous ! J'le trouverai quand même, avec ou sans votre aide ! En attendant, disputez-vous loin de moi ! Parce que c'est ma faute et ça me fait pleurer ! »
Les poings serrés, la mâchoire contractée et les lèvres recouvertes d'une fine humidité révélant une tristesse sincère, Akémi tourna les talons et s'isola jusqu'à l'arrivée, le dos collé à un mur et son visage plongée dans ses bras. Enfin, Naha était là. La soirée avait déjà bien commencé. En silence, la petite troupe se dirigea vers son auberge. Personne n'osa vraiment commenter les derniers évènements, pas même Ohjiro qui ne les avait pas suivis, mais qui avait rapidement compris que l'ambiance électrique qui agitait les jeunes ne pouvait pas se résorber avec des mots, mais seulement avec une bonne nuit de sommeil.
TGV japonais.
« C'est trop mignon. »
Akémi, idiot !
Jeu de cartes se pratiquant avec des cartes de type Hanafuda.
« Jeu des Fleurs ». Un jeu de cartes traditionnel japonais basé sur les fleurs et les mois de l'année.
Auberge traditionnelle au Japon
Petit frère en japonais, s'utilise très souvent pour parler de son petit frère ou du petit frère de quelqu'un.
La ferme.
Menteurs
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